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Pendant que personne ne regarde

01/12/2010 16 commentaires

Entendu dimanche soir ce dialogue, durant l’auguste émission Le Masque et la Plume, sur France Inter. Les critiques débattent d’un roman de Claudie Gallay intitulé L’amour est une île.

Jean-Claude Raspiengeas (critique littéraire au journal La Croix, il cherche à défendre le livre) : Non… Ce que je crains, là, c’est qu’on en dise le plus grand mal, alors qu’il faut juste descendre de quelques marches… On est face à un type de littérature sur lequel on va émettre des réserves, pour être poli. Je pense simplement que là, il faut abandonner notre appareil critique habituel et accepter ce livre, qui est un livre agréable à lire, qui comporte quelques faiblesses, quelques naïvetés, quelques maladresses… Mais qui, dans son genre, tient la route, voilà, qui parle assez bien d’une histoire d’amour…

Nelly Kapriélian (critique littéraire au journal les Inrockuptibles) : Je ne suis pas du tout d’accord avec Jean-Claude ! Il y aurait des livres pour lesquels il faudrait abandonner un appareil critique et puis pas d’autres ? Surtout, je pense que plus ils ont de succès, plus ils se vendent. Alors pourquoi ne pas appliquer notre appareil critique ? Je ne pense pas qu’on lui fera beaucoup de mal. Et par ailleurs je ne vois pas pourquoi on aurait cette condescendance avec Claudie Gallay. Moi tout simplement je n’ai pas adoré son livre…

Jean-Claude Raspiengeas : Erreur d’interprétation ! Condescendance ? Aucune condescendance ! Je n’accepte pas le mot condescendance !

Nelly Kapriélian : Ah ben tant pis pour toi ! Dire « il faut abandonner son appareil critique pour Claudie Gallay », c’est de la conscendance ! Jean-Claude, tu as été condescendant ! C’est pas bien, de dire ça pour Claudie Gallay, je ne trouve pas ça bien… Elle mérite une critique, comme tous les auteurs ! Je ne vois pas pourquoi… C’est pas un auteur pour enfants, c’est un livre absolument digne, qui mérite une critique, comme tous les autres livres.

Cette énormité a glissé sur les ondes comme lettre à la poste. L’émission a suivi son cours, comme si de rien. Ces messieurs-dames, très sérieux, avaient de plus graves sujets de discorde : le fait de balayer la littérature pour enfants comme impropre à tout discours critique était, quant à lui, consensuel. Il est frappant de constater que les Inrocks, bastion d’exigence esthétique et/ou de branchitude parisienne, rejoint en esprit les poncifs d’une certaine doxa réactionnaire et bien-pensante, ces deux adversaires idéologiques communiant enfin, dans l’éternel déni d’un statut de création, d’art, à tous les objets ce que l’on refourgue aux marmots. La littérature jeunesse comme paillasson devant la porte de la Littérature : tout le monde s’y essuie les pieds sans même y penser, cela nous fait au moins une valeur en commun.

Ceci pour dire qu’aujourd’hui le salon du livre de jeunesse de Montreuil ouvre ses portes. J’y serai dimanche et lundi.

Retour de mèche

21/06/2010 un commentaire

En ce jour du solstice d’été, j’annonce solennellement le retour du livre célébrant le solstice d’hiver. La réédition au Fond du Tiroir de La Mèche, version revue et corrigée, mais toujours bénéficiant des splendides enluminures de Philippe Coudray, arrive. On peut admirer les étapes de la re-création de la couverture, et même commander l’ouvrage.

Qu’est-ce que La Mèche ? Le premier livre de « littérature jeunesse » au Fond du tiroir ; la réédition d’un livre jadis publié par les éditions Castells et introuvable ; une sorte de conte de Nöel pour enfants y compris vieillis… Mais encore ? De quoi parle-t-on ? Puisque Noël n’y est, bien sûr qu’un prétexte.

Attention spoilers !, comme on dit quand on cause séries télé. Ce qui suit dévoile les coulisses du livre et vous privera d’un certain plaisir si vous ne l’avez pas encore lu. Dans ce cas, n’allez pas plus loin, contentez-vous de savoir que, si je tiens à inscrire la réincarnation de ce livre au FdT, c’est que j’en suis particulièrement fier et allez plutôt lire autre chose.

