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En direct du collège Aimé-Césaire

19/11/2020 Aucun commentaire
Aimé Césaire (1913-2008)
Quelques vers de Césaire, issus du poème « Calendrier lagunaire » propres à réconforter tous les confinés :
« j’habite une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées
 »

Voulez-vous une histoire de train arrivé à l’heure ?

Étonnamment, tout n’est pas mort, covidé, confiné, annulé, reporté, enterré. Des choses adviennent, continuent d’advenir. J’avais de longue date rendez-vous avec une classe de 6e du collège Aimé-Césaire dans un quartier de Grenoble à mauvaise réputation et qui fait peur aux cons.

Non seulement la rencontre a eu lieu ce matin, mais elle était formidable. Nous allons écrire ensemble, façon Fatale Spirale. Ils sont bien, ces petits.

Pour cette séance inaugurale, ils m’ont bombardé de questions classiques (D’où vous est venue l’idée, À quel âge avez-vous voulu être écrivain, Quel est votre livre préféré etc.) puis plus difficiles, inédites, de celles qui obligent à réfléchir.

« Dans Fatale Spirale, quel est le mot que vouliez faire passer ? »

Le garçon à ma gauche avait bien dit le mot, pas le message. Comme si toute la manœuvre avait eu pour objectif de suggérer au lecteur UN mot. Je réponds au premier degré à toutes les questions que l’on me pose, c’est un principe, je les prends au sérieux. Par conséquent j’ai réfléchi à ce fameux mot unique que j’ai voulu faire passer.

« Fatale Spirale repose sur l’ironie. L’ironie consiste à dire le contraire de ce que l’on pense et à miser sur l’intelligence du lecteur, qui retournera de lui-même le sens de la phrase sans qu’on ait besoin de lui expliquer. Vous êtes des lecteurs intelligents puisque vous avez compris Fatale Spirale à l’envers. Selon ce principe, je suppose que le mot que je voulais faire passer était le contraire de celui du titre, le contraire du mot qu’on lit en premier. « Fatal. » Ce qui est fatal c’est ce qui est joué d’avance, c’est le destin, c’est l’horizon obligatoire imposé par « la société » ou par une quelconque force surnaturelle, on dit « C’est la fatalité » ou « C’est comme ça » ou « On n’a pas le choix » ou « Dieu l’a voulu » on soupire et on se résigne. Mais ce serait quoi, le contraire de la fatalité ? La responsabilité, je crois. Refuser le destin, inventer autre chose, objecter, et surtout prendre conscience que l’objection est possible, qu’elle est de notre ressort. Le mot que je voulais faire passer est la responsabilité. Il vous va, ce mot ? »

Il leur allait. J’adore les rencontres scolaires. J’adore former les petits anarchistes de demain. (Si j’avais eu plus de temps je leur aurais causé de La Boétie, tiens.)

Et enfin, juste avant la conclusion est tombée une surprise, une bizarrerie, une météorite, le genre de question à laquelle on ne sera jamais préparé.

« Quelle a été votre expérience la plus forte ? »

Je suis resté bouche bée sous mon masque. Que répondre à cela ? Que répondriez-vous ? Comment même comprendre ces mots ? Expérience forte de quoi ? De lecture, d’écriture, de vie, de voyage, de mystique ? De vin, de poésie ou de vertu ? Qui suis-je pour leur parler de ce qu’est une expérience forte ?

J’étais silencieux depuis quatre, cinq, six, sept secondes, c’était beaucoup trop long, il fallait coûte que coûte que je parle alors j’ai parlé.

J’ai répondu : « L’amour » . Encore une ou deux secondes de silence perplexe. Je me suis senti obligé d’ajouter avec un geste vague : « Oui, bon, vous comprendrez plus tard » .

Si vous trouvez mon anecdote cu-cul je ne vous parle plus-plus.

(À propos d’amour, le jour de la parution de Fatale Spirale, le 7 janvier 2015, je publiai sur mon blog une photo prise par Patrick Reboud, j’étais de bonne humeur. Deux heures plus tard j’apprenais que deux terroristes avaient décimé l’équipe de Charlie Hebdo.)

Une journée pour la non-violence

09/10/2015 un commentaire

peacemaker

L’amusant court métrage The Centrifuge Brain Project de Till Nowak est un faux documentaire dans lequel un vieil ingénieur énumère les différents manèges forains qu’il a conçus au fil des années, de plus en plus énormes, extravagants, rapides, dangereux, vomitifs, parce qu’il avait dans l’idée de secouer les cobayes payants, et tenter de changer leur perception du monde. Serrez-les bien, mesdemoiselles ! Confronté aux échecs, voire aux catastrophes courues d’avance, que ces machines infernales ont provoquées, l’ingénieur répond, le regard perdu dans le lointain : « Je ne parlerai pas pour autant d’erreurs. Il ne s’agissait pas d’erreurs. L’erreur vient plutôt de la nature. La gravité est une erreur. Nous nous battons contre les forces qui nous retiennent au sol et la vie tout entière est un effort pour échapper à la réalité. »

Comme elle résonne, la morale sarcastique de cette fable ! Tous les idéalistes, et je crains de me compter parmi ceux-ci, sont un jour où l’autre blessés par le réel. S’ils en concluent que c’est le réel qui se trompe, l’idéalisme devient une pathologie. Et j’espère ne pas me compter parmi ceux-là.

Je suis un idéaliste : je crois que le « vivre ensemble » est désirable, et merde à ceux qui le réfutent parce qu’ils daubent le politiquement-correct suintant de cette valeur molle et lénifiante. Qu’avez-vous de mieux à proposer ? L’alternative à vivre ensemble, ce serait quoi ? Mourir ensemble, comme disait Martin Luther King ? Voire mourir seul, comme il est dit dans Lost ainsi que dans les paroles anglaises de l’Internationale (We’ll live together or we’ll die alone).

