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Pas mal, Pascal

01/04/2024 Aucun commentaire

Petite anecdote spéciale Pâques.

L’une des participantes les plus assidues et enthousiastes de nos ateliers de création de chansons est la pittoresque Chantal B., que je vous résume ici en trois gros traits : énergie de bulldozer, langage de charretière, coeur d’or.
Or, durant notre dernier stage en date, le week-end passé, je l’ai observée à l’heure du repas attraper le pain et, machinalement, tout en regardant ailleurs et en participant à la conversation, dessiner de la pointe du couteau une croix sur la croûte, avant de débiter le pain en tranches et de le distribuer autour de la table.
Il m’a fallu plusieurs jours pour identifier la réminiscence que ce geste discret avait fait remonter en moi.
Lorsque j’étais enfant, je passais une bonne partie de mes vacances d’été dans le village natal de mon grand-père, Villar Focchiardo, entre Suse et Turin, Piémont italien. Là-bas, nous étions hébergés par la belle-soeur de mon grand-père, autrement dit la veuve de son frère aîné resté au pays au lieu d’émigrer en France. La grand-tante Lucinda, très gentille, très généreuse, très bavarde, très active à ses fourneaux, très grosse et très fière des enfants de sa lignée surtout s’ils étaient des garçons, bref cochant toutes les cases du cliché « Mamma italienne » que je ne connaissais pas, avait ce même geste, oui, ça me revenait à présent. Elle signait toujours ainsi sa miche de pain avant de la trancher et de la partager.
Intrigué, j’attendais l’heure des repas juste pour la voir refaire ce geste (ainsi que, si je suis honnête, pour manger ses escalopes milanaises), pour assister encore et encore à ces deux caresses perpendiculaires au couteau, geste que personne n’accomplissait du côté français de la famille. Mon grand-père lui-même, farouchement athée et se méfiant des curés, jamais n’aurait cédé à pareil rite domestique et prandial relevant de la superstition et de la « bondieuserie » . Mais du haut de mes 6 ou 8 ans, et tout en avalant une escalope de plus (« Mangia ! Mangia ! » disait-elle en riant), j’aimais quant à moi beaucoup ce geste. Je le trouvais très joli en plus d’être exotique, rassurant puisque régulier, mystérieux et gracieux comme une passe magique – ce qu’il était assez exactement, au fond.
Il m’a fallu des années ou peut-être des décennies avant d’identifier correctement la signification de cette bénédiction, qui a, pour ce que j’en sais, partie liée à la Cène et à ses obscurs symboles cannibales et sacrificiels (Mangez, ceci est mon corps, Matthieu 26:26).
Mais déjà, à 6 ou 8 ans, je retenais confusément qu’il fallait traiter le pain d’une façon particulière, qu’il méritait un sort spécial : si le pain est avant chaque repas sacralisé, c’est parce qu’il est déjà sacré, la croix dessinée sur lui n’est qu’un rappel.
Que le pain soit sacré parce qu’il est consubstantiel au corps d’un surnaturel Messie mort-vivant plein de super-pouvoirs me semblait et me semble toujours une calembredaine ; en revanche, que le pain soit sacré parce qu’il nous nourrit, apaise notre faim et nous procure du plaisir individuel et collectif, et tout ceci parce qu’en amont quelqu’un, très humain et pas plus divin que vous et moi, l’a préparé, pétri et cuit, et qu’un autre, plus tôt encore, a fait pousser du blé en cultivant la terre… Oui, voilà qui me semblait suffisant pour motiver un minuscule geste propitiatoire et reconnaissant, en deux traits de couteau qui signifiaient, ni plus ni moins, « Bon appétit » .
En somme, à 6 ou 8 ans je tentais de réconcilier dialectiquement l’anarchisme libre-penseur de mon grand-père et la bigoterie de ma grand-tante : j’étais perplexe face aux dogmes religieux mais j’adorais les rites. Double disposition dont témoignent nombre de mes livres, de La Mèche à Nanabozo.

Voilà, joyeuses Pâques à toutes et tous, ceux qui croient au ciel, ceux qui n’y croient pas.
Fête de Pâques qui, si vous voulez mon avis, est moins la célébration de l’improbable résurrection du Christ que la fête du chocolat. Gloire au chocolat ! Introduit en Europe environ 16 siècles après la crucifixion du Christ (plaignons-le, il n’en a jamais mangé), grâce aux vaillants et très chrétiens conquistadors qui ont exterminé les populations précolombiennes au nom du seul vrai dieu (et de l’or) !

Le mystère des saisons

13/03/2024 Aucun commentaire
Le cycle des saisons, figure A : la science
Le cycle des saisons, figure B : Le rapt de Proserpine (Perséphone) par Pluton (Hadès), sculpture par Le Bernin, 1621-1622. Galerie Borghese, Rome.

Ces jours-ci j’enchaîne les classes, à qui je raconte des mythes grecs. J’adore ça, même si je suis conscient qu’à notre époque parler des « dieux » dans un cadre scolaire est affaire délicate qui réclame quelque doigté (cf. cette archive au Fond du Tiroir).
Je remplis ma mission pédagogique en commençant par rappeler que les histoires, toutes les histoires, notamment celles des dieux (sous-entendu que je garde consciencieusement pour moi : celles de Dieu) découlent toujours de l’observation de la nature.
Prenant comme exemple le cycle des saisons, je fais remarquer qu’on peut expliquer ce phénomène naturel, comme tous les autres, de deux façons, selon deux storytellings (évidemment je n’emploie pas ce mot). Soit par la science, et cela prend des siècles de méthodes et d’hypothèses avant de comprendre la révolution de la Terre autour du Soleil, et les variations d’exposition dues à son axe qui n’est pas droit mais incliné de 23,4° ; soit par les dieux (sous-entendu que je garde consciencieusement pour moi : par Dieu), qui sont comme chacun sait à l’œuvre derrière toute chose. Explication poétique, symbolique et tout-à-fait digne d’intérêt, qui n’est pas « vraie » mais ce n’est pas cela qu’on lui demande, et c’est ainsi que je narre l’histoire de Perséphone, jeune fille coupée en deux, et coupant en deux l’année : elle est vouée à passer six mois sous terre aux côtés de son époux le roi des Enfers, puis six mois sur terre auprès de sa maman Déméter qui, de joie, accepte à chaque printemps de réchauffer la terre et permettre à nouveau l’éclosion de la végétation.
J’espère rendre les enfants sensibles à la beauté de cette image qui n’est pas « vraie » : qu’est-ce que l’hiver, avec ses paysages désolés, ses arbres secs, ses horizons décolorés et sa nature éteinte ? C’est le chagrin d’une déesse à qui l’on a ravi sa fille.
Je m’applique à ne pas opposer l’explication scientifique et l’explication mythologique de façon manichéenne, la bonne contre la mauvaise : je n’oublie jamais que les deux sont bonnes si on ne prend pas l’une pour l’autre. Les anciens Grecs étaient grands scientifiques autant que grands conteurs et, va savoir, peut-être qu’il fallait l’un pour alimenter l’autre, et c’est la réunion des deux qui a créé cette civilisation – la nôtre, un peu.
Naturellement, comme l’âge de mes interlocuteurs varie du CP jusqu’au CM2, je m’adapte à chaque séance. Je ne dis jamais tout. Je passe notamment sous silence les aspects les plus louches de « l’histoire d’amour » entre Perséphone et le sulfureux Hadès, dieu des Enfers. Il tombe amoureux de Perséphone et l’épouse ? Okay, si l’on veut. Mais l’on pourrait aussi bien raconter qu’il l’enlève et la viole, puisque jamais Perséphone n’a son mot à dire. On pourrait aussi rappeler que ce barbon masculiniste toxique infernal n’est autre que le tonton de Perséphone, puisqu’il est de la génération des Cronides, par conséquent frère de Déméter et de Zeus. Mais l’on n’est pas obligé. Je raconte, je choisis. Car cette distinction capitale aussi, je tente de la leur faire comprendre, ou du moins sentir : tandis que l’explication scientifique est universelle et unifiante, la révolution de la Terre étant unique et indiscutable, en revanche l’explication par les dieux (sous-entendu que je garde consciencieusement pour moi : par Dieu) est variable à l’infini, à la discrétion de celui qui raconte, puisqu’elle est imaginaire.
Les réactions des mômes, outre un émerveillement très naturel, très sain et très gratifiant, sont d’une maturité confondante. Ils posent des « bonnes questions » , du genre très difficile, sans réponse évidente. Ils me demandent par exemple si les Grecs croyaient à ces histoires ! (coucou Paul Veyne.)
Plus difficile encore, ils me demandent si des mythes existent encore à notre époque. Je pourrais me lancer dans un vaste débat au cours duquel je les perdrais, où je suggèrerais que notre époque regorge de revendications identitaires, par conséquent d’histoires des origines, c’est-à-dire, littéralement, de mythes… Mais je me contente de savourer leur niveau de réflexion, leurs questions qui provisoirement resteront sans réponse, et je me dis que tout espoir n’est pas perdu.

