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Le coin du cinéphile

09/09/2010 un commentaire

Le 5 octobre 1969 (je me souviens, j’avais six mois), John Huston sortait sur les écrans américains Promenade avec l’amour et la mort.

Adapté d’un roman de Hans Koning, A walk with love and death constitue l’un des pires flops commerciaux de Huston, et la Fox renonça d’abord à sa distribution en Europe. Film méconnu mais magnifique, il bénéficie malgré son petit budget d’une photographie et de décors superbes, offrant la vision d’un moyen-âge humain et sans clinquant. Il n’est pas sans rapport avec l’ultime opus de Huston, Gens de Dublin, sorti près de 20 ans plus tard. Ces deux films « en costumes » forment comme les deux bornes d’une même aventure – ne serait-ce que par la présence de la fille de Huston, Angelica qui, à seize ans, faisait dans le premier ses vrais débuts à l’écran avec le rôle d’une jeune vierge à l’aube de sa vie, et dans le second embrassait celui d’une femme mûre, épanouie, riche déjà d’une forte histoire intime.

Quels thèmes saillants peut-on relever dans Promenade avec l’amour et la mort ? On n’en dénombre pas moins de huit :

1 – La traversée du royaume de France au beau milieu du XIVe siècle, en pleine Guerre de cent ans contre les Anglois ;

2 – La précarité, la fragilité de l’existence qui, une fois cruellement introduite dans la conscience des personnages, ne les quittera jamais plus, et rendra urgent, passionné, leur désir d’accomplir leurs rêves, pour cela de rêver, et de simplement vivre ;

3 – Le courage, la détermination, et enfin l’émancipation d’adolescents qui, protégés par leur candeur, refusent le chemin tracé pour eux par les générations précédentes et inventent leur propre chemin de liberté – dès lors, les seuls authentiques héros, ce sont eux ;

4 – Le voyage, le déplacement à l’étranger, comme quête, comme mise à l’épreuve des illusions, et révélation de soi ;

5 – La possibilité, et même la nécessité, malgré l’adversité, malgré les circonstances qui, ne nous leurrons pas, ne seront jamais favorables, de raconter des histoires, d’approfondir sa culture, et de pratiquer la poésie ;

6 – La mise en abyme, le telescopage des époques, l’empathie possible avec des êtres humains morts depuis plusieurs siècles, et in fine le caractère intemporel de toute révolte individuel contre l’arbitraire du pouvoir ;

7 – L’autobiographie discrète, malicieuse et grimée, puisque Huston se réserve un second rôle, celui du seigneur Robert, sceptique et pourtant enthousiaste, par la bouche duquel il assène quelques vérités pragmatiques propres à liquider les idéologies et les fanatismes, et va jusqu’à trahir sa condition de noble pour se ranger du côté des paysans ;

8 – Le tout premier baiser échangé par une jeune fille et un jeune garçon, plus fort que toute autre préoccupation alentour, seul centre d’intérêt au fond, capable de faire émerger la vie dans un monde rongé par la mort, la peste, la famine, la guerre éternelle, les injustices sociales, et la crise partout-partout, car l’amour courtois a été inventé en même temps que la guerre totale.

Ah, hélas, on me signale que ce film est rare, projeté nulle part, jamais diffusé à la télévision, et fort difficile à trouver en DVD… Zut, c’est vraiment pas de bol. Vous ne savez pas ce que vous perdez. Comment faire ? Ma foi, l’on pourra se consoler en achetant Jean II le Bon (séquelle), éditions Thierry-Magnier, roman disponible en librairie le 15 septembre et qui, coïncidence, traite grosso modo des mêmes sujets, et du cinéma en plus. Parce que, quand même, le cinéma, ça console de bien des choses, presque aussi sûrement qu’un premier baiser.

