Respect pour « Respect »

Actualité des livres écrits par des gens de cinéma : je lis coup sur coup le livre d’un prédateur et celui d’une proie. Les mémoires de Roman Polanski, Ne courez pas ! Marchez !, et celles d’Anouk Grinberg, Respect. Deux témoignages de survivants, deux dénonciations d’horreurs vécues. Aucun des deux ne fait de l’ombre à l’autre, ou ne saurait diminuer la portée de son voisin. Pourtant…
– Le premier livre est une retranscription d’un grand entretien de Polanski pour l’INA en 2006, complétée de deux documents écrits par le père du cinéaste, Ryszard Polanski, somme hétéroclite qui documente la double expérience du garçonnet Roman enfermé dans le ghetto de Cracovie, et de l’adulte Ryszard déporté à Mathausen, tous deux tentant de survivre à l’extermination systématique des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, dans l’espoir de finalement se retrouver.
Comme je feuilletais le livre, une collègue lisant le nom de l’auteur sur la couverture a tenté une plaisanterie : Polanski publie un manuel sur comment on viole les femmes ? C’est ça que signifie le titre, Ne courez pas ?
Je tique. Je souris poliment alors qu’au fond de moi je suis consterné (et paradoxalement je pense à toutes les femmes qui plus souvent que moi sourient poliment alors qu’au fond d’elles sont consternées par les blagues des hommes – je reviendrai, ou plutôt Mme Grinberg reviendra un peu plus bas sur ce sourire faux des femmes).
Il y a cinq ans déjà, j’avais été embarqué dans une discussion sur Polanski qui m’avait permis de fixer ma position : je suis loin de plaider (ou même de comprendre) la distinction fallacieuse entre l’homme et l’artiste puisque l’art ne sort pas par magie de nulle part, il faut bien que les artistes soient des hommes (ou des femmes) ; en revanche je suis partisan absolu de la distinction entre l’homme-artiste et l’oeuvre.
Ce sont ces deux-là qu’il faut juger séparément. Il convient de vérifier si l’oeuvre a violé qui que ce soit, ou du moins si elle a défendu, justifié le viol, ou l’a montré sous un jour favorable, ou a innocenté un violeur, bref si elle s’est montrée complice de quelque façon. Si c’est le cas, ok, on condamne. Sinon on lui fout la paix et on la juge selon d’autres critères.
Qu’on entende moquer et débiner Polanski, qu’on lui ferme sa gueule sur tous les sujets, y compris lorsqu’il témoigne des camps de la mort et des persécutions nazies, parce qu’il a été un prédateur sexuel, est une aberration, une injustice.
– Le second livre, les mémoires d’une jeune fille fragile rédigées par une vieille dame très digne, est un brûlot décortiquant d’une écriture claire, posée et parfois illuminée (Le déni est une pluie de matraques molles, quelle phrase !) à la fois une aliénation individuelle et un fait social massif, les mœurs dans le cinéma, les violences et abus faits aux femmes.
Rappelons qu’il est très sain, très révélateur et peut-être inévitable que le mouvement #metoo soit né dans le milieu du cinéma avant de faire tache d’huile dans tous les recoins de la société : les actrices, utilisées, manipulées, insultées, humiliées, entendent durant toute leur carrière (du moins aussi longtemps qu’elles sont jeunes et sexy) « Tu n’as pas le choix, tu dois y passer, c’est normal pour une actrice » ; ainsi, elles sont implicitement l’avant-garde de toutes les femmes, utilisées, manipulées, insultées, humiliées, qui entendent durant toute leur vie « Tu n’as pas le choix, tu dois y passer, c’est normal pour une femme » .
Vers la page 50, Anouk Grimberg entre dans le vif et commence à déballer sur Bertrand Blier, dont elle fut l’actrice, la « muse » (qui donc ose encore utiliser au premier degré, sans sourciller, ce terme débile entérinant le fait qu’une femme est juste bonne à être la chose et la projection des fantasmes d’un homme-artiste ?), et l’épouse.
Blier étant mort en janvier dernier, a-t-elle attendu cette échéance pour parler ?