Je suis un idéaliste : je crois préférable à toute poussée de violence, sinon de faire des petits bisous à son voisin à longueur de journée, du moins de le tolérer patiemment. Aussi, certains, jours je suis giflé par la réalité. Des jours où certains de mes semblables estiment que leurs voisins méritent la mort. Des jours comme celui-ci. Ou alors comme le 28 septembre 2012, quand deux jeunes ont été lynchés non loin de chez moi. Ce double meurtre a causé un tel choc dans le quartier et dans la région qu’une marche blanche a été organisée quatre jours plus tard, 2 octobre. Un kilomètre de cortège, 15000 individus silencieux, tristes, graves, dignes, déterminés, qui marchent. Allez leur expliquer qu’ils sont politiquement-corrects. Ou catholiques zombies, tant que vous y êtes. Depuis, chaque année, cette date du 2 octobre, qui par hasard est également l’anniversaire de Gandhi, est devenue ici Journée d’action pour la non-violence.

Je suis un idéaliste : lorsqu’un ami poète a mobilisé son carnet d’adresses pour envoyer, le 2 octobre, le plus grand nombre d’artistes dans les écoles, les collèges, les lycées, pour prêcher la non-violence, j’ai immédiatement répondu présent. Bénévolement, bien sûr. Là encore, qu’opposer de mieux à cet idéalisme naïf qu’est le bénévolat, la bienveillance, bene-volens, je veux du bien. Je suis un idéaliste.

M’ont donc été attribuées, le 2 octobre 2015, deux rencontres en collège. Le collège grenoblois sélectionné pour moi réveillait un souvenir : il avait défrayé la chronique en 2013 parce qu’un parent d’élève avait agressé la principale, l’avait envoyée à l’hôpital. Son adresse ? Très facile à repérer sur la carte : le collège se trouve dans l’avenue qui porte, en hommage, le nom du proviseur du lycée voisin, assassiné à l’arme blanche par un élève, en 1983. Ah ah ah. Bonjour l’ambiance. Salut les jeunes, j’arrive. Ça va, sinon ?

Les deux rencontres ont été très riches, et très différentes. J’ai mesuré une chose qui n’a pas changé depuis ma propre traversée du collège, c’est plutôt rassurant les invariants pendant les périodes chaotiques : entre les 5e et les 3e se trouve une frontière invisible. Les 5e sont des enfants, encore un peu ingénus, spontanés et tromignons (l’un d’eux m’a même offert un joli dessin, une étagère avec cinq livres posés dessus, bel effort de perspective cavalière) ; les 3e sont des adolescents, plus durs, plus cyniques, plus bouillonnants et contradictoires, plus avides aussi, de contact et d’épreuves. À tous, j’ai causé de violence. De non-violence. De Kevin et Sofiane, de Gandhi, et de Fatale spirale. De religion aussi, ça en revanche c’est nouveau par rapport à ma génération, donc un peu plus compliqué à penser, la place stupéfiante que la religion prend dans le crâne de ces mômes.

À toutes les questions j’ai répondu du mieux que j’ai pu, aux plus convenues (comment avez-vous choisi votre métier d’écrivain, c’est lequel votre livre préféré, combien vous gagnez, quoi vous touchez seulement 43 centimes par livre mais c’est dégueulasse) comme à celles qui fonçaient tête la première dans le vif du sujet, les plus abruptes évidemment. Croyez-vous à la paix ? Devant celle-ci, j’ai laissé flotté quelques secondes de silence. Non par effet oratoire, mais parce que je ne savais vraiment pas quoi répondre. J’aimerais vous y voir. J’ai fini par biaiser qu’en tout cas, la paix n’était possible que si l’on y croyait, et j’ai cité Gramsci (oui, Gramsci à l’attention des 5e, mets-toi ça de côté mon gars ça pourra resservir) : « le pessimisme de l’intelligence contre l’optimisme de la volonté » .

Une autre question, encore plus difficile, m’a laissé knock-out pour le compte. Aimeriez-vous revivre votre enfance ? D’où elle tombe celle-ci. On ne me l’avait jamais posée, je ne me l’étais jamais posée, je la trouvais excellente, j’énumérais à toute vitesse les pour et les contre, bref c’était trop. Je me suis lâchement déballonné, désolé mon gars mais il me faudrait deux heures de plus et la sonnerie va retentir dans deux minutes. Ce n’est que plus tard, dans l’escalier, que j’ai trouvé, sinon la réponse, du moins la pirouette adéquate : je crois qu’à tout prendre je préfèrerais revivre l’enfance de quelqu’un d’autre. Ensuite nous sommes revenus dans la thématique.

Violence, pas violence, est-ce que vous seriez prêt à, jusqu’où iriez-vous pour, quel est le rapport au. Une fille me provoque : il n’est pas du tout réaliste, votre livre. Okay, donc tu l’as compris. Une autre me demande : c’est quoi votre passage préféré dans Fatale spirale ? J’empoigne, je feuillette, je me racle la gorge, je lis :

Les scènes les plus ahurissantes devenaient monnaie courante, comme lorsque cette dame âgée, noire, musulmane, hétérosexuelle, aisée, obsédée par son surpoids, ayant voté conservateur toute sa vie, collectionneuse de boules de neige souvenirs, est tombée dans les bras de cet adolescent homosexuel, de famille ouvrière, père absent et mère chômeuse, fan de musique métal hardcore, usant de stupéfiants, attiré par l’anarchisme et les dogmes bouddhistes. Les deux pleuraient d’émotion en découvrant qu’ils avaient, en fin de compte, tant de choses en commun.

La fille s’indigne : Mais… Ils n’ont rien en commun. Je réponds : ce qu’ils ont en commun est innombrable. Deux bras, deux jambes, un cœur, un cerveau, un estomac, un sexe, un langage, des parents… Tous les deux tons mourir… Un garçon prend le relai : Oui mais monsieur, ils sont carrément pas possibles vos personnages. Pourquoi pas possibles ? Ben parce que, métaleux bouddhiste homosexuel, ça n’existe pas ensemble. Mais pourquoi pas ? Ben, passeque déjà… homosexuel, c’est interdit par la religion.

Allons, bon. Je me retrousse les manches de la tête. Je tente de démontrer que l’homosexualité est présente dans la nature, chez 1500 espèces animales dont la nôtre. Que la proportion d’homos est sensiblement constante dans les populations humaines, qu’elles soient bouddhistes ou métaleuses. Et que les religieux ont bonne mine, à vouloir interdire quoi que ce soit à la nature. Ils peuvent aussi interdire aux feuilles de tomber à l’automne, pour voir (le religieux : en voilà un beau spécimen, d’idéaliste pathologique). Je leur glisse alors un petit Spinoza (oh ben oui, Spinoza c’est niveau 3e facile), avec ma citation préférée : « Dieu, autrement dit, la Nature… » .

