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Ginkgo biloba

06/02/2014 un commentaire

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Il libro che scrivo sul quaderno
è cellulosa uccisa da une motosega
la copertina è polpa di coniferi abbattuta.
Scrittore, pianta un albero per ogni nuovo libro,
restituisci foglie in cambio delle pagine.
Une scrittore deve un bosco al mondo.

Eri de Luca, « L’ospite incallito »

(Le livre que tu écris sur un cahier est de cellulose tuée à la tronçonneuse. Sa couverture est en pulpe de conifères abattus. Écrivain, plante un arbre pour chaque nouveau livre, rends une feuille contre chaque page. L’écrivain doit au monde une forêt.)

Le ginkgo biloba n’est pas seulement un arbre qui a de la branche, à l’histoire fort ancienne et fort stupéfiante, un arbre littéralement unique en son genre – plus ancienne espèce d’arbre encore présente sur terre, et unique espèce de sa famille, fossile vivant sans lignée connue (oh, combien cela m’évoque certaine tortue).

Il est aussi une merveille lexicale (prononcez-le à haute voix, vous allez voir, recommencez, en boucle, ne dirait-on pas une formule magique ?), ou un groupe de musique métissée hélas disparu après deux albums, ou encore un riche symbole de vie, d’espoir, de renouveau, de richesse, de résistance aux ravages nucléaires.

Il est enfin le totem et le symbole la résidence d’artistes de Troyes, confiée chaque automne à l’association Lecture et loisirs, qui y loge un auteur/illustrateur jeunesse. J’ai moi-même, de septembre à décembre 2011, beaucoup admiré ce ginkgo-là, par les fenêtres de cette résidence.

La résidence d’auteurs/illustrateurs jeunesse de Troyes fête ses 20 ans cette année. Le visuel ci-dessus est signé Caroline dall’Ava, résidente 2013. À cette occasion, je retournerai à Troyes quelques jours du 28 au 30 juin, et je m’en fais une joie. D’autant que je reverrai sur place la belle expo Double tranchant, et la fine équipe de Tinqueux qui a permis son existence.

Le programme définitif des festivités arrivera bientôt. En attendant, on me demande une contribution. Comme je ne sais pas dessiner (seul dans ce cas parmi les invités, tous époustouflants gens d’images), j’ai composé, tout éperdu et reconnaissant et romantique-tendance-ami-de-la-nature, un scolaire quoique vibrant poème à la gloire du ginkgo, alternant rimes en guine et rimes en ko

L’arbre aux quarante échos

Dessous cet arbre à Troyes, assieds-toi et bouquine !
Son ombre est un refuge ignoré des locaux…
(Ginkgo : le havre)

Patriarche au jardin, errant qui s’enracine
Né autrefois en Chine et plus vieux que Lascaux !
(Ginkgo : le voyage)

Prince en bois et emblème de vie qui s’obstine,
Il a même vaincu la Bombe par K.O.
(Ginkgo : l’endurance)

Il est le temps qui passe, ou Chronos qui chemine
À lui seul la forêt, patient comme un tricot !
(Ginkgo : la durée)

Vert, jaune, orange… en quatre mois, il arlequine
Étendard naturel et vibrant calicot.
(Ginkgo : les couleurs)

Ses feuilles sont dorées, on les dirait câlines.
Et son tronc et ses bras se tendent, amicaux.
(Ginkgo : la paix)

Or, c’est ici que logent, que rêvent, que s’obstinent
De jeunes créateurs œuvrant pour les marmots.
(Ginkgo : l’espoir)

Ils déploient leurs outils, leurs pinceaux, leurs sanguines,
Ou leur ordinateur, ou leur tarabiscot !
(Ginkgo : l’ouvrage)

Ils sont en plein élan ! The things only begin !
Grand merci ! Ils sont tous lauréats ex-æquo…
(Ginkgo : la vie)

Et lorsqu’ils quitteront l’escale clandestine,
Ils reprendront leur route en bolide ou tacot.
(Ginkgo : le passage)

Il paraît que tout ça est né grâce à Claudine ?
Et dure depuis 20 ans ? Célébrons illico !
(Ginkgo : la fête)

Déclic (Troyes épisode 89)

11/12/2011 Aucun commentaire


Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode :
L’ingratitude et les abus
N’en seront pas moins à la mode.
La Fontaine, La forêt et le bucheron.

