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Articles taggués ‘Lonesome George’

Lonesome Djowdje in New York

19/04/2013 3 commentaires

Avertissement : la phrase qui suit est outrageusement-archi-ultra-hyper-trop snob.

Figurez-vous que l’amie d’une amie expose dans une galerie new-yorkaise, la galerie Slag, en plein Brooklyn, vous voyez où je veux dire ? Son expo débute aujourd’hui même, malheureusement j’ai un empêchement pour le vernissage, le CA de copropriété tombe pile en même temps, c’est ballot, si vous y allez n’oubliez pas de l’embrasser de ma part.

Elle s’appelle Molly Stevens, je ne la connais pas, mais nous avons deux amis communs tellement le monde est petit : Marilyne Mangione, qui m’a transmis l’info, et Lonesome George, le malheureux pépère chélonien, inspiration et titre de son travail, comme du mien.

De « Lonesome Georges », de la narration à la première personne, de l’épluchage des légumes, et de l’opiniâtreté

21/12/2012 3 commentaires

Le nouveau livre du Fond du tiroir est peut-être disponible, finalement. Il s’appelle Lonesome George. Il revient de loin. Prévu pour exister ailleurs et rapidement, en fin de compte rapatrié à la maison et réalisé vaille que vaille, déclaré mort puis ressuscité, entre-temps offert gracieusement aux lecteurs du blog comme un bouquet final en désespoir de cause, il est enfin en vente, juste à temps pour l’apocalypse qui, comme chacun sait désormais, signifie révélation.

S’il est, comment dites-vous, « beau » ? Naturellement qu’il est beau. Nous ne savons pas faire autrement. Le communiqué de presse, rédigé selon les rigoureuses normes suicidaires en vigueur dans le département Marketing-Et-Communication du Fond du Tiroir, est lisible ici.

C’est, chronologiquement, le premier des trois livres que j’aurai écrits durant ma résidence troyenne en 2011. Le plus petit des trois. Disons : une nouvelle. Il s’agit, si vraiment vous tenez à le savoir, une fois que je vous l’aurai dit je ne vous aurai rien dit du tout, de l’histoire d’un garçon qui n’affiche pas ses émotions. Il les affiche si peu qu’on se demande s’il en a.

« Je ne me jette pas sur les émotions des personnages pour les livrer en pâture au public. Faire pleurer ou rire un personnage pour provoquer la compassion ou la joie du spectateur est une méthode, mais je trouve ça à peu près aussi intéressant que d’éplucher des légumes. » (Jessica Hausner, cinéaste)

Je vous décoche cette citation uniquement parce qu’elle me fait marrer, en réalité elle a peu à voir avec ce que j’essaye de faire, au juste. Pour savoir ce que j’essaye de faire, au juste, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. Mais au moins serez-vous d’ores et déjà prévenu : mon « héros » n’attirera pas d’emblée votre compassion.

Dans le même sujet et avec le même à-propos, je voulais évoquer Les larmes de l’assassin, livre d’Anne-Laure Bondoux, que j’ai « lu » trois fois en un an. D’abord sous sa forme originale romanesque, ensuite dans l’adaptation en bande dessinée signée Thierry Murat, enfin sous sa forme performance, BD-concert conçu par le groupe Splendor in the grass. L’histoire est suffisamment saisissante et originale pour souffrir d’être entendue trois fois. Mais je précise que la version qui m’est apparue la plus forte, la plus convaincante, est la toute première, celle de la romancière. Les talents, indéniables, de l’illustrateur puis des musiciens ne sont pas en cause. Mais il se trouve que ces suiveurs ont fait le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, quand le roman était écrit à la troisième personne, par un narrateur neutre. C’est-à-dire que dans chacune des adaptations, le personnage principal (l’est-il vraiment, du reste), ce petit garçon mutique, si énigmatique, si singulier, si fragile et si brut, nous narre. Et soudain je n’y crois plus qu’à moitié, parce que je ne vois pas pourquoi ce petit gars m’adresserait la parole, lui qui parle si peu aux autres personnages du livre. La narration à la première personne ne me semble pas justifiée au-delà du fait qu’il s’agit d’une convention, voire d’une ficelle, d’un hameçon à lecteur.