Laïcité pour quoi faire

06/02/2024 Aucun commentaire
Illustration : Philippe Vuillemin, prince du bon goût.

Je ne comprends pas trop pourquoi il semble si difficile en France de se mettre d’accord sur une définition de la notion de laïcité, sans l’affubler d’on ne sait quel qualificatif qui la relativise et l’amoindrit (inclusive, ouverte, positive, plurielle… comme si la laïcité était, par nature, excluante, fermée, négative et totalitaire, soit à l’image de la première religion venue).

J’estime que la définition de la laïcité est très facile à trouver : il s’agit très littéralement (loi de 1905) d’un principe qui établit une hiérarchie entre l’État et la religion. Explicitons pour qui n’aurait pas compris : la religion est placée en-dessous (en-deça) de l’État.

La laïcité consiste donc, je le répète c’est simplissime, à (re)mettre la religion à sa place, qui est celle de l’intimité, de l’échelon individuel et introspectif. Attendu que les fois religieuses sont diverses, a priori incompatibles, et qu’aucune n’est en mesure de l’emporter sur les autres par la simple puissance de sa démonstration factuelle (l’existence de Dieu n’est ni plus ni moins avérée que celle d’Allah ou de Yahvé, non plus que celle de Brahmā, celle de Wakan Tanka le Grand Esprit, celle d’Ahura Mazda, celle du Monstre Volant en Spaghettis, celle des leprechauns, celle de la Force et de son côté obscur, celle des mânes des ancêtres, ou celle de la Dame Blanche) ; attendu qu’il est impossible de construire un projet politique commun sur une seule de ces fois dès lors que des individus appartenant au même corps social revendiquent, dans des proportions diverses, toutes les autres, et que chacun s’estime détenteur de la vérité ; il ressort que la religion concerne l’individu et non la société, et qu’il faut la maintenir la plus éloignée possible de ce qui est commun à tous : la loi. C’est ici que le principe d’une hiérarchie (et, donc, le principe de la laïcité) s’impose par l’évidence : la loi étant la même pour tous tandis que la foi étant l’affaire de chacun, la loi est au-dessus des religions, CQFD.

La loi est non seulement au-dessus des religions, mais, depuis ce surplomb, elle les protège (loi de 1905 encore, article 1 : « l’État garantit l’exercice des cultes »). C’est ainsi que la laïcité est, ni plus ni moins, une liberté, accordée à tous les citoyens (et non, comme veulent le faire croire ses détracteurs, une oppression, fasciste, raciste et néocoloniale).
Liberté que je propose de définir ainsi :

Version un, périphrases incluses : libre à chacun, dans le secret de son âme (pour peu qu’on croie à la réalité de ce concept autrement que comme une métaphore de toute vie intérieure et poétique), de prier Dieu (pour peu que l’on croie à la réalité de ce concept autrement que comme une métaphore du monde, du destin, de l’unicité de l’univers, de la Nature, de ce que l’on voudra de plus grand, plus durable et plus global que nous), de mener son existence en évitant de pécher (pour peu que l’on croie à la réalité de ce concept autrement que comme une métaphore du mal prodigué à autrui et au monde), afin de travailler à son salut et/où à sa grâce (pour peu que l’on croie à la réalité de ces deux concepts autrement que comme des métaphores d’une vie bonne, heureuse, saine, sereine et généreuse) et d’ainsi préparer sa vie éternelle (pour peu que l’on croie à la réalité de ce concept autrement que comme une métaphore des souvenirs que l’on laisse dans la mémoire de ceux qui nous survivent).

Version deux, écourtée, délestée de toutes les périphrases : libre à chacun, dans le secret de son âme de prier Dieu, de mener son existence en évitant de pécher, afin de travailler à son salut et/où à sa grâce et d’ainsi préparer sa vie éternelle.

La laïcité, c’est : prie si tu veux, et personne ne te fera chier ; mais réciproquement ne fais chier personne avec ta prière.

Voilà, il me semble que présentée ainsi, la laïcité est simple, claire, équitable, raisonnable, et c’est ainsi qu’il faudrait la présenter aux enfants et aux jeunes citoyens – c’est ainsi que je me proposerais volontiers d’aller la leur présenter moi-même, si j’avais le moindre espoir qu’on me sollicite jamais, cf. cette archive 2017 au Fond du Tiroir). J’en viens à me demander si les personnes qui estiment que la laïcité est plus compliquée et problématique que ça n’auraient pas un intérêt à ce qu’elle soit plus compliquée et problématique que ça.

Ceux qui estiment qu’elle est plus compliquée et problématique, et que la religion doit bénéficier d’un respect supérieur (à la loi, notamment) sont, à mon sens, les victimes de l’un ou l’autre de quatre processus psychiques extrêmement dangereux, quatre biais cognitifs qui faussent le jugement :

