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Avoir raison avec un complotiste plutôt que tort avec qui ?

01/02/2024 Aucun commentaire

Le complotisme est un point de vue plutôt qu’un contenu.
Un réflexe plutôt qu’un savoir.
Une forme plutôt qu’un fond, et c’est pourquoi il est si facile à caricaturer.
Mais une pensée, tout de même, non dénuée de sophistication.
Je reste fasciné par la pensée complotiste, admiratif des trésors d’imagination qu’elle déploie… du moins aussi longtemps que je fais abstraction des effets concrets des fantasmes produits, qui peuvent être mortels (tel complotisme justifie une guerre, tel autre une vengeance, une complaisance pour le totalitarisme, l’invasion d’un pays ou du Capitole… le plus souvent, il justifie seulement une inaction coupable).

Si bien que, hobby plus ou moins pervers, je continue de laisser traîner mes doigts et mes yeux dans l’intarissable prose complotiste, et j’avoue que parfois j’opine du bonnet devant une phrase, une idée, qui me paraît juste (le complotisme empile par nature le juste et le faux).
Jusqu’où peut-on être d’accord avec un complotiste sans le devenir soi-même ?

Exemple : j’approuve sans réserve la sentence, que je viens de relever dans une revue cheloue : « Il est important de pouvoir souligner partout que la dénonciation du “complotisme” sert d’abord à décourager la réflexion et la recherche d’information. »
C’est parfaitement exact. Cependant, je m’empresse d’ajouter que la logique complotiste AUSSI, si pleine de biais, « décourage la réflexion et la recherche d’information » puisque les idées préconçues lui servent de socle à toute démarche d’argumentation. Un partout. Non : zéro partout.

Pendant ce temps, le manuel burlesque La Théorie de la Compote, édité par l’Atelier du Poisson Soluble, est toujours en vente en librairie au prix dérisoire et fatalement symbolique de 9 euros.

Le sens est caché derrière l’anagramme

07/07/2023 Aucun commentaire

Si l’on cherche des anagrammes correspondant à la suite de mots aléatoire « La théorie de la compote », on tombe, comme par hasard, sur « Toi, Œdème phallocrate ».
Ou : « Coopter la mélodie = hate » .
Ou : « Empathie électorale ? Doo ! »
Ou : « Démocratie, hôtel opale » .
Ou : « La méthode Ciao-pétrole » .
Ou : « Acte rapide ? Hello # metoo ! »
Ou : « Léopold, âme théocratie » .
Ou : « Ophélie décalotte Omar » .
Ou : « Ami Théodore, le pactole » .
Ou : « Alcoolo ? Merde, hépatite ! »
Ou : « Oedipe récolta mâle hot » .
Ou : « Hamlet, le roi poète : coda » .
Ou (par conséquent) : « Ophelia, matelot décoré » .
Ou : « Othello, empoté, Arcadie » .
Ou (pour clôre l’instant shakespearien) : « Roméo et… Hop, détaille ça ! »
Ou : « Copte adorée mit le hola » .
Ou : « Toi, Lolcat, ado éphémère ! »
Ou : « Chiotte, Paloma remodèle » . (spéciale dédicace à Pablo Picasso)
Ou : « Échalote, poire modale » . (spéciale dédicace à Erik Satie)
Ou : « Philo éclatée moderato » .
Ou : « Comédie ? Tapote Le Horla » .
Ou : « Écho, pelote maladroite » .
Ou : « Polaroïd : Télécom athée » .
Ou : « Cool air, mode télépathe » .
Voire : « The cool dream : Éole tapi » .

Je pose très simplement la question : une telle accumulation de phrases signifiantes, de messages habilement sous-entendus, pour ne pas dire d’indices, peut-elle être une coïncidence ? Je vous laisse conclure en votre âme et conscience.

La Théorie de la Compote est aussi un livre en vente dans toutes les bonnes librairies.
Je ne vous apprendrai pas qu’il ne faut surtout pas croire tout ce qu’on peut lire sur Internet, surtout gratuitement.
Mais voilà, je vous signale tout de même, et vous vous ferez votre propre opinion, que l’éditeur dudit ouvrage a jugé bon d’en publier en ligne les premières pages. Gratuitement. C’est plus que louche.

Le vrai du faux

18/06/2023 Aucun commentaire

18 juin 2023 : joyeux anniversaire, Paul McCartney ! L’un des deux Beatles survivants a 81 ans aujourd’hui, chapeau.
On m’a aimablement fait remarquer que j’avais laissé passer une coquille dans La théorie de la compote. Car j’y ai écrit ceci :

« Il paraît, et c’est vrai hein, et même c’est plus que vrai c’est carrément logique, que plein de morts célèbres, Michael Jackson, John F. Kennedy, Jack l’Eventreur, Jésus Christ, Che Guevara, Marilyn Monroe, Claude François, Amy Winehouse, Napoléon, Lady Di, le petit Grégory, Johnny Hallyday, Paul McCartney, je sais plus qui j’en oublie mais la liste se trouve assez facilement je t’enverrai le lien, en réalité ils ne sont pas morts. Ils se sont brûlé les ailes comme Pégase. Ils se sont approchés trop près de secrets qui ne les concernaient pas trop, tu vois ce que je veux dire, des secrets de la CIA, et depuis tous les faux morts se cachent entre eux dans des bunkers ultra-sécurisés et attendent le bon moment pour revenir. « 

Ce n’est pas une erreur, figurez-vous. J’ai fait absolument exprès d’inclure sir Paul dans la liste des morts, en référence à l’une des plus anciennes et tenaces rumeurs virales entourant la pop culture. Cf. l’exégèse qu’en fait Pacôme Thiellement.

