Août, calme plat. Rien n’arrive, ou si peu. Ma boîte aux lettres au Fond du tiroir (fvigne, arobase, fonddutiroir.com) s’encombre presque exclusivement de spams. Alors, je les lis, les spams, et je joue avec, comme on joue avec les miettes quand on s’ennuie au restaurant entre deux plats.
Bonjour bien aimé Je suis Madame Sandrine Charlier mariée à Monsieur Jean Charlier investisseur immobilier français. N’ayant aucune famille car mon mari et moi n’avions pas eu d’enfant avant son décès et atteinte d’une grave maladie cancéreuse incurable, j’ai prise la décision de léguer gracieusement la totalité de mon héritage s’élevant à 2.5 millions d’euros à un individu de bonne moralité ou une association caritative afin que cet argent serve à la construction d’orphelinat, d’hôpital ou de toute autre action allant dans le domaine d’action charitable envers les déshérités. J’espère fortement avoir une réponse de vous à ce propos, n’hésitez pas à me contacter le plus rapidement possible si vous êtes une personne de bonne moralité afin que nous puissions échanger et entamer la procédure du transfert des fonds. Contactez-moi s’il vous plait à cette adresse : avec les informations suivantes : Votre nom complet; adresse exacte; votre numéro de téléphone ou fax. Votre numéro de compte en banque (Relevé d’Identité Bancaire) Que Dieu vous bénisse, Mme Sandrine Charlier
Ces foutus « scams », selon l’utile taxinomie de Hoaxbuster, cauteleusement mélodramatiques (notez la subtile périssologie, par laquelle la maladie, en plus d’être grave, est cancéreuse et incurable), ces maudits attrape-gogos à la 6-4-2 (ou plutôt à la 4-1-9) existent en de très nombreuses variantes, souvent africaines. Il en tombe à la pelle, et la sagesse commande de ne pas mettre le doigt dans ces plantes carnivores, de les mettre à la corbeille sans les lire. Pourtant, celui-ci, je l’ai lu, et j’ai même répondu, pour voir. Peut-être aviez-vous rêvé de le faire vous-même quelque jour ? J’ai, en somme, testé pour vous. Exclusif :
Chère Sandrine, mon amour Votre histoire m’a ému aux larmes. Sans déconner, je suis inconsolable, je me traîne d’une pièce à l’autre et je gémis « Mais comment tant de malheur est-il concevable ! incurable en plus d’être cancéreuse ! », et je mouille vingt mouchoirs par jour. Je suis prêt à recevoir le chèque de 2,5 millions afin de soulager vos souffrances. Moi, si c’est pour rendre service, hein… Bien à vous, Votre bien aimé déshérité mais béni par Dieu (grâce à vous ! parce que jusque là, je dois dire, sans vouloir me plaindre, que Dieu s’est fort peu soucié de moi).
À ma grande surprise, j’ai reçu une réponse de « Sandrine Charlier » moins de deux heures plus tard, ce qui prouve que ces saloperies sont bel et bien écrites par de vraies gens à l’affût, et non par de froids logiciels dans de froids disques durs. J’ignore si cette intéressante information est propre à rassurer ou bien à inquiéter derechef.
Bonjour Je vous remercie d’avoir répondu à mon message que Dieu vous bénisse. J’aimerais que vous sachiez que mon vœu le plus cher est de pouvoir vous faire don de mon argent pour que vous meniez des actions sociales. Vous savez, il existe plusieurs organismes dans le monde que j’aurai pu contacter. Mais j’aimerais plutôt que ça soit une personne comme tout le monde, à qui je confierai cette lourde responsabilité. Il y a beaucoup de souffrance dans le monde, et il faudra que nous les êtres humains qui ont la possibilité d’aider un temps soit peu les personnes qui sont dans les difficultés le fassent. Cet argent je l’ai eu à la sueur de mon front et c’est 20 années de ma vie. La seule chose que je pourrai faire de bien sur cette terre avant de m’en aller c’est de savoir que cet argent va servir à rendre heureux des personnes qui seront dans le besoin. J’espère sincèrement que vous ne refuserez pas ma proposition et que vous m’aiderez à réaliser ce rêve. Je remercie Dieu pour tout ce qu’il a fait pour moi dans ma vie. J’ai vendu toutes mes affaires et j’ai décidé de me retirer loin du monde afin de profiter du peu de temps qu’il me reste à vivre. Je souhaiterais que ces fonds servent à mener des actions à l’endroit des personnes démunies. Vous êtes donc la personne indiquée pour gérer et distribuer mes fonds en faveur de ceux qui vont vous solliciter. Je vous prie de croire en ma sincérité et en ma bonne volonté. Dans l’attente de vous lire très bientôt je vous souhaite de passer une agréable soirée Que Dieu vous benisse. Sandrine Charlier.