Les professeurs de littérature devraient profiter de ce cas d’école : lisez deux fois Les larmes de l’assassin, observez ce qui change quand une même histoire est d’abord racontée par il, puis par je, comparez les effets respectifs du pronom (affaire de morale, comme un traveling au cinéma), et commentez. Je commente : mon manuscrit Lonesome George fut accepté par une grande maison d’édition jeunesse, sous réserve que je réécrive tout à la première personne, afin que le lecteur se sente plus proche du personnage. J’ai refusé. Le livre paraît au Fond du tiroir, écrit à la troisième personne, comme il devait l’être.

L’opiniâtreté ? Suivez la flèche.

« La seule divinité raisonnable, je veux dire le hasard » (Albert Camus, La Chute)

26/11/2012 2 commentaires

Je sors de chez l’imprimeur. J’ai déposé là-bas les fichiers qui composent Lonesome George afin qu’ils se transforment en livre, ébloui comme au premier jour par le processus qui conduit de l’idée à l’objet. Je me souviens qu’Alan Moore prétend qu’écrivain et magicien sont une seule et même fonction, puisque dans les deux cas il s’agit de transformer la réalité en prononçant certains mots. Je n’ajouterai qu’un mot : Abracadabra.

Le hasard étant, selon Balzac, le plus grand romancier du monde, je ne doute pas qu’il en soit en outre le plus grand magicien. À mon retour de chez l’imprimeur, je trouve, comme par hasard, trois messages dans ma boîte. Trois fidèles lecteurs m’incitent à cliquer d’urgence sur ce lien. Je clique, et certes, je tire mon chapeau au destin : mon conte sur la tortue était mort en juin, en même temps que George ; il renaît et se multiplie (300 exemplaires) au moment précis où l’on découvre que le défunt, réputé solitaire, avait une tripotée de frangins. Simultanément, les premières souscriptions me parviennent par courrier (la première, comme d’habitude, est au nom de Yves).

Du reste, je suis de longue date dévot, convaincu de la toute puissance du hasard, ayant même publié un livre qui n’existe pas aux Éditions du pur hasard. À ne pas confondre avec les Éditions Aléatoires, qui n’existent pas non plus, et c’est dommage parce qu’on aimerait bien lire certains de leurs livres. Les Éditions Aléatoires, ou Irrégulières selon l’option choisie, ne sont qu’un site astucieux qui génère à la demande, avec vos seuls noms et prénom et selon un hasard numérique et miraculeux, des titres et des couvertures de livres qu’il ne vous reste plus qu’à écrire. Non seulement ce jeu de création de jolies vitrines ne donnant sur aucune arrière-boutique est très amusant, et propice à la rêverie, mais en plus il permet d’admirer comment le hasard fait bien les choses. J’ai tenté l’expérience, abracadabra, mon livre s’intitule Le doigts des tortues. Quel talent. (La vérité historique, mon beau souci, m’oblige à préciser que ce titre tortueux ne fut que la troisième réponse que me fit l’oracle. Il y aurait beaucoup à dire sur mon premier et mon deuxième tirages, et c’est pourquoi je n’en dirai rien. Je préfère ajouter qu’on peut trouver plein de variantes à ce jeu rigolo, comme faire écrire des livres à des gens connus. Mais attention, parfois ça cesse d’être rigolo.)

Sans lien explicite avec ce qui précède (débrouillez-vous pour l’implicite), un extrait d’interview d’Olivier Assayas à propos de son film Après mai, film reproduisant fidèlement les années 70, par conséquent un peu moche mais exaltant, contrairement aux années 80, super-moches et déprimantes.

Il y a un décalage dans le sens où, à l’époque, très peu de choses étaient accessibles. Elles étaient du coup extraordinairement précieuses. Aujourd’hui tout est accessible. (…) Il y a une autre opposition entre ces deux époques [celle évoquée par le film et la nôtre] : aujourd’hui, on croit à ce qui est majoritaire. C’est à dire que Stéphane Hessel ne vaut quelque chose que parce qu’il a vendu X millions d’exemplaires de son livre. Dans les années 1970, ce qui valorisait un ouvrage, c’était que très peu de personnes l’avaient lu, et qu’il y avait une complicité entre ces initiés. Pareil pour la musique, les journaux , la presse. Il y avait cette idée, cette foi dans la possibilité d’une minorité agissante.