– Le premier de ces processus psychiques dangereux est, bien sûr, la religion elle-même. Une frange de la population, qui aimerait se faire passer pour majoritaire alors qu’elle est minoritaire, croit en Dieu (dernier sondage Ifop en date, 2023 : à la question Croyez-vous en Dieu, les Français répondent non à 56%) ; au sein de cette minorité, une frange encore plus minoritaire et extrêmiste estime que leur religion perso devrait prendre le pouvoir – en somme mettre un terme à la laïcité.
– Le deuxième de ces processus psychiques dangereux est (comme les suivants) le propre des non-croyants. Il s’agit de la trouille. La terreur comprise étymologiquement et traditionnellement dans le mot « terrorisme » : certains non-croyants respectueux de la foi des autres sont, pour le dire autrement, intimidés par les religions. Ils ne « respectent » les religions que lorsque les religions les « tiennent en respect », au besoin avec une kalachnikov ou un couteau de boucher (exemple : la consigne « pas de vague » dans l’Éducation Nationale peut être interprétée non comme une manifestation de laïcité, mais comme une manifestation de trouille, par conséquent d’anti-laïcité).
– Le troisième processus psychique est plus insidieux, moins manifestement veule, plus barbouillé de vertu et maquillé de tolérance, bref beaucoup plus contemporain, plus « jeunesse du XXIe siècle », en cela il est un marqueur générationnel : l’admiration. Il conviendrait de respecter les religions au prétexte qu’elles seraient intrinsèquement respectables, ayant trait aux mystères qui nous dépassent, au sacré. Cette admiration repose, outre sur un complexe d’infériorité et sur le besoin d’échapper au matérialisme régnant dans notre malheureuse société de consommation, sur une grave confusion logique qui pose, en une équation tout-à-fait frelatée, religion = spiritualité = sagesse = esprit supérieur éclairé. Chacun de ces trois signes « égal » est à interroger soigneusement (je le ferai quand j’aurai le temps).
– Le quatrième de ces processus psychiques dangereux, enfin, est le plus pernicieux, le plus cynique : le calcul politique, mâtiné de culpabilité post-coloniale. Il est le propre de la France Insoumise, qui voit dans les musulmans, catégorie fantasmée, une réincarnation du prolétariat, des damnés de la terre à libérer, et surtout un réservoir de voix.

Ces quatre processus psychiques dangereux dessinent les contours des quatre ennemis de la laïcité, assez différents mais aboutissant au même résultat : l’injonction de, surtout, ne pas critiquer les religions, admettre leur préséance, et ne pas blasphémer. Or condamner le blasphème (le condamner judiciairement ou « seulement » moralement), c’est placer la religion au-dessus de la loi. Donc c’est la mort de la laïcité.

La laïcité n’est pas ringarde, elle est un combat qu’il faut mener aujourd’hui, le 9 décembre ainsi que le 364 autres jours.

Par ailleurs : l’un des énormes avantages de la laïcité est de pouvoir se passionner pour l’histoire des religions sans arrière-pensée dogmatique, et même, tout simplement, d’accéder à cette histoire, à cette connaissance-là, sans se cogner contre le mur du sacré. L’histoire des religions est une aventure humaine (et non divine) de premier ordre, pleine de bruit et de fureur, une histoire qui a contribué à construire le monde dans lequel nous vivons. Une fois encore Pâcome Thiellement, conteur et exégète, m’épate avec deux épisodes de sa série L’empire n’a jamais pris fin : Jésus contre le christianisme, puis Marie-Madeleine ou comment l’Église est devenue l’Empire.

Putes et pures

18/01/2024 Aucun commentaire

I

À qui profite l’Éducation Nationale ? Auprès de qui remplit-elle sa mission d’émancipation culturelle et sociale, sa mission d’ascension républicaine ? À part bien sûr pour un individu singulier, un ambitieux dénommé Gabriel Attal, pour qui cette institution aura été un indéniable marchepied, un ascenseur, une aubaine.

Une jeune femme chère à mon cœur, une inconnue que je connais, s’apprête à démissionner après seulement deux ans en tant qu’enseignante de français. Elle jette l’éponge, je ne lui jette pas la pierre. Ce n’est pas son échec, c’est le nôtre.

Au bout de deux ans elle n’en peut déjà plus d’affronter dans une salle de classe tous les problèmes sociaux de la France et de tenter d’exercer divers métiers pour lesquels elle n’a pas été formée, n’ayant été formée qu’à la pédagogie. Elle n’en peut plus de la somme de petites ou grandes violences accumulées : violence des élèves, violence des parents d’élèves (« Quoi mais vous avez mis une mauvaise note à mon fils ? Vous vous prenez pour qui ? » ), violence des collègues plus aguerris qui l’encouragent avec des mots bienveillants et cependant atroces (« Allez courage, tiens bon, tu sais c’est normal au début, moi aussi j’ai pleuré tous les jours les deux premières années » mais bon sang dans quelle autre corporation trouve-t-on normal de pleurer les deux premières années au point de métaboliser cette souffrance, d’accepter qu’elle fasse partie intégrante du métier ? Bourreau, peut-être ? Tortionnaire dans l’armée ? Prostituée ? Équarrisseur ?), violence de la hiérarchie qui ne manifeste aucun soutien ni aucune compréhension… sans même parler de la violence paroxystique des faits divers trop réguliers pour n’être que des faits divers (Samuel Paty, Dominique Bernard, Agnès Lassale), qui tatouent le fond de la cervelle et rappellent qu’enseignant est un métier où l’on risque sa vie. En saignant.

Elle n’en peut plus de cette crise que tout le monde connaît et que personne n’envisage de résoudre, ce serait trop de boulot et trop de remise en question, cette crise dont voici un condensé succinct et presque pudique, tel qu’exprimé par Sophie Vénétitay, secrétaire générale du premier syndicat du secondaire, le SNES-FSU : « Outre la remise en cause croissante de l’enseignant et de son expertise, l’école est le réceptacle de tous les maux de la société : si la société ne va pas bien, si la violence augmente en son sein, l’école n’en sera que le miroir grossissant ».

La jeune femme chère à mon cœur n’en peut plus. Avec lucidité, avec fatalisme mais avec détermination, elle me dit : « Le système est cassé et j’ai hâte que ce ne soit plus mon problème » – pourtant elle a suffisamment de conscience professionnelle, de conscience tout court, pour considérer que le système cassé reste son problème jusqu’en juin, et elle reporte sa démission à la fin de l’année scolaire car si elle passait à l’acte dès maintenant, elle sait qu’elle ne serait pas remplacée et que ses élèves n’auraient tout simplement plus de professeur de français en face d’eux. Combien d’héroïnes et de héros comme elle, d’inconnus que l’on connaît, pleins de bonne volonté, voire animés d’une authentique vocation, auront été déprimés, découragés, désabusés, désespérés en un rien de temps ?

Comme souvent en pareille solitude, la jeune femme chère à mon cœur n’a trouvé de solidarité qu’auprès de ses pairs, les profs débutants qui s’échangent leurs témoignages (voire leurs déprimes, découragements, désabusions etc.) juste pour vérifier, peut-être, que le problème ne vient pas d’eux en tant qu’individus. Or voilà qu’elle me met sous les yeux un cas relevé par une de ses collègues, qui comme elle exerce en collège, je cite :

Je viens d’apprendre que la semaine prochaine aura lieu une commission éducative exceptionnelle pour 50 élèves de 4e et de 3e qui tenaient un agenda avec des noms d’élèves meufs répertoriées selon qu’elles sont « pures » et « putes » . [Ce répertoire] tournait aussi sur les réseaux et dans les groupes snap […]

J’écarquille les yeux. Juste une affaire parmi des milliers, une goutte parmi les gouttes qui font déborder, un arbre cachant je ne sais quelle forêt, que je découvre fortuitement dans le fil d’une conversation avec une jeune femme chère à mon cœur… mais soudain il se serre, mon petit cœur, un haut-le-cœur l’emporte. C’est à gerber ce répertoire de filles « putes » ou « pures » ! Foutu archaïsme religieux patriarcal qui moisit la tête des garçons, graines de machos incapables de concevoir l’autre sexe (si exotique, si mystérieux, si dangereux) autrement qu’en termes binaires, toujours le même simplisme depuis des millénaires, « la maman et la putain » ! La bonne épouse pieuse qui sera la mère de mes enfants devant Dieu, vs. la fille perdue en libre-service mise à disposition pour me vider les couilles tout en préservant la pureté au foyer ! La sainte vierge et son double, le simple objet qu’on peut salir parce qu’il est sale par nature ! CONNARDS !!!!!!! Jeunes connards de 4e et de 3e qui deviendront de beaux et grands connards adultes !