La Mèche, mode d’emploi

(première parution sur le blog, 14 avril 2008)

(Ci-dessus : la première version, inédite, de la couverture, par Philippe Coudray. Je la trouvais mignonne, mais trop statique. Philippe, très pro et très rapide, a dessiné dans la foulée la seconde version, devenue définitive – jusqu’en 2010)

La Mèche fut, de mes livres (hors FdT), celui qui recueillit le moins d’écho. Par conséquent, j’incline à penser que c’est le plus réussi. Je l’aime, je trouve qu’il est ce que je peux faire de mieux dans le genre expérimental-tout-public. Je suis prêt à le défendre contre toute adversité ; hélas ! il n’est même pas attaqué. J’ai eu tout de même l’occasion de faire son apologie, comme on va le lire. Les seuls échos qu’il eut furent une notule dans le Monde (merci Philippe-Jean Catinchi), un commentaire sur le blog d’un libraire (merci Fabrice-le-libraire, et enfin un article dans Livre & Lire, le journal de l’Arald :

L’ARALD m’aime bien, me le prouve régulièrement, et j’éprouve pour elle une immense gratitude. J’ai pourtant pris ombrage de cet article mécaniquement bienveillant, et gentiment condescendant. J’ai donc pour cette fois dérogé à la règle d’or : « Never complain ! Never explain ! », et en septembre 2007 me suis fendu d’une lettre ouverte à Jean-Marie Juvin, auteur de l’article. Voici ce droit de réponse, mais attention : ce texte, portant la lumière sur certains secrets, est à même, selon les cas, d’enrichir ou de gâter la lecture de ce beau livre.

« Cher M. Juvin,

Je viens de feuilleter le dernier numéro de Livre et Lire, et j’ai vu avec plaisir que vous y aviez consacré une notule à mon livre pour enfants, La Mèche. Je vous en remercie bien sincèrement, mais je me permets de ne pas être d’accord avec l’analyse que vous en tirez. (Je vous prie d’ores et déjà de me pardonner ce qui, dans la présente réclamation, vous apparaîtra peut-être comme de la cuistrerie, mais que voulez-vous, Livre et Lire est une feuille de chou régionale, un organe de proximité ! il est donc lu illico, et presque exclusivement, par les personnes prioritairement concernées – les auteurs en première ligne – qui risquent fatalement de trouver à redire…)

Je crois que vous êtes passé à côté de l’ambition de ce livre ; mais je ne vous le reproche pas, au contraire je me remets moi-même en question suite à ce malentendu, qui peut également signifier que c’est MOI qui suis passé à côté de mon ambition, et que je n’ai pas réussi à aboutir dans ce livre l’idée que je m’en faisais. Ma foi, cela me fournit l’occasion de m’expliquer.

Vous dites : « Lila apprend à lire, et c’est peut-être aux enfants du même âge que s’adresse le mystère de ce récit ». Je suis en désaccord formel et radical.

Ce texte, long et pas si simple, ne pourra être accessible aux enfants en apprentissage (6 ou 7 ans) que s’il est accompagné par une lecture d’adulte. Certes, je me suis efforcé, et avec joie, d’écrire à portée de main des plus jeunes, de les faire rire (c’est important) et vous me rendez grand honneur en me prêtant des efforts pour retrouver l’élan de l’enfance, c’est-à-dire sa jugeote, son émerveillement, sa perplexité face à ce que les adultes tiennent pour important (je m’inscris ici dans une tradition que l’on peut qualifier de « Petit-Nicolas », et d’ailleurs j’ai trouvé mon Sempé : Philippe Coudray – je n’ai pas lieu de me plaindre de ma fortune graphique…)

Toutefois, je crois, j’espère, que le public susceptible d’y puiser son miel est plus âgé, et surtout plus vaste, que la seule classe de cours préparatoire : des enfants bon lecteurs qui déjà se souviennent de « quand ils étaient petits », des enfants qui le reliront à des âges divers (Noël après Noël, oui, car un rite se réitère, comme un livre se relivre, à la fois identique et différent à chaque répétition), et des adultes.

Car voici la phrase de votre critique que je voudrais discuter par-dessus tout : « On peut regretter que la parole des adultes se borne à déflorer la seule véracité du Père Noël ». Autant vous dire franchement la vérité : l’objectif de ce livre était de déflorer bien autre chose, et de constituer une métaphore globale de la littérature jeunesse – peut-être de la littérature tout court ; vous mesurez combien l’affaire est sérieuse.