Lonesome George(s)

19/11/2012 Aucun commentaire

Il y a quelques jours, j’ai croisé dans le bus une dame, très gentille, qui m’a abordé : « Vous êtes Fabrice Vigne, n’est-ce pas ? Je me souviens de vous, vous étiez venu présenter votre livre sur le suicide dans ma bibliothèque il y a… Oh, peut-être dix ans. Vous avez publié un deuxième livre, depuis ?  » Il arrive aussi qu’en cours de conversation, profitant d’un moment creux, un interlocuteur me demande, très bienveillant : « Et sinon, au fait, tu écris toujours ? » Je réponds toujours poliment, je suis un gars civil. Mais grince au tréfonds de moi la réponse que fit Louis Armstrong à un journaliste qui lui demandait de définir ce qu’était le swing : If you need to ask, you don’t need to know.

Oui, j’écris toujours, j’écris encore, j’écris parfois, je réécris. Mon nouveau livre est en vente par souscription dès aujourd’hui, et sera envoyé aux souscripteurs dès sa sortie de l’imprimerie dans une bonne quinzaine de jours. Il s’appelle Lonesome George(s). Il est imprimé à 300 exemplaires, coûte 9 euros, compte 32 pages plus une élégante jaquette à rabats et fenêtre, sa couverture et ses culs-de-lampe sont dessinés par Jean-Pierre Blanpain, et son ISBN, sans pareil à travers le vaste monde, est le plus sexy qu’on ait su voir, attention roulement de tambour s’il vous plaît, ISBN 978-2-9531876-6-3. Il est mon opus 13, finalisé deux mois après mon opus 14, Double tranchant, car nos chronologies sont moins plates que la ligne d’horizon observée à la jumelle en pleine mer un jour sans vent. On tombe parfois sur des os. J’ai dit adieu à mon factotum, et j’ai dû chercher une alternative – que fallait-il faire, privé de mon acolyte ? Un seul salut : Laurel s’enhardit.

D’autres questions ?

Non ? Alors je continue à soliloquer. Je précise que pour George(s), le FdT n’enverra pas de bon de souscription par courrier postal, mais seulement par mail à imprimer. Pardon d’avance à ceux que ce spam importunera. Je compatis : quant à moi je suis, tel que vous me voyez, fumasse, mon premier mail de la journée ayant été une sollicitation pour signer une pétition CONTRE le mariage homo. Qu’est-ce que j’ai fait juste ciel, dans quelle newsletter malpropre ai-je donc traîné, pour recevoir ce torchon ? Pourquoi pas un appel à départager Fillé et Copon, les Dupondt de l’UMP ! Quel foutu pays rance et moisi, celui qui mobilise une plus grosse manif pour renvoyer les homos en enfer que contre un aéroport inutile désastreux destructeur et offert à cette bande de racailles racketteurs de Vinci ! Qu’on leur foute donc la paix, aux homos ! Qu’ils le prennent et le gardent, le mariage, je le leur laisse, ils en ont plus besoin que moi puisque la société n’a visiblement toujours pas admis que leur couple était possible, moi on s’en fout de mon couple, je suis pacsé ne vous déplaise. Le mois dernier à Paris j’ai visité l’instructive expo Bêtes de sexe, consacrée à la sexualité des animaux. (Étaient notamment projetés les désopilants courts métrages d’Isabella Rossellini, Green porno). Là, j’ai appris que des pratiques homosexuelles étaient recensées chez 430 espèces (on ne sait pas si l’homo sapiens était inclus dans les statistiques). Voilà qui volatilise une fois pour toutes l’argument des cathos selon lequel l’homosexualité est contre-nature.

Allez tous en paix dans le giron notre mère nature, bienveillante et généreuse ! Hétéros et homos, embrassez-vous, et commandez ensemble et offrez-vous les uns les autres des tas de Lonesome George !

D’une cuirasse de tortue Hermès créa la lyre

06/11/2012 2 commentaires

(Hermès le dieu grec, j’entends, Hermès aux pieds ailés, patron des commerçants et des voleurs, pas la société de luxe qui sous-traite pour une bouchée de pain la couture de ses grotesques carrés de tissu dans les ateliers des prisons puis les revend aux bourgeois 350 euros.)