Un autre garçon : est-ce que vous êtes Charlie ? Franco, but en blanc, inévitable. J’explique que je fais quelque chose de vachement mieux qu’être Charlie, que les revendications identitaires nous pourrissent l’air ambiant(1) : je lis Charlie. C’est très intéressant, Charlie. C’est très intéressant en général, lire. Lire Charlie plutôt que de dire « je suis Charlie », lire Le Coran plutôt que de dire « Je suis musulman ». Lire les deux, comprendre. Et là, on reparle des attentats. La religion revient au galop, une fille dit : Les frères Kouachi, ce ne sont pas des musulmans. Je comprends qu’elle n’a pas envie d’avoir quoi que ce soit en commun avec eux. Mais je lui dis : Bien sûr que si, ce sont des musulmans. Le réel est suffisamment compliqué, si on se met à le nier, il devient incompréhensible (je ne suis pas si idéaliste que ça, finalement). Les frères Kouachi sont musulmans, ce n’est pas pour ça qu’il faut tracer l’équation musulman = assassin décérébré, mais il te faut admettre que tu as quelque chose en commun avec eux. Tout comme moi, d’ailleurs. Et c’est reparti : deux bras, deux jambes, un cœur, un cerveau, un estomac, un sexe, un langage, des parents, nous mourrons tous un jour…

Quelques moments amusants aussi, et quelques malentendus : Monsieur, vous n’avez pas envie de vous révolter ? Ah mais si bien sûr tutafé, le monde est révoltant, sens-dessus-dessous, treize motifs à la douzaine, d’ailleurs j’écris pour exprimer une révolte, les révoltes on peut en faire des livres pour propager… Ah non mais non Monsieur, c’est pas ça du tout que je voulais dire. Vous n’avez pas envie de vous révolter, pour les 43 centimes ?

Comme on dit : ça, c’est fait. Une journée contre la violence. Que faire les 364 autres ?

Quelques jours plus tard : hier. Je traverse la ville à pied. Place Verdun, à quelques mètres de moi, un groupe s’anime sur le trottoir, des étudiants on dirait, des sacs à dos, parmi lesquels deux jeunes hommes s’engueulent. L’un des deux est particulièrement excité, parle fort : « Tu vas arrêter de faire le con s’il te plaît ? ». Je le vois trembler, son torse, son cou, ses membres s’agitent comme s’ils hésitaient, indépendamment du cerveau, j’y vais j’y vais pas. Je perçois que nous sommes pile à la seconde fatale, celle qui précède l’agression. J’ouvre grand les yeux. L’agression a lieu : le jeune homme bondit sur son interlocuteur, ses écouteurs en tombent de ses oreilles, la main gauche agrippe au col et le poing droit percute la tempe. L’autre recule, se protège, lève un genou. Leurs amis les ceinturent, les séparent. Je passe mon chemin, en me répétant à voix basse cette phrase bizarre, Tu vas arrêter de faire le con s’il te plaît, l’incongruité de la politesse comme ultime parole avant le coup porté.

(1) – Chaque fois que nous affirmons une part de nous-mêmes, nous en nions une autre. Octavio Paz

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Moi, président ?

07/05/2015 Aucun commentaire

Le Fond du tiroir hors les murs : la chronique ci-dessous, faux dialogue remixant d’authentiques paroles échangées avec mon camarade Christophe Sacchettini, a été écrite pour la newsletter mai-juin 2015 de Mustradem. Elle n’y apparaîtra pas forcément in extenso, faute de place. Tandis que dans un tiroir, la place ne manque jamais. Retenez au moins l’actualité brûlante qui en émerge : rendez-vous à la Villeneuve de Grenoble ce samedi à partir de 11h30, pour une lecture de Fatale Spirale, texte inspiré par cet endroit même. Fête ‘n’ musique ‘n’ pique-nique, aux bons soins de l’association Sasfé.

Moi, président ?