Dans le dernier chapitre, à l’issue de force considérations sur les adultes qui, sans tout à fait mentir, font semblant à divers égards, Lila avoue qu’elle-même a menti, ou plutôt qu’elle faisait semblant depuis le début du livre : elle n’est pas du tout une petite fille de 6 ans, ni même une petite fille de 12 ans qui se souviendrait de sa prime enfance, comme elle le laisse croire à l’autre bout du livre. Elle est tout bonnement une adulte, et même une mère de famille, une femme qui a conscience qu’elle s’adresse à des petits enfants semblables sans doute à celle qu’elle était autrefois ; une femme qui, pour la bonne cause, comme font tous les auteurs de littérature jeunesse, a fait semblant – Lila a joué un rôle pour raconter son histoire. Mais, contrairement à ce que font ordinairement les auteurs pour enfants, elle accepte de révéler in fine la supercherie – comme un auteur, ou un acteur, qui tomberait le masque. Sans me hausser du col indécemment, je tiens ceci pour original.

Car la littérature pour enfants est écrite par les adultes : je crois qu’en disant ceci, je brise un tabou de polichinelle au moins équivalant à « Le Père Noël n’existe pas » : tout le monde le sait, personne ne le dit. En mettant en scène sous forme romanesque cette profanation majeure, cette fois-ci, je ne m’inscris plus dans aucune tradition de la littérature jeunesse (plutôt dans une mise en abyme et dans un soupçon très « Nouveau roman », par exemple – la littérature jeunesse n’ayant pas accompli ce type de révolution moderniste et n’en ayant peut-être pas besoin), mais précisément, La Mèche est un livre sur les traditions qui se perpétuent en se modifiant, paradoxe ! J’ai voulu faire, voyez un peu l’ambition, de l’anthropologie pour enfants : papa, c’est quoi, un rite ? Eh bien, mon enfant, prenons l’exemple de Noël… Cette réappropriation, réactualisation, de ce qui nous fut donné est la découverte la plus profonde de Lila : « Un rite, c’est bien, mais seulement si on perfectionne de soi-même l’invention année après année » (chapitre 10). À cet égard, je pourrais aussi pinailler sur votre appréciation, qui fait de la Mèche un livre « nostalgique », mais j’aurais peur d’abuser de votre patience, je reviens donc à une question plus cruciale : le mensonge.

Or, si mensonge il y a, quelle est donc cette « bonne cause » censée le justifier ?

Point commun entre le mensonge littéraire et le mensonge de Noël : la « bonne cause » est la recherche de connivence entre l’adulte et l’enfant, condition nécessaire afin que quelque chose se transmette. Tricherie assimilée par les enfants vers 6 ans, et qui tout compte fait ne gâte rien (ils continuent d’aimer Noël même quand ils savent que le Père Noël n’existe pas ; ils continuent d’aimer les fictions même quand ils savent que c’est pour de faux toutes ces histoires), tricherie qui ne fait qu’ajouter du sel à leurs relations avec les adultes et avec les secrets, tricherie qui les invite à jouer avec ces notions, tricherie qui les invite à ne pas être dupe, nouveau paradoxe ! Grandir, c’est apprendre quoi faire des secrets, de ceci je suis convaincu ; et voilà formulé le sujet exact de La Mèche, plutôt que, au premier degré, la fête de Noël.

La Mèche du titre est donc bel et bien à prendre au sens de « complicité » (un adulte est de mèche avec un enfant, comme un auteur avec son lecteur), plutôt qu’au sens trop explicite de « secret ».

Ceci dit il y a bien sûr autre chose, et le secret est naturellement une facette capitale du livre. À cet égard, je vous précise que La Mèche est un livre oulipien, composé selon un jeu de contraintes censé faire apparaître le secret à qui sait lire les petits caractères. Il existe plusieurs messages cachés dans la trame du texte, mais le message majeur, la colonne vertébrale, la « mèche » elle-même se trouve lisible ainsi : si vous mettez bout à bout le premier mot de chaque chapitre, vous obtenez une phrase qui est en quelque sorte la morale du conte, LE secret de Noël, celui qui n’est jamais exprimé littéralement dans l’histoire. Les indices sont nombreux pour permettre cette lecture truquée, dès le sous-titre du livre, qui est je vous le rappelle : « secret en douze coups » – et en effet, après chaque nouveau « coup » de l’horloge, un chapitre s’ouvre par un mot en gros caractère. C’est sans aucun scrupule que je vous dévoile ce secret de fabrication (que je vous vends la mèche), puisque vous n’aviez guère de chance de le découvrir seul : vous n’êtes hélas pas un enfant. En effet, d’après toutes les impressions de lecture que j’ai recueillies, les seules personnes à avoir reconstruit ce secret par leurs propres moyens, sans que je les aiguille, sont tous des enfants : zéro adulte n’a percé le mystère comme un grand, n’a eu cette jubilation ni ce sens de l’observation. Une bibliothécaire est même venue me dire : « Dites donc, un enfant dans ma bibliothèque m’a fait remarquer une chose incroyable : si on prend le premier mot de chaque chapitre, on arrive à une phrase qui veut dire quelque chose ! Sapristi ! Eh bien, il est fort, ce môme, non ? Mais dites-moi, vous aviez fait exprès, ou quoi ? ou alors c’est votre éditeur qui en a eu l’idée à la fin ? » Cette réaction m’a à la fois un peu vexé (comment aurais-je pu ne pas faire exprès quand cette phrase cryptée est le livre même !) et enchanté : pour le coup, oui, c’est avec les enfants que je suis de mèche, et j’en suis fort aise. J’ai laissé un cadeau au pied de leur sapin, ils l’ouvrent et le découvrent, et la joie de l’élucidation oulipienne est la récompense de leur fraîche perspicacité.

