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Archives pour 07/2012

Allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés

27/07/2012 un commentaire

Le bleuet des champs ou centaurée contient des antioxydants réputés ralentir le processus de vieillissement. L’on utilise, depuis les temps immémoriaux dits Temps de bonne femme, l’eau de bleuet pour adoucir les peaux irritées, décongestionner les yeux cernés, apaiser les corps meurtris, réconforter les existences en général. La centaurée (Centaurea cyanus) doit son nom au sage Chiron, précurseur à six membres de la pharmacopée, qui soigna les blessures d’Achille grâce à une décoction de bleuets.

En sus de si considérables vertus, le bleuet est le totem de la librairie la plus stupéfiante de France.

« Le Bleuet » avec un B majuscule qui est la moindre des choses a été fondé en 1990 par Joël Gattefossé, au milieu de nulle part, soit à Banon, village de moins de 1000 habitants des Alpes de haute Provence. Déjà, ouvrir une librairie ! De quoi faire pouffer n’importe quel banquier un tant soit peu sérieux. Mais à la cambrousse, en plus ! Or, visionnaire ou mégalomane, en tout état de cause libraire forcené et bosseur extravagant, l’énergumène Gattefossé voit les choses en grand, et petit à petit fait de son échoppe une des plus importantes librairies indépendantes de France, la septième en chiffres d’affaire, 13 salariés (soit 8% de la population du village), 110 000 titres disponibles (soit un choix de 110 titres pour chacun des habitants), un stock de 200 000 volumes (soit 200 par habitant), 500 ventes quotidiennes (soit 1/2 livre par habitant et par jour – bon, j’arrête la blague, il est évident que sa clientèle n’est pas autochtone).

Il ne compte pas s’en tenir là : pour passer aux choses sérieuses, il a entrepris des travaux pharaoniques (première tranche en 2012, un hangar de 1700 m3 bâti à portée de main dans la vallée) afin d’atteindre le stock du million de volumes. Ambition : devenir en 2015 la première librairie de France en fonds littéraire – vous cherchez un livre ? s’il existe, le Bleuet l’a. Il s’attaquera ensuite quand il aura cinq minutes à la vente en ligne, ouvre cet automne son site internet, escomptant fissurer la situation de quasi-monopole d’Amazon, pas moins.  Ce type est fou.

Je vous en cause parce que l’histoire est édifiante, un fou qui délire pour la bonne cause étant un bon fou, et une utopie qui fonctionne réchauffant toujours le coeur, mais aussi parce que les livres du Fond du tiroir sont introuvables en librairie. Sauf à Banon, capitale de la littérature française, 1000 âmes. J’ai rencontré le Bleuet et son patron à Montfroc, sur le salon du livre bio, et je leur ai abandonné mes petits produits artisanaux. C’est ainsi que, même pendant les congés d’été, la centaurée veille sur la bibliodiversité. Et décongestionne les yeux cernés.

Avorton

06/07/2012 2 commentaires

On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ; ce que je vous dirai, c’est qu’il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les airs et les symphonies de l’incomparable M. Jean-Baptiste « Factotum » Lully, mêlées à la beauté des voix et à l’adresse de danseurs, leur donnent, sans doute, des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.
Molière, préface à l’Amour médecin, 1666

Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai refait le compte. Lonesome George, petit livre écrit l’automne dernier et qui au terme de huit mois de fausses joies et de vraies avanies fut finalement déclaré en état de mort cérébrale, est mon treizième livre. Ce fantôme de livre est donc la XIIIe arcane de mon tarot, la mort qui fauche et la résurrection. Je l’aime bien ce petit avorton, ce roman de poche qui ne restera qu’une idée (une bonne idée) dans la tête et le disque dur de ses concepteurs.

Je ne vais pas détailler l’histoire, ça me ferait de la peine, mais disons que le livre entrevu a d’abord été accepté, puis dans un deuxième temps refusé par une maison d’édition, par conséquent inscrit puis effacé puis réinscrit sur le planning de publication du Fond du tiroir, puis brutalement suspendu suite à la défection de son maître d’oeuvre… Et enfin définitivement abandonné à l’annonce de la mort de sa figure tutélaire, la tortue Lonesome George. Ce texte se voulait (notamment) un éloge de la lenteur encarapacée, dans un monde de laideur en surcapacité, et exprimait une sorte de tendresse pour ce reptile géant, unique en son genre, sans doute voué à disparaître tragiquement sans descendance, mais après tout on n’en était pas sûr, puisqu’il lui restait une espérance de vie de près d’un siècle, ah, il était censé tous nous enterrer ce vieux George, tant de choses aurait pu se passer en un siècle, George sans vouloir simplifier à outrance m’apparaissait une jolie métaphore de l’espèce humaine, dure comme une armure d’écailles mais bien fragile dans son destin, en danger de mort peut-être, mais peut-être pas, il faudrait vérifier d’ici un siècle, être patient, être lent, laisser venir. Fatalitas, voilà que George meurt, comme il a vécu, tout seul, et lentement, encore jeune homme. On comprendra que le trépas du totem m’ordonnait de renoncer une bonne fois à mon texte numéro 13 qui, de fait, changeait de signification : finie la lenteur, fini le « tankyadlavi, yadlespoir », tout est foutu bonnes gens.

Après avoir hésité un peu, je vous l’offre tout de même, foin de triskaïdékaphobie. Vous pouvez lire ce texte, dans sa version pré-maquette à peine corrigée, en cliquant ici. Mais attention, ce n’est qu’un texte. Ce n’est pas un livre. Il vous faut imaginer ce qu’il aurait été in fine sous la superbe couverture à tiroir dessinée par JP Blanpain, avec la quat’ de couve très belle itou, avec entre les deux tous les jeux de mise en page, de changements de police comme de registre, d’images trafiquées, d’abîmes induits par la société de l’information, de facétieux culs de lampe, il manque en fait presque tout ce qu’il y avait de facétieux.

Non : tel quel, en version téléchargeable et bradée, ce n’est pas un livre. C’est un texte. Comparez. Vous n’avez qu’à considérer que c’est ma contribution au débat « lire un livre numérique, est-ce encore lire un livre ».

Lonesome George devait être mis en vente au mois de mai, au prix de 9 euros. Vous pouvez désormais le lire gratoche. De rien, ça me fait plaisir, c’est cadeau. La crise partout-partout, on sait ce que c’est. Pour autant (et même pour un peu plus), vous pouvez soutenir le Fond du tiroir en achetant ses autres livres, ceux qui existent pour de bon. Il se trouve que j’ai besoin de liquidités pour fabriquer l’opus 14 (sortie en novembre). Tankyadlavi, merci d’avance.

Autre genre de prose, de saison : ici se trouve mon rapport 2012 À l’école des écrivains, comprenant mes considérations annuelles sur l’Éducation Nationale et un atelier d’écriture effectué au collège de Lubersac (Corrèze), si ça intéresse quelqu’un.

Rectificatif, novembre 2012 : oh, et puis si, allez, je le publie quand même ce Lonesome George. En conséquence je désactive le lien ci-dessus donnant accès au PDF.