– Président ? Président de quoi ?
– De Mustradem, pardi. Mustra, en plus d’être un collectif d’artistes, un label de musique, un éditeur, un entrepreneur de spectacles, une structure de formation, un fomenteur de bals… est une association loi 1901. Il lui faut impérativement un président.
– Elle n’en a pas déjà un ?
– Si fait, mais notre Mariette à nous, présidente historique et chérie depuis l’origine, « a fait valoir ses droits à la retraite », comme on dit dans d’autres milieux.
– Aussi sec vous me proposez le job.
– C’est ça.
– Drôle d’idée.
– Pourquoi pas ? Tu nous connais et nous te connaissons, tu nous aimes et nous t’aimons, pour autant tu n’es pas tout à fait des nôtres. Tu es compagnon de route sans être partie prenante. Tu es là mais ailleurs. On en déduit que tu es peut-être pile à la bonne place pour présider.
– Ça consiste en quoi, présider ? C’est que je ne suis pas du tout un homme de pouvoir, moi…
– Oh, t’inquiète pas pour ça, du pouvoir tu n’en auras pas beaucoup. Mais il faut que tu sois là. Que tu signes les contrats. Que tu nous représentes. Que tu nous écoutes, que tu donnes ton avis, que tu n’hésites pas à dire « Vous déconnez les gars, bande de têtes de mules, on va pas revenir là-dessus alors qu’on a réglé cette question au début du conseil d’administration il y a six heures et demie », tu vois ? Ce genre de choses. Président, quoi.
– Que je me mêle de ce qui vous regarde. Par exemple… C’est quoi, là, sur ton écran ?
– Alors justement, ça c’est le nouveau logo. Nouvelle époque, nouveau président, nouveau logo… Tu en penses quelque chose ? On ne l’a pas encore validé.
– Tant mieux. Il est joli ce logo, hein… Mais il ne m’emballe pas. Il est trop régulier, trop symétrique, trop fermé. Je n’entends pas votre musique quand je le regarde. Votre musique ? Tout le contraire, ouverte, irrégulière, asymétrique, pleine de cinq-temps et sept-temps et tempi plus excentriques encore, elle retombe sur ses deux pieds mais entre temps le gauche comme le droit ont dansé dans l’air de drôles de circonvolutions. Ce logo, il est tout raide, assis, couché, il ne danse pas.
– Parfait. On consigne que tu n’es pas fou du nouveau logo.
– Ah ? Et… Vous allez tenir compte de mon avis ?
– Si on a le même que toi, sans hésiter.
– Je commence à comprendre la fonction présidentielle.
– Tu vois, c’est facile.
– Votre musique irrégulière et asymétrique, je l’aime, et plus encore. Mais mon vrai domaine, ma prédilection, ce sont les paroles plutôt que les musiques, si tu vois ce que je veux dire, les mots. Du reste, « Musique Traditionnelle de Demain »…. Voilà trois mots superbes. Et leur juxtaposition, alors là, chapeau. Un peu comme parapluie plus machine à coudre plus table de dissection, d’un seul coup l’image parle, la poésie toute crue. Des années que je l’admire, votre paradoxe temporel, votre inactuel oxymore.
– Inactuel oxymore, comme tu y vas. On consigne aussi. On verra si on valide.
– Moi, ce que je sais faire, ce sont des livres. Tiens, une idée me vient, vous ne voudriez pas en faire un ? De livre ? Sur Mustradem ? Là, au moins, je pourrais me rendre utile.
– Heu… Pourquoi pas… Ce n’est pas vraiment la priorité…
– Attends ! Je le vois d’ici, ce serait un livre fabuleux … Mustra, ça date de quand ? Vingt-cinq ans, non ? Un chiffre rond en plus, occasion idéale ! « Mustradem 1990-2015, le premier quart de siècle », un livre-CD s’impose, regorgeant de photos, de souvenirs, d’interviews… De partitions… Non ?
– Hmmm… On y réfléchira. Quand tu seras président. On n’est pas tellement dans l’auto-célébration, tu sais.
– Ouais. Ben, pas assez, peut-être. Parce que si l’on regarde… Ce n’est pas rien, ce que vous avez accompli. Vous êtes des héros de la culture de niche. Avec Mustradem vous avez bâti une Œuvre collective, en sus de chacune de vos petites œuvres singulières. Une grande œuvre qui dure, qui palpite. Qui fait des petits. Non seulement avez-vous pratiqué votre art, ce beau mélange tradition/demain… Mais surtout vous n’avez attendu personne pour vous expliquer comment vous deviez jouer votre musique, ni un marchand de disques, ni un directeur de salles, ni quelque relai médiatique complaisant, ni un président… Vous avez puisé aux sources de la musique qui vous inspirait, vous vous l’êtes appropriée, puis vous avez conçu vous-mêmes les conditions pour la jouer et la diffuser. Vous l’avez réinventée sans relâche, remise en jeu, et toujours par vos propres moyens. La fière indépendance du « Do-It-Yourself ». Au fond, je vous soupçonne d’être un peu punks, pour des folkeux. En plus d’être vaguement jazzmen sur les bords.
– Alors, c’est oui ?
– Êtes-vous vraiment des folkeux, d’ailleurs ? J’ai tenté plusieurs fois de comprendre la différence entre « folk » et « trad », j’ai posé la question à la cantonade… Je n’ai obtenu qu’une seule réponse cohérente : « Ben c’est évident, y’a ceux qui jouent bien et ceux qui jouent mal », sauf que, c’est ballot, j’ai oublié lesquels qui quoi.
– C’est plus compliqué que ça.
– Je m’en doutais un peu.
– Il y a des forums exprès, si tu veux creuser la question. Alors, c’est oui ?
– Je reconnais que c’est tentant. Je vous ai vus tout petits ! Je vous ai vus grandir, comme on dit aux gamins qui font une tête de plus que nous. Je me souviens d’un des premiers concerts de Dédale, le tout premier si ça se trouve, dans une MJC approximative, en Savoie, c’était en… Je ne sais plus, Mustra n’existait même pas, pour te dire. Vous aviez encore de l’acné, ou alors je confonds, c’était moi, mais déjà ce qui se passait sur scène c’était vachement bien ! J’y étais, moi, monsieur ! J’y étais !
– J’y étais aussi. Mais ce n’est pas ça qui compte, on n’est pas trop dans la nostalgie, non plus.
– Pas plus que dans l’auto-célébration, j’ai compris le message. En tout cas c’était bien… Et dire que vous êtes tous encore là… Quand est-ce que vous reformez Dédale, au fait ? Allez, je suis sûr que vous l’entendez souvent, cette question. TOUS les groupes le font. Regarde autour de toi, Téléphone, les Sex Pistols, les Stooges, Pink Floyd, Police, NTM, les Monty Python…
– Qu’est-ce que tu racontes ? On n’a rien à voir avec ces vieilles stars qui remontent sur scène pour l’argent. Nous, on n’en est jamais descendus, de la scène, avec ou sans Dédale.
– Ah, ouais. Okay. Je récapitule, si tu veux bien. Votre truc, c’est : ni l‘auto-célébration, ni la nostalgie, ni l’argent. Je prends des notes, hein, pour le cas où quelqu’un me demande ce que je préside, au juste.
– On n’auto-célèbre pas notre nostalgie, pour une bonne raison : l’agenda des deux mois à venir est rempli à ras-bord, et le présent est par principe plus passionnant que le passé !
– Formule suffisante pour expliquer le bel oxymore…
– D’ailleurs, tu y es toi aussi, sur l’agenda… Une lecture déambulatoire à la Villeneuve de Grenoble, samedi 9 mai… Ce ne serait pas sur un texte de toi, ça ?
– Si, si… Tu as raison, allons de l’avant. Je serai là, promis, le 9 mai.
– Moi aussi, tu parles. Ah, et tant que je te tiens ! Tu ne voudrais pas écrire à ma place l’édito de la prochaine newsletter ?
– Une autre prérogative présidentielle, je suppose ? Riche idée… Me faire éditorialiste d’un jour, chroniqueur remplaçant, juste assez intérimaire pour me mettre dans la peau d’un intermittent (hu hu hu)… D’un autre côté, la tâche m’intimide presque, je ne sais pas si j’ai les compétences. Moi qui distingue à peine folk et trad ! Et puis, les lecteurs seront perturbés dans leurs habitudes : je ne suis pas capable de citer au débotté Jean-Luc Godard ni Alain Robbe-Grillet.
– Tu trouveras bien quelque chose.
– Du Frank Zappa, j’ai droit ? En voilà un autre, qui jouait sa musique en se contrefichant de l’étiquette qu’on collait dessus. « L’information ne vaut pas le savoir. Le savoir ne vaut pas la sagesse. La sagesse ne vaut pas la vérité. La vérité ne vaut pas la beauté. La beauté ne vaut pas l’amour. L’amour ne vaut pas la musique. Rien ne vaut la musique. » Pas mal, non ? Mais on cause, on cause… Tu crois que les lecteurs le lisent jusqu’au bout, cet édito ?
– Il y en a. Alors, c’est oui ?
– Oui.