Bien cordialement, joyeux noël à vous, et avec mes excuses pour ces longues récriminations suite à un papier qui, somme toute, était positif,

Fabrice Vigne »

Bibliographie succincte (très succincte) : Le Père Noël supplicié de Claude Levi-Strauss, lui aussi réédité, voyez comme c’est curieux, avec une couve qui a pris des couleurs, vert et rouge.

La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir.

Volatil comme un rêve

02/09/2008 3 commentaires

« Nous avons tous du génie
dans la position horizontale
et les yeux clos »
André Hardellet, Lourdes, lentes…

One satisfied customer. Pendant l’été, la vente par correspondance continue. Un seul exemplaire de l’Echoppe m’a été commandé ce mois-ci (il m’en reste ! plein ! profitez-en ! n’hésitez pas !). Cette singularité n’a pas empêché, et a peut-être favorisé, une prise de contact directe puis une convivialité de type 2.0, c’est à dire une correspondance soutenue et blogoïde, avec le commanditaire, un certain Yves Mabon, animateur (auteur ? dit-on « auteur » pour un blog ou bien ce mot est-il trop sacré ?) d’un blog intitulé Lyvres.

Je reproduis ci-dessous cette correspondance, qui a essentiellement trait aux rêves, comme il se doit.

« Bonjour. Je viens de recevoir mon exemplaire à moi de L’échoppe enténébrée (tuyau piqué chez Sylire). Je n’ai encore lu que deux ou trois rêves, et bien qu’assez prosaïque, j’avoue y avoir pris un goût certain ! Assez amateur en général de livres sortant de l’ordinaire soit par l’histoire, soit par l’écriture, je pense être tombé sur un beau petit livre fait pour moi. Bonne continuation
Yves Mabon »

« Merci Yves, me voilà très touché (ma seule vente de livre de tout l’été, et elle fait mouche ! chic), et merci aussi à Sylire, par procuration. Je viens de fureter dans votre blog, du coup. Si je partage certains de vos enthousiasmes (ah ! Ali Farka Touré !), en revanche, je suis désolé que vous n’ayez pas goûté Casse-Pipe de Céline, livre avorté certes, mais quel vigoureux avorton ! Je l’ai lu autrefois, juste après mon service militaire, et il m’a vengé de bien des choses. Mais peut-être n’avez-vous pas fait l’armée ? Avec tous mes voeux de fertiles et cependant absconses rêveries,
Fabrice »

« Et pourtant si, je l’ai bien fait ce satané service militaire, contraint et forcé. J’ai trouvé la lecture de Casse pipe très difficile : tout ce qui était dialogue m’a fatigué, je n’ai pas apprécié. (J’aurais dû le lire moi aussi juste après cette sinistre période) Par contre, j’aimais bien la prose de Céline, de même que j’ai adoré Voyage au bout de la nuitMort à crédit. Je viens de finir votre échoppe d’une première lecture, histoire de savoir à quoi j’avais affaire. Dans l’ensemble, j’aime bien vos rêves : quelques uns sont très beaux ! (j’en ferai une petite critique sur mon blog). Je suis donc ravi par le livre, petit cadeau que
je me suis fait à moi-même. Je relirai plus lentement, peut-être juste un par soir, avant de dormir, histoire de faire venir mes propres rêves. Bonne continuation à vous
PS : du coup, je viens d’emprunter à la bibliothèque, TS d’un certain Fabrice Vigne. n’hésitez pas à revenir me voir. Puisque j’ai partagé vos rêves, je me permets de vous saluer amicalement,
Yves »