Quand je pense à moi à cette époque, du temps où j’étais avec lui, quand je revois des interviews du passé, je ne connais pas cette femme. Elle me fait peine… peine. Je suis une étrangère à moi-même. Mes sourires, mon masque de félicité, tout est faux. Aujourd’hui, je vois une jeune femme qui lèche les barreaux de sa prison. Je me suis raconté à l’époque que j’étais libre et heureuse, et pourtant j’ai bien failli en mourir. (…) Mon aveuglement a duré si longtemps qu’avant d’y perdre mon âme, j’ai cru qu’il me faisait renaître. Et plus je le croyais, plus je déposais ma conscience à ses pieds.
Le plus étonnant pour moi, ce ne sont pas les neuf ans passés pendant lesquels il m’a pillée, ce sont les neuf ans pendant lesquels je me suis menti pour survivre. J’ai cru à l’amour quand il ne s’agissait que d’envoûtement et d’emprise, j’ai dit qu’il était le plus grand libérateur de femmes et qu’avec lui j’étais au paradis. J’ai brouillé toutes les pistes pour qu’on me laisse en liberté en enfer.
Pour ma part, sans avoir jamais été un grand admirateur du cinéma de Bertrand Blier (à son anarchisme je préférais celui de Mocky, moins misanthrope et plus politique) et sans avoir pris énormément de plaisir devant ses film, du moins (cela suffirait-il à exiger de moi un mea culpa ?) étais-je content qu’il existe dans le paysage du cinéma, en tant que radicalité, en tant que champ des possibles, en tant que provocation et baromètre de la possibilité de provocation, en tant que tête-de-turc des réacs (ainsi lorsque Zemmour consacre un chapitre de son Suicide français à expliquer que Les Valseuses est la métonymie voire la cause princeps de la décadence française, je m’insurge aussi sec et soudain je suis prêt à défendre Blier contre Zemmour).
Pourtant, si je veux être cohérent avec moi-même (et je veux toujours être cohérent avec moi-même), il me faut reposer la question précédemment soulevée pour juger les films et les mémoires de Polanski : ses oeuvres sont-elles complices de quelque chose ?
Celles de Polanski, non (parfois, tout au contraire : il faudrait évoquer Tess, film qui dénonce les abus sexuels d’une jeune fille utilisée, manipulée, humiliée, mais alors prendrions-nous le risque de nous voir rétorquer que son réalisateur est un violeur et par conséquent un hypocrite ?).
Celles de Blier, oui. Sous couvert de liberté, d’anarchie, d’humour le cinéma de Blier est profondément misogyne. Les femmes y sont rabaissées, humiliées, violées, jetées après usage, et c’est vachement marrant. Grinberg rappelle opportunément que dans Les Valseuses, Miou-Miou se fait insulter et cogner du début à la fin. Hymne à la liberté, Les Valseuses est peut-être surtout un hymne à la liberté des hommes.
Il me disait que toutes les femmes étaient des putes, des connes, des salopes. (p. 57)
Si c’est Anouk Grimberg et non Eric Zemmour qui ringardise définitivement Bertrand Blier, je m’incline. Respect.
Euuhhh…et Sade, m’sieu ? Keskon en fait ?? On le remet tout de suite en taule ?
@Fondeur de Tiroir
Quant à moi, je connais nos différences, et mes goûts m’ont autant porté vers Sade que très peu vers Céline, pour des raisons que je ne connais pas.
J’en soupçonne une : Sade fait partie non seulement d’un héritage surréaliste que je revendique (ou en tout cas que j’ai revendiqué haut et fort, tu en sais quelque chose) mais il fait aussi partie à la fois d’un « mythe originel » de la Révolution (forgé par d’autres mais aussi par lui-même) mais aussi d’un passé qu’on peut « mettre à distance », sinon vers le déluge du moins vers les méandres d’une histoire de la littérature vivace mais traçable, identifiable malgré la singularité du bonhomme et du phénomène littéraire. Céline n’a été porté par personne jusqu’à aujourd’hui tellement il sent le soufre, personne à part l’extrême droite, et à gauche, Cavanna et quelques autres. Il est encore, aujourd’hui, un phénomène. Je crois que ce que j’ai aimé chez Robbe-Grillet c’est entre autres, que malgré sa singularité, il a voulu et fondé une famille littéraire. Breton, idem. Céline, aucune. Il reste seul dans sa gangue de langue volcanique. Ça ne m’a, je crois, pas aidé à mieux l’apprécier. Mais ça ne regarde que moi…
C’est là qu’on arrive à la fameuse distinction homme / oeuvre sur laquelle je te suis totalement !! Quand Robbe-Grillet avoue sur les plateaux avoir été « pétainiste », jamais il ne défend Pétain au premier degré ; ce qu’il fait au premier degré, c’est exposer les us de son clan, sans jamais ni les juger ni les approuver ; mais avec cette candeur si dépourvue de complexes, oui, bon, bah voilà, c’était comme ça quoi, on était comme ça. Il n’ose pas dire naturel, venant de lui, son entourage le regarderait bizarrement, mais on sent que ça le démange. Et quand à la fin de sa vie, il suspend son entrée à l’Académie à un éloge de Pétain, c’est un vieux con pas drôle qui enfourche des provocations d’un rance café du commerce.