Battre le fer tant qu’il est froid

28/05/2010 5 commentaires

Fais péter du Flaubert ! « Je me suis remis à travailler. Car l’existence n’est tolérable que si on oublie sa misérable personne. » (Lettre à George Sand, 29 avril 1872)

Et retournons sur le métier.

Je viens de recevoir un coup de téléphone de mon éditrice chez Magnier. Le texte de mon Jean II le Bon ne convient toujours pas. Ce roman est trop long, trop savant, trop répétitif, elle décroche.  Il me faut en remettre une couche, affiner derechef le bazar. Je soupire. Je me retrousse les manches de la tête. Verbatim :

– Ah, et au fait, je reviens d’une réunion avec Thierry et les commerciaux… Jean II le Bon séquelle est décidément un titre impossible, ça a fait rire tout le monde…
– Rire ? Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. C’est un très bon titre,
séquelle. Un jeu de mot franco-anglais qui a du sens…
– Oui, sauf que personne ne le comprend, ton jeu de mot. On ne sait pas ce que c’est une « sequel », tout le monde n’y entend que la « séquelle » médicale, ça ne donne pas envie…
– Eh ben ils n’ont qu’à lire le livre, ils comprendront !
– Ah, Fabrice, ça ne marche pas comme ça… Ils faut comprendre le titre avant de lire ! Sinon le livre ne se vend pas… Et ce serait bien qu’il se vende un peu, ce livre…
– Hon-hon, ah ouais, d’accord, je vois le genre, bonjour l’argument oiseux… « Vendre le livre », bien sûr, je n’avais pas envisagé les choses de cette façon… On n’est pas au Fond du tiroir, ici… Bon, puisque ces messieurs du commerce ne veulent pas de
séquelle, on se rabat sur réplique, tant pis.
– Eh, non :
réplique, ils n’en veulent pas non plus.
– Hein ? Mais pourquoi ? ça les fait marrer, ça aussi ? Ils ont un drôle d’humour, les commerciaux.
– Allez, courage. Tu as une semaine pour me trouver un nouveau titre. Et revoir ton texte, aussi.

Étrange salto arrière du destin : ce livre qui n’en finit pas de finir n’a d’abord existé que par son titre, aboli in fine. En 2005 ou 2006, lors de mes premières rencontres scolaires en service après vente du Posthume, les mômes me demandaient : « Tu vas écrire la suite ? » Ah, sûrement pas ! Jamais de la vie ! J’ai horreur des suites ! Mais si jamais je l’écrivais, j’aurais un titre tout trouvé, l’évidence même, la bonne blague : Jean II le Bon, séquelle. Lorsque je m’y suis mis en joyeux renégat, j’ai empilé tout le livre sur ce socle. Cinq ans plus tard, le livre est écrit, et on sape sa base. Est-ce grave ? Je ne sais pas. (1)

Dans le fil de la conversation, j’ai appris en outre la date de sortie de ce livre innommable : 15 septembre. Plus tôt que je croyais. Très bien. Ainsi, je publierai deux livres cet automne : Jean II le bon whatsizname chez Magnier, mon opus 11, et peu de temps après, La légende du monde au Fond du tiroir, ouvrage qui marquera son statut d’opus 12 en étant entièrement rédigé en alexandrins. Parfaitement mesdames messieurs. Et il ferait beau voir que les commerciaux qui distribuent les livres du FdT réunis en conclave (uh ! uh ! uh ! le tableau ! mon tour de rire !) tentent de m’en empêcher.

Voilà pour mon pain sur la planche. Et à part ça ?

Et à part ça, je viens, toute pudeur bue, de pleurer à chaudes larmes en regardant cette vidéo, est-il possible d’être aussi sentimental.

L’idée que d’un seul coup, par magie, surgisse dans la vie ordinaire un moment où l’on chante (juste) et où l’on danse (en mesure), un moment de pure joie et de délire et de cohésion, me bouleverse, aux larmes, je vous jure. J’en tire exactement le même type d’émotions que des comédies musicales, qu’elles viennent d’Hollywood ou de Bollywood. Une comédie musicale est une utopie, un rêve d’harmonie sociale, il y a sûrement quelque chose de politique, au fond de ces larmes.

