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Françoise Malaval, imagière

Le dernier projet de Françoise Malaval, disparue en octobre 2016, était de longue haleine : elle voulait peindre mille bouddhas. Mille, chiffre rond pour se projeter plus loin que ne vont les yeux, elle voulait juste dire beaucoup, comme elle aurait dit cent ou ou un milliard. Elle qui avait tant voyagé, tant admiré les bouddhas croisés sur son chemin, et se doutant que ses pérégrinations touchaient à leur terme, avait décidé de poursuivre le voyage depuis son atelier, en recréant mille bouddhas à partir de ses archives photographiques, de sa mémoire, et même de ses désirs intacts de nouvelles découvertes. Elle a réalisé cette série d’aquarelles jusqu’au bout de ses forces, publiant chaque nouveau bouddha au fur et à mesure sur son blog. Et puis la maladie a interrompu son travail alors qu’elle n’en était qu’au 41e…

J’ai souvent croisé Françoise sur quelques lieux dédiés aux livres. Je ne la connaissais pas assez pour me dire son ami mais j’aimais sa joie, son énergie concentrée dans un corps menu, son rayonnement et bien sûr sa générosité puisque les bonnes ondes qui émanaient de sa personne étaient contagieuses. Naturellement j’ai adhéré à l’association Françoise Malaval Imagière créée pour maintenir vivante son œuvre par celui qui fut son compère et son complice toute une vie durant, Patrice Favaro.

J’ai souscrit à son livre posthume, qui recueille méticuleusement son ultime et inachevable travail : Le 42e et dernier bouddha. Je m‘attendais à un hommage posthume, j’attendais une sorte de livre de deuil, nécessaire et suffisant, et c’eût été déjà bien… Mais le résultat est bien mieux. Même si la longue préface de Patrice est très éclairante et émouvante, ce livre est magnifique tout court et sans contexte, il se tient en pleine évidence, il aurait été beau du vivant de Françoise, eût-elle fait un 42e ou un 1000e Bouddha, quelques-uns de plus ou de moins peu importe, et il demeurera ainsi entier, sans date de péremption. Maintenant que j’ai l’objet en mains je regrette presque son sort confidentiel et son absence de commercialisation, mais tant pis, 300 exemplaires réservés à ceux qui auront souscrit auprès de l’association, finalement c’est gigantesque si 300 lecteurs l’aiment autant que moi.

Techniquement, le soin apporté à la reproduction est extraordinaire : je suis épaté par ce dont est capable l’impression numérique aujourd’hui, les couleurs et jusqu’au grain du papier rendent honneur aux matériaux utilisés par l’artiste. Mais surtout le contenu du livre, ou pour mieux dire son esprit, est renversant de lumière, de charme, de douceur, de bienveillance. Car il y a un verso à chaque bouddha. Le fac-simile reproduit le revers de toutes les aquarelles, nous laissant découvrir que Françoise avait pris l’habitude de dédier chacun de ses bouddhas. Et l’on est bouleversé à la lecture de cette litanie de dédicaces manuscrites, qui commencent toutes par la même formulette-mantra, « À tous les êtres sensibles, et plus particulièrement à… », manière de distribuer la compassion d’abord de façon universelle, ensuite de façon spécifique, aux vivants, aux souffrants, aux animaux, aux oppressés, aux oppresseurs. Ainsi, en mars 2016, elle peint son Bouddha numéro 16 (qu’elle vit jadis à Dambulla, Sri Lanka) lorsque lui parvient la nouvelle que des bombes ont explosé à Bruxelles faisant au moins 31 morts. Elle rédige au dos de son oeuvre : « À tous les êtres sensibles, et plus particulièrement : aux victimes des attentats de Bruxelles, à ceux qui les ont perpétrés. » Cette façon de penser aux assassinés aussi bien qu’aux assassins, puisque tous sont morts de la même folie, est déchirante. Et au recto le Bouddha sourit. Il sourit quarante et une fois.

Après avoir lu l’ouvrage du début à la fin je l’ai laissé reposer, puis je l’ai souvent ouvert au hasard comme s’il me fallait le Bouddha du jour. Lentement, sûrement, régulièrement, ce livre me fait grand bien, et moi qui suis athée comme une tasse (expression de Francis Blanche – Patrice m’apprend à l’instant que Françoise aimait beaucoup Francis Blanche), en le lisant je me croirais presque disposer d’une âme puisque je sens qu’elle s’élève.

Mais voilà : ce livre, je ne l’ai plus. Puisque je l’aime, je l’ai offert. Et comme il est vraisemblable que je l’offre à nouveau, je viens d’en commander quelques uns d’avance. On ne saurait avoir trop de Bouddha.

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