(tiens en écrivant ça, j’entends sur France Musique la musique de Nino Rota pour le « Casanova » de Fellini, encore un phénomène celui-là, y aurait à écrire !! Entre le vrai Casanova et celui qu’a lu Fellini, quel gouffre.)
Alors que justement, cet écart, ce jeu entre l’homme et l’oeuvre, ce dynamisme, cette dialectique qui au final fait histoire et fait littérature (et d’où peuvent naître l’humour ou la poésie), chez Céline je ne le perçois pas. Ses imprécations sont de vraies imprécations, et quand il part à Sigmaringen, ça n’est pas Bardamu qui part. Je ne peux pas m’en tirer avec un « ah, quel boute-en-train, quel fameux paradoxe ce Céline » non, désolé, tout ça me fait gerber, en bloc.
Avec Sade, c’est encore autre chose.
L’oeuvre, je n’ai jamais eu aucune difficulté pour y accéder, j’adore l’écrivain, sa langue, si belle et si tranchante (XVIIIe, quoi) qui ne lui sert qu’à dire des horreurs. Mais ces horreurs me semblent « mises à distance », d’une certaine façon, par un certain nombre de biographèmes (pour reprendre la formulation barthésienne) :
– D’abord il n’y a pas que des horreurs. Il y a un certain nombre de pièces de théâtre que je n’ai jamais lues, par lesquelles Sade a voulu faire oeuvre, et qui n’ont eu aucun succès. Si bien qu’il dit lui-même avoir été presque forcé par les rigueurs du temps de revenir à des contes « bien poivrés », pour contenter l’éditeur. Putasserie ? Sans doute, jusqu’à un certain point.
– Ensuite, le paradoxe princeps : ces horreurs sont-elles dissociables de 28 ans passés en taule ? Non. L’imagination au pouvoir, c’est là qu’elle est. Cet écart me plaît, propre à tous les postulats, surréalistes et autres. Sade est allé en taule pour de réels méfaits. Ensuite, il s’est évadé ; paf, récidive. D’accord. Mais il est surtout resté en taule parce que sa belle-mère le haïssait et a tout fait pour qu’il y reste. Il est donc réellement (pas métaphoriquement) victime d’une forme d’absolutisme dont les répétitions ont mené à la Révolution. Révolution qui ne l’a pas porté en triomphe, puisqu’elle l’a envoyé, cette fois, à l’asile où il est mort, à un âge avancé. Ces méfaits de jeunesse méritaient-ils 28 ans à l’ombre ? Non. Même à l’époque. Quant à sa femme, c’est peut-être incompréhensible, mais il semble qu’elle l’aimait vraiment.
– Et, au passage, un autre paradoxe : libre, momentanément, il croise ses beaux-parents à la section des Piques dont il est secrétaire. Au lieu de les dénoncer comme ci-devants, eux auxquels il doit son maintien en prison, il les protège. Pitoyable et génétique solidarité de classe ? Ou vraie générosité ? N’empêche, du panache : « voilà comment je me venge, moi. »
– Enfin, à mes yeux, le sommet de son oeuvre (en-dehors des 120 journées, oeuvre de jeunesse (!!) dans laquelle il a probablement essayé de « tout » dénombrer, de tout dire) c’est Juliette. Et ça devrait suffire pour l’absoudre de toute accusation de misogynie…(J’entends à nouveau selon des critères modernes. Ce que Sade pensait, je ne le conçois pas). Pas de Justine sans Juliette. La liberté, c’est pour tous, et donc aussi pour toutes. Et l’enfer, celui d’un monde sans Dieu, sans repères, aussi.