Eigengrau

14/02/2015 un commentaire

Génèse 22,11

Non, décidément, non, non, non. Le mercredi 7 janvier ne se digère pas, un bloc dans la gorge, impossible à métaboliser. Je me lève et chaque matin je suis le mercredi 7 janvier, j’ai du sang partout. Je ne passe/pense pas à autre chose. Grumeaux dans le Flux, graviers dans le sablier, couille dans le potage. Pourtant je sais que le temps coule, puisque j’ai des souvenirs.

Automne 2011. Je me trouve à Troyes pour une résidence d’écriture. À Paris, les locaux de Charlie Hebdo sont incendiés par un cocktail Molotov. Je tourne en rond dans ma thébaïde, je rumine, je n’arrive pas à écrire ce que je suis venu écrire ici, j’entreprends autre chose. C’est autour de la religion que je médite et tâche de bâtir une quelconque histoire. Je doute d’être capable d’écrire là-dessus, ou même de contenir quoi que ce soit qui mérite d’être écrit. Or mes pensées se formulent ainsi : la religion est une bien belle chose, qui offre au mortel sens et mythes, recul et élévation, paix intérieure et sagesse, régulation et réconciliation, méditation et ré-enchantement du monde, redécouverte sous de nouveaux noms des trésors les plus anciens, l’amour, la générosité, la nature, la vie / la religion est une saloperie, qui emplit les cerveaux de merde archaïque et de contes à dormir debout, racistes, sexistes, patriarcaux, qui refile à bon compte un reflet de ciel aux englués terre-à-terre, et un vernis de transcendance aux matérialistes postmodernes, qui replie dans l’ignorance, dans le communautarisme, dans la haine, dans la guerre, dans la mort. Je confronte dans ma mémoire des personnes proches de moi ou lointaines, qui illustrent ces deux récits, ces deux facettes. J’en trouve en foules. Je dialectise. La religion n’est ni bien, ni mal. Elle est un seulement un outil de pensée. Elle est un couteau. Tout dépend de la main qui tient ce couteau.

Je réalise que je pense énormément aux religions, et la plupart du temps c’est un registre de pensée mélancolique.

Je me lance dans l’écriture d’un texte. Il sera intitulé Double Tranchant. Finalement, il prendra la forme d’un monologue de coutelier ; toute allusion à la foi y sera escamotée, refoulée très profondément dans l’inconscient des mots. Jean-Pierre Blanpain accepte de l’illustrer. Je suis fou de joie en voyant surgir dans ma boîte mail, jour après jour, les somptueuses linogravures que mon texte a inspirées à Jean-Pierre. Intuitif et génial, celui-ci fouille le texte et exhume le motif religieux enfoui : l’une des plus belles linos qu’il réalise met en scène le sacrifice d’Abraham – alors même que le texte n’en dit pas un traître mot, du moins en surface. Abraham, levant son bras armé d’un couteau, est ce patriarche qui créa trois religions, engendra trois civilisations. Les trois monothéismes ont en commun cet ancêtre, et en partage ce geste arrêté, ce coup de couteau fondateur parce que justement non abouti, sublimé dans un rituel et dans une mystique. Trois religions soeurs, qui se détestent, persuadées qu’elles sont toutes trois d’être la seule authentique héritière du coup de couteau interrompu – prêtes à l’occasion à parachever le geste pour mieux le prouver.

Hiver 2015. Parmi les trois religions, toutes folles ET sages congénitalement, l’une (celle de la lune) est en train de se laisser dévorer par sa folie. Elle abat le bras, plante le couteau. Elle égorge là-bas, fait exploser des enfants-kamikazes ailleurs, tue des journalistes et des dessinateurs ici même. Et nous vivons sous un règne de terreur où, comme le dit Salman Rushdie, ce que l’on appelle « respect de la religion » signifie en réalité « peur de la religion » et comme si souvent dans l’histoire, le seul vrai Dieu c’est le mieux armé alors ta gueule. Rien à faire, ça ne passe pas.

Je continue de lire énormément (sans doute trop) de textes sur Internet, témoignages, réflexions, alertes, faits et gestes, des heures, des nuits, afin de comprendre ce qui s’est passé à Charlie, dans mon pays, dans le monde.

Sur le monde, je n’ai aucune prise (même si certaines réactions étrangères m’intéressent. Alan Moore considère carrément que le monothéisme, qui ne peut qu’opposer un dieu « unique » à un autre, a fait son temps : « Pourquoi serions-nous obligés de fonder nos vies sur des systèmes de croyances nés vers le IVe siècle avant JC ? Je ne vois pas pourquoi le christianisme, le judaïsme ou l’islam fourniraient des croyances plus fiables que le Seigneur des anneaux » – Moore a fondé il y a longtemps une religion à son usage personnel, il rend un culte à un serpent romain nommé Glycon, il s’y tient et n’emmerde personne avec ça…)

Mais je relève surtout ce qui se passe dans mon périmètre, là où ça craque, dans les banlieues de la République. Quotidiennement je passe en revue la presse, à l’affût d’outils de pensée, de couteaux levés et de préférence non abattus. Je constate un phénomène perturbant : souvent une chronique passionnante et éclairante d’un envoyé spécial dans les banlieues est suivie quelques jours plus tard de son contrecoup, l’auteur étant sommé de revenir, s’expliquer, justifier chaque mot, le débat n’en finit plus, les malentendus, faux procès, susceptibilités, arguties. Deux exemples :

* Ici, cette chronique écrite par un professeur de philosophie musulman est hélas suivie de celle-ci où il raconte qu’entre temps sa première intervention l’a contraint à démissionner.