(1) – Et voilà que je lis une interview avec Jean-Luc Godard dans Les Inrocks, juin 2010 : « J’ai toujours des titres d’avance, qui me donnent une indication sur des films que je pourrais tourner. Un titre précédant toute idée de film, c’est un peu comme un la en musique. J’en ai toute une liste. »

Ça me fait quelque chose

10/05/2010 2 commentaires

(Le 5 décembre 1360, les premiers francs sont frappés à Compiègne, pour aider à payer la rançon du roi Jean II le Bon, capturé par les Anglais le 19 septembre 1356 à la bataille de Poitiers. Dénommé franc à cheval, il s’agit en fait d’un écu tiré à 3 millions d’exemplaires, pesant 3,87 grammes d’or fin et valant une livre tournois ou 20 sols. Le roi y est représenté sur un destrier, armé d’un écu à fleur de lys et brandissant l’épée, avec le terme « Francorum Rex » (Roi des Francs). Bien que le mot « franc » signifie « libre », il est plus probable que le nom de la monnaie vienne tout simplement de cette inscription. Source : Wikipedia)

Bref : Jean II le Bon, c’est de la thune. Mon prochain livre est à paraître ailleurs qu’au Fond du Tiroir, par conséquent il me rapporte.

On peut jeter un œil au projet de couverture, pour constater que ce foutu bâtard de roman s’intitule, sous la pression de l’éditeur, Jean II le Bon, réplique au lieu de séquelle, comme je l’avais prévu. Réplique est nettement moins bon que Séquelle – on perd au change un intéressant jeu de mot franco-anglais et l’idée subliminale que c’est celui qui a survécu qui écrit. Toutefois je ne désespère pas de persuader Thierry Magnier du bien-fondé du titre sous sa forme initiale, rien n’est fait. À force d’éditer mes livres au fond de mon tiroir, j’avais fini par oublier que les relations auteur-éditeur, autrement dit employé-employeur, sont d’âpres négociations et compromis(sions)… Encore négocier, toujours argumenter… Et c’est ainsi, au fil des marchandages entre les « partenaires sociaux », que l’on gagne sa vie, sinistre métonymie signifiant que l’on gagne de l’argent.

Je viens de recevoir coup sur coup une moitié de mes à-valoirs, réglés par les éditions Magnier pour mon Jean II Machintruc (somme modeste) ; et l’avis positif du CNL, prêt à me verser une bourse d’écriture pour le même livre (somme pharaonique, vingt fois supérieure à la précédente).

En somme(s), vous me trouvez ce matin virtuellement riche (ce qui est proprement indécent, en pleine crise en Grèce en Europe et partout-partout), et tout étourdi par la disproportion entre les deux sources de revenus, les droits d’auteur réels et le soutien public – mais après tout, c’est ce que préconise Schiffrin. L’aide à la création littéraire fonctionne encore un peu en France : on reçoit des subsides d’un centre national et pendant une seconde on a envie de cesser de dire du mal de son pays, on se sent tout attendri par la reconnaissance, on ne voudrait pas cracher dans la soupe. Mais ensuite, on repense à Sarkozy, Besson, Hortefeux, ou même Frédéric Mitterrand, et l’effet s’estompe on peu, on n’ira pas jusqu’à crier Vive la Patrie. Merci beaucoup pour le soutien, France, du fond du cœur, mais fais gaffe à toi, hein.

Du fond du cœur, et du tiroir aussi, puisque cette manne bienvenue, récompensant un livre ambitieux mais mainstream, sera sans vergogne dilapidée pour permettre la fabrication locale et artisanale d’ouvrages également ambitieux mais résolument souterrains, et permettra au FdT de garantir son programme initial : publier deux livres par an. Les livres qui me rapportent financent les livres qui me coûtent, le visible mécène du caché… mais le lecteur du présent flux a depuis longtemps compris le principe. Sinon, reprendre à la page 1 du blog.