J’ai répondu ceci, estimant qu’il fallait à présent jouer franc jeu, au risque de mettre un terme précocement à notre prometteuse idylle :
Chère Sandrine, chère pauvre âme Je suis navré, il va falloir être courageuse. J’ai pris la décision d’interrompre cette correspondance. Nous devons cesser de nous voir. Croyez-moi, c’est mieux, pour vous comme pour moi. Je ne souhaite pas poursuivre plus avant une relation biaisée par un malentendu initial. Vous attendez tellement de moi, chère Sandrine, chaste et innocente créature ! Vos poignants accents de sincérité m’obligent à tomber le masque. Je ne suis pas l’homme que vous croyez, Sandrine ! Vous espérez que je consacre votre argent à des œuvres sociales, que je devienne le bienfaiteur de personnes démunies ?… Mais que savez-vous de moi, et de mon passé ? Il est temps d’ouvrir les yeux ! Sachez que si j’acceptais votre argent, je trahirais immédiatement votre si belle, et si pure confiance, en moi-même, et, par extension, en tout le genre humain. Car je dois vous avouer, même si cela m’est pénible, mon mode de vie. Tout l’argent dont je dispose, et c’est aussi l’usage que je destinerais à votre fortune, je le consacre à boire de l’alcool, fumer des cigarettes (qui ne contiennent pas exclusivement du tabac), jouer au poker jusqu’à deux heures du matin, puis aller voir des prostituées (parfois sans utiliser de préservatifs…) Parfois, même, je participe à des rites sataniques, lors desquels mes amis et moi utilisons des crucifix pour jouer aux fléchettes en ricanant, et même il m’arrive, en cachette, de jouer au Loto et à divers jeux de grattage. Voyez, je ne vous cache plus rien ! Je sais que c’est mal… Que voulez-vous… J’ai tout ce vice en moi, et le vice est plus fort… J’ai essayé de m’amender, plusieurs fois, mais toujours je suis retombé… J’ignore si vous êtes en mesure de comprendre ceci, pauvre Sandrine, vous qui n’êtes que bonté et désintéressement. Cependant, le bien n’est pas tout à fait mort en moi, et c’est sans doute à vous que je le dois. Chère Sandrine ! Un sursaut (sera-ce assez pour sauver mon âme ?) me pousse à refuser énergiquement votre argent, l’argent sacré d’une sainte, un argent trop facile que je dilapiderais en mes vains et égoïstes plaisirs. La leçon m’est dure, mais précieuse, et j’espère qu’elle sera pérenne : l’argent, il vaut mieux que je le gagne durement, « à la sueur de mon front », comme vous le dites si profondément. Cette résolution que je vous dois, peut-être, me remettra sur le droit chemin. Je vous recommande le Secours Populaire, plus digne que moi de gérer votre héritage. Avec mes regrets que notre histoire s’interrompe aussi abruptement, mes sincères salutations et mon intacte admiration… Je sens déjà que, à votre contact, si fugace fût-il, je deviens meilleur. Je vous embrasse, Votre bien aimé au cœur brisé mais neuf.
« Sandrine Charlier » ne m’a pas répondu. Si elle le fait, je ne manquerai pas d’interrompre les programmes pour vous tenir informés.
Bon, nous avons bien ri, mais quel rapport avec l’illustration ci-dessus ?
Comme je le disais, au mois d’août je ne reçois presque que des spams.
J’ai également reçu le message d’une libraire alsacienne, qui souhaitait commander un livre du « Fond du tiroir ». Chic ! me suis-je dit ! Et puis finalement, pas du tout. Las ! Encore une déconvenue par mail !
Bonjour
Je suis libraire et un de mes clients souhaite se procurer le livre ‘En attendant Obama’, que vous éditez. Pourriez-vous m’indiquer vos conditions de vente aux
librairies (remise, port éventuel), ainsi que le délai sous lequel je pourrai obtenir ce livre ??
d’avance, merci
Librairie Le Libr’air , 67210 OBERNAI
En attendant Obama ? Après enquête, ce livre que je n’ai pas édité est un polar écrit par un certain Baudoin Pzerdorff, qui se publie, est-ce assez spirituel, sous l’enseigne « Au fond du tiroir ». Ce livre s’offre une couverture signée Tomi Ungerer, excusez du peu. La grande classe. Ah, il s’en passe de belles, aux fonds des tiroirs. Salut, collègue homonyme !
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