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Archives pour 04/2023

Revenir sur la terre ou exploser en vol

29/04/2023 Aucun commentaire

Photo aimablement prise par un CRS pourtant sur les nerfs, qui faisait le pied de grue à la sortie de l’autoroute mais qui attendait des blacks blocs plutôt qu’un trombone et une nyckelharpa.

Ah quel stage que celui de création de chansons encadré par Marie Mazille et moi, trépidant, foisonnant et joyeux. entouré de plein d’autres ateliers plus sérieux mais tout aussi bons ! Si le monde (professionnel) était mieux fait je ne gagnerai ma vie qu’ainsi tant je me régale tout en régalant les autres. Prochaine session : dimanche 14 au samedi 20 avril 2024. En attendant vous pouvez vous inscrire au stage d’août de Mydriase, pas mal non plus.

Mais il faut bien revenir dans le vrai monde, qui vous attend au tournant. La semaine de stage était tellement intense que j’en ai oublié de regarder l’info – ce sevrage constituant un avantage bonus.

Voyons voir, qu’ai-je loupé d’essentiel ces derniers jours ? Ah, tiens, ça, enfin une info marrante : Le Starship, la mégafusée de SpaceX, explose en vol trois minutes après son premier décollage.

Voilà qui mérite un mirliton :

Quelle déconvenue, affligeante et très brusque,
Advient au gros poupon dénommé Elon Musk !
Il brise son joujou à grosse empreint’carbone
Dans son techno-av’nir y’a kekchoz qui déconne.

Le pays des ombres

17/04/2023 Aucun commentaire

Ce matin j’attrape 54 ans et, comme d’habitude, je comprends que plus on vit plus on enterre. Je rends grâce et hommage à ceux qui sont descendus à cet arrêt : Louis Owens, par exemple, est mort à 54 ans. Et salement, en plus.
Voilà ce que je pourrais faire pour mon anniversaire, relire le Chant du loup.

Poisson volant

06/04/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui : nouvelle journée de grève, mobilisation et manif contre la réforme des retraites. Nous en sommes à combien, septième, dixième, quarantième journée, je ne sais plus, j’ai perdu le fil, je ne les ai pas toutes faites.

Le gouvernement ne bouge pas. Le président ne bouge pas. Rien ne bouge à part l’essentiel, le Peuple (je luis mets une majuscule pour faire plus hugolien).

Or par hasard c’est aujourd’hui que passe sous mes yeux Le Président d’Henri Verneuil, vieillerie de 1961. Et je suis époustouflé de ce qu’il me dit sur la situation d’aujourd’hui.

Est-ce réellement, du reste, un film de Verneuil qui, après tout, n’a fait que diriger, filmeur plutôt qu’auteur ? Ou est-ce plutôt un film de Jean Gabin qui le porte tout entier sur ses épaules de patriarche ? Ou est-ce un film de Georges Simenon, qui écrivit le roman quatre ans plus tôt (le livre, qui tourne davantage autour de la décrépitude du protagoniste, ancien président du Conseil rédigeant ses mémoires et méditant ses combats, est plus morbide et crépusculaire que le film) ? Ou est-ce un film de Michel Audiard dont l’esprit vachard suinte de chaque réplique ?

Le film est resté célèbre pour un bon mot :

– Il existe des patrons de gauche, je tiens à vous l’apprendre !
– Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !

… mais on pourrait citer treize bons mots à la douzaine. J’en prélève un autre qui me plaît beaucoup, très classe et bien loin du cynisme que l’on prête d’ordinaire à Audiard :

Monsieur le Président, vous pouvez tout !
– C’est bien pour ça que je ne peux pas tout me permettre.

Surtout, ce que ce film nous raconte d’utile pour comprendre aujourd’hui, et peut-être toute l’histoire politique française, tient en une idée-force : la loi est faite par les riches, afin de les rendre encore plus riches.

Ce film parle, comme si on y était, de l’arrivisme en politique : de notre startup nation, de sa startup assemblée, de son startup sénat et de son startup président, à cause de qui la vraie démocratie sera encore, sera toujours, confisquée par la ploutocratie. La déconnexion entre les députés Renaissance qui ont voté la réforme des retraites et les Français qui la subiront, est en réalité une très ancienne tradition. Cette tradition est ici mise en scène, en direct de 1961.