Comme j’ai écrit le premier jet de ce texte il y a 5 ans et qu’il a mis un temps assez long à paraître, pendant 5 ans je me suis dit : « Pourvu que McCartney ne meure pas dans l’intervalle, cela gâcherait ma blague ! « 
Merci McCa d’être encore vivant, joyeux anniversaire ! Il vient d’ailleurs d’annoncer la sortie d’un titre inédit des Beatles terminé par une intelligence artificielle, je demande à entendre…

(Et sinon, au cas où, puisqu’il faut être parfaitement transparent, « Ils se sont brûlé les ailes comme Pégase » c’est pas une coquille non plus.)

Julien Assange, bien placé pour émettre un avis sur les complots puisqu’il en a révélé une poignée et subi un autre, a récemment énoncé cette idée intéressante :

Je ne comprends pas pourquoi les gens se passionnent pour de faux complots, alors qu’il en existe tant de vrais.

Révérence gardée, il me semble que la réponse à sa question est des plus fastoches. On se passionne pour les complots, peu importe qu’ils soient vrais ou faux (la question de la discrimination entre le vrai et le faux étant autrement épineuse, et sacrément contemporaine), tout simplement parce que les complots sont d’excellentes histoires. On aimera les complots aussi longtemps qu’on aimera les histoires, qu’on aimera comment elles se construisent et comment elles nous construisent dans le même mouvement, comment elles nous tiennent en haleine, et comment elles nous révèlent la vérité petit à petit ou brutalement. Chaque théorie du complot est un whodunit, excitant comme du Agatha Christie.

C’est pourquoi je réclame que le complotisme soit inscrit au nombre, outre des pathologies mentales, des arts du récit. Le complot est un phénomène imaginaire, un phénomène littéraire. C’est en tant que tel que je l’ai abordé puis brodé, en ma petite fantaisie intitulée La Théorie de la Compote.

Avisse : le samedi 24 juin à 18h, je ferai une rencontre-lecture-dédicace-un-peu-n’importe quoi en l’excellente librairie la Caverne, 11 rue Montorge à Grenoble, et ce sera comme une inauguration officielle, sans petits fours et sans sous-préfet qui coupe un cordon tricolore, mais avec beaucoup mieux : avec Marie Mazille. Donc on chantera, aussi.

La tête en compote

19/05/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui 19 mai 2023 (deux ans jour pour jour après Nanabozo), surgit en librairie La théorie de la compte, éditions l’Atelier du Poisson Soluble.

Les théories du complot imprègnent l’air ambiant. Réchauffement climatique, premier homme sur la lune, attentats, vaccins, morts célèbres, grand remplacement, sociétés secrètes… Plus ou moins farfelues, mêlant dangereusement le vrai et le faux, elles forment un fascinant phénomène imaginaire, et même, lâchons le mot, littéraire : un mythe moderne. Voilà qui valait bien un livre.

Et même, pratiquement, deux : La théorie de la compote suivi de La compote de la théorie. Côté pile une fiction, surenchère burlesque / côté face un bref essai, pense-bête scientifique, qu’on lira dans l’ordre qu’on voudra.

C’est Olivier Belhomme, éditeur, qui a eu l’idée de cette double entrée : « Elle est bien, ta Compote, Fabrice, mais tu ne peux pas la balancer comme ça toute nue, de nos jours le sujet est trop sensible pour courir le risque du malentendu, tu aurais l’air de dire que tout se vaut, le vrai, le faux… Ton texte a besoin d’un autre texte qui l’accompagne, peut-être une préface, ou une postface ? »

J’ai rechigné, temporisé, hésité, rappelé qu’il n’y a rien de pire ni de moins drôle qu’une blague qui a besoin d’être expliquée… Mais je l’ai écrit, ce second texte, finalement convaincu par la forme tête-bêche de la maquette, un livre à l’endroit, un livre à l’envers, comme un rappel subliminal qu’en toute chose il vaut mieux considérer les deux aspects. Parfois, les éditeurs ont raison. Merci Olivier.

Et puis, c’est un livre violet. Je n’en avais pas encore, de livre violet. Jolie couleur. Un rapport entre la nuance lilas et le contenu du livre ? Oh ben forcément, puisque tout a un rapport avec tout, c’est le principe même du complotisme, jeu merveilleux et infini qu’ailleurs on appelle apophénie.

Voyons voir… Qu’évoque le violet ? Première image qui vient ? Le chocolat Milka. Milka, aussi suisse que le secret bancaire est évidemment associé à un complot lié au Covid-19 (« mille cas » , comme par hasard) ! Interrogeons aussi le langage des fleurs : la violette signifie Notre secret est bien gardé (complot !). Cette couleur violette est également celle des évêques (Vatican = complot !) et, plus tardivement, celle du féminisme (lobby = complot !), bref on n’est pas sorti des mailles du filet ! Qui est le coupable ? Le Cluédo nous avait prévenus, c’est le professeur Violet dans la bibliothèque.

Veuillez noter dans vos agendas : le samedi 24 juin à 18h, cet ouvrage sera officiellement inauguré en la librairie La Caverne, 11 rue Montorge, Grenoble. Lecture, dédicace, rencontre, et même un peu de musique, avec Marie Mazille en très spéciale guest-star. Donc nous chanterons.

La Théorie de la compote, suivie de la Compote de la théorie

03/05/2023 Aucun commentaire

Deux ans jour pour jour après avoir déballé un carton et en avoir extrait le roman Ainsi parlait Nanabozo, je déballe un carton et j’en extrais mon nouveau livre, La théorie de la compote (L’Atelier du poisson soluble). Il sera en librairie le 19 mai. Soit, à nouveau, deux ans jour pour jour après Nanabozo. Cela commence a faire beaucoup de coïncidences. Les signes sont partout.