Comme je ne peux m’empêcher de faire des associations d’idées, comme les associations d’idées fondent le tiroir même, je pense à Laure Daussy.
Sur le même sujet poussé dans ses retranchements tragiques, l’an dernier Laure Daussy journaliste de Charlie Hebdo a rédigé un feuilleton sur le procès de l’assassinat de la jeune Shaïna, 15 ans, qui dès le collège avait cette réputation de « pute » . Les garçons la faisaient tourner, puis l’ont brûlée vive, une fois qu’elle est tombée enceinte, comme une capote usagée qu’on jette après avoir tiré son coup. Après une enquête de terrain qui l’aura menée loin, si loin des milieux bobos où l’on boycotte Depardieu, où le féminisme devient peu à peu la norme (et tant mieux !), où l’on a la préciosité d’employer scrupuleusement l’écriture inclusive (et tant pis !)… Laure Daussy publie un bouquin formidable et terrifiant, La réputation, qui décortique la construction sociale de cet archétype de la fille facile, ses formes, origines et fonctions.

Que faire, maintenant ? Que faire pour que ces jeunes cons, et que tous les autres jeunes cons, soient moins cons ? Ma réponse spontanée et naïve est bien sûr « l’éducation » ah oui pardi l’éducation est le remède universel, bien sûr c’est tout simple comme solution, il y en aurait du boulot dans l’éducation. Sauf que personne (et en tout cas pas moi) ne reprochera à une jeune femme chère à mon cœur de renoncer à cette mission parce que c’est trop dur.

Post-scriptum : alors ça c’est le pompon.

II

J’ai vu hier soir mon film préféré de l’année (ohlà, faut pas que je m’emballe, on n’est qu’en janvier), Pauvres créatures de Yorgos Lanthimos.

Conte fantastique (qui commence comme Frankenstein et se termine comme Freaks, avec la même morale : ce serait tellement plus simple si les vrais monstres ressemblaient à des monstres) ; conte philosophique (on est un peu chez Voltaire, avec une Candide qui arpente le monde loin de son Pangloss, interprété ici par Willem Dafoe) ; et conte féministe pour notre époque alors qu’il puise dans des racines imaginaires archaïques ; conte qui parle de notre époque en plein XIXe siècle, qui parle du « réarmement démographique » à la con, du désir ou non-désir d’enfants puisque l’histoire s’enclenche par une femme qui se suicide du désespoir d’être enceinte.

Emma Stone est prodigieuse de nuances inventées sous nos yeux mêmes, dans ce rôle d’une femme qui naît à l’âge adulte, donc sans le moindre conditionnement social (truisme : le conditionnement social est plus oppressif pour les femmes que pour les hommes, car c’est aux femmes d’abord que l’on apprend à rester à leur place). Il lui faut tout apprendre innocemment, y compris quoi faire de ses pulsions naturelles et mûres, il lui faut par exemple admettre qu’on n’a pas le droit de se masturber en public ni de frapper les bébés qui pleurent à la table d’à côté. Parce que le film est drôle, en plus d’être beau.

Et puisque comme d’habitude tout à un lien avec tout, voilà qui fait le lien aussi avec le sujet précédent au Fond du Tiroir (cf. ci-dessus) : afin d’introduire un peu de dialectique dans la tête des connards, on pourrait leur donner en exemple cette femme qui n’est pas « pute » ou « pure », mais qui est pute ET pure, et cela en toute innocence. Qui est libre, en fin de compte. Magnifique.

III

Ajout plus personnel (plus personnel encore) :

Un mail tombe dans ma boîte.

Madame, monsieur,
Vous êtes inscrit sur la liste de la réserve citoyenne de l’Education nationale dans l’académie de Grenoble.
Dans la perspective de mettre à jour nos données, je vous remercie de bien vouloir m’informer par retour de mail si vous ne souhaitez pas maintenir votre engagement au sein de ce dispositif.
Bien cordialement,
Pour le chef de division,
Rectorat
1er étage | Bureau 1067 place Bir-Hakeim – 38021 Grenoble Cedex 1
04 76 74 74 94

Ah, oui, c’est vrai, soupiré-je, cette blague-là, la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale. Je suis fasciné par leur usage de la négation, je ne vois que la négation dans cet inespéré signe de vie, comme si elle me sautait à la gorge depuis ma boîte mail : « Je vous remercie de bien vouloir m’informer par retour de mail si vous NE souhaitez PAS maintenir votre engagement au sein de ce dispositif » , et je me demande si par hasard tout ce qu’il faut en retenir ne reposerait pas là, dans une négation.

Je me fends tout de même d’une réponse :

Bonjour
Après les attentats de 2015, il y aura donc bientôt dix ans, c’est avec un sentiment d’urgence que je m’étais inscrit sur cette fameuse liste de la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale : je ne demandais pas mieux que de me rendre utile, immédiatement, dès le lendemain s’il le fallait.Depuis lors, j’attends d’être appelé. Et, faute de preuves tangibles, je me demande si cette Réserve citoyenne de l’Éducation nationale a une existence réelle, au delà de sa « liste » qui en est la surface et la vitrine.Pour répondre à votre question : il va de soi que je ne vois aucun inconvénient à « maintenir mon engagement au sein de ce dispositif » dans la mesure où je suis prêt à intervenir immédiatement, dès demain, s’il le faut, mais que je mesure à quel point mon engagement n’est pas trop contraignant.
Bien cordialement, et bon courage,
Fabrice Vigne

Rediffusion au Fond du Tiroir : le début de la pantalonnade.

Cachez ce sein que je ne saurais etc.

14/12/2023 Aucun commentaire
« Diane et Actéon », de Giuseppe Cesari (ca. 1600-1625). 2004 RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)

J’accueille régulièrement des classes ou d’autres groupes d’enfants, pour leur raconter des histoires – c’est mon métier, un peu, et mon plaisir, beaucoup. C’est sur ce mien terrain que je mesure de plus en plus souvent combien le nouvel obscurantisme religieux gagne du terrain : en plus de réintroduire le concept de blasphème, il ajoute des tabous qui empêchent d’accéder à des pans importants de la culture mondiale, empêchent de penser. Certes, les signaux d’alerte ne datent pas d’hier (rediffusion 2010, bonté divine il y a 13 ans déjà ! au Fond du Tiroir).