* Là, ce récit d’un dramaturge intervenant dans des classes hostiles où l’on en vient à faire l’éloge des terroristes, est soupçonné de bidonnage et oblige son auteur à expliquer sa façon d’écrire (et de penser) dans une seconde chronique.

Moi-même, j’ai vécu ce phénomène dès 2010 : un article sur ce blog où j’exposai avec anxiété mes difficultés de contact avec des collégiens de la Villeneuve de Grenoble (je ne parlais pas encore d’apartheid comme Valls, mais déjà de ghetto, l’idée était la même, on ne pourra pas prétendre qu’on n’était pas au courant) a été contesté et m’a obligé a revenir sur le sujet maintes fois, des années durant.

Aujourd’hui les alertes viennent de partout, et même avec des codicilles et des précautions de démineur, elles disent toutes la même chose ! L’Apartheid, les ghettos, la misère d’une catégorie de Français qui ne se sentent pas Français mais ennemis des Français, existent, la France est fissurée de l’intérieur, les Français se détestent comme se détestent les trois religions.

Les alertes viennent de partout, mais trop tard et uniquement à l’attention de ceux qui les lisent, l’entre nous, le cercle fermé.

Que faire, que faire, bordel ?
Je suis démuni et désespéré. Je ne dors pas, je me demande toujours ce que je pourrais bien écrire sur la religion, je scrute Internet, j’appréhende la prochaine explosion, la prochaine Kalashnikov. [Mise à jour samedi 14 février : la réplique advient, à Copenhague.
Le premier qui a une idée…

Une piste de solution : l’admirable Latifa Ibn Zatien fonce, va au contact, tente le cessez-le-feuMais Latifa Ibn Zatien est légitime pour le faire, parce qu’elle porte le fichu-fichu sur la tête, pas moi… Je viens d’accepter d’aller causer bénévolement de Fatale Spirale dans un lycée pro en marge de la Villeneuve, toujours elle, où de grosses échauffourées sont advenues il y a quelques mois, je peux le faire et je dois le faire… Mais j’ai l’impression de pisser contre le vent. Quelle crédibilité ai-je à prêcher la paix alors que j’incarne le « système » selon l’acception de Dieudonné ? Que je suis le Français (je peux toujours essayer de les convaincre qu’ils sont autant français que moi, mais la tâche est plus délicate à présent que l’Apartheid est avoué au sommet de l’Etat), que je suis majoritaire, classe dominante, blanc, bourgeois et « chrétien » ? (moi totalement athée ! C’est un comble ! le repli identitaire est une telle régression collective qu’il fait de MOI AUSSI ce que je ne suis pas !)

Remarque, il faut bien qu’il m’en reste un peu, de culture judéo-chrétienne, pour que la culpabilité me soit ainsi chevillée au corps : j’ai l’impression que tout ça c’est de ma faute… Je voudrais faire quelque chose mais je suis dans le brouillard. Je ne peux pas empecher la guerre civile à mains nues. Je n’ai pas de solution toute faite. Je n’ai que des mots. Certains sont très beaux : l’eigengrau (en allemand : « gris intrinsèque »), prononcé aïgueungrao, aussi appelé eigenlicht (« lumière intrinsèque »), est la couleur vue par l’œil humain dans l’obscurité totale. Je marche dans le noir et discerne un gris sombre.

Le Fond du tiroir tétanisé par l’horreur

08/01/2015 2 commentaires

je suis charlie

Hier.

Toute l’après-midi, j’ai tremblé, suffoqué, pleuré et fumé.
Atteint dans ce que je fais, ce que je suis, ce que je crois.
Je suis resté longtemps tétanisé, hoquetant devant l’écran, faisant défiler plusieurs fils d’actualité simultanés.

Ensuite, parce qu’il fallait bien faire quelque chose, madame la présidente du Fond du Tiroir et moi-même avons rejoint le rassemblement silencieux de Grenoble. Une marée, des milliers de personnes, les plus grandes places de la ville bondées, de Grenette à Victor-Hugo, ça réchauffait un peu.
J’y ai croisé Jean-Pierre Andrevon, qui a évoqué ses potes Cabu et Wolinski, Hara-Kiri. Puis Michel Cambon, qui m’a parlé en étouffant des sanglots de son pote Tignous, et de La Grosse Bertha. Chacun son Charlie.

Quant à moi, comme l’immense majorité de la foule je ne connaissais aucun des douze personnellement, mais je pourrais faire mien le slogan qui court partout, Je suis Charlie, je suis au fond très Charlie, depuis toujours je lis et j’écris avec Charlie. Je suis abonné depuis 20 ans, dose hebdomadaire, je les ai toujours soutenus même quand ils me mettaient en colère (la scandaleuse éviction de Siné, la propagande pro-constitution européenne de Val…), j’ai toujours aimé qu’ils me mettent en colère, de cette colère démocratique pleine de mots mais sans kalachnikov, parce que Charlie était la proue de la démocratie, l’incarnation de la liberté d’expression, de la liberté tout court. Et cette liberté, cadeau gigantesque, c’était sans compter le talent, qui venait en bonus – l’un de ceux qui m’a appris à écrire, c’est Cavanna – et parmi ceux qui m’ont appris à regarder : Reiser bien sûr, Willem, Cabu, Topor, Luz, Charb, Catherine, Riss, Siné, Wolin…
La liberté d’expression, la liberté tout court, le talent, la délicatesse d’apprendre à lire et regarder, et l’art de faire rire… ont été égorgés sous nos yeux écranisés comme une rangée d’otages de Daesh.