Vu au cinéma l’extraordinaire Il était une fois en Anatolie. Lu dans la foulée une interview de son réalisateur. Nuri Bilge Ceylan déclare laconiquement qu’il est capable de rendre des comptes sur le moindre détail de son film, sur chaque personnage, chaque plan, chaque mot, chaque mouvement. Il peut tout expliquer, si on le lui demande. Voilà qui me fascine. Serais-je capable d’une exégèse aussi exhaustive de chacun de mes livres ? Je le crois. À dire vrai, je le crains. Je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose, la conscience à ce point de ce que l’on est en train de faire, ou de ce que l’on a fait. Il vaut peut-être mieux, pour aller plus loin, plus haut ou plus profond, oublier qu’on sait, s’oublier soi-même. Hélas j’ai sûrement (comme on me le dit parfois) le défaut de trop réfléchir. L’antidote est alors le conte. C’est dans le conte que je peux m’abstenir de réfléchir pour rechercher la seule fluidité de la narration, et par conséquent prendre un plaisir d’écriture plus pur, suivre un mouvement plutôt que de s’arrêter pour mesurer chaque pas.

J’ai, par le passé, écrit quelques contes (il s’en trouve un ici, un autre enchâssé , voire un tout entier dans ce livre-ci, qui est un conte si on a l’esprit large), et je me demande pourquoi je ne le fais pas plus souvent.

Le livre que j’écris, d’une architecture spécialement compliquée, m’oblige à réfléchir beaucoup, parce qu’en vrai ce n’est pas un livre, c’en est trois. Parmi les trois, un recueil de contes. Tous ces contes (sauf un) ont un personnage et un décor en commun : le bûcheron, la forêt.

J’ai commencé par compiler le plus grand nombre possible de contes pré-existants contenant ces deux ingrédients afin de m’en inspirer (méthode je-réfléchis-trop)… Comme mon corpus s’est finalement révélé mince, je me suis décidé à inventer une ou deux histoires faussement nouvelles de bûcherons et de forêt (méthode je-ne-sais-rien-on-verra-bien-laisse-moi-raconter).

Parfois, oh, pas toujours, mais parfois, c’est aussi simple que ça, on s’assoit et on se tait, et on se met au boulot. On improvise, on se laisse attraper par sa propre histoire, le déclic s’est fait sans qu’on s’en soit aperçu, et voilà qu’on relève la tête, qu’on s’étire, qu’on fait craquer ses doigts, et qu’on a passé trois heures d’affilée à écrire.

Londonomètre : 4300. Eh oui les enfants.

La boîte de maquillage d’Orson Welles (Troyes épisode 73)

24/11/2011 Aucun commentaire

Comme promis il y a une poignée de jours, voici l’histoire de la boîte de maquillage sous la table.

Jeanne Moreau raconte dans une interview le tournage du Falstaff de Welles (je réinvente de mémoire) : « Orson se montrait très actif, débordant d’énergie, s’occupant personnellement de tout, décors, costumes, acteurs, prises de vue… Il tournait, oui, mais je me suis rendu compte qu’il ne tournait que les scènes où son propre personnage, pourtant central, n’apparaissait pas. Je lui demandais : Orson, allons-nous bientôt répéter les scènes que nous jouons ensemble ? Il me répondait systématiquement, jour après jour : impossible, je ne peux pas jouer aujourd’hui, je ne sais pas où est ma boîte de maquillage, il faut que je remette la main dessus, j’espère qu’elle n’est pas perdue, en attendant le temps presse, il faut bien tourner le reste… Au bout de quelques jours, j’ai découvert par hasard sa boite de maquillage : il l’avait lui-même planquée sous une table. Aussi étonnant que cela paraisse, Orson, grand démiurge, maître d’oeuvre de son film, avait le trac. Il préférait se consacrer à tout plutôt que de se lancer en tant qu’acteur… »

Je vous raconte cette anecdote uniquement parce que je l’aime, n’allez pas croire qu’il s’agit d’un bulletin météo de Troyes. Certes, ma façon de travailler ici prend des formes diverses, et j’avoue bien volontiers qu’il m’est arrivé d’employer le truc de Welles, car il faut s’inspirer des meilleurs : du bout du pied, je planquais ma boîte de maquillage sous la table, et plutôt que d’attaquer les yeux dans les yeux les ouvrages qui m’impliquent profondément, feignais de croire que j’avais plus urgent à faire (par exemple alimenter un blog quotidien)… Il faut pourtant bien l’ouvrir, cette boîte. Les bons jours, je l’ouvre, et me maquille, et avance.