La semaine dernière, lorsque j’ai déployé mes contes à un groupe de 4-6 ans du centre de loisirs, au moment où j’ai mentionné un cochon parmi les personnages de l’histoire, l’un des mômes s’est exclamé « Pouahhh un cochon !« , s’est allongé et roulé par terre en criant et en refusant d’écouter un mot de plus.
Incident minuscule ? Incident parmi d’autres. Signal.
Puis, me voici en train de réfléchir à l’une des mes futures animations : dans trois mois il me faudra raconter à des jeunes enfants l’histoire édifiante de Perséphone, jeune fille enlevée et violée par un dieu jaloux, Hadès… Cela n’est pas commode, mais je suis porté par la conviction que les mythes et contes nous aident à penser le monde et ses cruautés, et que c’est même pour cela qu’ils ont été inventés, sans eux on pense plus difficilement, plus mal ou pas du tout… Lorsque soudain, survient le fait divers ci-dessous (je reproduis un article lu dans lemonde.fr), dont vous avez peut-être entendu parler, une autre présentation pédagogique des Métamorphoses d’Ovide qui a très mal tourné dans un collège des Yvelines (l’académie où enseignait Samuel Paty).
Je suis consterné…
Mais the show must go on ! Dans ma version, Perséphone gardera ses vêtements, de toute façon.

« Dans les Yvelines, un collège alerte sur un « point de rupture » après un incident en cours de français« 

Des élèves se sont dits « choqués » par la présence de femmes dénudées sur une œuvre d’art présentée en cours de français. Les professeurs, qui exercent leur droit de retrait depuis vendredi, dénoncent plus largement un climat scolaire dégradé dans l’établissement et un manque de moyens.
Par Eléa Pommiers
Publié le 11 décembre 2023 à 21h36, modifié hier à 08h16


Les alertes du collège Jacques-Cartier d’Issou, dans les Yvelines, sont remontées jusqu’au ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal. Ce dernier s’est rendu, lundi 11 décembre, dans cet établissement d’environ 600 élèves, au sein duquel les professeurs exercent leur droit de retrait depuis vendredi. « Je me suis rendu [dans ce collège] pour affirmer mon soutien aux équipes pédagogique », a déclaré le locataire de la Rue de Grenelle, lundi soir, et pour « réaffirmer » qu’« à l’école française, on ne négocie ni l’autorité de l’enseignant ni l’autorité de nos règles et de nos valeurs ».
Les faits qui ont décidé les enseignants à faire valoir leur droit de retrait se sont produits jeudi 7 décembre à la suite d’un cours de français. L’enseignante y avait présenté à ses élèves de 6e un tableau du XVIIe siècle, Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari, représentant un passage des Métamorphoses d’Ovide lors duquel Actéon surprend la déesse Diane et ses nymphes durant un bain. Plusieurs élèves ont détourné les yeux et se sont dits « choqués » par la présence de cinq femmes dénudées sur cette peinture.
Durant une heure de « vie de classe » organisée plus tard dans la journée, des élèves se sont de nouveau dits « dérangés » auprès de leur professeure principale et ont prétendu que l’enseignante avait tenu des propos racistes et islamophobes – une assertion fausse, assure le rectorat de Versailles. D’après Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du syndicat d’enseignants SNES-FSU, un parent d’élève a également adressé un mail au chef d’établissement affirmant que son enfant n’avait pas pu s’exprimer lors de l’heure de vie de classe, et menaçant le principal d’une plainte.
Dans l’académie où enseignait Samuel Paty, professeur assassiné en octobre 2020 pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet en cours d’histoire, « ces contestations de cours couplées à des mensonges d’élèves ont fait écho chez les enseignants », explique la responsable syndicale. Le principal et son adjoint sont en arrêt maladie à la suite de cet incident. « Les élèves ont retiré leurs propos et se sont excusés vendredi », assure cependant le rectorat de Versailles.L’événement est surtout « la goutte d’eau après plusieurs semaines de climat scolaire dégradé », explique Sophie Vénétitay, faisant notamment état de violences entre élèves et d’un manque de personnel de vie scolaire pour prendre en charge les situations. La conseillère principale d’éducation (CPE) travaille notamment à 80 %, sans que le reste de son poste ne soit assuré.
« Une procédure disciplinaire sera engagée »
Dans un courrier adressé vendredi 8 décembre à la directrice académique des services de l’éducation nationale, que Le Monde a consulté, l’équipe pédagogique du collège déplore « des faits de calomnies, de diffamations, une multiplication et une aggravation des incidents et une atteinte à la laïcité », sans citer spécifiquement l’incident de jeudi.
Selon ce courrier, seize « faits établissements » – le vocable utilisé pour désigner les atteintes aux valeurs de la République, à la sécurité de l’école ou les faits de violences et de harcèlement – ont été signalés au collège depuis le mois de septembre, « contre trois pour l’ensemble de l’année scolaire précédente ».
L’équipe rapporte également « des mises en cause récurrentes et agressives par certaines familles des pratiques pédagogiques et des règles de l’institution ». Dénonçant l’absence de « réponse concrète face à l’urgence » plusieurs fois signalée, elle prévient qu’un « point de rupture a été atteint ».
La directrice académique s’est rendue dans l’établissement, lundi. En début de soirée, Gabriel Attal a fait savoir que des « renforts » étaient prévus pour les équipes de vie scolaire, notamment « un poste de CPE ».
« Une procédure disciplinaire sera engagée à l’endroit des élèves responsables de cette situation », a-t-il ajouté, précisant que les équipes « valeurs de la République » seraient déployées dans ce collège. L’objectif, a conclu le ministre de l’éducation nationale, est désormais le retour du « calme et de l’apaisement » dans l’établissement.
Eléa Pommiers

Auto da fe

14/10/2023 un commentaire
« Autodafé de l’Inquisition » (en espagnol : Auto de fe de la Inquisición), huile sur bois réalisée par Francisco de Goya entre 1812 et 1819.

Faut-il tuer les professeurs de lettres en lycée à coups de couteau ?
Ben non.
Faut-il brûler le Coran ?
Non plus.
Puisqu’il ne faut pas brûler les livres, en général. De même qu’il ne faut pas tuer les gens à coups de couteau, en général.
Encore faut-il savoir pourquoi il convient de ni brûler les livres ni égorger les professeurs.
Il ne faut ni brûler les livres ni égorger les professeurs, parce qu’ils sont détenteurs d’une parole humaine.
Oui, la vraie raison de l’interdit est là, dans l’humanité, pas dans une quelconque divinité : égorger un professeur est un assassinat, mais pas une mission sacrée ; brûler un livre est une imbécilité, mais pas un blasphème.

Préservons les livres parce que les livres sont des paroles d’humains et non parce qu’ils sont la parole de Dieu (alors ça, le coup de la « parole de Dieu », c’est autre chose, ce sont des histoires que les humains se racontent, peu importe qu’elles soient vraies ou fausses, les histoires sont toujours des paroles d’humains, respectables en tant que telles, il ne faut ni les brûler, ni les revendiquer pour brûler autre chose).
Les humains qui parlent sont infiniment précieux, irremplaçables, chacun est unique.
Les livres sont sensiblement moins précieux, puisqu’ils sont imprimés en nombre et donc aisément remplaçables (le nombre de Coran circulant à la surface de la terre est estimé à trois milliards d’exemplaires, la belle affaire si l’un d’eux brûle, c’est juste une imbécilité, rien de bien grave).
Parmi les livres précieux : les dictionnaires d’étymologie.
« Autodafé » , mot qui désigne la destruction par le feu, et par extension l’élimination sacrificielle et en public, que ce soit des humains eux-mêmes ou de leur parole imprimée dans les livres, a été introduit dans la langue française au XVIIe siècle, via le portugais et l’espagnol, et a vécu son âge d’or lors de l’Inquisition espagnole. Sa source est bien sûr latine : actus fidei. Un acte de foi. Car c’est la foi qui pousse à agir. À brûler les livres et à couper les gorges. Dieu nous garde des actes de foi.