Une bonne grosse tortue… En voilà un beau héros de livre pour enfants, en route vers le succès planétaire voire une adaptation en dessin animé : George est une tortue non adolescente, non mutante, non ninja, et non mangeuse de pizza. Mais qui revient d’entre les morts.

Comme on le sait, la tortue géante des Galapagos Lonesome George est, sinon le sujet, du moins le totem d’un livre que j’ai écrit l’an dernier, pratiquement prêt à sortir mais annulé au dernier moment. Notamment, même si ce fut loin d’être la raison déterminante, parce que ce brave George est mort le 24 juin dernier. Or voilà quil pourrait revenir du séjour des morts, ressuscité par son ADN façon Jurassic Park. Cette Pâques tortuesque n’est toujours pas la raison déterminante des activités éditoriales au Fond du Tiroir, mais il se trouve que le livre est lui aussi ressuscité, parce que j’avais pris le soin d’en congeler l’ADN dans mon disque dur. Il sera prochainement disponible noir sur blanc et sur papier, ce qui fait que je désactive le lien qui, jusqu’à présent, permettait de lire gratuitement Lonesome George sur le blog. Tant pis pour ceux qui n’en ont pas profité, il leur faudra désormais s’acquitter de 9 euros pour lire ce qui n’est plus un texte mais un livre.

Et ensuite nous en aurons terminé pour de bon avec cette si bizarre et contrastée année 2012, et nous pourrons passer à autre chose, de l’air, de l’air.

En attendant le prochain opus, un œil sur la revue de presse du précédant : Double Tranchant a été lu et approuvé par une phalange d’excellents lecteurs qui ont eu l’amabilité d’en rendre compte sur leur blog ou média usuel. Mille grâces et reconnaissances à Jean-Louis Roux (dans Les Affiches), à Vanessa Curton, à Michèle Caron, et à Yves Mabon.

Au sujet de ce dernier : comme tout critique digne de ce nom, Yves me fait découvrir un aspect de ce livre que j’avais négligé. En l’occurrence, le caractère exclusivement masculin, voire viril, couillu, de la passion du couteau, substitut phallique parmi d’autres. Certes, j’aurais dû y penser tout seul, à force de blaguer avec Jean-Pierre sur notre « bipénis »… Yves me pose une question dont il connaît la réponse : « Connaissez-vous des maîtresses-coutelières ? » Hmm… Non, en effet. Mais comme les archétypes sexuels et sexués me pèsent sur les nerfs, et que je crois exceptionnels et archaïques les métiers non accessibles aux femmes (pape, grand rabbin, ayatollah, dalaï-lama), je ne m’avoue pas vaincu et je lance illico un appel à témoin. Un exemplaire de Double tranchant sera offert à la première maitresse-coutelière qui se manifestera ici. Je n’ai aucun doute sur son existence. De là à ce qu’elle trouve son chemin jusqu’à moi…

Le fonds (de pension) du tiroir (caisse)

02/11/2012 2 commentaires

Le Fond du tiroir étant une association, il convient d’en dresser régulièrement le bilan financier puis de le délivrer à tous les adhérents. J’ai en main la liste à jour des adhérents, je constate non sans quelque regret que vous n’en faites pas partie (ah ne jouez pas les innocents la main sur le coeur, n’aggravez pas votre cas vous êtes grotesque, « Mon Dieu est-ce possible j’ai donc omis de renouveler ma cotisation comment ai-je pu négliger »), mais je vous le donne tout de même ce bilan. Parlons argent.

Jusqu’à cette année, lors de chaque nouvelle publication, mon rêve d’autofinancement du FdT était systématiquement remis à plus tard, et il me fallait cracher au bassinet peu ou prou si je voulais vraiment que le livre existe. À titre indicatif, quand le FdT a réédité La Mèche en 2010, j’ai dû afin de boucler le budget de fabrication du livre pré-acheter environ 90 exemplaires et signer un chèque de 90 x 12 euros, moi Fabrice Vigne, au Fond du Tiroir, à charge pour moi de revendre de la main à la main ces 90 foutus exemplaires (aux dernières nouvelles, il m’en reste 12 à écouler avant d’être intégralement remboursé, or ça me plaît cette douzaine, on se console comme on peut, il se trouve que La Mèche est un livre sous le signe du 12).

