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Articles taggués ‘Musique’

Ella & Dizzy

17/03/2024 Aucun commentaire

À la faveur d’un malentendu tout-à-fait amical, Marie Mazille et moi-même sommes invités à donner un concert dans le Off du Festival de Jazz de Voiron.

Nous avons dûment averti que ce que nous faisons est assez peu qualifiable de « jazz » sauf bien entendu à s’en remettre à la définition extensive donnée par le regretté Howard Becker, sociologue et pianiste : « Si c’est intéressant, c’est du jazz » .

Comme nous n’avons peur de rien, et certainement pas du ridicule (où en serions-nous dans le cas contraire, je vous le demande), nous avons relevé le défi. Notre duo, intitulé jusqu’à présent Victor & Wolfganga, s’est sur le champ rebaptisé Ella & Dizzy, et ainsi nous irons faire swinguer nos chansons et mirlitons à Voiron, le mardi 2 avril à 19h, entre les rayons de la librairie Au bord du jour, 20 rue Dode, d’ailleurs mon correcteur orthographique à l’instant me suggère Rue Dodécaphoniste, et en voilà un signe propice.

(Pour faire connaissance avec cette admirable librairie et son excellente tenancière, Géraldine Hérédia, on peut cliquer ici.)

Le répertoire du jour sera constitué de nos fantaisies habituelles, augmentées de pas moins de trois créations mondiales conçues exclusivement pour l’événement : Bonne fête Sandrine (car nous consultons toujours scrupuleusement l’agenda avant d’accepter une date, et le 2 avril est bien Sainte-Sandrine) ; Le syndrome de l’imposteur (tango) (spéciale dédicace à J.-L. S.) ; et enfin, puisque nous sommes là pour jazzifier un minimum, Caravan, le standard orientalisant de Duke Ellington que nous avons sans vergogne outragé avec des paroles françaises.

Stages de chansons, c’est reparti

16/02/2024 Aucun commentaire

STAGES CRÉATION ET ENREGISTREMENT DE CHANSONS

9-10 et/ou 23-24 mars

Oyez, oh yeah ! Le dynamique duo Marie Mazille/Fabrice Vigne met à jour son agenda de formations 2024.
Depuis huit ans, Marie et Fabrice font, mais aussi font faire, des chansons.
Ils proposent des ateliers, des formations, des stages, pour une durée qui va d’un quart d’heure (formule Chanson à manger sur place ou à emporter) à une semaine, en passant par l’atelier « classique » de deux heures ou le week-end en immersion…
Vous portez en vous une chanson ? Vous l’entendez fredonner dans votre oreille interne, depuis deux jours ou depuis toujours ? Marie et Fabrice vous aident à l’extérioriser – avec doigté bien sûr, avec délicatesse, avec humour, avec technique et avec imagination.

Tout-terrain, Marie et Fabrice ont proposé leurs services à des écoles ou collèges, des musées, des bibliothèques, des associations de quartiers, des salons du livre, des MJC, des hôpitaux… Et quel que soit le format, à chaque fois chacun repart avec la joie de la chanson créée.

Sous ce lien Soundcloud, quelques-unes des maaaaagniiiifiiiiiques chansons nées pendant les stages de Marie et Fabrice, enregistrées aux bons soins de Patrick Reboud.

Deux prochaines sessions, mars 2024

* en duo (Marie Mazille + Fabrice Vigne) le week-end des 9-10 mars aux Épicéas (Méaudre) // Possibilité de monter à Méaudre dès le vendredi 8 mars au soir.
Les repas seront partagés, apportez vos spécialités. Prévoir trois repas (quatre si vous êtes présent dès le vendredi soir) : samedi midi (attention, repas froid pour cause cuisine inaccessible), samedi soir, dimanche midi. Restitution tranquille le dimanche en fin de journée, vers 17h : invitez vos amis et familles pour écouter vos chansons.

* en trio (Marie Mazille + Patrick Reboud + Fabrice Vigne) le week-end des 23-24 mars à Solexine, 12B rue Ampère à, Grenoble (38). Attention ! Celui-ci est un stage de niveau 2 : ouvert seulement à ceux qui ont déjà effectué un stage avec nous, qui ont déjà une chanson au moins en chantier, qui souhaitent la parachever et s’essayer à l’exercice de l’enregistrement.