Fatale spirale a été conçu dans un état bizarre, assez funèbre, parce que je redoutais qu’il arrive une catastrophe, pas cette catastrophe-ci forcément, mais une catastrophe, le climat était menaçant. Sauf que, quitte à en faire un livre, je voulais faire rire d’abord ! Je voulais l’écrire à la Charlie finalement, l’outrance qui émancipe et qui fait rire, parce que le rire fait du bien, le rire fait du mieux, le rire évite la catastrophe. Le rire énorme, le rire con, le rire bête et méchant (slogan antiphrase, ou pas), et mon aphorisme wolinskien préféré est Pas de plus grand plaisir que de dire des conneries avec des gens intelligents.
Alors je l’ai écrite en riant ma Spirale, je l’ai écrite comme une grosse farce et de fait, ça allait vachement mieux après. Mais qui peut blaguer aujourd’hui ? Depuis 24h je pleure et fume et me morfonds, et je prends en grippe mon foutu bouquin qui a eu le mauvais goût de paraître en ce jour de sang et de cendres, qui se voulait joyeux, et qui me semblait soudain indécent, dérisoire, écœurant et sinistre, c’est comme si on en avait fait un autodafé sous mes yeux.

Mais Nathalie Riché, critique de Lire, le qualifie au contraire de « livre qui tombe à pic » , aujourd’hui sur son blog, elle explique pourquoi, et ça va mieux, elle me requinque, peut-être parce que je l’ai requinquée, c’est ça qu’on doit faire, on doit tous se requinquer en chœur.

Merci infiniment. Et maintenant, on fait quoi ? Demain et d’ici la fin de notre vie ? En réalité le court terme crée le long, et le court c’est le long en personne, c’est la Spirale : il faut dès demain continuer de faire ce que l’on sait faire. Lire, écrire, dessiner, peindre, enseigner, soigner des gens, jouer de la musique, rire, etc, et le reste qu’on ne sait pas, il faut l’apprendre.

Je vous embrasse. Embrassons-nous.
Fabrice

(Flashback en post-scriptum : le 2 novembre 2011, l’humeur était à l’indignation, nous sommes aujourd’hui très au-delà.)

Fatal

07/01/2015 Aucun commentaire

solution

Devinette. Aujourd’hui 7 janvier 2015, partout en France un événement bourrera les boutiques, engorgera les échoppes, saturera les supérettes. Lequel ?

Réponse A : l’ouverture des soldes, bien sûr.

Pour ceux que les soldes n’intéressent pas, réponse B : sortie en librairie de Soumission de Michel Houellebecq.

Pour ceux que ni les soldes ni Houellebecq n’intéressent (commencent à être difficiles ceux-là), réponse C : sortie de Fatale Spirale (édition Sarbacane, illustrations de Jean-Baptiste Bourgois et gros bisou d’Amnesty International).

Le texte de Fatale Spirale est né parce que je souhaitais écrire quelque chose autour de la Villeneuve de Grenoble, mais sans ajouter au bavardage (j’ai déjà pas mal bavardé moi-même sur la question) ni à la lamentation, sans plomber l’ambiance, sans préchi ni précha, juste sourire à la cantonade histoire de voir si c’est contagieux.

Voilà pourquoi j’en ai rédigé ainsi la dédicace : Pour Muriel J., parce qu’elle est toujours la première à sourire, et pour tous ses voisins de la galerie de l’Arlequin, à Grenoble.

Voilà qui, également, éclaire la photo ci-dessus, saisie en décor naturel, devant un silo de cette même Villeneuve. Merci pour la photo à Patrick Reboud.

Récupérez-moi !

21/12/2014 Aucun commentaire

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Illusion d’optique : ce n’est pas parce que nous approchons de Noël que la bougie ci-dessus illustre un énième article sur La Mèche (toujours en vente, ceci dit). Cette faible flamme sur fond jaune qui vacille derrière les barbelés est en réalité le fameux logo d’Amnesty International. D’ailleurs sans me vanter je risque gros, la menace sur leur site est explicite, ça fait peur : « Le logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE a fait l’objet d’un dépôt de marque auprès de l’Institut national de la propriété industriel (INPI). Cette marque ne peut donc être reproduite sans l’autorisation du  secrétariat national. Toute utilisation du nom ou du logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, sans autorisation constitue une contrefaçon, dorénavant punie de peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de poursuites » , la vache, si je me retrouve en taule trois ans pour usurpation de logo, tu sauras pourquoi, n’oublie pas de militer pour mes droits, me laisse pas croupir au fond d’une geôle humide, je suis un être humain merde, je ne sais pas, moi, fais quelque chose, alerte Amnesty.

Et pourquoi que je le reproduis effrontément, le logo, assumant de si terribles risques ? Je vais t’expliquer, pourquoi, attends, laisse-moi digresser, je te raconte.

Je me sens irrécupérable. Parfois, par mélancolie, par pessimisme pathologique, il m’arrive d’être certain que le pire est inévitable. Je prophétise que l’avenir ressemblera fatalement à Zemmour, à Daesh, à Gattaz, à Cahuzac, à Swagg Man, à Guantanamo, à Closer, à Pascal Brutal, à Jessica Deboisat, à Davos et à Fukushima. Et parfois non. Parfois je suis récupérable. Je suis même récupéré.

Hier soir je me trouvais au bord de la route et je me suis fait récupérer. Je rentrais tard du boulot, j’ai couru mais j’ai loupé mon bus, à ça, à rien, sous mon nez. Le suivant et dernier passerait une heure plus tard. Alors j’ai levé le pouce. Je n’avais pas fait du stop depuis des années. C’est très bien, le stop, de temps en temps, pour éprouver son taux de récupérabilité.

J’ai été récupéré successivement par deux personnes qui m’ont chacune offert la moitié de la route. Un militaire (je ne suis pas capable d’aimer l’armée, j’ai mes raisons, j’ai fait mon service, mais je suis capable d’apprécier un militaire, d’aimer un être humain) et une paysanne (et j’aime les paysans comme la paysannerie, moi-même petit-fils de).

