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Engagez-vous, rengagez-vous

Parmi les ratages de ce quinquennat à l’agonie, tout le monde a peut-être déjà oublié la « Réserve citoyenne de l’Éducation nationale » . Qui aura pour elle une pensée, le moindre regret, la plus fugace condoléance ? Qui en composera l’élégie ? Allez, je me dévoue.

Au lendemain des attentats de janvier 2015, nous étions tous ravagés par la tristesse, l’angoisse, le deuil. Une gifle avait imprimé l’heure est grave sur nos joues. Une fois ébroués, et ayant analysé à grands traits la crise éducative, mentale, sociale, morale, politique, économique, démocratique, économique, culturelle, spirituelle, j’en passe, dont les sinistres jours d’attentats ne constituaient que la vitrine en miettes, nous nous requinquions en cherchant à faire quelque chose. Où s’engager, et dans quoi ? La responsabilité individuelle, ainsi qu’une vague culpabilité, étaient de mise, la République était en danger comme on disait en 1793. Qu’avions nous jusqu’alors fait, ou manqué de faire, pour que ce pays en soit arrivé là ? Mais que pouvions nous faire aujourd’hui, chacun colibri à petit bec, pour accomplir notre part, jouer notre rôle, sauver ce qu’on pourrait ?

Or justement à point nommé Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, annonça la création de la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale, dispositif dont, je cite, « l’objectif est d’organiser, promouvoir, réguler, valoriser l’engagement citoyen des forces vives de la société civile, personnes physiques ou morales, aux côtés des enseignants et des équipes éducatives, pour la transmission des valeurs de la République, dans le système éducatif français ».

En gros, si vous vous sentiez des convictions, de l’expérience, du bagout, du civisme, éventuellement du talent, les portes des établissements scolaires vous étaient abracadabra ouvertes pour vous inviter à partager avec la jeunesse vos vues sur la démocratie, la citoyenneté, la laïcité, la tolérance, la paix, et puis les trois mots, là, liberté égalité machin. Désenclavons cette société de l’entre-soi qui crève et commençons par l’école, okay, super, parlons parlons parlons, c’est d’abord cela la démocratie. En plus, une vidéo dessin animé toute mignonne et pédagogique présentait le bazar et donnait envie de se lancer.

Je me suis dit, c’est ça, pile ça, ce dont j’ai besoin, je me le suis dit comme un égoïste (car là repose l’ambiguïté de l’engagement : peut-être en ai-je davantage besoin que celui auprès duquel je m’engage, mais c’est même pas sûr et on s’en fout complètement lorsqu’l est temps de faire). Après tout, régulièrement (comme ici par exemple) je rencontrais grâce à mes livres des ados et des enfants et je leur causais bien volontiers de politique, la politique commence quand on est ensemble dans une pièce et qu’on discute, je les faisais écrire parce que moi c’est en écrivant que je réfléchis, j’étais prêt à partager la méthode, j’aimais le faire, je savais le faire, et je ne voyais aucun inconvénient à exercer en rab, à l’œil, c’était le moment ou jamais.

Je me suis donc rué sur le site dédié, je me suis plié aux formalités administratives, j’ai rempli mon profil, j’ai signé la charte tout comme il faut, je devenais réserviste dis donc, et dès lors j’ai attendu qu’on m’appelle.

On ne m’a jamais appelé.

Oh, je ne suis pas le seul. En fait, si peu ont été appelés que le dispositif se révéla pour ce qu’il était, une inopérante usine à gaz, et sombra dans l’oubli dès l’attentat suivant. La crise éducative, mentale, etc., se poursuivait sans colibris et avec un peu plus de cynisme, un peu plus de désillusion. Passons.

Sauf que soudain, hier, je reçois ça.

Pour son septième rendez-vous annuel, le colloque Défense du trinôme académique (Éducation Nationale, l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale et le ministère de la Défense), placé sous l’autorité de madame le Recteur, ouvre cette année la réflexion sur « Les Français et leur armée au XXIe siècle. De la conscription à l’esprit de défense, la société française et son armée : liens, attentes, représentations » .