Gabin incarne un type d’honnête homme, animal politique intègre et idéaliste, plus rare encore dans le monde réel que les poissons volants (en guise de repère, il s’était fait grimé en Georges Clémenceau car le Tigre était l’un des rares hommes politiques qu’il respectait), tandis que son adversaire, le député Philippe Chalamont qui attend son heure à la Chambre après avoir fait carrière dans les banques d’affaires (sic), interprété par Bernard Blier, est quant à lui un modèle infiniment plus courant, récurrent, voire banal, un invariant de la médiocrité. On aurait hélas pour le réincarner aujourd’hui l’embarras du choix : il est Macron bien sûr, comme il a été Sarkozy le président des riches, il a été Fillon, il a été Juppé droit dans ses bottes, il est chaque ministre pris, telle Agnès Pannier-Runacher, la main dans le pot de confiture du conflit d’intérêt, il est l’ignoble Jérôme Cahuzac, il est leurs prédécesseurs et leurs successeurs. Il est le Pouvoir politique français en personne, autrement dit le business, la bourgeoisie capitaliste, depuis, grosso-modo, que Thiers a écrabouillé la Commune pour installer les épiciers.

Dans la tirade la plus célèbre du Président, exceptionnel exercice d’éloquence que les détracteurs du film ont qualifié de populiste (on disait poujadiste à l’époque), Gabin seul contre tous commence par rappeler :

J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger les chômeurs, j’ai vu la richesse de certaines contrées et l’incroyable pauvreté de certaines autres…

Oh oh… Est-ce un reportage d’actu ? Elle en est où, la manif, dites ?
Puis, Gabin président rappelle que l’affairisme est la clef historique de toute politique (y compris le colonialisme ! quand le film sort, la France n’est pas encore sortie de la guerre d’Algérie). Ensuite, extralucide, il assène que l’Europe en train de se construire sera celle des multinationales et des lobbies :

La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus, messieurs, de soutenir un ministère mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration.

Et pour terminer en apothéose, flinguant sa carrière, il se met à interpeler par ordre alphabétique chaque député dans l’hémicycle et énumère ses intérêts. Geste anachronique et jouissif du lanceur d’alerte. Tous ces élus du peuple en croquent et pensent à leur biftèque, CQFD. Essayez de visionner l’extrait sans vous laisser gagner par l’hallucination de regarder LCP en 2023 (quoiqu’en 2023 on verrait davantage de femmes, déjà ça de gagné même si le progrès est modeste, on trouve des femmes d’affaires parmi les hommes d’affaires) :

Post-scriptum qui n’a presque rien à voir :
Indigné par les propos de Gérald Darmanin, écœurant ministre de l’Intérieur (ça ne sent pas très bon à l’intérieur, faudrait aérer) sur la Ligue des Droits des L’Homme, je viens de me précipiter pour adhérer à cette vénérable association.
Je ne suis pas le seul.
Intéressante variation sur l’effet Streisand.

J’espère que cet afflux des dons ne servira pas de prétexte supplémentaire à couper les aides publiques.

Homo Sapiens Predator

01/04/2023 Aucun commentaire
This handout picture released by the Egyptian Ministry of Antiquities on March 25, 2023, shows mummified ram heads uncovered in recent excavations at the temple of Ramses II in Abydos. A team of archaeologists from the US’ New York University uncovered more than 2,000 mummified ram heads dating from the Ptolemaic era, as well as other animal mummies and artifacts in the Temple of Ramses II in Abydos in southern Egypt, a discovery that points to a persevering ram cult 1000 years after Ramses II’s time, according to the country’s antiquities authorities. – == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS == (Photo by EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES / AFP) / == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS ==

Dimanche 26 mars 2023 : les autorités égyptiennes annoncent la découverte dans le temple funéraire de Ramsès II, dans la cité antique d’Abydos, à 435 kilomètres au sud du Caire, de plus de deux mille têtes de béliers momifiées datant de l’ère ptolémaïque ont été découvertes. Il s’agirait d’offrandes témoignant que le culte de Ramsès II était encore célébré mille ans après sa mort. D’autres momies d’animaux (brebis, chiens, chèvres, vaches, gazelles, mangoustes) ont aussi été mises au jour lors de ces fouilles. (Source : AFP)

La photo de ces innombrables cornes me rappelle quelque chose, que j’ai vu il n’y a pas très longtemps… Je réfléchis… Un charnier peut-être ? La guerre en Ukraine ? Ah, non, c’est autre chose, je sais.