Eh bien là, non ! La perfusion est conjurée, au cul la danseuse, eh oh y’a pas marqué mécène de moi-même. Grâce à une heureuse conjonction de trois facteurs : la co-édition raisonnée avec Jean-pierre Blanpain, une bourde de dernière minute qui a diminué drastiquement le tirage sans modifier le prix de revient par exemplaire, et surtout une excellente réponse à la souscription (nous misions sur 100 souscriptions, nous en avons reçu 97, autant dire que c’était gagné, merci à tous, merci 97 fois), Double tranchant, qui est pourtant le plus beau livre du Fond du tiroir (puisqu’il est le dernier en date) a pu être produit avec les fonds propres de l’association, sans que je ne débourse un centime.

Oh, la crise (partout-partout) c’est comme la guerre, elle ne peut se conjurer que temporairement, et j’ai le vague pressentiment qu’en 2013, lorsqu’il me faudra procéder à la réimpression dispendieuse de Double tranchant, cette fois-ci sans réserves financières ni souscription possible puisque mon réseau sera tari, je devrai à nouveau mettre la main au porte-monnaie…

Mais à court terme ces comptes sains ont des conséquences énormes : d’abord je suis de bonne humeur, ensuite je ne change pas mes jetons, je les pousse avec désinvolture sur le tapis, je remise tout sur le numéro 13, allez hop, tournez croupier, valsez martingale ! Tenez-vous bien, le FdT publie un nouveau livre dès le mois prochain, oui messieurs-dames.

Quel livre ? Celui qui a été abandonné au printemps dernier après moult péripéties, je ne résume pas les épisodes précédents, vous n’aviez qu’à suivre : Lonesome George, mais si, souvenez-vous, ce livre qui évoque au passage la fin du monde du 21 décembre prochain, et dont j’avais dit Ouais ouais soit je le fais avant le 21 décembre 2012 soit jamais, or c’était bien parti pour être jamais, il y a quelques mois le FdT m’apparaissait à l’article de la mort, l’annulation de ce livre entraînait avec lui la fin pure et simple de l’aventure, mais la vie est pleine de surprises.

Autant Double tranchant se voulait (et se révèle) objet d’art, majestueux qui se pose un peu là, beauté du geste en accord avec son sujet même, autant George sera un livre plus lâché, plus modeste, plus cheap (le prix de vente provisoire est 9 euros), plus d’actualité, plus petit, numérique, mais très beau quand même parce c’est plus fort que nous. Autre différence : pour celui-ci nous n’enverrons pas de souscription par courrier timbré (en lettre verte). Si le FdT dispose de votre adresse mail, vous recevrez dans quelques jours le bon de souscription par ce moyen. Et sinon ? Bah, si vous êtes parvenu jusqu’ici, vous trouverez bien le bon de commande en temps utile.

Procédons à présent au bilan carbone. Soucieux d’écologie, le FdT renonce définitivement à faire imprimer ses livres en Chine. Le précédent livre ainsi que le prochain sont tous les deux imprimés par les Impressions Modernes, en Ardèche, et nous en sommes contents.

Merci à Franck Prévot pour le titre de cet article.

Avorton

06/07/2012 2 commentaires

On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ; ce que je vous dirai, c’est qu’il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les airs et les symphonies de l’incomparable M. Jean-Baptiste « Factotum » Lully, mêlées à la beauté des voix et à l’adresse de danseurs, leur donnent, sans doute, des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.
Molière, préface à l’Amour médecin, 1666

Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai refait le compte. Lonesome George, petit livre écrit l’automne dernier et qui au terme de huit mois de fausses joies et de vraies avanies fut finalement déclaré en état de mort cérébrale, est mon treizième livre. Ce fantôme de livre est donc la XIIIe arcane de mon tarot, la mort qui fauche et la résurrection. Je l’aime bien ce petit avorton, ce roman de poche qui ne restera qu’une idée (une bonne idée) dans la tête et le disque dur de ses concepteurs.