Naturellement, il est possible, sinon chaudement recommandé, d’enchaîner les deux stages, dans la limite des places disponibles ! Venez créer votre chanson le week-end des 9-10 mars, et la peaufiner, l’arranger et l’enregistrer, le week-end des 23-24 mars.

Tarif pour chacun des deux stages :

Tarifs : 150 euro tarif normal / 100 euros tarif réduit (vous avez sûrement droit au tarif réduit).

Frais supplémentaires pour les nuitées du stage des Épicéas (9-10 mars) : 30 euros les 2 nuits (16 pour les QF inférieurs à 1000) / Seulement nuit du samedi au dimanche 22 euros (12 pour les QF inférieurs à 1000) / + adhésion aux Épicéas : 10 euros)

Renseignements complémentaires et inscriptions : Marie 06 60 88 95 84.

Musiciens bienvenus (amenez vos instruments), non-musiciens bienvenus aussi (amenez votre voix, votre cerveau, vos mains).

Et pour ceux qui en veulent plus (des références, des liens), encore plus (des biographies, de la gaudriole), toujours plus (le livre d’or de nos stagiaires reconnaissants), il vous reste à flasher le QRcode ci-dessous, et vous serez sans délai téléporté.e.s dans un monde merveilleux et une forêt magique gorgée de licornes et fées bizarres, où les poèmes et les mélodies vous sortiront en arc-en-ciel par tous les orifices, avec effet positif garanti ou remboursé sur la santé, les examens, la régularisation des papiers, la libido, la paix dans le monde, la caisse la plus rapide au supermarché, et le retour de l’être aimé en 14 jours chrono. Ou alors, au pire, vous aurez seulement créé une chanson rien qu’à vous, qui vous comblera de fierté, de joie, et de consolation.

Alice, Charles et nous

29/11/2023 Aucun commentaire

En juillet dernier, le Marie Mazille Trio (Marimazille + Christophe Sacchettini + Patrick Reboud) a créé pour le festival MusiQueyras un drôle de spectacle intitulé Alice, Charles et les autres, conviant sur scène deux invités, Laurence Dupré au violon et moi-même à la voix.
On y a entendu, « à notre façon » , des chants et contes traditionnels du Queyras puisés dans le répertoire recueilli tel un trésor par le couple Charles et Alice Joisten, des années 50 aux années 70.
D’abord conçu comme un « one-shot » préparé et consommé sur place merci-bonsoir, tous comptes faits, tous contes refaits, ce spectacle nous emballe tellement qu’il a un goût de revenons-y, on adorerait le voir tourner ici et là et même loin de chez lui.
Invitez-nous !
Pour vous faire une idée, le voici compressé tel un César : un teaser de sept minutes, bande-annonce pour les oreilles.

Charles Joisten (1936-1981) n’est plus là pour nous applaudir… En revanche nous avons eu la joie de recevoir la bénédiction d’Alice, enchantée d’entendre ce que nous avons fait de son travail : « Ce sont ici quatre musiciens et un conteur qui nous transmettent fidèlement un répertoire traditionnel de chants et de contes, tout en leur donnant une nouvelle vie grâce au dynamisme et à l’inventivité musicale qui les anime. »
Merci Alice ! Bisous !
Signalons la parution de son dernier livre, dans lequel nous avons puisé alors qu’il n’était encore qu’en épreuves.

En partage

15/11/2023 Aucun commentaire

Encore une rubrique nécrologique au Fond du Tiroir. Qu’est-ce que j’en ai, des morts. Cette semaine je me chagrine de la disparition de deux personnalités ayant tenu un rôle dans mon éveil esthétique. L’une avait 85 ans et l’autre 47. Forcément, la seconde disparition est plus injuste.