Les signes ne sont pas tous propices… Ce livre a enduré un nombre suspect de bâtons dans les roues… Il a cumulé tant de retard qu’il a failli ne jamais paraître.
1) En mars dernier, j’ai envoyé les épreuves à la correctrice qui réside en Auvergne, et mon courrier, mystérieusement égaré par la Poste, a mis quinze jours pour parvenir à destination (soit moins de 30 kms par jour en moyenne, j’aurais pu le faire à pied, c’eût été bon pour ma santé).
2) Au moment de l’impression, la machine de l’imprimeur est tombée en panne, retardant de trois jours la livraison.
3) Lorsqu’enfin le tirage fut prêt, le transporteur a récupéré la palette chez l’imprimeur mais l’a déposée « par erreur » (sic) non à l’adresse de l’éditeur mais devant chez un commerçant qui n’avait rien demandé.
4) Je feuillette l’ouvrage, je le trouve bien sûr très beau, mais… Bon sang, il a été façonné à l’envers ! Certes, la maquette est piégeuse puisque ce livre est à double entrée, La théorie de la compote (fiction) d’un côté, La compote de la théorie (essai) de l’autre. Or désormais la couverture de La théorie de la compote ouvre sur La compote de la théorie et réciproquement, ajoutant à la confusion ! Ne reste qu’à espérer que le lecteur s’imagine que c’est fait exprès… Ma résolution est prise : lorsqu’à l’occasion on me fera remarquer ce brouillamini, je sourirai d’un air énigmatique.

Toutes ces mésaventures empilées sont-elles réellement des accidents, du manque de chance à répétition ? N’y aurait-il pas quelque part, derrière le rideau des apparences, certaines puissances occultes, actionnant les leviers, et cherchant par tous les moyens à m’empêcher de révéler dans ce brûlot ce que je sais sur le complotisme ? Ces péripéties auraient-elles pour objectif final d’intimider les libraires qui à juste titre pourraient craindre que leur boutique prennent feu « fortuitement » le 19 mai s’ils plaçaient ce livre dans leur vitrine ?
Il suffit de réfléchir deux secondes et le jour se fait : à qui le crime profite ? Quel empire éditorial tremble devant l’indépendance farouche de l’Atelier du Poisson Soluble, qu’il n’a jamais réussi à racheter malgré quelques OPA agressives (il a échoué de même à mettre la main sur le Fond du Tiroir et depuis m’en veut mortellement) ?
Vincent Bolloré, bien sûr ! Vincent Bolloré et ses complices reptiliens bien placés dans le Vatican sataniste, la CIA islamiste, le Big Pharma illuminati, et la République en marche renaissante !

Réussirez-vous à lire La Théorie de la compote le 19 mai ? Le suspense continue.

Le complotisme est un rapport au monde

08/02/2023 Aucun commentaire

« Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante, le complot exige un esprit rare. » Ce principe de précaution politique attribué à Michel Rocard, facile à trouver en ligne mais difficile à sourcer (quand, où, pourquoi Rocard a-t-il prononcé cette phrase ? on ne sait pas ! c’est louche !) semble une paraphrase du célèbre rasoir d’Hanlon qui lui, en revanche, est fort bien documenté : « Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer », et youpi.

Reste que les théories du complot existent (les complots aussi, quoiqu’un peu plus rarement), qu’elles ont même tendance à pulluler à la faveur d’un climat favorable et constituent un phénomène imaginaire très fertile, machines à histoires, fictions en marche, sensibilités exacerbées, élucubrations créatives, pelotes déroulées jusqu’au délire, exégèses infinie et sauvages à partir des moindres signes (par exemple d’une série de chiffres, y compris de chiffres attribués aléatoirement tel un numéro d’ISBN), apophénie parade, source intarissable de fascination et de griserie. Qui mérite bien qu’on lui consacre un livre, voire un millier. J’ai fait ma part, j’ai écrit le mien. Je lui ai donné la forme d’une blague politique de veine un peu comparable à Fatale spirale. Il s’appelle La théorie de la compote (j’ai hésité quelques secondes, je l’avoue, avec La théorie du compost), il paraîtra le 19 mai prochain (19, date intéressante parce que 1+9= 10, le un et le zéro, hum-hum, belote, disons, d’autant que mai 23 = 05.23 = 0+5+2+3 = 10, hum-hum les indices se recoupent) chez l’Atelier du Poisson soluble, et youpi.

Le Poisson soluble et moi, on se tourne autour depuis des lustres, on se cherche, on se renifle, on s’examine. Il aime ce que je fais, j’aime ce qu’il fait, il fallait bien que quelque jour nous concrétisions et apposions nos deux noms, non sur un parchemin mais sur une couverture. La Compote reposait dans un placard depuis des années, c’est le moment, elle est mûre, elle sort et youpi.

Le Poisson soluble est un éditeur étiqueté jeunesse, par conséquent ce livre va tomber sous le coup des mêmes malentendus que certains de mes précédents, avec la question pénible en épée de Damoclès : à qui ça s’adresse ? Idéal à 10 ans ? à 19 ans ? 28 ? 37 ? 46 ? Oh la la. J’ai une infinie gratitude à Olivier Belhomme, éditeur, de ne pas me l’avoir posée une seule fois durant tout le processus de création, et youpi.