Quoiqu’il en soit, cette bourse ne me sera versée que si, dans le cadre de mon emploi salarié, je passe à mi-temps (comme dit le proverbe : le mi-temps c’est du mi-argent), ce qu’il va falloir négocier avec mon employeur… Toujours convaincre, encore argumenter… Parlementer avec tous ses employeurs au long de la vie et de la journée… Moi qui ai fondé le FdT, si je me souviens bien, pour n’avoir pas de comptes à rendre…

Autre obligation conditionnant le versement de la bourse : il s’agirait de le terminer, maintenant, ce roman pré-payé. Je viens de passer des heures et des semaines à le corriger, et cette phase me fut, comme toujours, tant exaltante (là, au moins, j’écris) que déprimante, puisque m’apportant la preuve page après page que je ne sais pas écrire. Dingue le nombre de répétitions, de mots faibles, de tournures nulles, de phrases sans relief. Et c’est à ça que le CNL refile le pognon de vos impôts ? Si j’étais vous, je manifesterais.

Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’une pose faussement modeste, je trouve très sincèrement que j’écris mal, et les versions successives des manuscrits consistent pour l’essentiel à traquer les scories, amender vers le potable, cheminer vers la lumière. Je ne vous montrerai pas mes brouillons pleins de ratures, mais je suis par exemple consterné par mes tics de style, mes trop nombreux adverbes, mes parenthèses superflues, surtout l’insigne pauvreté de mon vocabulaire. Ainsi, j’abuse tant et plus du verbe « faire », le plus pâle de la langue française ; du pronom indéféni « quelque chose » (Que quelque chose arrive !) ou du simple substantif « chose », indéniables symptômes de platitude et de fragilité rhétorique ; enfin de l’indistinct pronom démonstratif « ça », d’une vulgarité sans fond, et dont je farcis toutes mes phrases lorsque je ne me surveille pas.

Oh oui, je peux le dire, constater que mon style est aussi indigent, ça me fait quelque chose. Ah, zut, encore tombé dedans, deux pieds joints.

Et puis baste ! Des précédents existent. « La belle chose que de savoir quelque chose », comme le pérore M. Jourdain. Et Céline préfaçant la réédition de Voyage au bout de la nuit en 1949 : « Ah ! on remet le « Voyage » en route. Ça me fait un effet. (…) Si j’étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose… Je supprimerais tout. »

Ouf.

31/12/2009 un commentaire

I'm on my way

L’année du Flux se parachève avec et sans nous. L’élégant marque-page conçu par Patrick « Factotum » Villecourt pour orner ce libretto se périme simultanément, tant pis, il est là, il demeure, élégant pour toujours.

Un bilan du vieil an 9 ?
– Trois livres publiés (deux au FdT et un
nulle part, mais très beau tout de même),
– 50 articles postés sur le blog,
– des commentaires de visiteurs à la pelle (davantage lorsque je cause politique que lorsque je cause littérature, tant mieux ? tant pis ?),
– deux ou trois cuisantes polémiques,
– une bonne douzaine de représentations des Giètes pour mon registre « intermittent sans cachet »,
– de la fécondité et de la stérilité par intermittence,
– l’asso FDT
créée en bon et due forme,
– quelques bonnes rencontres,
– quelques beaux voyages, dont un à Copenhague au mois d’août avant tout le monde, quand on avait espoir qu’il s’y passe quelque chose en décembre,
– des demi-nuits d’insomnie passées à faire des réussites débiles, ou à regarder sur Youtube des trucs comme ci ou comme ça, non mais je vous demande un peu,
– des citations dans ma besace (la palme de la phrase qui condense au mieux l’année 2009 revient à Hugo Chavez : « Si le climat était une banque, vous l’auriez déjà sauvé »),
– des joies,
– des frustrations,
– la grippa,
– une crise (partout-partout) aigüe d’eczéma,
– des « nouveautés » et leur contraire (c’est quoi, le contraire de la nouveauté ? c’est un truc qui disparaît discrètement – exemple :
Zazieweb, le seul site littéraire coopératif qui recensait le Fond du tiroir dans son annuaire de petits éditeurs, et qu’on a le droit de regretter pour mille autre raisons),
– des lectures, des écritures, du pain sur la planche, la vie.