« Bon, puisque vous aimez Voyage au bout de la nuit, nous n’allons certainement pas nous fâcher. Céline est l’un de mes écrivains essentiels, l’un de ceux sans qui je n’écrirais pas moi-même, et je considère que beaucoup d’écrivains contemporains (je me compte dans le lot) ne sont à côté de lui que des petits garçons. Je ne me lasse jamais de « l’entendre parler » (puisque il disait écrire « comme on parle à l’oreille du lecteur »), y compris dans ses livres les plus mineurs, comme Casse-Pipe.
Merci pour votre critique de l’échoppe. Et puisque vous avez emprunté TS, je vous recommande de ne relire l’échoppe que lorsque vous aurez terminé l’autre, avec lequel il a quelques liens : le grand secret du livre rouge, c’est qu’il s’agit d’un journal occulte d’écriture du livre bleu, narrant épisode par épisode les effets de la conception de ce texte princeps, jusqu’à ceux de sa publication.
Le récit de rêve est un genre littéraire à part entière, et si cela vous intéresse, je vous recommande ceux de Perec, de Queneau, de Leiris, de Kerouac, de Michaux, par exemple. Moi, j’adore ça. C’est de la poésie brute, sans affectation. En bande dessinée, ceux de David B. ou JC Menu sont également très beaux.
Bien amicalement à vous, et bonne(s) lecture(s)
Fabrice »

« D’accord pour dire que beaucoup d’écrivains sont tout petits à côté de Céline et de son écriture si forte, toujours, à mon sens, sur le fil du rasoir, si près de passer dans le vulgaire, mais restant néanmoins du « bon côté » du rasoir. Sûrement ce qui en fait sa force. Pour Casse-pipe, j’ai senti qu’il avait franchi ce fil, mais cela reste mon interprétation personnelle.
Quant aux rêves, je ne savais pas que c’était un genre littéraire à part entière, et que Queneau (un des écrivains que je préfère) y avait participé. Je lirai sans doute, moi qui ne suis pas forcément amateur de poésie pure, mais qui aime bien les récits poétiques (comme votre échoppe) : je ne connais pas non plus cet aspect de Perec. Je n’ai pas encore osé m’aventurer dans Kerouac ni Michaux et ne connais pas Leiris, ni les auteurs de BD que vous citez. Que de belles découvertes en perspective !
Merci des conseils
Yves »

« Peut-être que Casse-Pipe est plus vulgaire que ses autres livres parce que la matière première (l’expérience militaire) l’était en proportion ?
En ce qui concerne les rêves de Queneau, voilà un cas intéressant. Il s’est entraîné, comme beaucoup de ses ex-camarades surréalistes, à rédiger ses rêves, mais il a aussi, et c’est plus original, concocté de FAUX rêves, rédigés à la manière onirique, retrouvant en plein jour l’énergie de l’imagination nocturne. Très curieux. On en trouve des échantillons recueillis dans le livre Contes et propos, si le coeur vous en dit…
Merci pour la causette, bonne journée…
Fabrice »

« En lisant votre mail, je me suis dit, bon sang, mais c’est bien sûr, je connais ce titre (Contes et propos) de Queneau. alors, je monte quatre à quatre les escaliers pour me retrouver devant ma bibliothèque, qui contient ce fameux opus. Honte sur moi d’avoir oublié cet ouvrage, lu il y a assez longtemps. Bien sûr, je l’ai ouvert, j’ai feuilleté la préface, signée… Michel Leiris. Et hop un bouquin et un auteur soit-disant inconnus qui me reviennent en pleine figure. Quelle aventure !
A bientôt
Yves »

Critique (Art de la)

01/09/2008 3 commentaires

Oui, j’ai déjà effleuré la question ici et , mais reparlons un peu de la critique, sujet palpitant, et comique à l’occasion. Je n’ai pas à me plaindre personnellement des critiques (il en est de perspicaces qui s’intéressent à mes livres, Philippe-Jean Catinchi ou Anne-Marie Mercier-Faivre, j’ai de la chance), c’est donc sans aigreur en particulier que je me permets un peu de circonspection envers la critique en général.

Préliminaire : la phrase attribuée à Hemingway, « Toute critique est de la merde », est très exagérée (on pourra lire avec profit des « critiques de la critique » sévères mais plus subtiles, nuancées et argumentées dans La littérature à l’estomac de Gracq ou Vie et mort d’Emile Ajar de Gary). Les critiques sont a priori indispensables, puisqu’il faut à tout prix que les livres soit discutés : l’alternative, sinistre, verrait (voit déjà, pour une part) les livres seulement promus, comme n’importe quelle autre marchandise, avec prime au plus gros porte-voix. Donc, la critique est désintéressée ? Voire… D’où parle-t-elle (comme on disait quand je n’étais pas né), à qui, et pourquoi parle-t-elle, d’abord ?