Il s’agit de mon 22e livre et de mon 6e éditeur (je ne compte pas le Fond du Tiroir parmi mes éditeurs). Hum hum. Attends je recompte, suis-moi bien. J’additionne les livres et les éditeurs, 22 + 6 = 28. Et 2 + 8 = 10. Hum-hum. Rebelote : le un et le zéro. Et youpi.

Ce livre a pour numéro d’ISBN 978-2-35871-181-4 (indéniablement l’un des plus beaux numéros d’ISBN du monde, ex-æquo). Or si l’on ajoute tous les nombres qui le composent on obtient 64, et (suis-moi toujours) 6 + 4 = 10 ! Encore 10 ! Carrément 10 de der, un et zéro, soit les deux seuls caractères de l’alphabet universel et numérique permettant de tout exprimer, le oui et le non, le vrai et le faux, l’être et le néant, le plein et le vide, le tout et le rien, le singulier et le grand saut, le yin et le yang, la vie et la mort, l’absolu et la case départ, l’exigence et l’opiniâtreté, le mur et la fenêtre, le confit de canard et le steak de tofu, le poisson et le soluble, la compote et la théorie, le passé et le futur, en un mot (plutôt en deux) ce numéro d’ISBN est le signe, peut-être même la preuve, que ce livre marque un changement de cycle et d’ère et d’énergie. Et youpi.


(Pour lire une autre hypothèse sur le contraire de un, c’est par ici)

(Pour lire une autre obsession numérologique, cf. Le Produit de ses fouilles in Voulez-vous effacer/archiver ces messages ?)

La machine à décerveler du père Ubu

27/10/2022 Aucun commentaire

Le formidable et palpitant film documentaire consacré à « l’agnotologie » et à la désinformation, La Fabrique de l’ignorance (Franck Cuveillier et Pascal Vasselin) a reçu le prix Parisciences 2021, et c’est justice.

Cette archéologie, non pas du savoir, mais du non-savoir stratégique, est une œuvre de salubrité publique. Les deux auteurs décortiquent comment, depuis les années 50, les grandes compagnies (tabac, amiante, carburants, pesticides, chimie, plastiques, agroalimentaire, nucléaire, numérique, etc.) ont privatisé la méthode du doute scientifique ainsi qu’ils ont privatisé tout le reste du bien commun, afin de retourner perversement la science contre elle-même, et de dynamiter la notion même de savoir. Sophisme : le scepticisme est une vertu scientifique, n’est-ce pas ? Alors les climatosceptiques sont les seuls vrais scientifiques. Les conclusions de leurs commissions d’experts appointés par ces compagnies (ou, pire encore, sincères) est, de façon récurrente, “On ne peut pas savoir” (si le tabac, l’amiante, les carburants, les pesticides, la chimie, les plastiques, l’agroalimentaire, le nucléaire, le numérique, etc… sont réellement dangereux).

Ainsi est réduit à néant tout ce qui pourrait entraver leur “bizness as usual” et leurs profits. Dans l’un des documents confidentiels ayant fuité (cf. la 26e minute du film), on lit cet aveu extravagant :

« Le doute est notre produit car c’est le meilleur moyen de concurrencer l’ensemble des faits présents dans l’esprit du public, c’est aussi le moyen d’établir une controverse. »

Le doute, principe qui enorgueillit et élève la pensée humaine au moins depuis Descartes, est ravalé à l’ignoble niveau de l’astuce marketing. La responsabilité morale de ces compagnies dans la confusion mentale généralisée à notre époque saturée de “faits alternatifs” , de mensonges décomplexés, de trumpisme et de poutinisme, est colossale et sera impossible à rembourser – tout comme les crimes contre le vivant lui-même.

Le documentaire n’est plus en ligne sur Arte (sauf en payant sur la boutique) mais on le trouve en deux clics sur Youtube.
Le paradoxe, ironiquement souligné par le cinéaste lui-même, est que son succès aura été, aussi, celui des complotistes qui ont massivement regardé le film… Mais il est parfois terriblement difficile de contredire les complotistes : comment appeler un cénacle de messieurs encravatés qui se réunissent dans une salle de conférence et élaborent une stratégie globale de décervelage, sinon “un complot” ?

Également sur Youtube : notre chanson Vos gueules (Leïla Badri, Norbert Pignol, Fabrice Vigne et Nicolas Coulon), d’une actualité sans date de péremption puisque les gueules ne se ferment pas, ferait une excellente bande originale pour ce film. « Tiens, une abeille est morte, tralalala… » :

Sur le même sujet que La fabrique de l’ignorance, et mettant en exergue cette hallucinante même citation (Notre produit, c’est le doute), on se réfèrera à ce déjà classique de 2010 réédité cette année aux éditions du Pommier, Les Marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik M. Conway.

Malheur aux gauchers

05/09/2020 Aucun commentaire
The Left Handed Gun, Arthur Penn, 1958

Des gauchers, parmi vous ? Levez la main pour voir, que je vous compte ? Allez-y levez la main gauche ne soyez pas timides… De toute façon pour certains d’entre vous je sais déjà alors, il n’y a pas de honte. Ah voilà c’est pour le premier que c’est le plus dur et le plus courageux, les autres suivent. Un, deux, trois…

De gaucherie, il en est de tout temps, il en est en tout lieu. Si l’on cherche des statistiques précises sur les gauchers, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des gauchers contrariés, qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir droitiers pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des ambidextres qui échappent aux catégories), mais disons, d’après une source facile d’accès qui commence par Wiki et se termine par pedia, que les gauchers constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité renversée, qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça.