De feu 2009, retenons aussi un film souvenir : la « géniale » fête du livre de Villeurbanne a mis en ligne un clip de poétique autopromotion où l’on m’entend me fendre d’un petit compliment. Une caméra se baladait dans le salon, qui demandait à chaque stand « Si vous deviez définir la Fête de Villeurbanne en un seul mot, ce serait ?… » J’ai improvisé une gentillesse paradoxale, j’ai fait le malin, et cela a eu l’heur de plaire au monteur de ce film, puisque ma contribution est finalement la seule reproduite in extenso.

Et demain ? L’an qui vient ?

La Mèche sera peut-être le prochain livre publié par le FdT. Entre temps un autre livre sera rapatrié dans le tiroir…

Les démêlés judiciaires avec l’éditeur initial de deux de mes ouvrages, Castells, sont récemment parvenues à un tournant, qui permet au FdT d’envisager en toute sérénité l’édition de la version revue et corrigée, définitive, de La Mèche – du moins, dès que les phynances le permettront. Je ne vais pas vous déballer comme ça aussi sec le bilan financier (vous n’êtes pas adhérent de l’association, que je sache), mais sachez qu’une certaine somme dort sur le compte de l’asso, et que nous visons au moins le double avant d’entreprendre une production (et une distribution ?) correctes de la Mèche. Mais dans l’intervalle, une autre source ponctuelle de revenus pourrait surgir : Castells a rendu les droits non seulement sur la Mèche, mais aussi sur mon recueil de nouvelles, Voulez-vous effacer/archiver ces messages. Il existe quelque part un stock d’invendus de ce livre introuvable, quelques 400 volumes. Si je parviens (à quel prix ? on verra…) à mettre la main sur ce trésor, j’en ferai don illico à l’association, et ainsi ce recueil deviendra le cinquième livre du catalogue. Ce retour au bercail serait non seulement très heureux, puisqu’il rendrait cette œuvre de jeunesse (que je suis loin de renier, oh câlibouère, bien loin) à nouveau disponible, mais également tout-à-fait cohérent : cet ouvrage a beau avoir été conçu pour le compte des défuntes éditions Castells, il n’en constitue pas moins la première collaboration entre le précité Factotum et moi-même. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’un livre « pré-FdT » sans lequel les suivants n’eussent tout bonnement pas existé.

Parfois, l’on me demande « Alors, tu sors bientôt un livre ? », et je réponds tant bien que mal, « Ben, regarde, je viens de faire quatre livres en un an, là, au Fond du tiroir… », mais l’argument semble irrecevable lorsque l’on s’intéresse, fort aimablement du reste, davantage à ce que je « sors » qu’à ce que je « fais », et l’on me rétorque, « Non, mais des VRAIS livres, je veux dire ? » Ah, oui, d’accord, ces livres-là…

Au chapitre du « vrai », doit-on attendre une publication sous mon nom en 2010 ? Oui, j’espère bien. Je viens de terminer (d’où le titre du présent article – presque « ouf » à dire vrai, puisque quelques bricoles restent à fignoler) un roman dont la conception aura été ridiculement longue, presque trois ans pour en venir à bout, des allers et retours incessants entre certaines idées qui me chatouillent et des agencements romanesques d’autant plus laborieux que je les veux impeccablement fluides. Bref, ce roman, cette séquelle, pourrait paraître chez Magnier l’an qui vient – si tout va bien, c’est-à-dire si Magnier en veut, car la question n’est pas absolument réglée. Je crois que ce bouquin sera très bien, même avec son gros défaut : deux ans de retard.