1

Mon camarade Jean-Pierre Blanpain, 80 ans aux cerises, m’a adressé il y a peu cette phrase fabuleuse et définitive : « Ce qui me manquera le plus quand je serai mort, c’est le cinéma ».
Je ne vois pas comment mieux dire que le cinéma est la vie elle-même, justement parce qu’il est l’art des morts, l’art d’être mort, la mort comme savoir-vivre, il est l’art de faire encore bouger (« kinéma », en grec) ceux qui ne sont plus là ou qui du moins, dès le lendemain de la prise de vue, ne sont plus ce qu’ils étaient, tous ceux qui ne sont plus que fantômes (ou bien zombies, aussi, bien sûr).
Michel Ciment (1938-2023), pédagogue gigantesque, dont j’ai lu avec passion de la première à la dernière ligne certains des livres (ceux sur Kubrick), et dont j’ai bu les paroles et l’accent parisien bien des dimanches soirs, vient de devenir fantôme à son tour, à 85 ans (Tiens ? l’âge de mon père).
Pour lui rendre mes respects, j’ai regardé ce soir un DVD que j’ai depuis des années dans ma bibliothèque mais que je n’avais pas encore vu, Michel Ciment, le cinéma en partage, portrait filmé par Simone Lainé. J’ai vu sur mon écran le fantôme de Michel Ciment. Il va bien. il bouge bien. Il parle drôlement bien, d’ailleurs, avec son accent parisien.

2

Karl Tremblay (1976-2023), une étoile filante.
Souvenir merveilleux d’un concert des Cowboys Fringants dans les années 2010, au Festival du Bleuet de Dolbeau-Mistassini. Depuis je sais que les Etoiles Filantes est l’une des plus belles chansons du monde.

Ah et puis Plus rien aussi quelle putain de chanson coup de poing dans la gueule ! Terrible et prophétique.

L’amour existe (if you want it)

21/10/2023 Aucun commentaire

Je publie le texte ci-dessous sur le réseau social que je fréquente, celui pour vieux :

Je ne sais pas trop ce que j’ai, ou alors je ne le sais que trop bien.
Je viens d’écouter quatre fois de suite cette chanson.
J’ai pleuré quatre fois.
Je me souviens d’une interview de Paul McCartney à qui un quelconque journaliste demandait un peu sottement : « Ça vous fait quoi d’avoir été un Beatles ? » Il répondait, sans détour, sans cynisme, sans esbroufe, sans fausse modestie : « Je suis fier d’avoir chanté la paix et l’amour et que ces chansons de paix et d’amour aient circulé sur toute la planète » .
En 1965, McCartney écrivait pour les Beatles We can work it out : On peut s’en sortir.
En 2008, sur le plateau de Taratata, deux chanteuses israéliennes, la Palestinienne Mira Awad et l’Israélienne Noa (Achinoam Nini) reprenaient ensemble cette chanson de paix et d’amour.
Les larmes coulent.

La communication sur les réseaux sociaux, même pour vieux, étant une parodie de communication, les malentendus et les dialogues de sourds ne tardent jamais. Sous mon post, un ami commente ma déclaration :

Il y a le monde que chantent les artistes, celui où nous serions tous frères, celui dans lequel nous aimerions vivre, et puis il y a le monde dans lequel nous vivons, celui où l’on interdit, lapide, égorge.

Comme ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, j’argumente à nouveau. Je cause esthétique, ce qui est pratique pour éviter de causer de la guerre, mais chacun son champ de compétence.
J’enfonce mon propre clou, ce faisant je poursuis le dialogue de sourds et je ne sais pas si j’ai raison. Voilà bien la preuve que je ne suis pas fait pour les réseaux sociaux : je ne sais pas si j’ai raison.

Je suis en désaccord sur la fonction que tu sembles attribuer à l’art et aux artistes, que tu relègues dans la naïveté, leur idéalisme confinant au déni. Or l’art et les artistes ne sont pas là pour chanter l’optimisme mais pour montrer ce qui est possible (y compris l’optimisme).
McCartney écrit We can work it out et non We are workin’ it out, le mot-clef est can. Il ne se vautre pas dans un aveuglement béat, mais propose une vision, une perspective à l’horizon. Une oeuvre d’art est toujours, comme un rêve que le rêveur fait pour lui-même, une recombinaison de la réalité pour envisager une potentialité.
Un cauchemar est certes un rêve.
« La paix et l’amour » chantés par les Beatles ne sont pas des données de fait, ce sont des possibilités entrevues (voir l’affiche célèbre et un peu plus tardive de Lennon : « War is over! (If you want it)« ).
L’art montre ce qui est et ce qui peut être, sans émollient. S’il donne à entendre un espoir (ou la raison, ou le progrès, etc.), ce n’est pas gratuit. Il peut aussi donner à entendre le contraire (le désespoir, la déraison, la régression), se faire dur et violent, se dire le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, et ce ne sera pas gratuit non plus (cf. Goya, bien sûr). Sauf en cas de cynisme mais le cynisme outrepasse le champ de l’art.
Une autre chanson bouleversante, en français celle-ci :

« Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Les soldats seront troubadours
Mais nous, nous serons morts, mon frère.
« 

Je publie ce développement sur le réseau social pour darons.
Et seulement après coup je pense à Maurice Pialat, je pense à un titre de Pialat. Mais c’est trop tard, je garde Pialat pour moi, je ne le mentionne pas sur le fuckin’ réseau.
Pialat, artiste insoupçonnable de la moindre concession à une quelconque béatitude solaire ou à un joyeux déni de la réalité, insoupçonnable de divertissement, tourne son premier film professionnel en 1960.
Il s’agit d’un documentaire radical, d’abord autobiographique puis sociologique, sur la banlieue triste qui s’ennuie. Il s’agit d’un bloc d’âpreté et de désespoir, d’une dénonciation de conditions de vie inhumaines. Ce film s’intitule pourtant L’amour existe.
Oui.
Ce n’est pas une antiphrase.
Pialat a raison.
L’amour existe et il faut le dire.
Les artistes doivent le dire.
Parce que si en plus, l’amour n’existait pas…

Un géant, une géante

10/09/2023 Aucun commentaire

Le week-end prochain, à l’occasion des Journées du patrimoine, je jouerai deux spectacles en trio, avec mes camarades Christine Antoine (violon) et Bernard Commandeur (piano).

Deux spectacles sons et lumières, deux évocations musicales et picturales, deux biographies de peintres écrites par mes soins : Goya et Chagall, si différents l’un de l’autre qu’il n’est pas commode de leur trouver un point commun. Voici, pourtant, l’une sur l’autre, deux de leurs peintures qui semblent avoir le même motif : un géant, grand comme une montagne, apparaît au-dessus de l’horizon et toise les humains. Il occupe les deux tiers supérieurs du tableau tandis que les humains sont écrasés dans le tiers inférieur.

Le Colosse de Goya (1808) montre en pleine nuit et de dos, une force tellurique nue et musculeuse, une force de destruction en marche, une fatalité mythologique qui fait trembler le ciel et la terre et pour qui les humains ne sont que des fourmis égarées, aveuglées, fuyant dans le chaos.

Bella au col blanc de Chagall (1917) montre en plein jour et de face, la toute puissance bienveillante et maternelle d’un éternel féminin, hautain comme une allégorie, couvant du regard une scène bucolique, un homme apprenant à marcher à son petit enfant à l’orée d’un bois ; la géante emprunte ses traits à Bella, le grand amour de Chagall, sa femme, qui vient de donner naissance à leur fille, Ida.

Récapitulons :

– Le samedi 16 septembre à 11h : Goya, démons et merveilles sur de la musique espagnole et latino-américaine, au château de Valbonnais. Réservations au 06 73 53 18 42.
– Le dimanche 17 septembre à 18h : Chagall, l’ange à la fenêtre sur de la musique klezmer, russe et française, en l’église Notre-Dame-des-Vignes à Sassenage. Réservations au 06 71 04 91 17.

Tiens ? Il a fallu que je l’écrive ici pour réaliser que le diptyque faisait s’affronter dans ses titres, que j’ai choisis sans la moindre préméditation, l’ange et le démon.

Ci-dessous, revue de presse, l’article des Affiches de Grenoble et du Dauphiné consacré à notre Goya :

#moiaussi

26/06/2023 un commentaire

Jacques Higelin m’émeut et me transporte.

Je crois bien qu’Higelin est mon chanteur préféré. J’aboutis facilement à cette conclusion en constatant la fidélité de mon amour pour lui, à travers toutes ses périodes, ainsi qu’à travers toutes les miennes. Car dans nos amours artistiques la durée joue un rôle aussi déterminant que dans nos amours intimes.