– Autre paradoxe, interne à l’oeuvre celui-là : Français, encore un effort…. Je ne l’interprète que comme une métaphore, voire une utopie, comme tout le reste de son oeuvre du reste, de la dialectique liberté / absolutisme. Vous voulez la liberté ?? D’accord, mais attention, voilà ce que ça va donner ! Je ne vois pas ce qu’il y a de plus intelligent et percutant comme traité politique. C’est un conte moral, une parabole comme Sade les adore, dans la lignée du Dialogue entre un prêtre et un moribond, qui emprunte les formes du théâtre pour exposer une théorie. Attention : je ne suis pas Pasolini, je ne fais pas de révisionnisme, je ne lis pas Sade à la lumière de développements historico-philosophiques postérieurs, qui conduisent à trouver par exemple chez Spinoza ou Descartes un athéisme qu’ils ne pouvaient concevoir. C’est-à-dire que Sade l’a peut-être écrit au premier degré : la liberté c’est d’abord la mienne, donc l’esclavage des autres, et donc (vu d’ici) le dionysiaque et épouvantable ultralibéralisme, etc. Je ne l’ai pas relu depuis longtemps, mais la difficulté, due à la distance historique, à interpréter correctement les intentions de l’oeuvre (c’est tellement facile aujourd’hui avec n’importe qui), à trouver la bonne distance, bref à nous mettre dans le crâne d’un homme du XVIIIe siècle, me donne, à moi, la liberté – et cette liberté est tout à fait permise par l’oeuvre elle-même – de voir dans ce traité de dialectique un opuscule philosophique majeur de son époque, à la fois bref, drôle et intelligent. Et je pense que toute l’oeuvre de Sade est comme ça : aussi paradoxal que ça puisse paraître, malgré son côté massif et obsessionnel, elle résiste d’abord à l’analyse.
– De même que pour comprendre, pour interpréter l’homme, il n’y aurait guère que deux entrées : une énorme étude historique que j’appelle de mes vœux (Sade en son temps) / et une étude médico-psychiatrique qui a déjà, je crois, été tentée, et qui en a conclu que, sur l’échelle du sadisme, Sade était tout près du premier échelon ; quasi peanuts. Le fait est qu’aujourd’hui (encore un paradoxe), autant de Sade que d’exégètes : le Sade des exégètes post-surréalistes (Lély, Heine etc.) me lasse un peu : « Tout ce que signe Sade est amour », oui, bon, faut pas pousser mémé non plus. Si c’est pour en faire un christ, non merci. J’aime profondément le Sade d’Annie Le Brun parce que j’aime Annie Le Brun. Tandis que Sade vu par Onfray est à l’image de ce qu’est devenu Onfray : triste et réac. Un Sade intéressant c’est celui de Topor, et de celui-là justement je n’ai pas l’impression qu’il m’en apprenne plus sur Topor que sur Sade…Création, extrapolation réussie ? C’est aussi un Sade gommé de ses excès…Quant à Pasolini, il dépouille Sade de sa langue pour le rendre comptable de faits postérieurs. C’est une exégèse du fascisme passionnante (et un film presque ennuyeux) mais malhonnête avec le vrai Sade, et qui se torche pour le coup avec le distinguo homme / oeuvre. Concept qui, pour être honnête, était dans les limbes à l’époque de Pasolini.
– Ce qui se résume dans un autre paradoxe : de Sade, des mots en lettres de feu, mais aucun portrait autre qu’un miroir en mille morceaux, un portrait cubiste.
N’empêche : comment faut-il le comprendre, à quoi peut-on croire ? En dehors de sérieuses études, un bloc d’abîme.