Allez, l’histoire avance, avec, et sans nous. « I’m on my way ! »

Je me souviens du film Dick Tracy de Warren Beatty, kitsch et clignotant comme un sapin de noël. Je me souviens d’une interview de Beatty, à qui un journaliste demandait quelle mouche l’avait piqué, pourquoi diable un type aussi sérieux que lui, acteur respecté, auteur capable de Dix jours qui ébranlèrent le monde, mais pourquoi donc le prestigieux Warren Beatty s’était-il entiché de cet héroïsme régressif de comic strip, de ce défenseur de la loi au premier degré pop, de cet archétype infantile en imper jaune ? Pourquoi ne sortait-il pas de vrais films, plutôt ? Beatty avait répondu un truc du style : « Poser un chapeau sur ma tête, enfiler un imper, regarder ma montre, m’exclamer I’m on my way !, et partir en courant à l’aventure, figurez-vous que ça m’excite. » Je cite de mémoire, mais j’ai parfaitement retenu l’esprit de cette explication alors que j’ai pour l’essentiel oublié le film lui-même.

I’m on my way, c’est suffisant, c’est optimiste tout de même, c’est énergique, c’est juvénile, c’est disponible, c’est solaire comme un ciré, c’est fort judicieusement naïf, c’est parfait, en guise de vœux pour un nouvel an.

Séquelle

28/08/2009 un commentaire

(oui, je sais, c'est la seconde fois que je publie cette image)

Révolution de coulisse : le Fond du Tiroir a désormais son compte en banque – au Crédit Mutuel, seul établissement bancaire, semble-t-il, qui manifeste  encore un certain soutien (et non un simple intérêt) à l’activité économique des associations, en leur accordant un compte courant sans le moindre frais de gestion.

Le bon de commande de nos précieux ouvrages a donc été dûment retouché, afin d’enjoindre le client-roi à libeller son chèque à l’attention du FdT, au lieu de mentionner le citoyen Fabrice Vigne, ce qui épargnera peut-être à celui-ci quelque tracasserie fiscale.

Un compte en banque, presque vide, hélas. Pas de quoi mettre en branle le grand projet d’automne du FdT, dont je vous entretiendrai prochainement.

Mais, bah ! L’argent ? Qu’est-ce que l’argent ? Surtout en période de crise (partout-partout) ? Quelle surnaturelle calculette dira la valeur des livres ? Le livre le plus cheap du FdT, trois euros, soit environ trois fois rien, le plus bref aussi, douze pages emballées-c’est-pesé, est peut-être bien son plus profond.

Je repense souvent à ce Flux, et je me demande ce que j’ai fait là. Chaque fois que je regarde ma fille, et que je comprends que la voir grandir est la seule consolation possible quand, simultanément, je me vois vieillir. Je la vois vivre, je me vois mourir, nous nous embrassons, et j’écrase une larme, oui, je l’écrase celle-là, bien fait pour sa gueule. Voilà tout ce qu’il ne dit pas, mais ce qu’il contient, ce « livre » infime à trois euros. Alors, l’argent, hein…

Et pendant ce temps ? Pendant que le Flux nous emporte ?

Eh bien, pendant ce temps, j’écris, figurez-vous. Me voici jusqu’au cou dans Jean II le bon, séquelle, suite naturelle (comme on dit d’un enfant) de Jean Ier le Posthume, roman historique. J’ai commencé ce livre il y a plus de deux ans, puis je l’ai mis de côté parce que, comme on sait, à un moment donné j’ai jugé bon de me consacrer à l’exploration de mes tiroirs. Cet été je me suis replongé dans l’Histoire et dans mon histoiriette, je me suis remis, pour la première fois depuis lurette, à travailler chaque jour sur un même roman, et ça marche, je m’amuse. Vous en voulez un extrait ? Bon, très bien, parce que c’est vous. Un extrait pittoresque, distrayante saillie, guise de bande annonce, scène de comédie parce-qu’il-n’y-a-pas-que-les-larmes-écrasées-dans-la-vie… mais qui ne trahira rien de l’intrigue réelle du livre. Éh, oh, je n’aime pas qu’on lise par-dessus mon épaule. À plus tard…