Je ne vais pas détailler l’histoire, ça me ferait de la peine, mais disons que le livre entrevu a d’abord été accepté, puis dans un deuxième temps refusé par une maison d’édition, par conséquent inscrit puis effacé puis réinscrit sur le planning de publication du Fond du tiroir, puis brutalement suspendu suite à la défection de son maître d’oeuvre… Et enfin définitivement abandonné à l’annonce de la mort de sa figure tutélaire, la tortue Lonesome George. Ce texte se voulait (notamment) un éloge de la lenteur encarapacée, dans un monde de laideur en surcapacité, et exprimait une sorte de tendresse pour ce reptile géant, unique en son genre, sans doute voué à disparaître tragiquement sans descendance, mais après tout on n’en était pas sûr, puisqu’il lui restait une espérance de vie de près d’un siècle, ah, il était censé tous nous enterrer ce vieux George, tant de choses aurait pu se passer en un siècle, George sans vouloir simplifier à outrance m’apparaissait une jolie métaphore de l’espèce humaine, dure comme une armure d’écailles mais bien fragile dans son destin, en danger de mort peut-être, mais peut-être pas, il faudrait vérifier d’ici un siècle, être patient, être lent, laisser venir. Fatalitas, voilà que George meurt, comme il a vécu, tout seul, et lentement, encore jeune homme. On comprendra que le trépas du totem m’ordonnait de renoncer une bonne fois à mon texte numéro 13 qui, de fait, changeait de signification : finie la lenteur, fini le « tankyadlavi, yadlespoir », tout est foutu bonnes gens.

Après avoir hésité un peu, je vous l’offre tout de même, foin de triskaïdékaphobie. Vous pouvez lire ce texte, dans sa version pré-maquette à peine corrigée, en cliquant ici. Mais attention, ce n’est qu’un texte. Ce n’est pas un livre. Il vous faut imaginer ce qu’il aurait été in fine sous la superbe couverture à tiroir dessinée par JP Blanpain, avec la quat’ de couve très belle itou, avec entre les deux tous les jeux de mise en page, de changements de police comme de registre, d’images trafiquées, d’abîmes induits par la société de l’information, de facétieux culs de lampe, il manque en fait presque tout ce qu’il y avait de facétieux.

Non : tel quel, en version téléchargeable et bradée, ce n’est pas un livre. C’est un texte. Comparez. Vous n’avez qu’à considérer que c’est ma contribution au débat « lire un livre numérique, est-ce encore lire un livre ».

Lonesome George devait être mis en vente au mois de mai, au prix de 9 euros. Vous pouvez désormais le lire gratoche. De rien, ça me fait plaisir, c’est cadeau. La crise partout-partout, on sait ce que c’est. Pour autant (et même pour un peu plus), vous pouvez soutenir le Fond du tiroir en achetant ses autres livres, ceux qui existent pour de bon. Il se trouve que j’ai besoin de liquidités pour fabriquer l’opus 14 (sortie en novembre). Tankyadlavi, merci d’avance.

Autre genre de prose, de saison : ici se trouve mon rapport 2012 À l’école des écrivains, comprenant mes considérations annuelles sur l’Éducation Nationale et un atelier d’écriture effectué au collège de Lubersac (Corrèze), si ça intéresse quelqu’un.

Rectificatif, novembre 2012 : oh, et puis si, allez, je le publie quand même ce Lonesome George. En conséquence je désactive le lien ci-dessus donnant accès au PDF.

On a tous besoin d’hamour

25/06/2012 4 commentaires


Ma petite entreprise, mon terrain de jeu et de liberté, mon utopie à roulettes, mon « Fond du tiroir », a donc volé en éclats. Alors que j’avais un planning de deux publications en 2012 (mai et octobre), Patrick Villecourt, mon graphiste, factotum et ami, co-inventeur de tout ce qui concerne le Fond du tiroir, me tire sa révérence dans le dos, mettant un terme brutal à quelque chose comme six ans (puisqu’il y eut une vie avant le FdT) de collaboration fructueuse, fébrile et rigolote. Il m’explique qu’il n’est plus capable de rester des heures devant un écran à composer des livres, ça l’emmerde, ça le fait souffrir, ça le laisse froid, il n’a qu’une envie, déguerpir, prendre l’air, s’occuper de ses ruches, de ses essaims et de son miel. Que faudrait-il répondre ? Naturellement je ne lui en veux pas, comment pourrais-je, il me reste encore un paquet de mercis à lui dire. Je te souhaite bon miel, vieux.