La preuve : Londonomètre (longtemps que je n’avais pas fait le compte), 3 ou 4000, dont une bonne page de mathématiques. Je suis incollable sur le théorème de Thalès. Je vois le rapport. Le livre sur lequel je turbine procède notamment de collages, Arbre + Bâtôn = feu de tout bois, y compris la trigonométrie.

El árbol y el palo (Troyes épisode 64)

15/11/2011 Aucun commentaire

Oui, pourquoi au juste ai-je la néoténie en tête ?

Eh bien, parce que mon mode de vie actuel me renvoie à un stade antérieur de mon existence. Superficiellement, je vis un peu comme lorsque j’étais étudiant (euh… quelques excès en moins, sans doute, j’ai l’âge de mes artères, pas celui de mon agenda). C’est-à-dire que j’éprouve la rude expérience de la liberté mais ne perds jamais de vue la tâche à accomplir. Livré à moi-même, j’effectue comme un yoyo des allers-retours à vélo entre ma garçonnière et la bibliothèque. Mais surtout, plus profondément, je redécouvre que l’on peut consacrer son temps à lire, à écrire, à apprendre, et cela ne me renvoie pas seulement à mes années de campus (la solitude de l’étudiant en sociologie : Un homme qui dort, un extrait à lire et relire ici), mais bien plus tôt encore. C’est étonnant, je suis élève.

J’apprends. Entre autre, puisque je m’échine à enquêter sur une histoire hispanophone ayant laissé assez peu de traces en langue française, j’ai décidé d’apprendre l’espagnol, langue dont j’ignore à peu près tout. J’ai emprunté une méthode à la médiathèque, et je m’astreins à une heure quotidienne d’espagnol (l’ironie du sort étant que, jusque là, le vocabulaire de base vise explicitement à se débrouiller dans les magasins). L’espagnol, comme toute langue je suppose, est fort intéressant à découvrir pour un novice, qui commencera par débusquer des faux-amis révélateurs comme des lapsus :  ¡que ilusión! signifie Qu’est-ce que je suis content ! Eh, fais voir ton planning, t’as quoi ce matin ? 9h-10h, espagnol. Ah bon ? Comme hier, alors. Et t’as qui comme prof en espagnol ? M. Berlitz. Ah. Paraît qu’il est sympa…

Une autre question récurrente pendant les rencontres scolaires est « Quand vous étiez petit, vous aimiez l’école ? » Et je sens bien que je déçois toujours un peu les enfants, ils espèrent vaguement m’entendre déplorer « Ah, non, j’avais horreur de ça », une charge de ce genre leur ferait plaisir, les défoulerait un peu, me placerait de leur bord  face à la maîtresse, un micro-tabou serait brisé et sinon à quoi bon inviter un écrivain. Hélas je suis bien obligé d’avouer que j’aimais l’école, j’aimais apprendre, j’aime toujours. Je regrette que l’apprentissage intellectuel soit dans nos vies cantonné à une certaine période, première, éphémère, période de souplesse de nos cellules grises… Je prétends que la souplesse s’entretient, et j’espère bien que j’apprendrai toute ma vie, peut-être même apprendrai-je à jouer de la lyre le jour de ma mort, ce serait classe, comme néoténie. ¿Comprende, compañeros?