Sentant peut-être sa fin proche, Higelin avait accepté de publier ses mémoires, racontées par lui, ordonnées par la journaliste Valérie Lehoux et parues en 2015 sous le beau titre Je vis pas ma vie, je la rêve, phrase tirée de la chanson Parc Monsouris. Puis, en 2018, il est mort. Cette année paraît un codicille, signé de la seule Valérie Lehoux, Car toujours le silence tue, entièrement consacré à un seul épisode de la vie d’Higelin. Cet épisode était pourtant déjà évoqué dans le tome précédent, mais il l’était furtivement, discrètement, à la volée, p. 289. Il aurait mérité, selon les termes d’Higelin lui-même, un bouquin à part entière. Voici ce bouquin, posthume. Cette fois, les points sont enfoncés sur les i, le secret est longuement explicité.

Higelin a été abusé sexuellement, de l’âge de 10 ans à l’âge de 15 ans, par un homme qu’il aimait, de douze ans son aîné, un homme qu’il considérait comme son mentor, qui lui a fait découvrir la musique, le théâtre, le cinéma, et la liberté. Et l’a violé.

Valérie Lehoux donne les tenants et aboutissants, non seulement de ce viol, mais aussi des conditions de sa révélation si tardive. C’est que désormais l’époque est propice : on appelle ces agissements pédocriminalité et non plus pédophilie, car il s’agit bel et bien d’un crime, avec un coupable et une victime. Lehoux énumère longuement des artistes issus de champs très variés, victimes de viol ou d’inceste (en commençant bien sûr par Barbara, dont elle est une grande exégète) et ce que chacun a fait plus tard de cette faille en lui/elle. Elle donne aussi une statistique : 160 000 mineurs sont victimes d’abus sexuels en France chaque année, chiffre purement indicatif puisque sans doute la majorité des cas n’émergera jamais du tabou. D’ailleurs pour l’essentiel, les victimes ne deviendront pas artistes pour en faire quelque chose, elles devront juste vivre avec. Enfin, retenons seulement que « 160 000 » = un gros paquet.

Parvenu à ce point de ma lecture, une révélation me prend. J’en suis stupéfait. Un déclic : moi aussi. #metoo. Je n’y ai pas repensé depuis des décennies, je ne l’ai jamais dit ni écrit à quiconque, mais brusquement je me souviens, il m’est arrivé un truc quand j’étais petit, la mémoire me retrouve.

1979 ou 1980. J’ai une dizaine d’année. J’habite avec mes parents et mon frère le 3e étage d’un HLM, dans le quartier dit La Coupiane, à La Valette-du-Var. Notre barre d’immeuble borde la Place rouge, qui doit son nom à la terre battue et non à un quelconque hommage à Moscou. D’autres barres comparables ou plus hautes (avec ascenseur) et plus labyrinthiques bornent le paysage. Je traîne mes guêtres dans le quartier avec mes copains ou, parfois, avec ceux de mon grand frère, lorsque ceux-ci tolèrent un merdeux de trois ans de moins qu’eux. Parmi cette bande informelle qui se fait et se défait et navigue de l’une des résidences à l’autre, recommence sans cesse le tour des immeubles et des parkings, et au mieux, parfois, fuit un instant le béton pour arpenter la forêt sur la colline, figure un grand gars, dégingandé, voûté et taiseux, dont j’ai oublié le nom (si jamais je l’ai su), ne me souvenant que du sobriquet qu’il doit à sa tignasse, coupe au bol typique de l’époque : Blondinet.

Blondinet a peut-être cinq ans de plus que moi, ou dix, je suis incapable d’être plus précis, en tout cas c’est un grand, caractérisation suffisante. Je ne suis pas spécialement proche de lui, je ne lui parle pas, je le côtoie dans cette fameuse cohorte floue de quartier, je ne me suis jamais trouvé seul avec lui. Sauf une fois. Un samedi après-midi. Il fait très chaud. Pourquoi les autres se sont dispersés ? Je ne sais plus. Je suis seul avec Blondinet et je crois me souvenir qu’il est vêtu de jaune, ou alors je confonds avec ses cheveux. Il me demande de le suivre dans les garages d’une autre barre, de l’autre côté de la Place rouge. Il a, dit-il, quelque chose à me montrer. Je le suis, je n’ai rien de mieux à faire. J’aime bien, d’ailleurs, jouer dans ses parkings, l’un de mes copains a des talkie-walkie et cet accessoire permet de transformer les parkings souterrains en territoire d’enquête, d’exploration, d’aventure.

