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Critique (Art de la)

Oui, j’ai déjà effleuré la question ici et , mais reparlons un peu de la critique, sujet palpitant, et comique à l’occasion. Je n’ai pas à me plaindre personnellement des critiques (il en est de perspicaces qui s’intéressent à mes livres, Philippe-Jean Catinchi ou Anne-Marie Mercier-Faivre, j’ai de la chance), c’est donc sans aigreur en particulier que je me permets un peu de circonspection envers la critique en général.

Préliminaire : la phrase attribuée à Hemingway, « Toute critique est de la merde », est très exagérée (on pourra lire avec profit des « critiques de la critique » sévères mais plus subtiles, nuancées et argumentées dans La littérature à l’estomac de Gracq ou Vie et mort d’Emile Ajar de Gary). Les critiques sont a priori indispensables, puisqu’il faut à tout prix que les livres soit discutés : l’alternative, sinistre, verrait (voit déjà, pour une part) les livres seulement promus, comme n’importe quelle autre marchandise, avec prime au plus gros porte-voix. Donc, la critique est désintéressée ? Voire… D’où parle-t-elle (comme on disait quand je n’étais pas né), à qui, et pourquoi parle-t-elle, d’abord ?

Il faudrait, pour bien faire, juger un texte critique strictement comme une oeuvre. Par là je veux dire qu’une oeuvre, ou bien une critique, est recevable si elle est née d’une pulsion esthétique personnelle, profonde et sincère ; elle est nulle et non avenue si elle est produite, « professionnellement » sans doute, mais pour des raisons extra-littéraires, des raisons stratégiques, des raisons alimentaires, ou alors juste parce que c’est un métier, et que ce métier consiste à fournir le combustible de la machine sociale, informations, opinions, mots, et au suivant.

Ceci pour en arriver là :

Vous lirez, je vous prie, en cliquant ci-après une critique de l’un de mes livres ; un cas limite qui me semble tout à fait exemplaire, même si je ne suis pas certain de quoi, au juste. Voilà un texte sidérant de vanité rhétorique, de pédanterie para-universitaire (qui éprouve le besoin d’invoquer Bataille, Quignard, et même Phèdre avant de me lire, ce qui m’intimide à mort – j’imagine qu’il en est de même pour le lecteur potentiel) et de jargon amphigourique (c’est à dire, ni plus ni moins, une autre manoeuvre d’intimidation). Après l’avoir lu, je n’arrivais même pas à en rire, j’étais profondément perplexe et embarrassé – je ne savais pas précisément pourquoi j’avais écrit ce livre, mais certainement pas pour être lu de cette façon. Comme dit Billy Wilder (ah oui, s’il vous plaît, invoquons plutôt Wilder que Racine), « Je ne crains qu’une chose davantage que de ne pas être pris au sérieux, et c’est d’être pris au sérieux ».

D’où provient cet ahurissant échantillon de tératologie critique (demeuré inédit, à ma connaissance) ? Eh bien, il s’explique rationnellement, comme maintes rubriques dans maints supports, par la stratégie sociale de son auteur, qui « critique » non pour exprimer quelque passion du texte, mais pour pousser des pions ou pour gagner sa vie.

Il appert que l’auteur de ce texte a rendu compte de mon livre dans le souci de complaire à mon éditeur, Philippe Castells, qui à l’époque était lui-même critique au Matricule des Anges. Le critique a soumis ce texte à Castells, à propos de mon bouquin dont il se fiche éperdument, en lui demandant s’il ne pourrait pas, par hasard, être publié dans le prestigieux Matricule… Stratégie ! Poussage de pions ! Pied coincé dans la porte afin d’être à l’endroit qui compte. Ces vicissitudes se déroulent à une échelle insignifiante et provinciale, mais donnent une idée précise, je crois, de ce qui se passe en plus grand dans le « vrai » milieu littéraire. Et ainsi chaque jour des services s’échangent, des éditeurs offrent aux critiques des livres, des critiques offrent aux éditeurs des recensions positives (j’avoue qu’ici le résultat est tellement contourné qu’il est malaisé de l’interpréter positif ou négatif – et par ailleurs je rends grâce à Castells qui n’a jamais abusé de sa position pour promouvoir ses livres via le Matricule), tout le monde est content, la rhubarbe, le séné, toute la bande.