ELSA – Oui mon vieux, c’est là un des grands principes de l’existence : plus on vieillit, moins on apprend. Au début, tout bébé, on apprend le plus difficile, et qui nous servira le plus longtemps : voir, entendre, goûter, toucher, pleurer, parler… Sentir sa maman… Sa grande sœur… Reconnaître ce qui bouge, et les couleurs… Ensuite, à l’école, on apprend le reste de ce qui est encore un peu utile, lire, écrire, compter… Énumérer les rois de France avec leurs dates de naissance et de mort… Mais une fois qu’on est adulte, c’est terminé, on n’apprend plus grand-chose. À ton avis, pourquoi les adultes regardent le journal de vingt heures ? Pour se donner l’impression d’apprendre quelque chose dans leur journée, tiens. Mais c’est peine perdue : ce qu’ils apprennent à vingt heures, c’est largement moins essentiel que lire, écrire, compter… Ou même pleurer, appris en premier.

Jean Ier le Posthume roman historique, p. 89. Roman un peu périmé, d’ailleurs, « historique » pour le coup, parce qu’aux dernières nouvelles plus grand monde ne regarde le journal de vingt heures.

Foireux (Troyes épisode 53)

04/11/2011 Aucun commentaire

Je poursuis mon travail de documentation pour un livre fort compliqué intitulé L’arbre et le bâton.

Je passe des heures en bibliothèque, car je continue par acte de foi à considérer que tout ne se trouve pas sur le net. Je consulte et annote des ouvrages sur le Paraguay, mais aussi sur les indiens Guarani, sur les contes d’Amérique du sud, sur les arbres, sur le feu, et sur l’économie de la grande distribution.

Et voilà que sur ce dernier chapitre, je suis soudain frappé de stupéfaction. Le Que-sais-je ? intitulé Les centres commerciaux (Jean-Luc Koehl, PUF, 1990) s’ouvre sur un concis et saisissant télescopage historique :

Le centre commercial, certainement l’expression la plus achevée de notre civilisation de consommation et de loisirs [est l’] héritier d’une tradition marchande née avec les premières foires de Champagne.

Pardon ? Foire d’où dites-vous ? Toujours friand de hasards, coïncidences, et autres synchronicités, j’attendais l’indice qui relierait d’un pont ces deux événements a priori distincts : ma présence au cœur de la Champagne, et le projet de livre qui m’a valu cette résidence, livre qui tourne autour d’une catastrophe en plein centre commercial.

Je suis sur le pont, merci. Comme me le rappelait récemment Hervé Bougel, plein d’à propos quoiqu’avec un léger flou sur l’auteur exact de la citation, le hasard ne favorise que les esprits préparés.

(Londonomètre : a bunch, dude.)

Sept milliards de mille sabords (Troyes épisode 52)

03/11/2011 un commentaire

Selon les sources, le cap des sept milliards d’êtres humains simultanés a été franchi lundi dernier, ou le sera d’une seconde à l’autre (d’après l’hypnotique site terriens.com, que je peux regarder bouche bée plusieurs minutes d’affilée comme un aquarium où se serreraient des sardines), voire, au plus tard, en mars 2012. Peu importe l’échéance, nous sommes nombreux. On se serre. On se fait de la place. On essaye de ne pas s’entretuer. Et le plus beau est que chacun de nous est une possibilité, une actualisation de ce qu’est le genre humain, ni mieux ni pire que son voisin. Je suis un sept-milliardième de l’humanité. Comme toi, vieux.

Je suis en train d’écrire un livre qui se passe au Paraguay. Je n’ai jamais mis les pieds au Paraguay. Pour écrire, il faut soit avoir mis les pieds, soit faire marcher son imagination sur des actualisations lointaines de la même humanité que la nôtre, et dans tous les cas, il faut lire. Donc je lis, méthodiquement, tout ce que je peux trouver concernant le Paraguay. La tâche n’est pas commode, figurez-vous. Le Paraguay est un pays oublié en plus d’être misérable, et n’a jamais engendré de vaste bibliographie – exception faite, un peu, des aventures utopiques des missionnaires jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles, sur lesquelles désormais nous plaquons le visage de Jeremy Irons et Robert de Niro et la musique de Morricone.