Pour me consoler il me la joue « les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, tu peux continuer avec n’importe qui », mais je ne vois pas les choses ainsi, je considère Patrick comme le co-auteur des 7 livres réalisés ensemble (le summum étant bien sûr J’ai inauguré IKEA, objet particulièrement graphique, où sa part de travail est supérieure à la mienne). Moi j’avais dans l’idée que le FdT était un duo, j’écrivais, il visualisait, on éditait à deux. Certes rien ne m’empêcherait, rien ne m’empêchera, de reformer un duo avec n’importe qui (l’un des deux livres prévus, au moins, reste à l’ordre du jour, sans que je sache ni où ni quand ni comment, et à peine pourquoi), mais ce ne sera pas le même cadre, ce ne sera pas sous le logo dessiné par Patrick.

Cette fin brutale était (presque) imprévisible, elle est en tout cas malencontreuse, parce qu’elle advient au moment précis où, ayant échoué depuis lurette intéresser des éditeurs traditionnels à mon travail (le dernier contrat que j’ai passé pour un livre date de 2009), j’avais fait une croix sur toute velléité de pénétrer le paysage éditorial français, bien décidé à occuper, en guise de position stratégique, le seul fond de mon tiroir. Le tiroir se délite et me voici tout nu.

Merci à tous ceux qui, dans mon dénuement, m’ont adressé un petit message d’hamour.

Je vais écrire un petit peu. Et voir ce que ça devient. Comme toujours.

Cette chronique est dédiée à la mémoire de Lonesome George, mort hier, dans la force de l’âge.

Suspense

08/06/2012 3 commentaires

Rien ne va plus. J’avais entrevu, dos au mur mais citant Flaubert pour me donner du coeur (« si vous n’êtes pas un coquin… »), la perspective d’un nouveau livre, réalisé rapidement, souscription en mai, sortie en juin, et dans la foulée l’opus suivant illico mis en chantier.

Finalement, tout croule et tombe au fond des limbes. Le livre en question n’est pas sorti, ne veut pas sortir, ne sortira peut-être pas. Le Fond du Tiroir en reste hébété. C’est quoi, cette odeur ? L’est en sapin, le Tiroir ? Patrick et moi aurons fait sept livres ensemble, ce n’est pas rien sept fois le plus beau livre du monde, mais le huitième ne vient pas, ah. Tarkovski, qui croyait dur aux fantômes, avait lors d’une séance de spiritisme invoqué l’esprit de Pasternak, et reçu de lui cette prophétie : Tu ne feras que sept films. Puis Tarkovski a fait sept films, et il est mort. Moi, pour les fantômes, je ne me prononce pas, mais sept est un joli chiffre.

Le blog aussi est suspendu dans cette mauvaise passe. À plus tard. Peut-être.

La croûte de synthèse

12/05/2012 4 commentaires

Chaque habitant de l’Europe occidentale consomme environ cent kilos de matières plastiques par an. Comment comprendre un chiffre aussi abstrait ? C’est comme pour l’empreinte carbone ou pour à peu près tout ce qui se consomme, on trouvera de par le monde plus glouton que nous, et aussi plus tempérant (plus riche et plus pauvre, mettons : les USA et l’Afrique sub-saharienne), mais en ce qui nous concerne, voilà le tas individuel, le vilain sac paco, en moyenne un quintal de plastoc par tête de pipe, bon an mal an. On le consomme, c’est-à-dire naturellement on ne le mange pas (encore que), selon l’acception du Robert on l’amène à destruction en utilisant sa substance, on en fait un usage qui le rend ensuite inutilisable. On consomme le plastique notamment sous forme d’emballages variés, car on achète les produits sous une ou plusieurs peaux qui nous prouvent que nous en sommes bien le premier propriétaire (« Neuf sous blister ! »), on déballe comme on dépucelle un produit de consommation, on arrache l’hymen de plastique, on jette le contenant et on n’y pense plus, on se concentre sur le contenu.