Il faudrait, pour bien faire, juger un texte critique strictement comme une oeuvre. Par là je veux dire qu’une oeuvre, ou bien une critique, est recevable si elle est née d’une pulsion esthétique personnelle, profonde et sincère ; elle est nulle et non avenue si elle est produite, « professionnellement » sans doute, mais pour des raisons extra-littéraires, des raisons stratégiques, des raisons alimentaires, ou alors juste parce que c’est un métier, et que ce métier consiste à fournir le combustible de la machine sociale, informations, opinions, mots, et au suivant.

Ceci pour en arriver là :

Vous lirez, je vous prie, en cliquant ci-après une critique de l’un de mes livres ; un cas limite qui me semble tout à fait exemplaire, même si je ne suis pas certain de quoi, au juste. Voilà un texte sidérant de vanité rhétorique, de pédanterie para-universitaire (qui éprouve le besoin d’invoquer Bataille, Quignard, et même Phèdre avant de me lire, ce qui m’intimide à mort – j’imagine qu’il en est de même pour le lecteur potentiel) et de jargon amphigourique (c’est à dire, ni plus ni moins, une autre manoeuvre d’intimidation). Après l’avoir lu, je n’arrivais même pas à en rire, j’étais profondément perplexe et embarrassé – je ne savais pas précisément pourquoi j’avais écrit ce livre, mais certainement pas pour être lu de cette façon. Comme dit Billy Wilder (ah oui, s’il vous plaît, invoquons plutôt Wilder que Racine), « Je ne crains qu’une chose davantage que de ne pas être pris au sérieux, et c’est d’être pris au sérieux ».

D’où provient cet ahurissant échantillon de tératologie critique (demeuré inédit, à ma connaissance) ? Eh bien, il s’explique rationnellement, comme maintes rubriques dans maints supports, par la stratégie sociale de son auteur, qui « critique » non pour exprimer quelque passion du texte, mais pour pousser des pions ou pour gagner sa vie.

Il appert que l’auteur de ce texte a rendu compte de mon livre dans le souci de complaire à mon éditeur, Philippe Castells, qui à l’époque était lui-même critique au Matricule des Anges. Le critique a soumis ce texte à Castells, à propos de mon bouquin dont il se fiche éperdument, en lui demandant s’il ne pourrait pas, par hasard, être publié dans le prestigieux Matricule… Stratégie ! Poussage de pions ! Pied coincé dans la porte afin d’être à l’endroit qui compte. Ces vicissitudes se déroulent à une échelle insignifiante et provinciale, mais donnent une idée précise, je crois, de ce qui se passe en plus grand dans le « vrai » milieu littéraire. Et ainsi chaque jour des services s’échangent, des éditeurs offrent aux critiques des livres, des critiques offrent aux éditeurs des recensions positives (j’avoue qu’ici le résultat est tellement contourné qu’il est malaisé de l’interpréter positif ou négatif – et par ailleurs je rends grâce à Castells qui n’a jamais abusé de sa position pour promouvoir ses livres via le Matricule), tout le monde est content, la rhubarbe, le séné, toute la bande.

Maintenant, pour ce qui est de l’Echoppe au Fond du tiroir… Pour ce qui est des blogs…

Les blogs remplacent-ils les medias ? En l’occurrence, les blogs littéraires remplacent-ils la « critique littéraire » ? Sont-il la critique littéraire du XXIe, ce siècle du brouhaha électronique ? Voilà un sujet bateau pour une dissertation que je n’ai certes pas envie d’écrire… Thèse : d’un côté, les blogs (celui-ci inclus) témoignent de la dérisoire prolifération des opinions au sein du bruit de fond démocratique, un symptôme parmi d’autres de la balkanisation des consciences narcissiques réduites aux opinions consuméristes (comme les « avis » sans arguments sur Amazon ou fnac.com, c’est génial ! c’est nul !) ; antithèse : de l’autre, les blogs sont le lieu retrouvé de la parole désintéressée, ils ont pour ressorts une vraie passion dilettante, une vraie joie de lire et de partager, qui n’existent plus semble-t-il que comme préoccupations secondaires chez les critiques professionnels, pénétrés d’obligations plus sérieuses (l’actualité, l’entregent, les egos des uns des autres et de soi, la rhubarbe, le séné, le souci de n’être pas dernier dans le buzz et/ou d’avoir « bon goût »…) ; synthèse : le plus amusant de l’affaire, c’est quand les blogs imitent les critiques pros, singeant surtout leurs tics, leurs préoccupations « sérieuses » (actualité, entregent, cf. ci-dessus), en somme leurs « stratégies » à blanc, leurs « poussages de pion », leurs mots mêmes, leurs expressions désincarnées.