Parmi les rarissimes livres ayant trait au Paraguay que je déniche au catalogue de la médiathèque, je lis Tupito le petit Guarani d’un certain Pierre Landais (éd. Entre deux rives, série « L’Amérique latine racontée aux enfants », 2002). Ce petit album format à l’italienne, peu engageant, au récit artificiel et aux illustrations moches comme un Pierre La Police qui aurait envie d’être sympa, a pour narrateur un garçon de 11 ans, cireur de chaussures à Asuncion, qui s’adresse directement au lecteur français, lui vulgarisant à grands traits son mode de vie (« Ami(e) ! Je vais te narrer une journée typique de ma vie »), l’histoire de son pays, sa géographie, ses horreurs passées. « Ceux qui ont commis le plus d’atrocités et de morts sont des généraux militaires devenus pas la suite chefs d’état : Gaspar Rodriguez de Francia et Stroessner, qui décima trois millions d’indiens Guarani pour pouvoir diriger le pays en toute tranquillité. J’espère que tu ne connaîtras jamais ce type d’individus qui ne mérite pas de vivre. »

Outre que le chiffre de trois millions est, je l’espère, une coquille (la population du Paraguay étant lentement passée, sous Stroessner, de 1,7 à 4 millions d’habitants, le génocide serait encore plus spectaculaire que celui des Khmers rouges), je tique sur la dernière phrase. Je me révèle soudain l’un de ces droitdelhommistes facilement raillés par les épigones réacs de Philippe Muray, parce que je suis, pour tout dire, scandalisé. Je ne prône certes pas l’angélisme et les bons sentiments en littérature jeunesse, je sais pertinemment que Stroessner était un tyran bien placé au hit-parade mondial des criminels de guerre… Mais « ils ne méritent pas de vivre » est une apologie de la peine de mort, et l’apologie de la peine de mort me chagrine, en littérature jeunesse comme ailleurs. D’autant que l’auteur ne peut même pas plaider la couleur locale des us et coutumes, puisque le Paraguay a aboli la peine de mort en 1992.

Les sept milliards d’actualisations de l’espèce humaine méritent toutes de vivre. Même les actualisations en barbares. Les barbares sont nos frères, c’est comme ça, c’est un principe. Un homme tue un autre homme = un crime. Kadhafi tue un opposant d’une balle dans la tête = un crime. Un opposant tue Kadhafi d’une balle dans la tête = un crime. Si l’on décide quel sept-milliardième mérite de vivre et quel autre non, on bascule, et le barbare est en nous.

(Londonomètre : 960 bien tassés.)

La voix du feu (Troyes épisode 27)

27/09/2011 Aucun commentaire

Il ne se passait rien. (François Bon, L’incendie du Hilton, p.95)

Il se trouve que j’essaye d’écrire un livre. Je prends pour point de départ un fait divers, un incendie en milieu urbain, puis je recherche les moyens appropriés pour raconter cette histoire de biais, et en extrapoler des considérations sur le monde dans lequel je vis. J’avais entendu parler, lors de sa sortie il y a un ou deux ans, de l’Incendie du Hilton, roman (du moins, étrangement qualifié tel sur la couverture) de François Bon, qui prend pour point de départ un fait divers, un incendie en milieu urbain, puis qui recherche les moyens appropriés pour raconter cette histoire de biais et en extrapoler des considérations sur le monde dans lequel vit François Bon. On comprendra que j’aie consciencieusement dédaigné de lire ce livre, craignant qu’il ne me parasite.

Une jeune fille avec qui je suis en correspondance (bonjour, Pauline) me demande récemment si je l’ai lu. Comme je réponds par la négative, elle se fait radicale : « Alors, ne le lis surtout pas ! C’est très mauvais. » Mauvais ? Bon ! (Cas de le dire, pardon.) Il ne m’en fallait pas davantage pour foncer tête baissée : si ce livre était loupé, je ne pouvais plus redouter, orgueilleux comme je suis, qu’il m’influençât.

Je viens de lire l’Incendie du Hilton. Le 22 novembre 2008, François Bon, invité au salon du livre de Montréal, loge dans une chambre de l’hôtel Hilton. L’hôtel prend feu. Tout le monde est évacué en pleine nuit. Le salon du livre devant avoir lieu dans les sous-sol de ce même hôtel, les stocks de livres risquent de partir en cendres et fumée, métaphore possible du microcosme littéraire et/ou de la place du livre dans la société. François Bon discute avec des gens. Finalement ce n’est pas grave, alors tout le monde remonte se coucher. C’est tout.