Dès que l’on se met à chercher les gauchers et à les énumérer on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot. Barack Obama, Oussama Ben Laden (ah ! il était temps qu’on leur trouvât un point commun à ces deux-là ! Étonnant que Trump ne s’en soit pas encore servi…), Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs, David Rockfeller, Benyamin Netanyahou, Hugo Chavez, Winston Churchill, Ronald Reagan, César, Napoléon, Aristote, Léonard de Vinci, Beethoven, Georges Perec, Stan Lee, Jean-Pierre Mocky, Sigmund Freud, Marilyn Monroe, Albert Einstein, Charles Darwin, Lewis Carroll, Paul Verlaine, Tignous (le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, au fait), Pierre et Marie Curie (deux mains gauches irradiées), Scarlett Johansson, Charlie Chaplin, Jean Genet, David Bowie, Jack l’éventreur, Elizabeth II, Hélène Grimaud, Glenn Gould, John McEnroe, Paul McCartney, Jimi Hendrix, Laurence Menu…

Or m’est advenue l’idée d’un roman à écrire, qui se passerait dans un monde parallèle où les gauchers sont punis de mort. De quoi carburer de la racontouze. Rien qu’en imaginant ce que pourrait être un monde où l’on se serait débarrassé de Marie Curie (pas de bombe atomique), de Freud (pas d’inconscient), de Darwin (pas d’évolution), d’Einstein (pas de relativité), de Paul McCartney (pas de Beatles), de Ben Laden (pas de 11 septembre) et de Marilyn Monroe (pas de Marilyn-Monroe), on entrevoit le pain sur la planche, tout un monde alternatif, une dystopie en dix volumes ou une série Netflix en six saisons.

Au sein de cette théocratie, le pouvoir est exercé et distribué par l’Ordre Droit, caste de saints-caciques, dignitaires religieux dont la pyramide est couronnée par l’Archisatrape. Les ancêtres de l’Ordre Droit, fondateurs de la caste, sont parvenus autrefois à prouver, grâce à l’interprétation spécieuse mais incontestables de quelques versets sibyllins extraits de manuscrits vieux de mille-cinq-cents ans, que les gauchers sont des individus maléfiques, et que Dieu (droitier, cela est prouvé positivement par les Docteurs de la Foi) déteste de toute Sa force et de Sa colère ces hérétiques, ces être impurs, inversés, invertis, diaboliques comme un miroir, habités par le sheitan, qui utilisent pour de nobles gestes (compter les boules d’un chapelet à prières, par exemple) la main maudite alors que tout le monde sait que la tradition oblige à cantonner cette main retournée aux tâches ignobles comme se torcher le cul. La Gauche c’est le Mal. Les insultes les plus courantes de ce monde-ci sont gauchards, gauchones, gauchiens, ou gauchiasses (ah non zut, je ne peux pas employer cette insulte-là, elle existe réellement dans un tout autre sens), et fusent en direction non seulement de ceux que l’on surprend à utiliser devant témoin leur main gauche (dite sinistre), mais également pour invectiver quiconque l’on souhaite rabaisser selon les circonstances de la vie. Exemple : « Regarde-moi ce sale gauchien qui double par la gauche sur l’autoroute ! Va niquer par la gauche, hé pauvre sinistre ! » Les gauchers sont traqués, dénoncés, persécutés, spoliés, humiliés. Les brimades vont de la simple amende aux sévices corporels (déambulation dans les rues avec le bras gauche attaché dans le dos) et même jusqu’à la prison et aux camps de rééducation. Voire, dans certains cas de récidives ou de cumul avec d’autres crimes (résistance à la force publique, rébellion, blasphème), à la mise à mort en place publique, selon un rituel immuable intitulé La Bébête qui monte, qui consiste, tout en psalmodiant des hymnes célébrant la bonté et la miséricorde du Tout-Puissant, à trancher à la hache d’abord les premières phalanges des doigts de la main gauche, puis les suivantes, puis le poignet, le coude, le poignet, et enfin fendre la tête en deux pour en jeter la partie gauche aux ordures afin que l’âme immortelle, enfin délivrée, puisse s’envoler vers le paradis des droitiers qui sont les chouchous de Dieu.

Il y faut naturellement une intrigue sentimentale. L’héroïne de l’histoire, je la vois d’ici, est une jeune femme intrépide, amoureuse d’un garçon qui, un beau jour, après une tendre étreinte à l’abri des regards, lui a révélé sans parvenir à retenir ses larmes son terrible secret : « Je dois t’avouer une chose… Peut-être ne voudras-tu plus jamais me regarder après cela mais je ne peux plus te mentir… Voilà… Je suis gaucher. J’ai tellement honte ! Moi qui croyais que les gauchers avaient été officiellement éradiqués par le Saint Ordre Droit ! Je suis une erreur de la nature, un monstre !
– Non, tais-toi ! Ne détourne pas les yeux, regarde-moi comme je te regarde ! Peu importe la main avec laquelle tu me caresses, je t’aime tel que tu es » , a-t-elle répondu en lui embrassant chaque doigt de la main gauche (puis le poignet, le coude, l’épaule, le cou, le côté gauche de la tête, parodiant en douceur l’ignoble rituel de la Bébête qui monte). Mais voilà qu’un jour, son amoureux disparaît sans laisser de traces. Que s’est-il passé ? Où est son amant ? Est-il encore seulement en vie ? La jeune femme se lance dans une quête pleine de dangers, aventures et rebondissements qui la verront traverser moultes strates de cette société, jusqu’au sommet du pouvoir où elle découvrira bien malgré elle ce que les Grands Satrapes de l’Ordre Droit auraient voulu maintenir caché… (Alerte spoiler : l’Archisatrape en personne est un gaucher contrarié !)