Bleu Schtroumpfette

15/08/2023 Aucun commentaire

15 août, fête à la Sainte Vierge, comme on dit foire à la saucisse !

Je suis toujours en promenade à Gênes, ville dont la « reine » est officiellement la Vierge Marie depuis le 25 mars 1637.
Ville où l’on tombe sans cesse nez à nez avec des splendeurs.
Je viens de tomber nez à nez avec une splendeur : une gigantesque fresque terminée en trompe-l’œil, en haut de l’un des escaliers d’honneur du palais des doges.
Son auteur : Domenico Fiasella (1589-1669). Son titre : « La vergine e i santi Giovanni-Battista, Giorgio e Bernardo intercedono presso la Trinità per la salvezza della città di Genova ». La vierge et sa bande de copains intercèdent pour le salut de la ville de Gênes.
Et voilà que, perdu dans la contemplation de cette œuvre, une idée me tombe dessus comme la grâce.
Connaissez-vous le syndrome de la Schtroumpfette ? Conceptualisé par une journaliste américaine dès 1990, popularisé depuis par les féministes, il désigne les œuvres de fictions où l’on peut voir interagir des hommes en grand nombre, chacun étant caractérisé par un profil psychologique singulier et/ou une histoire personnelle (rappelons qu’il existe 100 Schtroumpfs dont un grand-barbu-autocrate, un bricoleur, un costaud, un grognon, un poète, un jardinier, un paresseux, un coquet, un bêta, un musicien…), et une seule femme (la Schtroumpfette). Comme si « être une femme » était l’une des variations possibles parmi tous les profils psychologiques humains, aux côté de « bricoleur », « grognon », « moralisateur », etc.
Vous pouvez vous amuser chez vous à compiler les innombrables récits mythiques, romans ou films souffrant du syndrome de la Schtroumpfette : Atalante est la Schtroumpfette des Argonautes, Débora est la Schtroumpfette des juges d’israël, He Xian-gu est la Schtroumpfette des Huit Immortels taoïstes, Jeanne d’Arc est la Schtroumpfette de la Guerre de cent ans, la Castafiore est la Schtroumpfette de Tintin, Cinnamon Carter est la Schtroumpfette de la Impossible Mission Force, Julia Roberts est la Schtroumpfette des Ocean’s Eleven
Dans le monde réel et le domaine des arts, aussi : Berthe Morisot est la Schtroumpfette des impressionnistes, Georges Sand la Schtroumpfette des romantiques, Michèle Métail la Schtroumpfette de l’OuLiPo, Agnès Varda la Schtroumpfette de la Nouvelle Vague (alors qu’elle a commencé bien avant tous ces messieurs : La Pointe Courte, 1955), Nathalie Sarraute la Schtroumpfette du Nouveau Roman (idem : Tropismes, 1939), Niki de Saint Phalle la Schtroumpfette du Nouveau Réalisme, Michèle Bernstein la Schtroumpfette de l’Internationale Situationniste, Bretécher la Schtroumpfette de Pilote puis de l’Echo des Savanes, etc.

Mais voilà qu’ici, soudain, en plein escalier génois je suis foudroyé par le syndrome de la Schtroumpfette dégorgé par la sublime fresque sous mes yeux.
Que des mecs dans cette histoire racontée en image, à commencer bien sûr par l’indéboulonnable trinité patriarcale au centre (le père grand-barbu-autocrate, le fils, et le saint pigeon), puis aux quatre coins le copain de la famille (Jean-Baptiste), le héros tueur de dragons (Saint Georges), le régulateur des moines pour faire perdurer l’œuvre de Dieu sur terre (Saint Bernard)… et enfin, dans un coin, UNE femme, c’est-à-dire LA femme, la maman vierge. Qui est pure, qui nourrit, aime et pleure, enfin qui fait ce que font les femmes, quoi.
Il faut se rendre à l’évidence : la mythologie chrétienne a inventé le syndrome de la Schtroumpfette des siècles avant Peyo et Delporte.
D’ailleurs… Maintenant que j’y pense… Le fameux « bleu marial »… Il faudrait vérifier sur un nuancier Pantone… mais… Il ne vous rappelle pas quelque chose ? Cette silhouette toute bleue qui se marie très bien avec une coiffe blanche ?

Pour fêter cette découverte et le 15 août, le Fond du Tiroir (re)publie une enquête extensive sur ce personnage mythologique toxique entre tous ! Le culte de la vierge Marie, de la sainte maman, est, pour toutes les femmes, une assignation, dangereuse et impossible (soyez mères, mais de préférence sans rapport sexuel).
Pour se dépêtrer un peu de cette folie multimillénaire, décortiquons le motif imaginaire de la vierge enceinte miraculeuse.

Et bonne fête à toutes.

9 décembre

09/12/2022 un commentaire

Le 9 décembre a été choisi comme Jour de la laïcité car il est la date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Il existe comme on sait des jours de ceci, des jours de cela, d’ailleurs dans 12 jours, le 21 décembre sera marqué non seulement par le solstice mais par le Jour de l’orgasme. Faites l’amour, pas la guerre de religion.

(Pour en lire plus long c’est par ici.)

Pour fêter l’anniversaire de cette invention géniale – je parle de la laïcité, pas de l’orgasme (rappelons que les trois plus grandes inventions françaises sont, dans le désordre, le cinéma, la baguette et la laïcité), je rediffuse ci-dessous l’indispensable pense-bête universel. Peut-être que je le rediffuserai tous les ans à la même date. Ou peut-être tous les jours.

Pense-bête

Âge de l’univers : 13,7 milliards d’années
Âge du soleil : 4,603 milliards d’années
Âge de la terre : 4,543 milliards d’années
Âge de la vie sur terre : 4,1 milliard d’années (micro-organismes fossiles)
Âge de LUCA (Last Universal Common Ancestor), organisme vivant complexe multicellulaire : 3,3 à 3,8 milliards d’années
Âge des premiers animaux marins : 700 millions d’années (vers, méduses, éponges de mer)
Âge des premiers poissons : 450 millions d’années
Âge des premiers animaux amphibiens (qui sortent de l’eau) : 350 millions d’années
Âge des premiers reptiles (ancêtres des dinosaures) : 300 millions d’années
Règne des dinosaures (Mésozoïque) : 252 millions d’années
Âge des premiers mammifères : 200 millions d’années
Disparition des dinosaures (fin du Mésozoïque) : 66 millions d’années
Âge des premiers hominidés : 7 millions d’années
Australopithèques (Lucy) : 4,2 millions d’années
Âge des premiers outils (cf., pour en avoir une interprétation artistique, le prologue de 2001 : l’Odyssée de l’espace) : 3,3 millions d’années
Homo habilis : 2,3 millions d’années
Invention du feu : 1,5 million d’années
Homo Erectus : 1 million d’année
Ancêtre commun des Sapiens et des Neandertal : – 660 000 ans
Perfectionnements technologiques (pierre, bois…) : au minimum – 476 000 ans
Apparition d’Homo Sapiens en Afrique : à partir de – 300 000 ans
Premières sépultures, donc peut-être premières religions : entre – 200 000 et – 100 000 ans
Dispersion et migrations d’Homo Sapiens dans le monde entier : entre – 70 0000 et – 20 000 ans
Homo Sapiens attesté en Europe (Italie, Bulgarie et Grande-Bretagne pour les plus anciens ossements) : – 45 à – 43 000 ans
Peintures de la grotte Chauvet : – 33 000 ans
Disparition des derniers Neandertal (Sapiens demeure le seul hominien) : – 30 000 ans
Peintures de Lascaux : – 18 000 ans
Fin de la préhistoire/début de l’histoire (révolution néolithique, invention de l’écriture, de l’agriculture, de l’élevage, de la métallurgie, des villes, du pouvoir politique central, de l’économie de production, de la guerre, etc.) : entre – 10 000 et – 4000 ans selon les parties du monde