Nous descendons tous les deux la rampe pour voitures et nous entrons dans la galerie souterraine qui donne, de part et d’autre, sur les parkings individuels. Nous restons dans la pénombre puisqu’il n’allume pas la minuterie. Il me dit Viens là ou quelque chose comme ça. Je m’approche, il nous plaque contre le mur, il me retourne, s’accroupit derrière moi et m’enlace, me serre, me serre de plus en plus fort, un bras sur mon ventre et l’autre sur ma poitrine, il halète dans mon cou. Il fait quelque chose que je ne comprends pas, qui est en tout cas inconfortable, j’ai un peu de mal à respirer et puis l’air est déjà plus que chaud, j’attends que ça passe, qu’il s’arrête, je ne peux rien faire, je suis un objet, il s’agite, m’agite, et je regarde devant moi, la lumière du jour tout au fond de la galerie obscure, littéralement je regarde la lumière au bout du tunnel.

Enfin ça se termine, il me lâche, grommelle quelque chose que je ne retiens pas, je me mets en marche tout de suite, j’avance vers la lumière, j’émerge. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire, maintenant ? Un samedi après-midi de canicule et mes copains ne sont pas là. Bon, ben, je vais remonter chez moi et regarder la télé, j’espère que ma mère ne dira rien. Avec un peu de chance, il y aura Le Prisonnier, ma série préférée. Ou peut-être Cosmos 1999. Deux séries archi-angoissantes, que j’adore, mais à mon âge je n’ai pas encore intégré le concept de catharsis.

Toutes les fois que j’ai recroisé Blondinet dans le quartier, il m’a évité et a fui mon regard.

Voilà tout. Fin de l’histoire. Elle est évidemment minuscule, anecdotique comparée à celle d’Higelin ou de tant d’autres. Si, plus de 40 ans après l’événement, je pose sur lui des mots, je crois comprendre ceci : un gars en position de force s’est collé dans le dos d’un gamin tendre, mignon et faible et, sans le déshabiller, sans le tripoter davantage, s’est masturbé dans son dos dans un parking souterrain. Il ne s’est rien passé de plus grave, ni de très grave. Est-ce grave tout de même ?

Je n’en ai aucune séquelle, je crois. Je n’en suis resté ni traumatisé, ni dépressif (oh j’ai de bien meilleures raisons d’être dépressif), ni violeur-à-mon-tour (croyez-le ou non, je n’ai jamais agressé personne, l’idée même m’empêcherait de bander). Peu importe. C’était mal, ce n’était pas normal. Quels que soient les dégâts, les circonstances, la fréquence… un adulte n’a pas à utiliser, à réifier un corps d’enfant pour assouvir sa propre sexualité, jamais. La sexualité des adultes est forte, celle des enfants est faible, il y a donc déséquilibre et abus de pouvoir. À bas tous les abus de pouvoir, et celui-ci d’abord.

Alors, #moiaussi, je parle pour la première fois, ma parole en est venue à se formuler, à se libérer, grâce à l’époque et grâce à la libération préalable de centaines de personnes avant moi, merci à toutes et tous, merci à Jacques Higelin pour tout et même pour ça, bonus. Parlons. Parlons, juste pour que la parole soit là entre nous, pour verbaliser que cela est mal, que cela n’est pas normal, que cela est un abus de pouvoir, que cela ne se fait pas. Espérons que verbaliser chaque cas permette d’en prévenir quelques-uns en saturant, anecdote minuscule après anecdote énorme, tout l’espace de Cela ne se fait pas. Rêvons un peu : chaque année, 160 000 Cela ne se fait pas. Soit un gros paquet.

Mise plutôt sur le monde

13/06/2023 Aucun commentaire

Saison du bac.
Le Fond du Tiroir a une pensée pour les bacheliers, présents passés et futurs, et offre gracieusement à tous un sujet négligé par l’Éducation Nationale et qui mêle habillement culture académique, actualité, et rock ‘n’ roll.

Vous considérerez d’abord en parallèle puis en confrontation dialectique l’aphorisme énigmatique noté par Franz Kafka dans son journal : « Dans le combat entre toi et le monde, choisis le monde », et la chanson de The Clash : « I fought the law and the law won. »
Vous alimenterez impérativement votre réflexion par quelques concepts-clés issus de la vie politique française tels que « 49.3 », « Réforme juste, équilibrée et inévitable », « Brav-M », « Flashball », « Texte définitivement adopté par l’Assemblée » ou « Validation par le Conseil Constitutionnel » (liste non exhaustive).