D’abord le militaire, qui revenait du Mali, un Noir avec l’accent antillais qui écoutait du zouk mais qui se disait Normand, qui m’a raconté que le plus difficile tout de même à la guerre, c’est que ses enfants lui manquent, un garçon une fille, quatre et six ans, les voir grandir, les voir tout court, enfin là pour ce soir que faire d’autre, il partait rejoindre des collègues pour faire la fête, pas de problème il avait bien le temps de faire un petit détour pour moi ; puis l’agricultrice, une camionnette chargée des provisions hebdomadaires, et l’odeur de fromage, qui m’a dit avoir hésité à me prendre parce qu’elle était épuisée par sa longue journée, elle havait hâte, levée à 4 heures pour son troupeau de brebis, puis là toute l’après-midi jusque trois heures après la nuit pour tenir la permanence de son magasin de producteurs, à quelques jours de Noël tout se jouait, mais que bon, à cette heure-ci il ne passait plus grand monde alors elle ne pouvait pas me laisser là au bord de la route avec le froid, et où est-ce que j’habite ? ah, alors, elle va faire un petit crochet pour moi, oh, non, ça ne la rallonge presque pas. Je suis parvenu chez moi, plus vite qu’en bus et surtout mieux, je me sentais superbien, remonté comme une pendule, méditant la tripartition dumézilienne, le soldat le paysan et le clerc, je voyais bien le rôle qu’il me restait, le costard à enfiler : le scribe, la souveraineté magique et juridique. J’ai encore cette humeur-là ce matin, à t’écrire, à estimer que le pessimisme est un vilain luxe pour qui n’a pas besoin de lever le pouce.

Mais revenons.

Comme je suis irrécupérable mais que j’aime être récupéré, j’ai écrit un livre l’an dernier. Il s’appelle Fatale spirale. Il sort dans quelques jours. C’est un livre à l’envers, qui prend à rebrousse-poil la catastrophe, qui dit Cessez-le-feu sur un ton tout bizarre, tout burlesque, le ton optimiste contrefait par un pessimiste, tout y est à double-fond. Je viens d’apprendre que ce livre a tapé dans l’œil d’Amnesty International France, qui, quelques fois l’an, appose son logo sur la couverture d’un livre choisi dans le catalogue Sarbacane, et explique pourquoi en quat’ de couv’. Je suis soutenu par Amnesty, rends-toi compte, c’est aussi bien que de soutenir Amnesty. Y’a pas à tortiller les gars, faut qu’on se serre les coudes ! Je suis récupéré par Amnesty. Oh oui, récupérez-moi, s’il vous plaît ! Je ne demande que ça, me faire récupérer avec ce bouquin : je veux aller le lire dans les écoles, les lycées, les agoras, les rues, les manifs, partout. À bon entendeur.

À chacun, joyeuse fête de la lumière. Fêtons le solstice, ce jour à partir duquel tout s’arrange, fêtons les Lumières.

L’aspirant habite Javel

06/10/2014 3 commentaires

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Allons sois raisonnable, patiente ! Patiente ! Il ne sert à rien de l’annoncer trop tôt, attends la saison prochaine… Encore un mois… Encore une semaine… Encore un jour… Allez, attends encore une heure…

Oh et puis zut j’ai assez attendu, je trépigne et je dévoile : après un hiatus de près de cinq ans (c’est comme ça) durant lequel mon unique éditeur aura été Le Fond du tiroir, I’m back in the game. Dans trois mois, le 7 janvier 2015, sera disponible en librairie Fatale spirale, album fort singulier que j’ai écrit, que Jean-Baptiste Bourgois a illustré, et que Sarbacane a édité. J’avoue, je suis impatient. Je vais l’être encore trois mois. Heureusement, pour m’occuper l’esprit, j’ai un livre à boucler pour le Fond du tiroir.

Nous en sommes là

06/05/2014 un commentaire

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Nous en sommes là. À moins que nous soyons ailleurs ? Conseil de lecture : Il existe d’autres mondes de Pierre Bayard. La forte question de Leibniz, Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, flanque moins le vertige que cette autre : pourquoi ceci plutôt que cela ? Pourquoi le chat de Schrödinger serait-il vivant plutôt que mort ? Pourquoi pas les deux ? Culture pop et mécanique quantique : pour imaginer la coexistence des possibles, nous pouvons recourir soit à la science (merci Hugh Everett), soit à la fiction.

Toute fiction, au fond, est un univers parallèle. Certaines fictions sont, spécialement, des univers parallèles, qui dans le meilleur des cas feraient douter de celui-ci. J’ai toujours eu le goût des histoires de réalités alternatives, depuis un choc initial, Le Maître du haut château de Philip K. Dick, qui ouvrait une fenêtre sur un monde entièrement recomposé après avoir bifurqué à un moment donné (en l’occurrence : la Seconde Guerre mondiale a été gagnée par l’Axe Allemagne/Japon, finalement). Ou bien ou bien, comme disait le fameux acteur hollywoodien Kirk Gaard.

Et depuis je fais mes choux gras de Fringe, d’À la croisée des mondes, et autres What if de Marvel, mais aussi d’expériences narratives qui relèvent de ce même postulat quantique sans être pour autant étiquetées SF : Smoking/No smokingLe Hasard, et même Jean-Philippe.

Or voici. J’imagine un univers parallèle où j’annonce en fanfare, aujourd’hui même et sur ce blog, la parution prochaine de mon prochain livre, intitulé Fatale spirale, qui sera en outre ma troisième collaboration avec Jean-Pierre Blanpain. J’en ai eu l’idée cet hiver, je l’ai confiée à JPB qui, enthousiaste comme d’habitude, a bossé comme un fou, a multiplié idées et croquis, jusqu’à se faire une idée précise de la future apparence du livre. Dans ce « monde miroir » nous nous excitons le bourrichon, je trépigne d’impatience dans l’attente de ce qui sera, à nouveau, le plus beau livre du monde.

Sauf que non.

Nous sommes dans cet univers-ci, où un éditeur a certes accepté mon texte, mais a blackboulé les illustrations de Jean-Pierre. J’annonce donc aujourd’hui, sur ce blog et en fanfare, que Fatale Spirale, mon prochain livre, paraîtra en janvier prochain. L’illustrateur s’appelle Jean-Baptiste Bourgois. Je ne sais rien de lui sinon qu’il a énormément de talent. Conséquence : dans ce monde aussi bien que dans l’autre, je trépigne d’impatience dans l’attente de ce qui sera, à nouveau, le plus beau livre du monde.

Mais tout de même, je me demanderai toujours ce qu’aurait été ce livre, eût-il été enluminé par le Blanpain… En guise de lucarne sur un autre univers : ci-dessus, l’illustration que Jean-Pierre envisageait pour ouvrir le livre, avec une variation sur le thème de l’effet papillon. Et la phrase initiale du texte : Nous en sommes là.