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Le diable, probablement pas

(Pour le contraire, Le diable probablement, c’est par ici.)

Statistique brute prélevée dans le flux internetisé de l’actualité : en ce moment, la République Islamique d’Iran exécute après jugement sommaire, en moyenne, un être humain toutes les six heures. Quatre par jour.

Ce nombre est abstrait. Comment rendre la peine de mort concrète, c’est-à-dire incarnée dans des êtres humains qui soit exécutent, soit sont exécutés ? Par le cinéma, évidemment.

Je viens de voir un film iranien et j’en sors bouleversé, en larmes : Le diable n’existe pas (titre péremptoire et pourtant prodigieusement subtil, puisque marquant non une fin de réflexion, mais un début, pour méditer après le film) de Mohammad Rasoulof. Ce chef d’œuvre me conforte dans deux de mes convictions. Primo, le cinéma iranien est l’un des plus passionnants du monde, et aussi l’un des plus héroïques puisque pour exister il doit se battre pied à pied contre son propre pays. Le diable n’existe pas a été tourné en clandestinité, déjouant une censure locale qui ferait passer le code Hays pour une aimable partie mah-jong, et Rasoulof, après sept mois d’internement dans la tristement célèbre prison d’Evin, a désormais interdiction de quitter le territoire alors qu’il était attendu en tant que juré du dernier festival de Cannes.

Secundo, pour accéder à la complexité d’une culture, d’un pays, ou d’une époque, il est préférable de regarder ses œuvres d’art plutôt que de coller l’œil sur le flux internetisé de l’actualité. Ici, on comprend ce qu’est concrètement la peine de mort : c’est une tache indélébile sur un homme à qui un deuxième homme a dit Tue ce troisième homme.

Ce film ressemble davantage à un recueil de nouvelles qu’à un roman puisqu’il assemble quatre histoires distinctes (une chronique sociale, un thriller, un mélo amoureux, un mélo familial) qui ont toutes en commun le thème de la peine de mort mais, plus largement, celui de la responsabilité individuelle. C’est, philosophiquement, aussi profond que du Albert Camus, autre auteur pour qui la peine de mort était un grand sujet à incarner, et c’est aussi beau que dans ses livres, puisque la lumière, le soleil et les couleurs sont, comme chez Camus, époustouflants. Et d’autant plus tragiques.

Question incidente et subsidiaire : voilà deux films persans que je vois coup sur coup, Leila et ses frères et ce Diable n’existe pas, où apparait le même élément narratif (essentiel dans le premier, anecdotique dans le second), qui semble un trait des mœurs persanes, très exotique pour nous Français : l’importance extrême, à la fois économique et symbolique, accordée aux pièces d’or. Durant la crise (or la crise est sans fin), la « pièce d’or » semble une valeur refuge, contre l’inflation aussi bien que contre la déroute spirituelle, chargée des valeurs mythiques et mythologiques attribuées à l’or, comme dans les contes traditionnels. Ainsi, selon ces deux films, si l’on veut faire à quelqu’un un cadeau « sûr » , conséquent, prestigieux voire ostentatoire, empreint d’une grande valeur à la fois financière et symbolique, on offre des pièces d’or.

En France existe une sorte d’équivalent : les personnes riches offrent ou s’offrent des Napoléons ou des Louis d’or, mais c’est une pratique plus marginale, plus rare, réservée à la grande bourgeoisie, et il ne me semble pas que cela tienne lieu de cadeau traditionnel. Sans doute parce que l’économie française est plus stable que l’économie iranienne. Jamais personne dans ma famille n’a possédé un Louis d’or.

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