STAN – Souvenez-vous ! Nous avions laissé pour mort Jean Ier le Posthume à l’âge de cinq jours… Il est mort, quel suspense ! Que va-t-il lui arriver ? Le destin est en marche : en secret, le bébé avait été échangé avec Giannino Baglione, le fils de sa nourrice italienne… C’est l’Italien qui est mort à cinq jours sur le trône, tandis que le véritable monarque de France est exilé, à l’insu de tout le monde, y compris de lui-même, en Italie… Quarante ans plus tard, pendant que le roi de France en titre, Jean II le Bon, fait tranquille pépère la guerre contre les Anglais, le Giannino apprend qu’il est en fait l’héritier légitime du royaume de France ! Il lève une armée et fonce à Paris… Mais c’est la déroute ! Le cachot et les désillusions ! En prison, Giannino écrit un mémorandum dans lequel il estime son propre prix, que l’on peut réclamer au roi de France Jean II : 100 000 florins d’or s’il est vivant, 500 florins s’il est mort. Quelques pages plus loin, moins vantard, il propose 50 florins…
Toujours est-il qu’en 1362, Jean II envoie un ambassadeur à Naples. L’ambassadeur visite la prison de la Vicaria. Il s’entretient longuement avec le prisonnier pour préparer son transfert… Mais l’affaire ne se fera pas pour cause de décès soudain de Giannino… Tiens tiens ! Comme c’est commode ! QUI l’a assassiné, et pourquoi ?
J’en suis là de l’enquête… Sept cents ans que l’énigme perdure… Eh bien, les gars, là où les historiens capotent, commence le travail de l’imagination. Gianinno n’est pas mort du tout dans son cachot mais en héros, sur le champ de bataille, l’arme au poing… Je verrais bien un duel au sommet, le clou de notre film ! Jean II himself contre Giannino-qui-se-prétend-Jean-Ier ! À l’aube, ou plutôt, non, tiens, au crépuscule, quand les ombres s’allongent… Chacun des deux apparaît sur la crête d’une colline, et toise son rival… Puis ils se mettent à crier, tous les deux, chacun tentant de couvrir la voix de l’autre, « Je suis le seul vrai roi de France ! Usurpateur ! Salaud ! Ordure ! Je vais te faire la peau ! » Et là, ils dégainent leurs épées, ils courent dans la lumière du soir et la poussière, c’est le grand fracas des lames et des armures ! Moment de vérité ! Jugement de Dieu ! Un seul roi de France et de Navarre restera ! Au corps à corps Jean II prend l’avantage, parce qu’il est mieux entraîné, on mange mieux à la cour que dans un cachot, et alors… Stupeur ! Impitoyablement il tranche la main de son adversaire ! Giannino est à terre, diminué, en sueur, en larmes… En état de recevoir le coup de théâtre en même temps que le coup de grâce, le secret qui explique tout, la terrible vérité cachée depuis une génération : Jean II relève la visière de son heaume et il prononce ces mots, lentement, en contre-plongée : « Je suis ton père ». Explosion de désespoir de Giannino, qui hurle « Nooooooooooooon ! »
Qu’est-ce que vous en dites ?


ARTHUR– Extraordinaire.

ELSA – Éculé.

STAN – Hé, un peu de respect, oui ?

