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« Faut-il dire à ces potes que la fête est finie ? » (La valse de Ferdinand)

Cette nuit, j’enquêtais sur Ferdinand Walz.
Ferdinand Walz (mais est-ce son vrai nom ?) joue du piano dans un groupe dont je fais moi aussi partie. C’est un garçon très discret, sans âge, ni signe particulier, souriant mais passe-muraille, qui ne parle que pour répondre, laconiquement, aux questions qu’on lui pose. Un soir, lors des bavardages qui suivent une répétition, je lui ai demandé ce qu’il faisait dans la vie. Il m’a répondu, aimable mais évasif, qu’il travaillait dans la cuisine centrale de la communauté de communes, je m’en suis contenté, je n’ai pas creusé la question. Sauf qu’en consultant les archives, je me suis rendu compte d’un détail troublant : sur toutes les photos de notre groupe, prises lors de répétitions ou de concerts, pas une seule fois Ferdinand Walz n’est vu de face, on ne voit jamais que sa nuque, qu’il soit debout parmi nous ou bien assis à son piano. C’est peut-être une coïncidence. Ou alors… Ferdinand Walz s’efforce de ne jamais laisser capturer son visage.
Je recoupe les informations, comme font les flics dans les séries, sur un grand panneau de liège où tous les éléments sont épinglés, photos, post-it, pièces à conviction, plans d’architecte, horaires des chemins de fer ou des marées, mode d’emploi multilingue de la cuisinière, points d’interrogation remplaçant les pièces manquantes (en l’occurrence, le visage de Ferdinand Walz), reliés par des fils de couleur qui forment comme une toile d’araignée. Et je parviens à la conclusion sidérante quoiqu’incontestable : Ferdinand Walz est un cambrioleur. À chaque fois qu’il a été absent d’une répétition, un appartement a été dévalisé, d’ailleurs très soigneusement, proprement, sans trop de dégâts. Cette histoire de cuisine centrale est une couverture bien commode !
Maintenant que j’ai percé à jour Ferdinand Walz, je dois décider que faire de ma découverte. Tout balancer aux flics ? Lui en parler d’abord, pour tâcher de comprendre sa vie et ses motivations ? Ne rien dire du tout et continuer à jouer de la musique avec lui ? Je suis en proie à ce dilemme moral lorsque je me réveille, réalisant que je n’ai même pas gardé dans ma propre mémoire l’image mentale du visage de Ferdinand Walz.

Et pendant ce temps, sur la terre :
« Tchouang-tseu rêve qu’il est un papillon, mais n’est-ce point le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ? » (cité par Raymond Queneau, Les fleurs bleues)
Réalisation d’un papillon en atelier pop-up sous la direction de Philippe UG.

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