Accueil > En cours > Que reste-t-il à souhaiter ?

Que reste-t-il à souhaiter ?

Je me trouve chez ma grand-mère, et très heureux de cette surprise puisque depuis sa mort, sa maison étant occupée par d’autres locataires, je n’avais pas l’espoir de revoir ces murs un jour. Ils n’ont pas changé du tout, c’est fou, je croyais pourtant que les nouveaux locataires avaient fait des travaux.

Plus précisément je suis en train de descendre l’escalier raide et étroit qui mène des chambres au rez-de-chaussée. Depuis cet escalier, en s’asseyant d’une fesse dans le coin d’une marche haute, on réussit à voir la cuisine à travers la vitre qui surmonte la porte. Je me souviens, quand j’étais petit et qu’on m’obligeait à faire la sieste alors que je n’en avais ni envie ni besoin, je me relevais sans bruit de mon lit et je m’installais là, sur cette fesse, sur cette marche, la tête entre les mains et j’observais longuement les grandes personnes dans la cuisine, elles faisaient la vaisselle, buvaient le café, fumaient, parlaient fort.

Mais aujourd’hui il n’y a plus personne dans la cuisine. Pourtant, la lumière est allumée. Peut-être que ma grand-mère n’est pas loin. Je vais descendre l’escalier, pousser la porte, entrer dans la cuisine, ça me ferait plaisir de la voir, il y a si longtemps.

Je descends à pas feutrés, j’actionne la poignée de la porte tout doucement, comme si j’avais encore l’âge de feindre de faire la sieste, j’entre dans la cuisine mais non, décidément la maison est déserte, je suis seul. Je ne sais pas qui est parti en dernier mais il a oublié d’éteindre la lumière, ça ne peut pas être ma grand-mère, elle ne ferait jamais ça, elle l’engueulerait. Je pose la main sur le poêle à charbon, il est froid, je regarde le lavabo, vraiment curieux, j’étais persuadé que tout ça avait disparu. J’éteins consciencieusement la lumière, je ferme la porte derrière moi, je sors.

Il fait nuit. Je descends la ruelle, je décide de traverser la départementale et marcher jusque devant la mairie du village. La chaussée est luisante d’une récente pluie. Je vois un attroupement devant le vieux café fermé depuis si longtemps. Ce sont des personnes assez âgées en vêtements bariolés, lunettes, chapeaux sur cheveux blancs, sourires, quelques instruments de musique dont pour le moment personne ne joue. Ah ça y est j’y suis, c’est un rassemblement de « coquelicots » , des braves gens dont je me sens solidaire, des colibris collapsologistes, tous un peu paniqués de la disparition de notre écosystème mais avec le sourire, essayant de freiner la fin du monde avec leurs pieds nus dans leurs chaussures.

Le cortège se met en branle, je lui emboîte le pas. Quelques bavardages calmes. Nous entrons dans la salle polyvalente aux murs jaunes éclairée par des néons vibrants. Nous nous asseyons sur des bancs autour des tables, un repas est-il prévu ? Je crois reconnaître quelqu’un au fond de la salle, mais il m’est désormais caché par la personne assise en face de moi. Lorsque je me déplace légèrement pour l’observer, il a disparu. Tous ceux qui étaient avec lui ont disparu aussi. Mon regard revient vers mon vis-à-vis… Entre temps il a disparu aussi. Je me retourne alors pour balayer les autres convives à ma table. Tous sont effacés. Derrière moi, devant moi, il n’y a plus un chat, ceux à droite de mon regard se sont évanouis pendant que je regardais à gauche et vice-versa, comme ces taches qu’on a sur les yeux et que le regard traque en vain en les faisant fuir toujours plus loin. Que s’est-il passé ? Je suis tout seul à table, entre les murs jaunes, dans le silence et sous les néons vibrants.

Je me réveille.

Que souhaiter pour 2019 ? Des coquelicots. Pour mesurer la valeur du symbole, comparer avant et après – la disparition était bien le sujet de mon rêve. La fin de de l’année a des allures de fin du monde. Prochain rassemblement des coquelicots dans la vraie vie : vendredi 1er février sur tout le territoire français et même chez moi.

*