Victor & Wolfganga

22/01/2023 Aucun commentaire

Mirliton Matin, rubrique spectacle vivant.
Tous chez François Fourel le vendredi 27 janvier 2023 (Sainte Angèle) à 20h pour la création mondiale du concert en duo Mazille & Vigne !

La Mazille et le Vigne se donnent en spectacle
Dans le coquet duplex du bon François Fourel
Transformé pour l’occaze en cour des hauts miracles
(Règlement au chapeau, gratuit pour les Angèles)

Concert que, naturellement, nous avions au départ envisagé d’intituler « Mazille & Vigne, enfin la tournée d’adieu ! » , mais nous avons craint que Djal nous intente un procès pour contrefaçon, alors il s’appelle en toute modestie « Wolfganga Mazille et Victor Vigne chantent leur pires tubes » afin de placer la barre suffisamment haut pour se faufiler en-dessous.
De même, l’affiche du spectacle a scientifiquement été conçue afin que chacun.e hoquette en son for intérieur : « C’est quoi cette horreur ? Ma nièce de 5 ans fait mieux en cinq minutes sur Photoshop ! », car nous nous en voudrions d’intimider quiconque.

À force de mirlitonner, d’accumuler depuis des années diverses chansons créées en atelier ou pour le simple plaisir de faire n’importe quoi (Anything Anytime Anyplace For No Reason At All, en gros), nous avons fini par nous rendre compte que nous avions tout un répertoire et largement de quoi monter un concert. Allez tant pis pardon on y va on le fait, c’est à ce concert que nous vous convions. N’importe quoi garanti ou remboursé deux fois.

On m’y entendra même rapper, c’est dire. Deux mois que je m’entraîne. C’est très difficile, le rap (respect aux rappeurs), mais ça a pour moi un énorme avantage : on n’est pas obligé de chanter juste.

Wannabe

31/12/2022 Aucun commentaire

Dernier jour de l’année. Occasion d’avouer un plaisir coupable. Depuis 26 ans, soit tout au long de la seconde moitié de mon existence (comme j’ai dû m’ennuyer lors de la première, rétrospectivement !), aussitôt que j’ai besoin d’un petit remontant, d’une dose immédiatement métabolisable d’énergie, de joie, d’optimisme, de liberté même, je regarde le clip Wannabe des Spice Girls, trois minutes et cinquante-six secondes, et ensuite ça va mieux.

L’effet est garanti. Il est pour moi pratiquement identique avec Who do you Think you are des mêmes cinq girls, mais leur Wannabe a quelque chose en plus, quelque chose de spécial, une grâce particulière qui a forcément partie liée à l’effet de style du plan-séquence : on ne peut pas les quitter des yeux. Synopsis : entre le début et la fin du plan-séquence de trois minutes et cinquante-six secondes, on voit des filles débouler dans une soirée mondaine où personne ne les avait invitées, foutre un bouzin monstre telle une tornade incontrôlable et multicolore, et sitôt leur forfait accompli, repartir en courant et en riant vers d’autres aventures, dans un autobus à impériale, sans même payer leur ticket, à tous les coups. C’est un summum de pop music et pourtant, résumé ainsi, c’est du pur punk.

Allez, je me le regarde encore… Oui, ça marche. Sérieux, je vais un peu mieux qu’il y a trois minutes et cinquante-six secondes.

« Plaisir coupable » ? Mais pourquoi ai-je commencé sottement par ces mots ? Que peut-il y avoir de coupable à se laisser envahir par cette joie-là ? Vivent les Spice Girls ! Et vivent les filles EN GÉNÉRAL, c’est ça le truc ! Leur message politique depuis 26 ans, Girl power !, est bien sûr simpliste mais il n’est pas niais, pas du tout, et d’ailleurs toujours d’une brûlante actualité, allez les filles, allez les girls, allez la moitié de l’humanité, n’attendez pas qu’on vous invite, prenez le power et tant que vous y êtes prenez le pouvoir à Londres, en Iran, en Afghanistan, mais oui partout s’il vous plaît, débarquez et détournez la party !

Le Fond du Tiroir vous souhaite une année 2023 pleine de girl power.