Cette découverte égyptienne me passionne parce qu’elle ne nous parle pas d’hier, elle nous parle d’aujourd’hui et de toujours : elle parle d’Homo Sapiens Predator, de son inextinguible folie destructrice, de son élimination méthodique et pourtant enragée des autres espèces animales (en commençant par les plus gros, identifiés comme rivaux), de sa dévoration sans pitié de l’environnement vu comme pure ressource à sa disposition, de l’orgueil insane qu’il tire des trophées après le carnage, elle parle même de sa superstition imbécile et de ses religions consolatrices, les restes des animaux morts lui servant de gris-gris, de garantie propitiatoire dans l’eau-delà. Plus il tue, plus il échappera à la mort, croit-il, l’abruti.

Cette découverte égyptienne nous parle de Ramsès II, pharaon de la XIXe dynastie (vers -1304, vers -1213) aussi bien qu’elle nous parle de Victor-Emmanuel II, roi d’Italie (1820-1878). Il se trouve que je reviens d’un voyage dans le si beau Val d’Aoste où j’ai notamment arpenté le château de Sarre, acheté par Victor-Emmanuel et utilisé en tant que pavillon de chasse, camp de base lors de ses innombrables fêtes du plomb dans les montagnes alentour, notamment dans le Grand Paradis. Le roi adorait buter du bouquetin en masse et du chamois par paquets de douze – privilège aristocratique et symbolique. Droit de vie et de mort. C’est qui le patron, hein ? C’est qui le maître de la nature qui prend la pose pour la postérité avec son fusil, son chapeau et son chien ?

Le sel de l’histoire est que le boucher du Val d’Aoste, après avoir fortement contribué à la quasi-extinction du bouquetin des Alpes, passe pour son sauveur providentiel : inquiet de l’amenuisement de son gibier, soucieux de la pérennité de son hobby, Victor-Emmanuel fait interdire par décret la chasse au bouquetin dans les Alpes italiennes. Sauf dans la réserve royale et à son propre usage. Il y a pire, et plus sordide : le maniaque couronné transforme la tuerie en apparat, faisant décorer plusieurs salles et couloirs, plusieurs murs et plafonds du château de Sarre, avec un ahurissant et morbide amoncellement de centaines de cornes de bouquetin. On se croirait chez Ramsès. C’est bien ici que je l’avais vu. J’en ai même ramené un petit reportage photo :

Constance de l’instinct de mort d’Homo Sapiens Predator, qui hélas n’est pas un archaïsme mais un invariant : trente-trois siècles après Ramsès, un et demi après Victor-Emmanuel, cette découverte égyptienne nous parle, enfin, de Willy Schraen, copain de Macron et patron du désormais riche et puissant lobby des chasseurs. Taïaut ! Nous ne ferons pas de quartier et comme nos illustres prédécesseurs nous exposerons les cornes pour impressionner le quidam.

Rappel : le montant des aides accordées à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a connu une hausse fulgurante au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, passant de 27000 euros à 6,3 millions d’euros en cinq ans. Car la chasse est une priorité nationale absolue.

Rappel : bon an mal an, 80 à 100 accidents de chasse, dont une dizaine de morts (d’êtres humains morts, je veux dire). Willy Schraen réagit et déplore les victime collatérales : « Il n’y a pas de risque zéro » . Et de réussir à faire jouer les leviers de pouvoir en sa faveur, et d’inciter le Sénat à légiférer : pour réduire le risque de prendre un plomb dans la tête en se promenant en forêt, la solution est tout simplement d’interdire de se promener en forêt, cela s’appelle le délit d’entrave à la chasse.

Rappel : 70% des Françaises ne se sentent pas en sécurité en période de chasse et 78% demandent l’instauration d’un dimanche sans chasse. Ils n’ont pas été entendus. (Au fait et dans le même genre, 68 % des Français sont contre la réforme des retraites. Seront-ils entendus ? Y’a-t-il le moindre suspense ?)

Rappel : comme tous les gens de pouvoir (les religieux, par exemple), les chasseurs sont chatouilleux et ne supportent pas la critique, la dérision, la caricature. Le dessinateur Bruno Blum (qui, lors d’une vie antérieure, était connu en tant que producteur de musique sous le nom de Doc Reggae, réalisateur du meilleur album live de Gainsbourg) est actuellement poursuivi en justice et risque jusqu’à 12 000 euros d’amende pour une caricature qui malheureusement n’a pas fait rire M. Schraen :

On peut soutenir Bruno Blum ici. Un dernier dessin pour tester votre humour :