Bref ! Le fait est que l’Echoppe enténébrée, livre sans service de presse, garanti par conséquent critic-free, livre underground du XXIe siècle, n’existe pas dans les chroniques officielles… mais ici et là dans quelques blogs, chez des blogueurs qui ont acheté le livre (discrimination importante, au fait : les critiques achètent-ils des livres ?). Je reproduirai demain, ici-même, la correspondance stimulante que j’ai entretenue avec un blogueur ayant chroniqué mon livre, et qui m’a tellement plus ravi qu’une critique de complaisance.

Non, merci, c’est trop, écoutez, arrêtez, n’en jetez plus, vous m’embarrassez, à force, quoi…

10/08/2008 3 commentaires

De tous mes livres, Les Giètes est celui qui a engendré la plus volumineuse revue de presse, surtout depuis la médaille « Pral » à la boutonnière. Pas un mois ne passe, même en été, sans que la maison Magnier ne m’envoie une ou plusieurs enveloppe(s) contenant quelques articles photocopiés. Pour citer une phrase peu innocente du livre en question, « le bilan est globalement positif ».

Dans cette imposante pile de papier, on trouve pêle-mêle : des informations pratiques et institutionnelles entre autres sur la Région Rhône-Alpes qui décerne des prix (un prix littéraire fait-il lire ? en tout cas il fait écrire la presse – normal : les journalistes traitent les événements. Un prix est un événement ; un livre, non), des éloges, des comptes-rendus lapidaires, des dossiers de presse copiés-collés, des approximations, des gentillesses, des généralités, des pots-aux-roses dévoilés (le titre est presque systématiquement traduit), et parfois mêmes quelques authentiques efforts critiques, que je salue et remercie bien volontiers.

La dernière recension qui m’est parvenue, initialement parue dans la revue belge Ados-livres, m’a tellement mis en joie par sa hauteur de point de vue que je me fais un plaisir et un devoir de la recopier ici intégralement. Cet article, particulièrement clairvoyant, rejoint d’ailleurs par de nombreux aspects la bande-annonce que j’avais rédigée moi-même pour la parution du livre voici un an et demi, c’est dire si je me sens en affinité. Le voici :

« VIGNE Fabrice (avec REHBINDER Anne pour les photographies), Les Giètes, Thierry-Magnier, Photoroman, Paris, 2007, 212 p. (après-texte compris), ISBN 13 : 978-2-8442-0524-4
COTE : 1/10
« La Maison » est un home qui accueille des vieilles personnes dans des studios spécialement adaptés aux difficultés de leur âge. Monsieur Bertram, le narrateur du récit de Fabrice Vigne, y occupe le numéro 409, à côté de Madame Ostatki, une toute nouvelle venue. En attendant les visites régulières de Marlon, son petit-fils, le vieil homme passe son temps à jouer au Scrabble et à relire son vieux journal, rédigé 45 ans plus tôt… « Photoroman », la toute nouvelle collection des Editions Thierry-Magnier, est-elle destinée aux vieillards passionnés par les pensées de Flaubert et membres du Parti Communistes Français ? Si oui, alors tout va bien ! Si non, il y a lieu de se poser quelques questions sur ce choix éditorial de Jeanne Benameur et Francis Jolly !
Vous l’aurez compris,
Les Giètes – ces jours que l’on passe en l’attente d’un événement inévitable, telle la mort dans le cas des héros – ne nous a pas vraiment mis en joie ! En cause, un contenu tout à fait inapproprié, un narrateur susceptible de faire fondre seulement les quatre fois vingt et une intrigue qui se devine à peine ! Quel gâchis !
(Roman du quotidien, à ne pas lire avant 60, voire 70 ans)
« 

Rubrique La raison du plus court, in revue Ado-livres, Rue Puissant, 11 (2ème étage) 6000 Charleroi, Belgique. Téléphone et fax : 00 32 (0)71 53 59 98. Demande de renseignements et d’abonnements : ado.livres@skynet.be.