Une des vraies questions, pour moi, à la fois gênante et passionnante, c’est : quelle est la singularité de Sade, homme et écrivain, dans son siècle ?? Et là, c’est difficile de répondre. Mais on peut faire quand même quelques remarques :
– La langue du XVIIIe cherche à être, pour plein de raisons, performative. A trancher, par son excès même. Pas seulement chez Sade (c’est aussi ça qui nous la rend fascinante). A-t-on songé à prendre au premier degré La Mettrie, ou même Rousseau ?? A cet égard Sade n’est pas une exception. Pour ça aussi aujourd’hui on préfère Voltaire : on croit le comprendre mieux, il rassure, parce qu’on en perçoit l’humour.
– Criminel sexuel ? Sans doute. Etait-il une exception ? Sans doute non. Meurtrier ? Non. Agresseur ? Oui. Ce qui est possible pour Polanski (remettre ses agissements à la fois dans une époque, les années 1970, et dans un système d’impunité, le patriarcat hollywoodien) devrait l’être aussi pour Sade. Force serait, je pense, de constater que Sade a payé tout seul, pour une classe entière d’hommes qui faisaient comme lui ; à une époque où justement les droits de la personne humaine étaient fonction de sa place sur l’échelle sociale et pas d’autre chose. Et, bien d’accord : si la taule a pu faire l’oeuvre, sortir l’homme du monde pour le condamner à sa vocation d’artiste, alors sans doute tant pis pour lui, tant mieux pour nous.
– Donc pour conserver ce bloc d’abîme bien à l’abri dans son Château de la subversion, il faudrait pouvoir le diagnostiquer, un peu comme un Artaud a pu l’être (sans doute imparfaitement). Mais pour le faire vraiment descendre de son piédestal poétique, pour le réincarner en somme, le mieux serait de pouvoir le replacer dans son époque, être humain vivant avec toutes ses fulgurances et toute sa médiocrité.
– Et, tiens, je me fais réflexion que j’ai profité de l’été pour enfin lire Bouvard et Pécuchet, et que j’ai lu quelque part que Flaubert vénérait Sade et je comprends aujourd’hui pourquoi : les mésaventures des deux zozos sont l’exact pendant bourgeois de celles de Justine, un chemin de croix tourné en dérision, et le goût invraisemblable pour l’inventaire (des inventions, des tortures) n’est pas un mince point commun entre les deux écrivains. Et l’obsession du dénombrement chez Sade devrait en révéler sur sa pathologie.
En fait, à bien y réfléchir, je crois que Sade concentre tout ce qui m’intéresse chez les artistes : un réservoir poétique, imaginaire et philosophique inépuisable, et une énigme humaine, un défi à l’humanisme.
Je crains que même sans statue, l’air du temps trouve à déboulonner Sade comme il jette aujourd’hui Picasso avec l’eau du bain patriarcal.
J’aimerais au final, pour démarquer Camus, essayer d’»imaginer Sade (libre et) heureux ».
A part ça, nous étions partis de Blier. J’ai une profonde compassion pour tout ce que dit Anouk Grinberg, mais je continue à aimer l’artiste Blier. Manipulateur d’actrices ? Sans doute, comme tant d’autres hélas. Mais sûrement plus misanthrope que misogyne. L’homme chez Blier est un pathétique pantin impuissant, complètement à côté de la plaque, toujours à la traîne de la femme qui par sa singularité et son génie est promise à la conduite du monde ; comme, d’ailleurs, à la même époque, chez Marco Ferreri. Schéma réac ou progressiste ? Chacun appréciera. Ça mène parfois à une pénible imagerie onirico-freudo-surréaliste en caoutchouc comme Calmos, ratée (parce que premier degré), comme à la même époque La Cité des femmes chez Fellini, qui n’exprime rien d’autre que la peur masculine du vagin originel. Et par ailleurs, je trouve bon nombre des films de Blier assez mauvais. Mais je tiens par exemple, Préparez vos mouchoirs et 1,2,3…soleil pour des monuments de poésie et comme deux magnifiques portraits de femmes, l’un glaçant, l’autre solaire.
Pour cette raison, je trouve oiseuse ta comparaison Blier / Polanski (un autre cinéaste que j’aime mais dont je trouve plein de films ratés, en fait dès que j’ai l’impression qu’il filme pour payer ses impôts), l’un au détriment de l’autre ; si on met les deux films précités en face, par exemple, de Carnage, film rance et complètement réac (réac parce que seulement misanthrope, c’est normal, c’est Yasmina Reza), ça renverse bien la vapeur je trouve.