Bon. Reprenons notre souffle. Des idées de roman il peut m’en venir une par jour mais j’écris un roman tous les cinq ans, donc je me rends à l’évidence, je n’écrirai jamais ce livre. Si l’idée vous inspire, je vous en prie elle est à vous, c’est cadeau, ma tournée, de rien, mettez-vous au boulot.

Quel chemin a-t-elle emprunté avant de surgir, cette idée ? Voici son déclic. Son inspiration dans le monde réel. Une autre histoire, une vraie cette fois.

La saison dernière, en compagnie de Marie Mazille, j’ai effectué dans un collège un atelier d’écriture de chansons sur le thème des insultes (cf. ici, scroller tout en bas de la page, Jour 60). Nous débattions avec ces braves ados turbulents des insultes les plus usuelles et nous nous sommes arrêtés un moment sur pédé, ainsi que sur son corollaire enculé, qui à eux deux fournissent une base extrêmement solide, et même majoritaire, au répertoire juvénile des outrages. J’ai entrepris avec eux de réfléchir au sens de ces mots et à tenter d’élucider pourquoi l’homosexualité servait à ce point de repoussoir. Peut-on accabler quelqu’un pour quelque chose qu’il n’a pas décidé ? Ah mais en fait vous croyez peut-être que ceux qui sont pédés ont choisi de l’être ? Deux ou trois secondes de silence… Puis un petit gars plus audacieux que les autres tente : Ben oui ! Okay. Tu es sûr de ça ? Toi, par exemple, tu as choisi de ne pas l’être ? Le jeune homme botte en touche et répond, du ton de l’évidence, sur un autre registre. Mais, M’sieur, c’est pas normal, être pédé ! D’accord, alors discutons de ce qui est normal. La norme, c’est le plus grand nombre. Par conséquent, certes, les hétérosexuels sont normaux puisqu’ils sont les plus nombreux. Mais des homosexuels, il en est de tout temps, il en est en tout lieu, donc il est également normal qu’il y en ai toujours quelques-uns. Si l’on cherche des statistiques précises sur les pédés, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des homosexuels contrariés qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir hétéros pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des bisexuels qui échappent aux catégories), mais disons, si l’on se fie à quelques recherches croisées sur Internet, que les homosexuels constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça. Par contre si on se met à les chercher et à les énumérer, on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot (ah le fameux lobby gay !).

Une objection fuse immédiatement dans le cercle de cette classe de 5e : Ouais, mais d’après la religion…

Oh putain la religion, la pire de toutes les théories du complot, c’est reparti, c’était fatal, dès qu’on parle de préjugés la religion vient nous emmerder en moins de cinq minutes pour faire croire qu’un préjugé est une Vérité puisqu’elle a été décrétée il y a longtemps. J’ai poussé un long soupir, puis j’ai déclaré que ce qui serait vraiment génial avec les religions, c’est qu’elles se préoccupent de religion. C’est-à-dire qu’elles se consacrent à prouver l’existence de Dieu, et rien qu’avec ça elles auraient de quoi s’occuper, elles n’auraient plus suffisamment de loisirs pour nous dicter ce que nous devons faire de nos culs. Je ne suis pas sûr que le message soit bien passé.

Les religions servent de caution et de légitimation à n’importe quoi, et leur avis est indiscutable puisque c’est la définition même de sacré : on ne discute pas.

À bas le sacré. À bas la légitimation par la religion de la connerie, des préjugés, des violences verbales et physiques. À bas la religion, s’il le faut. Au fait, le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, mais je l’ai déjà mentionné plus haut, je crois.

Je ne vois pas du tout pourquoi tu me fais parler de tout ça

11/07/2018 5 commentaires

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L’entretien imaginaire est une pratique courante chez les artistes qui se méfient des journalistes et qui jugent plus sûr, pour s’exprimer librement et être mieux compris, d’inventer un interlocuteur, de rédiger eux-mêmes les questions et les réponses. Exemple : en 1971, Frank Zappa accompagne la sortie de son film 200 Motels non d’une tournée des popotes médiatiques mais de la publication d’une fausse interview qui lui permet de faire comme si un journaliste intelligent lui posait les bonnes questions, de s’expliquer enfin sur ce que peut bien signifier tout ce bazar, et notamment ce qu’il entend par la mythique et mystique Grande Note.

Pourtant, certains écrivains poussent plus loin le bouchon et hissent l’entretien imaginaire à la dignité de livre. Il me semble (contredisez-moi, je vous prie) que Louis-Ferdinand Céline a inventé le principe, avec les Entretiens avec le Professeur Y, fausse interview parue en même temps que le roman Normance (1955) dont Gallimard supposait, avec raison, qu’il courait au bide… Céline accepte de jouer le jeu des interviews seulement s’il peut en pervertir les règles : il crée de toutes pièces un Professeur Y, personnage bouffon et incontinent, célinien en diable, un peu intellectuel, un peu journaliste, un peu résistant, un peu écrivain, un peu jaloux (il a comme tout le monde quelques manuscrits en souffrance chez Gaston), qui recueillera ses propos et son art poétique, et qui bien entendu lui sera hostile.

Vingt ans plus tard, autre occurrence fameuse mais que, tout à mes lacunes, je viens seulement de découvrir avec quelles délices : La nuit sera calme de Romain Gary (1974). Marionnettiste plus roublard encore que Céline, Gary choisit comme interlocuteur dans ce livre faussement oral et impeccablement écrit, une personne réelle, son ami d’enfance François Bondy, qui accepte de lui servir de prête-nom et de faire-valoir (un peu de la même façon que Paul Pavlovitch avait consenti à incarner pour les caméras une autre facette de son oncle Romain Gary : Emile Ajar).