(Qui donc s’exprime ainsi, au fait ? La notule n’est pas signée, dommage. Mais la critique est critiquée à son tour, c’est justice ! et c’est même la nécessaire règle du jeu de la légitimation de parole, la bienfaisante régulation du grand brouhaha médiatique qui permet à chacun de savoir quoi penser. Ainsi, voici comment le CRDP de Grenoble présente la revue Ado-Livres. « Cette revue belge de critique littéraire spécialisée dans la littérature adolescente francophone offre une approche nouvelle de la note de lecture. En effet de la fiche critique jusqu’aux analyses en plusieurs pages, les romans sont présentés suivant une grille de lecture novatrice et très intelligente. On retrouve un « résumé apéritif », l’avis des rédacteurs mais aussi une fiche signalétique présentant l’organisation du texte, les personnages principaux, la voix narrative ainsi que des pistes pour aller plus loin en classe. Un dossier et une partie magazine complètent ce travail et permettent de découvrir le dynamisme de la littérature jeunesse en Belgique. »

Me voilà flatté derechef : je suis entre les mains d’experts novateurs et intelligents. Je me demande si ce n’est pas trop d’honneur.)

Post-scriptum. Un an plus tard, la même revue Ado-Livres m’adresse parmi d’autres un appel à manuscrits. S’ensuit ce dialogue :

Ado-Livres organise un concours de romans sur manuscrits écrits par des auteurs connus ou inconnus…
Genre(s) et thème(s) au choix !
Dead-line : fin octobre 2009 !
Public-cible : adolescents entre 12 et 16 ans
Auteur connu ou non, publié ou non, tout le monde a sa chance puisque, bien entendu, tous les manuscrits resteront anonymes pour tous mes collaborateurs et les jurés. Je serai, en effet, le seul à connaître le nom de l’auteur de chaque texte !
Bien à vous,
Benoit Anciaux,
Directeur de la revue « Ado-Livres ».

Merci pour cette intéressante proposition, malheureusement je ne peux que la décliner. Il semble que je n’aurai aucune chance d’intéresser vos collaborateurs et jurés, et en cette matière l’anonymat des manuscrits n’y fera rien ! Car, hélas, votre revue ayant gratifié d’un impitoyable 1/10 mon dernier roman, espérer vous plaire un jour est un luxe hors de mes moyens.
Avec mes regrets, et cependant mes cordiales salutations,
Fabrice Vigne

Bonjour,
Je comprends que vous ne souhaitiez pas participer au concours que j’organise et je ne cherche pas ici à vous inciter à y prendre part ! Ce n’est pas mon genre !
L’article auquel vous faites référence et que j’ai écrit, comme à l’époque la plupart des articles d’ « Ado-Livres », est vraiment très dur à l’égard de « Les giètes ». C’était mon avis et il reste parfaitement fondé à mes yeux…
Si vous me connaissiez un peu, cependant, vous sauriez que je cultive l’indépendance à l’égard de tous : si je trouve qu’un livre n’est pas bon, je l’écris. Je me trompe parfois, bien entendu, mais c’est le propre de tout travail critique… Que l’auteur soit un ami – et j’en ai quelques-uns dans le petit monde fermé de la Littérature pour adolescents – n’y change rien ! J’ai écrit sur les plus grands de vilaines choses sur l’un ou l’autre livre : certains me l’ont pardonné, d’autres pas…
Ne croyez pas que le texte que vous pourriez nous présenter serait donc exclu d’office ! D’abord, les lecteurs de la pré-sélection ne sont pas moi ! Ils ont leur avis et moi le mien ! Et qui vous dit que la prochaine fois, je mettrai à votre texte un moche 1/10 ?
Avec mes regrets et, cependant, mes cordiales salutations,
Benoit Anciaux

Cher Benoît,
La vérité, toute plaisanterie mise à part, est que lorsque j’ai sous la main un manuscrit de roman, je préfère le soumettre à un éditeur plutôt qu’à un concours lancé par une revue.
Quant à votre article sur mes Giètes, je n’ai strictement rien à vous « pardonner » ! J’ai plutôt à vous remercier, car il m’a beaucoup fait rire, d’un rire très sain, je vous assure, pas jaune le moins du monde. Car si votre critique avait été la seule, ou même la première, recension de mon ouvrage, elle eût été prodigieusement destructrice… Mais comme elle venait après de nombreux éloges, elle m’a semblé au contraire, dans l’originalité de ses points de vue, bienvenue, et même salutaire.
Avec mon plus grand respect pour la liberté des critiques, et mes cordialités renouvelées,
Fabrice Vigne

Cher Fabrice,
Je me ferai donc un plaisir de lire votre prochain roman … publié ! N’oubliez surtout pas de me le faire envoyer !
Avec mon plus grand respect pour la liberté des auteurs et mes cordialités renouvelées,
Benoit

(Et puis quoi encore ? C’est mon éditeur qui fera les services de presse, pas moi…)