ELSA – Éculé ! On a déjà vu ça au cinéma.
En outre, historiquement, ce n’est plus de la libre interprétation, c’est juste n’importe quoi : Jean II et Giannino n’ont que quatre ans d’écart ! L’âge d’être frères peut-être, mais pas père et fils… Et pourquoi diable Jean II serait le père de Giannino ? Rien à voir ! On n’y comprendrait plus rien, ni à l’histoire de l’un, ni à celle de l’autre !

STAN – Pourquoi ? Ben, parce que ça fait une excellente scène, tiens !

ELSA (se rallumant une cigarette) – D’accord… Ce n’est pas avec tes élucubrations que je vais changer d’avis. Écrire une suite au Posthume, c’était forcément une mauvaise idée.

Brève rencontre au musée du Louvre

03/11/2008 un commentaire

Je ne connais qu’une seule personne à Paris, eh ben tu me croiras si tu veux, mais je tombe nez à nez avec elle par le plus grand des hasards.

« Portrait de jean II le Bon, Anonyme, vers 1340. Nous voici maintenant face au premier portrait d’un roi de France réalisé de son vivant. Il s’agit de celui de Jean II. Surnommé « Le Bon », il succède le 22 août 1350 à Philippe de Valois, son père. Très vite, Jean est confronté au complot d’une partie de la noblesse prête à se rallier à Édouard III, roi d’Angleterre. Jean II va laisser son nom dans l’histoire lors d’un fameux épisode de la guerre de 100 ans, la bataille de Poitiers. Cerné par les Anglais, le roi est lâchement abandonné par trois de ses quatre fils. Seul le dernier, Philippe, reste à ses côtés. Père et fils combattent courageusement, le fils protégeant son père en prononçant ces paroles restées célèbres et enseignées à tous les écoliers de France : « Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! » L’héroïque résistance du roi n’y peut rien, il est fait prisonnier. Traité avec les plus grands égards par Édouard III, il est néanmoins transféré à Londres pour plus de sûreté. Édouard lui offre la liberté à la condition que Jean reconnaisse le royaume de France comme relevant de la couronne d’Angleterre. « J’ai reçu de mes cieux un royaume libre », répond Jean, « je le laisserai libre à mes descendants. Le sort des combats a pu disposer de ma personne, mais non des droits sacrés de la royauté ». Après de longues négociations, il est libéré moyennant une rançon de trois millions d’écus d’or. Des otages de sang royal sont envoyés à Londres pour garantir le paiement de la somme. Or, l’un deux, le duc d’Anjou, fils du roi, s’enfuit de Londres. Homme d’honneur, Jean II retourne se constituer prisonnier à Londres, où il décède l’année suivante à l’âge de 56 ans. Son courage, sa droiture, son infortune, le firent aimer de ses sujets qui le surnommèrent « Le Bon » pour lui prouver leur attachement. C’est donc la représentation d’un roi bien infortuné qui constitue le premier portrait individuel de la peinture française. Le roi est représenté de profil, un profil sombre, à la ligne épurée sur un fond d’or, d’une rigidité comparable à celle des médailles et pièces de monnaie. Mais contrairement à celles-ci, cette représentation respire la vie et l’humanité. En effet, l’idéalisation est absente de ce portrait et c’est la simplicité qui émane de cette œuvre. Le front bas, l’œil en amende et la lèvre charnue semblant esquisser un sourire… Le roi est humain, profondément humain, et peut-être si peu royal. On peut en effet s’étonner que Jean II soit représenté sans couronne, et sans attributs royaux. Peut-être est-ce dû au fait que ce portrait a été peint alors que Jean n’était pas encore roi mais duc de Normandie. De même, il est fort probable que l’inscription ait été rajoutée a posteriori. C’est donc pour ces raisons que cette œuvre constitue un tournant dans l’histoire de la peinture. En désacralisant le roi, c’est sa vraie nature qui transparaît, celle d’un monarque courageux, d’un roi à la bonté profondément humaine qui le fait aimer de son peuple, et dont l’éclat du nom a quelque peu fait oublier l’histoire de son règne. »

Source : audioguide du Musée du Louvre.