Gary s’écoute parler et truffe ce dialogue feint de micro-désaccords d’opérette, qui l’autorisent notamment, après un long aparté où il aura dit très exactement ce qu’il voulait dire, à déclarer à « François Bondy » : Je ne vois pas du tout pourquoi tu me fais parler de tout ça. Comme c’est commode.

Je m’intéresse beaucoup à ce procédé pour des raisons techniques : l’une des questions que je me pose en littérature porte sur l’usage du Je, qui n’est dans tant de romans convenus qu’une ficelle, un cliché sans justification, un artifice démotivé et décourageant. Or cette question de la première personne (pourquoi est-ce que je parle comme ça ?) trouve opportunément sa résolution dans la deuxième personne (je parle parce que je te parle). Je est non seulement un autre, mais toujours une fiction. Toi aussi.

Mais au-delà de cet intérêt formel qui ne regarde que moi (sauf si toi aussi, je me permets de te tutoyer, ça me donne une contenance, sauf si toi aussi tu es en train d’écrire un roman), La nuit sera calme est fort savoureux simplement parce que Gary est un fabuleux conteur. Je croyais que je ne m’intéresserais qu’à ses souvenirs d’enfance ou de jeunesse, oh oui raconte-nous encore ta maman Mina ou ton « papa » De Gaulle, et aussi quand tu étais délinquant, héros, aventurier globe-trotter, diplomate, ou amoureux (ah comme il parle bien des femmes, du « grand amant » qui n’est pas celui qui consomme une femme par jour mais celui qui a l’imagination nécessaire pour faire l’amour à la même femme chaque jour durant 30 ans (1), du féminisme et de son contraire, qu’il prononce à l’italienne, machismo – cf. les dernières pages du livre où il raconte comment les hommes, « peu sûrs de leurs moyens, ont fait des femmes qui jouissent un objet de dégoût » , de là culte de la Vierge Marie, insulte aux salopes et aux mères, excision, infibulation et autres monstruosités), ou même écrivain…

Mais curieusement je me suis passionné aussi pour les longs passages d’actualité dont l’obsolescence était programmée (sélkadeuldire : Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable), où il dégoise sur la politique de son temps, où il donne son opinion sur tant de figures oubliées, retournées fantômes depuis lurette et dont le seul destin finalement aura été de devenir des personnages de Romain Gary : Pierre Messmer, Robert Badinter, Alain Poher, Gaston Defferre, Michel Jobert, Henry Kissinger, tout l’U.D.R….

Je remarque que Gary remâche avec mélancolie l’Europe, l’un des grands sujets de son œuvre depuis Éducation européenne (1945) jusqu’à Europa (1972)…

S’il existait chez nous, aussi bien en tant que nations qu’en tant qu’hommes, les conditions psychiques, morales et spirituelles pour « faire l’Europe », eh bien ! nous n’aurions plus besoin de faire l’Europe… car cela s’appellerait fraternité.

Je recopie son éloge du cinéma américain (lui qui fut un peu cinéaste et un peu américain) dans des termes qui me rappellent ma propre arrivée à New York :

Il est à peu près impossible d’avoir un premier contact avec l’Amérique. C’est probablement le seul pays qui est braiment comme ça, tel qu’on le connaît avant d’y aller. La première chose que tu constates en arrivant, c’est que le cinéma américain est le plus vrai du monde. Le plus mauvais film américain est toujours véridique, il rend toujours compte fidèlement des Etats-Unis. Cela rend la découverte de l’Amérique très difficile. Tu n’as droit qu’à une longue suite de confirmations. Tu prends un film américain et chaque bout de pellicule est imbibé d’authenticité, quelles que soient l’inanité et l’invraisemblance de l’ensemble. L’Amérique est un film. C’est un pays qui est le cinéma. Cela veut dire quelque chose de plus que le rapport réalité-cinéma. Cela veut dire que la réalité américaine est si puissante qu’elle bouffe tout, si bien que tous les modes d’expression artistiques là-bas sont toujours spécifiquement américains, le cinéma, le théâtre, la peinture, la musique.

Je constate que Gary « est Charlie » :

Les hommes politiques, du moins ceux qui ne sont pas de faux monnayeurs, n’ont rien à redouter de Charlie Hebdo, du Canard enchaîné, de Daumier, ou de Jean Yanne. Bien au contraire : s’ils sont vrais, cette mise à l’épreuve par l’acide leur est toujours favorable. La dignité n’est pas quelque chose qui interdit l’irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité. (…) Il n’y a pas de démocratie, de valeurs concevables, sans cette épreuve de l’irrespect, de la parodie cette agression par la moquerie que la faiblesse fait constamment subir à la puissance pour s’assurer que celle-ci demeure humaine. (…) Il y a des fous sacrés qui sont seuls capables de nous faire sentir ce qui est sacré et ce qui est imposture. (…) Les vraies valeurs résistent, les fausses se défendent par la censure, la prison, les hôpitaux psychiatriques…

Je m’émerveille qu’il ait (toujours depuis 1974, et même depuis ses souvenirs de 1956) un avis sur l’affaire Weinstein :

En 1956, quand je suis arrivé sur place, alors que la télévision commençait sa marche conquérante, les tsars d’Hollywood ont fait comme tous les tsars lorsque la révolution menace : ils n’y ont pas cru. Ils se sont fait bouffer en dix, douze ans. Mais en 1956, ils pouvaient encore faire semblant. Les grands patrons des studios, ceux qu’on appelait les géants, se prenaient tous pour des sur-mâles, c’était des hommes qui n’avaient jamais liquidé leurs problèmes d’enfance. Le résultat était une surenchère dingue dans le machismo, sous toutes ses formes de puissance, puissance sexuelle, puissance d’argent, écrasement du plus faible, mépris de la faiblesse, la femme traitée comme objet de petite consommation. (…) Dans ces cas-là, l’étalon de mesure c’est le zizi et le fric, et l’amour traîne quelque part dehors, chez les petits.