La journée sera consacrée à l’étude des liens entre la société française et son armée par trois entrées : la symbolique qui réunit les Français à leur armée : l’armée comme vecteur d’intégration dans la société en considérant les mutations induites en terme de recrutement par l’évolution structurelle et fonctionnelle de l’armée ; les espaces et les territoires d’un rapport quotidien de la société à son régiment, à son armée. Chacun des axes sera étudié sous le double regard de la société et de l’armée.
A la demande de madame Reveyaz, inspectrice d’académie-inspectrice pédagogique régionale d’histoire-géographie, chargée de mission éducation-défense, déléguée de madame le Recteur au trinôme académique, la journée est ouverte aux réservistes citoyens de l’éducation nationale sous condition d’inscription.
Vous voudrez bien trouver ci-après le lien d’accès à l’espace internet dédiée à l’éducation-défense où vous pourrez télécharger le programme du colloque qui se déroulera le mardi 21 mars 2017 de 9h à 17h à l’amphithéâtre Boucherie de l’UFR de médecine de l’Université Grenoble Alpes (le plan d’accès au site est disponible).
Afin de vous accueillir dans les meilleures conditions, je vous demande de confirmer votre présence par mél à ce.education-defense-trinome@ac-grenoble.fr, avant le vendredi 17 mars 2017, en précisant vos nom, prénom et commune de domicile et votre qualité de réserviste citoyen de l’éducation nationale.
Je vous remercie par avance de l’attention accordée à cette invitation.

Mon sang ne fait qu’un tour. Je réponds ça.

Bonjour
« La réserve citoyenne » me désespère. Voici des mois, des années, des siècles, je me suis spontanément inscrit à ce dispositif, croyant voir en lui l’idée juste dont nous avions tous besoin. J’étais alors impatient d’agir, pressé d’en découdre, anxieux d’être utile, fébrile à la perspective d’aller à la rencontre des jeunes, leur « causer du pays », leur raconter des histoires, bref établir le contact, inventer des liens, questionner et répondre. Déployer mon énergie pour la confronter à la leur. Poser un petit sparadrap, au moins un à la fois, sur les plaies de la société, de l’école, de la jeunesse, de la laïcité.
Des mois, des années, des siècles plus tard, les seules sollicitations que j’ai jamais reçues de « la réserve citoyenne » sont vos invitations à des colloques. Or voilà que le dernier en date de ces colloques m’incite à envisager, je vous cite, « l’armée comme vecteur d’intégration ». Voilà qui ne me dit rien qui vaille. Ne reste donc plus aucun espoir, hormis la guerre qui vient, et aucune autre méthode envisagée pour « confronter les énergies » ? À l’horizon une bonne et nécessaire purge, comme il y a cent ans, mobilisation générale et fleur au fusil ? C’est pour moi la goutte d’eau. Le mot « réserve », fût-elle citoyenne, prend soudain une autre odeur. Et j’avoue que j’ai bien ri, quoique jaune, en lisant que votre colloque sur l’armée salutaire intégratrice se tiendrait dans l’amphithéâtre « Boucherie » (vous commîtes un plaisant lapsus, le véritable nom de cet amphi étant Boucherle, en hommage à feu le doyen de la faculté de pharmacie).
J’exigerais volontiers que mon nom et mes coordonnées, mon profil, soient au plus tôt supprimées du dispositif « réserve citoyenne », mais personne ne verrait la différence, ni moi non plus, on ne démissionne pas de quelque chose qui existe si peu.
Bien cordialement,
Fabrice Vigne

Je n’ai jamais reçu de réponse.

P.S. : pour un témoignage similaire au mien, lire l’interview de Karine Miermont parue dans Libé. C’était il y a presque un an, j’ai mis plus de temps qu’elle à comprendre le gâchis, je ne suis pas très vif.

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