Je me préparais, d’après l’avertissement de ma correspondante, à détester ce récit plus franchement. Je l’ai trouvé mal écrit, laborieux, non nécessaire, répétitif (le genre de répétitions fastidieuses, pas lancinantes comme du Thomas Bernhard) mais, pour autant, pas détestable. Certaines pages sont dignes d’intérêt (j’ai même aimé le chapitre, pourtant hors-sujet, sur le stage de récupération des points de permis)… mais l’ensemble est certes bien mal fichu. J’essaye d’en tirer des leçons sur ce qu’il ne faut pas faire.

Mon avis global sur François Bon : il a incontestablement inventé quelque chose sur son blog, il a été l’un des pionniers de cette écriture-là, en flux électronique et participatif, éphémère en éphéméride, archi-subjective puisqu’égocentrique, en prise directe et quotidienne avec ce qui entoure le scribe, c’était gonflé et vif, subversif, nouveau, bon timing. Tous les écriveurs de blog lui sont peut-être redevables, moi inclus, même si je ne l’ai lu que tardivement. Les problèmes, je crois, sont venus quand il a appliqué ce style d’écriture à tout un bouquin : étiré sur 180 pages, un monologue à la blog ne tient pas, ne peut pas tenir, il va vieillir prodigieusement vite, ça n’a pas de colonne vertébrale, toutes ses petites réflexions sur ce petit événement sont déjà éventées, ni fait ni à faire, le livre est mort. Le défaut de François Bon est donc, à ce que je comprends, d’avoir confondu deux sortes d’écriture. Je me le tiens pour dit.

Londonomètre : 601.

La soif du Mall (Troyes, épisode 7)

07/09/2011 2 commentaires

Nous paradons dans les galeries marchandes, l’air d’être là en fraude mais sans remords.
Alan Moore, La Coiffe de naissance

Et qu’est-ce que vous nous écrivez de beau ? Six pains fantaisie, hum-hum… Avant-hier, ma métaphore boulangère me permettait surtout d’éviter d’entrer dans les détails sur ce que je bricole au juste. Très consciemment je louvoie et cabotine. La vérité est que je n’ai pas très envie de parler de ce que j’écris, de crainte de ne plus écrire ce dont je parle. Ce n’est pas là superstition, mais  conviction tout-à-fait rationnelle : trop dire avant de faire risque toujours de devenir fin-en-soi, dissiper l’envie, assouvir le désir, consumer l’énergie. En conséquence le verbiage du blog prend la tangente, et vous comprendrez que je préfère parler ici de mon rude combat contre un compteur électrique plutôt que d’écriture. Ou, à la rigueur, de l’écriture de livres échus.

Mais après tout, le pot-au-roses est déjà exposé au grand jour ! Puisque j’ai déjà circonscrit noir sur blanc mon principal chantier dans le dossier de candidature qui me bombarda troyens. Le titre est connu, et même reproduit sur le site de l’ORCCA : je suis en train d’écrire un livre qui s’intitulera L’arbre et le bâton. Du reste j’avais moi-même grillé le secret de longue date, par cette phrase imprimée dans l’opuscule tragico-ludique J’ai inauguré IKEA, p. 9 : « Je pense à L’arbre et le bâton ». Un peu que j’y pense, et depuis des années. J’ai de la suite dans les idées, au point de laisser dans un livre publié une allusion à un livre que j’écrirai un jour. Oui, il y a bien un rapport avec IKEA, et aussi avec l’une des nouvelles de mon recueil, « La gondole aux lutins », car mes marottes viennent de loin.

Pour la faire brève, ce livre que son titre camoufle en conte rustique raconte la grande distribution, et une catastrophe, et la grande distribution en tant que catastrophe, d’après un fait divers traumatisant survenu en août 2004. Mais il y aura aussi des scènes en forêt.

On ne trouve pas d’IKEA à Troyes (existe en revanche, misère des temps, une page « Pour un IKEA à Troyes ! » sur Facebook), mais ce ne sont pas les supermarchés et centres commerciaux qui manquent. Ni les forêts. Voilà pour l’inspiration.