Lorsqu’on jette ce plastique dans une poubelle adéquate-qui-procure-une-vague-bonne-conscience, le plastique aura une chance d’être recyclé, ne serait-ce qu’en étant brûlé pour produire de l’énergie, après tout ce plastique est un dérivé d’hydrocarbure, il peut servir à ça, tant pis pour l’empreinte carbone.

Mais lorsqu’on le jette ailleurs, Mister Plastoc vaque librement, il traîne, il s’envole en plein air, il se salit en pleine terre, il tourne mal : il échoue dans la nature ou bien dans un caniveau et glissera ensuite, dans les deux cas, au fil d’un ruisseau. Le ruisseau le confie à la rivière. La rivière le charrie jusqu’au fleuve. Le fleuve le jette dans la mer. Les courants marins l’emportent au large.

Et là, au large, très au large, se passe quelque chose d’étonnant : il ne bouge plus, le plastoc, il tourne en rond, il s’agglomère, il retrouve ses amis, il fait masse. Il existe cinq zones sur le globe, Pacifique Nord, Pacifique Sud, Atlantique Nord, Atlantique Sud, Océan indien, où les courants marins se rencontrent et s’enroulent façon cul-de-sac centripète, dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord, en sens inverse dans l’hémisphère sud, formant d’immenses vortex nommés gyres océaniques, équivalents maritimes des trous noirs dans l’espace intersidéral : d’où que l’on vienne, on s’y retrouvera fatalement, on y sera aspiré, englouti en lent tourbillon, et on n’en sortira plus jamais.

Au fil des décennies (les premiers polymères produits industriellement datent des années 1930), des milliers de mètres cubes de déchets impossibles à digérer par la nature se sont ainsi agglutinés dans l’océan, sur lui et sous lui, de la surface jusqu’à une profondeur de trente mètres. Ce phénomène est continu, jour et nuit : durant l’année qui vient de s’écouler, alors que la campagne électorale battait son plein et abordait des sujets très-très-très intéressants et qu’Eva Joly était persiflée au prétexte que son accent n’est même pas français, une portion évaluée à 10% des cent kilos de plastique européen par personne et par an est venue augmenter l’une des deux nappes de l’Atlantique, ou, allez savoir, selon les caprices de Neptune, l’une des trois autres. Ou peut-être celle de la Méditerranée, qui est plus modeste et plus diffuse, parce qu’on n’a pas dans Mare Nostrum de courants marins d’une force comparable à ceux des océans.

La plus gigantesque de ces cinq poubelles flottantes, et la plus observée (cela expliquerait-il ceci ?) est celle du Pacifique Nord, qui mesure 3,5 millions de kilomètres carré, soit six fois la France. Ces millions de tonnes de plastique, en fragments massifs ou infinitésimaux, qui naturellement ont chassé toute vie alentour (plus de plancton, plus de poisson, plus d’oiseaux, plus de chaîne alimentaire, rien d’autre rien rien que des milliards de bouts de plastique, des durs des mous, des gris des colorés des transparents), ont formé ce que l’on a appelé « the Great Pacific Garbage Patch » (la grande plaque d’ordures du Pacifique), nouveau continent artificiel ou, pour les poètes, « septième continent en plastique ».

Parfois, je lis quelque chose, j’intègre une information, jusque tard dans la nuit je gouguelise tétanisé, et j’en reste si effaré, choqué, abasourdi, presque mort un petit peu moi-même face à tant de mort, que je me dis « il faut faire un livre là-dessus ». Mais je ne m’y colle pas, je ne sais pas comment m’y prendre, je ne vois pas l’intérêt d’ajouter aux faits bruts, de retrancher, pis : d’inventer une histoire, alors je me contente d’en faire un article sur ce blog, je transmets simplement, j’informe à mon tour.

En revanche, il m’arrive, sur d’autres sujets, de finir à force de rumination par trouver comment construire mon livre, à partir d’une idée qui m’aura traversé comme une flèche lancée depuis les mass médias. Cela peut prendre des années, mais de temps en temps un texte se concrétise ainsi. Mon prochain livre, Lonesome George, parle de l’environnement, je ne peux pas dire mieux. Guettez le bon de souscription ici même dans quelques jours.