Épilogue comique :
Alors le monothéisme vint !
Premier monothéisme connu (du moins après la tentative singulière, brève, discutable et opportuniste du pharaon Akhenaton, milieu du XIVe siècle avant JC) : Zoroastrisme, 660 avant JC, soit il y a environ 2700 ans. Les autres ont suivi dans la foulée, judaïsme, christianisme, islam, tous ont promis l’immortalité de l’âme au premier venu et en ont profité pour mettre enfin un peu de de rigueur dogmatique dans l’histoire trop compliquée et fastidieuse de l’univers.
Âge de la terre selon la Bible : 6000 ans (ha ha hi hi)
Durée de vie du monde selon l’islam (d’après certains hadiths du Prophète) : 7000 ans (ho ho hé hé)
James Ussher, un gars sérieux puisque pasteur anglican, docteur à l’âge de 28 ans, historien en plus d’être théologien et soucieux de réconcilier ses deux disciplines, a épluché la Bible paragraphe après paragraphe pour dresser une chronologie exhaustive et définitive. C’est ainsi qu’en 1658 il a établi que l’instant zéro avait eu lieu au soir du 28 octobre 4004 av. J. -C. (hou hou hou stop j’en peux plus c’est trop, ouye les crampes dans les côtes, quel dommage que le gars n’ait pas aussi précisé l’heure et la minute).

Rappel : le concordisme est l’ennemi de l’honnête homme.
Le savoir et la foi, l’un toujours provisoire et en cours d’amendement, l’autre prétendant à l’éternité et à l’immuabilité, sont deux manières de penser inconciliables – apprendre, expérimenter, vérifier, confronter versus croire tout rond. Les mélanger expose au ridicule. Les tenir éloignés l’un de l’autre est le projet même de la laïcité, pas le moins du monde ringard. Confondre les livres dits saints avec des manuels d’histoire au lieu d’en faire, comme Borgès, « une branche de la littérature fantastique » rend idiot.

Quand j’étais petit je regardais tous les soirs le générique du dessin animé Il était une fois l’homme, qui en une minute récapitulait à merveille le pense-bête énoncé ci-dessus mais qui à notre époque serait sans doute polémique voire cancélé (une personne fort proche de moi me fait remarquer, et j’avoue que cela m’avait échappé, qu’il s’agissait visiblement d’Il était une fois l’homme blanc), passerait pour une dangereuse propagande propre à froisser les convictions intimes de certaines populations. Dommage, on y entendait du Bach, ce qui est très bon pour la santé.

Comment expliquer la laïcité aux enfants ? (comment expliquer N’IMPORTE QUOI aux enfants, d’ailleurs ?) Le Fond du Tiroir vous délivre un truc inusable : il suffit de prélever une fable de La Fontaine.

Examinons aujourd’hui, si vous le voulez bien chers enfants, Le statuaire et la statue de Jupiter, Livre IX, fable 6 :

Un bloc de marbre était si beau
Qu’un Statuaire en fit l’emplette.
Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

Il sera Dieu : même je veux
Qu’il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains. Faites des vœux !
Voilà le maître de la terre.

L’artisan exprima si bien
Le caractère de l’Idole,
Qu’on trouva qu’il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l’on dit que l’Ouvrier
Eut à peine achevé l’image,
Qu’on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la faiblesse du Sculpteur
Le Poète autrefois n’en dut guère,
Des Dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine et la colère.

Il était enfant en ceci :
Les enfants n’ont l’âme occupée
Que du continuel souci
Qu’on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l’esprit :
De cette source est descendue
L’erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassaient violemment
Les intérêts de leur chimère.
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu’il peut, ses propres songes :
L’homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges.

(illustration Grandville)

Romain Gary, Émile Ajar et leurs enfants

28/11/2022 Aucun commentaire

Voici un an et demi, je déclarai ma flamme à Delphine Horvilleur. Madame la rabbine venait de publier un essai, Vivre avec nos morts, et tenait à cette occasion des propos brillants sur les liens entre la religion et l’imaginaire, propos que j’aurais pu ou voulu tenir, mais qu’elle prononçait en plus simple, en plus spirituel, en plus beau et même en plus drôle. À quoi bon écrire, n’est-ce pas, quand ce qu’on lit est meilleur que ce qu’on aimerait écrire.

En gros, elle faisait le meilleur usage possible de la religion : la pensée plutôt que le réflexe conditionné ; la recherche plutôt que le dogme ; la mise à profit (la mise en pratique) de la connaissance plutôt que la pure répétition de gestes et de paroles archaïques ; les questions plutôt que les réponses toutes faites. Une ouverture plutôt qu’une fermeture, etc. La vie plutôt que la mort, tout bonnement.

Depuis, je lis ses livres et m’en trouve fort bien. Son dernier ouvrage est bref mais d’une densité adamantine : Il n’y a pas de Ajar – Monologue contre l’identité. Le sous-titre est aussi important que le titre. Il y sera donc question de littérature et de politique – car si Mme Horvilleur parle en tant que sommité religieuse, c’est en assumant que la religion est de la littérature d’une part, de la politique d’autre part.

Comme quiconque a essayé le sait, il est assez difficile d’être un écrivain. Romain Gary en était deux, puisqu’il était aussi Émile Ajar. Delphine Horvilleur en fait une affaire personnelle, comme moi-même et tant d’autres :

Depuis des années, je lis l’œuvre de Gary/Ajar, convaincue qu’elle détient un message subliminal qui ne s’adresse qu’à moi. Je ne cesse d’y chercher une clef d’accès à ma vie, un passe-partout, qu’un jour un homme aux multiples identités a déposé.
Le pire est que je ne suis pas seule. J’ai croisé bien des êtres qui souffrent d’une pathologie similaire, et considèrent que l’entreprise littéraire de Romain Gary, sa réinvention de lui-même, les raconte, ou dit quelque chose de ce qu’ils aspirent à faire. Tous ont en commun de croire que cet homme est venu raconter un peu leur histoire, et que ses textes en disent davantage sur eux, lecteurs, que sur lui, auteur.
Si je devais tenter de définir ce qui relie les passionnés de Romain Gary que j’ai pu rencontrer, je dirais qu’il y a en eux une profonde mélancolie, très exactement proportionnelle à leur passion de vivre. Une volonté farouche de redonner à la vie la puissance des promesses qu’elle a faites un jour, et qu’elle peine à tenir. L’œuvre de Gary/Ajar est le livre de chevet des gens qui ne sont pas prêts à se résoudre au rétrécissement de l’existence ni à celui du langage, mais qui croient qu’il est donné de réinventer l’un comme l’autre. Ne jamais finir de dire ou de « se » dire. Refuser qu’un texte ou un homme ait définitivement été compris. Et croire dur comme fer qu’il pourra toujours faire l’objet d’un malentendu.