Et je surligne qu’il souligne la prégnance à son époque des théories du complot (ces théories, intemporelles, ne se propagent de façon exponentielle aujourd’hui que pour des raisons technologiques) :

La caractéristique la plus typique du Gros Malin c’est que, dès qu’il ignore quelque chose, il devient particulièrement au courant et renseigné là-dessus. Il a un véritable culte des « puissances occultes » qu’il adore haïr, dont il voit partout les manifestations et comme il a l’esprit très logique, qu’il aime expliquer, cette clé de conspiration universelle lui procure un sentiment entièrement satisfaisant d’avoir une réponse à tout. Les Jésuites, la main de Moscou, les francs-maçons, la C.I.A., les diplomates tortueux et naturellement « machiavéliques » , cela a toujours fair partie du confort intellectuel du Gros Malin. (…) Je prenais l’aitre jour un café dans un bistrot dont le patron était violemment anti-arabe. Il me tenait un discours d’une admirable logique. Il m’expliquait que Pompidou avait trahi, qu’il était vendu aux Arabes, et qu’il avait ainsi trahi les Juifs, car tout le monde sait, m’expliquait-il d’un air prodigieusement Malin, que c’est les Rotschild qui ont mis Pompidou à la présidence de la République, et enfin concluait-il, qu’est-ce qu’il foutent les Rotschild, qu’est-ce qu’ils foutent les Juifs, comment laissent-ils Pompidou faire ça ? Or, il ne s’agissait nullement d’un délirant, mais d’un cas extrême de cette connerie [qui sait lire et écrire], renseignée, informée sur tout, qui sait, qui connait, à qui on le la fait pas.

Enfin je note avec admiration la superbe clairvoyance de Gary quand il résume la Guerre Froide (en plein dedans pourtant, 1974 je le rappelle) en déniant aux deux blocs toute divergence idéologique majeure :

Il y a une seule civilisation occidentale matérialiste, dont les deux pôles magnétiques sont l’U.R.S.S. (matérialisme soviétique) et les États-Unis (matérialisme capitaliste) […] C’est la même civilisation avec [nous au milieu, et] en ses deux extrémités un choix différent des injustices.

Des deux côtés du rideau de fer, Gary observe une même course au productivisme, à l’exploitation, à la corruption et aux mensonges bureaucratiques, ces mensonges qui « tuent l’imagination » et l’humanité, l’amour, l’art, la politique aussi, qui tuent ce qu’il appelle « la part Rimbaud » . Comme on est loin des Nouveaux Philosophes, Bernard Henry-Levy en tête, qui, peu après, martèleront que le mal absolu c’est le communisme et son goulag, et donc finalement le grand marché libéral américain c’est plutôt coolax et vivement la mondialisation américaine (on appellera ça La pensée unique, mais c’est une autre histoire, c’est la nôtre).

« François Bondy » tente une objection, il fait son BHL : « Il y a tout de même une différence profonde [entre les deux blocs]. La ligne de partage ne vient-elle pas d’être révélée par l’affaire Soljénitsyne ? » La réponse de Gary à lui-même est cinglante :

Ah non, pas ça ! Les États-Unis ont plusieurs Soljénitsyne sur le dos. […] Enfin, c’est incroyable ! A-t-on oublié que c’est le jeune politicien Nixon, et ensuite le vice-président Nixon [Richard Nixon démissionnera de son poste de Président des États-Unis quelques mois après la parution de ce livre, mais les deux événements sont apparemment sans lien] qui a soutenu, encouragé, poussé le sénateur McCarthy lorsque les États-Unis emprisonnaient, privaient de leur gagne-pain et confisquaient les passeports des intellectuels américains accusés d’ « activités anti-américaines » ? […] Cette accusation d’ « activités anti-américaines » utilisée contre des milliers de libéraux, c’est exactement l’accusation d’ « activités antisoviétiques » lancée par la bourgeoisie soviétique orthodoxe contre Soljénitsyne. C’est avec la bénédiction de M. Nixon que les autorités américaines retiraient son passeport au grand chanteur noir Paul Robeson, poussaient au suicide des acteurs et écrivains déclarés « subversifs » , empêchaient le grand romancier Howard Fast à la fois d’émigrer et de publier, et mettaient d’autres écrivains en prison pour délit d’opinion ou refus de dénonciation…

Etc., etc. Tout bien considéré, les traits d’intelligence jetés sur l’actualité vieillissent mieux que l’actualité, et je préfère lire les écrivains morts que Facebook. Et maintenant, cher ami, pour profiter pleinement de l’expérience de lecture Le-Fond-du-Tiroir-en-Réalité-augmentée-par-le-Réel-en-Papier-sans-Flashcode, munis-toi de ton exemplaire de Reconnaissance de Dettes, relis au passage l’épigraphe signée Emile Ajar/Romain Gary qui ne pourra pas te faire de mal, puis rendez-vous au paragraphe presque inaugural I,4 à la page 23.

(1) – J’emploie le mot imagination, je ne crois pas que ce soit le terme exact de Gary mais peu importe, vous voyez ce que je veux dire. Il faut comprendre ici imagination comme un synonyme un peu moins niais d’amour, nous savons bien que l’amour est un phénomène imaginaire et c’est en cela qu’il est beau.