Maintenant, pour ce qui est de l’Echoppe au Fond du tiroir… Pour ce qui est des blogs…

Les blogs remplacent-ils les medias ? En l’occurrence, les blogs littéraires remplacent-ils la « critique littéraire » ? Sont-il la critique littéraire du XXIe, ce siècle du brouhaha électronique ? Voilà un sujet bateau pour une dissertation que je n’ai certes pas envie d’écrire… Thèse : d’un côté, les blogs (celui-ci inclus) témoignent de la dérisoire prolifération des opinions au sein du bruit de fond démocratique, un symptôme parmi d’autres de la balkanisation des consciences narcissiques réduites aux opinions consuméristes (comme les « avis » sans arguments sur Amazon ou fnac.com, c’est génial ! c’est nul !) ; antithèse : de l’autre, les blogs sont le lieu retrouvé de la parole désintéressée, ils ont pour ressorts une vraie passion dilettante, une vraie joie de lire et de partager, qui n’existent plus semble-t-il que comme préoccupations secondaires chez les critiques professionnels, pénétrés d’obligations plus sérieuses (l’actualité, l’entregent, les egos des uns des autres et de soi, la rhubarbe, le séné, le souci de n’être pas dernier dans le buzz et/ou d’avoir « bon goût »…) ; synthèse : le plus amusant de l’affaire, c’est quand les blogs imitent les critiques pros, singeant surtout leurs tics, leurs préoccupations « sérieuses » (actualité, entregent, cf. ci-dessus), en somme leurs « stratégies » à blanc, leurs « poussages de pion », leurs mots mêmes, leurs expressions désincarnées.

Bref ! Le fait est que l’Echoppe enténébrée, livre sans service de presse, garanti par conséquent critic-free, livre underground du XXIe siècle, n’existe pas dans les chroniques officielles… mais ici et là dans quelques blogs, chez des blogueurs qui ont acheté le livre (discrimination importante, au fait : les critiques achètent-ils des livres ?). Je reproduirai demain, ici-même, la correspondance stimulante que j’ai entretenue avec un blogueur ayant chroniqué mon livre, et qui m’a tellement plus ravi qu’une critique de complaisance.

  1. 03/09/2008 à 14:22 | #1

    Post-scriptum musical n’ayant presque rien à voir avec ce qui précède : incidemment, je viens d’écouter Mauvaise étoile, l’album de Patrick Eudeline. Il chante atrocement faux et scandaleusement mal (encore pire que Didier Super dont, au moins, on se dit qu’il le fait exprès). Ce disque pénible eût-il seulement existé si Eudeline n’était pas, par ailleurs, un rock critic important et estimé ? Une « figure » du rock, mais pas une voix.

  2. 07/09/2008 à 19:52 | #2

    Carramba, encore raté !
    Le ridicule n’a pas tué, encore une fois.
    Devant un tel amphigouri, je reste sans voix. Pourtant, j’ai fait une fac de lettres, avec même, comble du vice, une option de maîtrise « lettres et philosophie mélées » et c’est dire si j’en ai soupé, de la dialectique-tac.
    Là, on atteint des sommets de non-critique. La machine s’écoute causer. Et nous là-dedans ? Ben, rien, on est vivants.
    Continuons à raconter des histoires.
    (ici dans le Morvan il y a une maxime qui synthétise l’esprit bourguignon, et que l’artiste se doit de faire sienne, me semble-t-il : au donneur de leçons, on répond « Joue ce que t’joue, je danse ce que je danse »)

  3. 26/09/2008 à 21:42 | #3

    Je commence à bien connaître le milieu des blogs de lecture, le fréquentant depuis deux ans. Peu de blogueurs se prennent pour des critiques, ce sont souvent des lecteurs passionnés qui cherchent à partager leurs lectures.

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