Évidemment elle parle ici de moi, puisque je suis lecteur de Gary. L’astuce était là sous nos yeux, comme une lettre volée, cachée en évidence sur un bureau : le pseudonyme de Gary masque son auteur mais révèle son lecteur.

La tradition talmudique offre sa contribution au débat : Ah’ar signifie l’Autre, apprend-on, et bien avant Gary ce fut le pseudo choisi par un personnage bien connu de la littérature rabbinique, Elisha Ben Abouya – le seul devenu célèbre dans le Talmud sous un autre nom que le sien, précise Horvilleur. Mais il y a plus sensationnel encore et l’exégèse est une source de joie potentiellement infinie. Si Ajar veut dire l’autre, que veut dire en hébreux Gary, pseudonyme originel, masque sous le masque, puisque, rappelons-le, Romain Gary est né Roman Kacew ? Selon Horvilleur, Gary signifie quelque chose comme « mon étranger » ou « l’étranger en moi » !

Ensuite (nous ne sommes qu’à la page 20), la fiction peut démarrer, le romanesque, le palimpseste, l’histoire qui s’ajoute aux histoires. Imaginons : Delphine soliloque sous l’avatar du fils d’Émile, rejeton de l’auteur qui n’existe pas, un certain Abraham Ajar, créature engendrée par une fiction (mais qui d’entre nous ne l’est pas ?)… Et elle s’en vient dialoguer avec Romain Gary la nuit de son suicide, le 2 décembre 1980, à son domicile rue du Bac, avant qu’il ne se tire une balle de Smith & Wesson dans la bouche mais après qu’il a soigneusement préparé la révélation posthume de sa géniale et fatale supercherie, Vie et mort d’Émile Ajar… Fiction délirante bien sûr, sous influence du dernier roman d’Ajar, le plus bizarre, le plus dissocié comme disent les psys, Pseudo.

Enfin, après la tradition religieuse, la littérature, l’autobiographie et l’imagination, s’immisce la politique. On sait depuis Amin Maalouf que les identités sont meurtrières. Pour Horvilleur elles sont en outre dégoûtantes.

À travers Ajar, Gary a réussi à dire qu’il existe, pour chaque être, un au-delà de soi ; une possibilité de refuser cette chose à laquelle on donne aujourd’hui un nom vraiment dégoûtant : l’identité.

Ainsi, il en est de la revendication identitaire comme de la revendication religieuse, qui sont deux tares de notre époque : si on questionne l’identité, si on joue avec elle, si on la fictionnalise, alors on avance sur un chemin difficile, contrasté mais gratifiant ; si on se contente de la clamer bruyamment sous la forme d’une violente auto-assignation (un auto-racisme), on devient toujours dingue, et souvent méchant.

Pense-bête

03/10/2022 Aucun commentaire
Première page de la traduction anglaise de la chronologie universelle de James Ussher (vers 1658)

Âge de l’univers : 13,7 milliards d’années
Âge du soleil : 4,603 milliards d’années
Âge de la terre : 4,543 milliards d’années
Âge de la vie sur terre : 4,1 milliard d’années (micro-organismes fossiles)
Âge de LUCA (Last Universal Common Ancestor), organisme vivant complexe multicellulaire : 3,3 à 3,8 milliards d’années
Âge des premiers animaux marins : 700 millions d’années (vers, méduses, éponges de mer)
Âge des premiers poissons : 450 millions d’années
Âge des premiers animaux amphibiens (qui sortent de l’eau) : 350 millions d’années
Âge des premiers reptiles (ancêtres des dinosaures) : 300 millions d’années
Règne des dinosaures (Mésozoïque) : 252 millions d’années
Âge des premiers mammifères : 200 millions d’années
Disparition des dinosaures (fin du Mésozoïque) : 66 millions d’années
Âge des premiers hominidés : 7 millions d’années
Australopithèques (Lucy) : 4,2 millions d’années
Âge des premiers outils (cf., pour en avoir une interprétation artistique, le prologue de 2001 : l’Odyssée de l’espace) : 3,3 millions d’années
Homo habilis : 2,3 millions d’années
Invention du feu : 1,5 million d’années
Homo Erectus : 1 million d’année
Ancêtre commun des Sapiens et des Neandertal : – 660 000 ans
Perfectionnements technologiques (pierre, bois…) : au minimum – 476 000 ans
Apparition d’Homo Sapiens en Afrique : à partir de – 300 000 ans
Premières sépultures, donc peut-être premières religions : entre – 200 000 et – 100 000 ans
Dispersion et migrations d’Homo Sapiens dans le monde entier : entre – 70 0000 et – 20 000 ans
Homo Sapiens attesté en Europe (Italie, Bulgarie et Grande-Bretagne pour les plus anciens ossements) : – 45 à – 43 000 ans
Peintures de la grotte Chauvet : – 33 000 ans
Disparition des derniers Neandertal (Sapiens demeure le seul hominien) : – 30 000 ans
Peintures de Lascaux : – 18 000 ans
Fin de la préhistoire/début de l’histoire (révolution néolithique, invention de l’écriture, de l’agriculture, de l’élevage, de la métallurgie, des villes, du pouvoir politique central, de l’économie de production, de la guerre, etc.) : entre – 10 000 et – 4000 ans selon les parties du monde

Bonus pour rire :

Alors le monothéisme vint !
Premier monothéisme connu (du moins après la tentative singulière, brève, discutable et opportuniste du pharaon Akhenaton, milieu du XIVe siècle avant JC) : Zoroastrisme, 660 avant JC, soit il y a environ 2700 ans. Les autres ont suivi dans la foulée, judaïsme, christianisme, islam, tous ont promis l’immortalité de l’âme au premier venu et en ont profité pour mettre enfin un peu de de rigueur dogmatique dans l’histoire trop compliquée et fastidieuse de l’univers.
Âge de la terre selon la Bible : 6000 ans (ha ha hi hi)
Durée de vie du monde selon l’islam (d’après certains hadiths du Prophète) : 7000 ans (ho ho hé hé)
James Ussher, un gars sérieux puisque pasteur anglican, docteur à l’âge de 28 ans, historien en plus d’être théologien et soucieux de réconcilier ses deux disciplines, a épluché la Bible paragraphe après paragraphe pour dresser une chronologie exhaustive et définitive. C’est ainsi qu’en 1658 il a établi que l’instant zéro avait eu lieu au soir du 28 octobre 4004 av. J. -C. (hou hou hou stop j’en peux plus c’est trop, ouye les crampes dans les côtes, quel dommage que le gars n’ait pas aussi précisé l’heure et la minute).

Rappel : le concordisme est l’ennemi de l’honnête homme.
Le savoir et la foi, l’un toujours provisoire et en cours d’amendement, l’autre prétendant à l’éternité et à l’immuabilité, sont deux manières de penser inconciliables. Les mélanger expose au ridicule. Les tenir éloignés l’un de l’autre est le projet même de la laïcité, pas le moins du monde ringard.

Quand j’étais petit je regardais tous les soirs ce générique, qui à notre époque serait sans doute polémique voire cancélé tant il passerait pour une dangereuse propagande propre à froisser les convictions intimes de certaines populations. Dommage, on y entendait du Bach, ce qui est très bon pour la santé.