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Le chant de la forêt

28/01/2021 Aucun commentaire

À ma gauche : un film magnifique et bouleversant, subtil et onirique. Le Chant de la forêt, co-réalisé par le Portugais João Salaviza et la Brésilienne Renée Nader Messora, a décroché le prix spécial du jury dans la sélection Un Certain Regard, lors d’un lointain jadis (2018) où le festival de Cannes avait lieu. Il s’inscrit dans la mouvance cinématographique inventée par Jean Rouch de l’ethnofiction, sur la frontière entre fiction et documentaire ethnographique, où des autochtones jouent leurs propres rôles au sein d’une histoire écrite, ou du moins rejouée, en respectant l’imaginaire d’un peuple, sa poésie propre et son devenir.

Le personnage principal, Ihjâc, 15 ans et déjà père de famille, est membre de la tribu indienne des Krahôs, vivant dans leur réserve du Cerrado, au nord du Brésil. Une nuit, Ihjâc rêve de son père mort, qui lui parle à travers une cascade, dans la forêt, et réclame de lui des funérailles dignes de ce nom afin de gagner le village des morts (le très beau titre original du film était Les morts et les autres). Tel Jonas, mon prophète biblique préféré, Ihjâc tout à la fois entend et refuse d’entendre les voix, l’appel surnaturel, la vocation : son totem, le perroquet, le tourmente car il doit devenir chamane mais n’en a pas envie. Il n’idéalise pas le monde de ses ancêtres en voie de disparition, et, malade, fuit la forêt pour aller se confronter à la ville, aux Blancs, à l’État brésilien, à la langue portugaise, à la modernité, avant de choisir son destin.

À ma droite, et même à mon extrême droite : Jair Bolsonaro, président du Brésil, chef d’état le plus dangereux du monde depuis l’éviction démocratique de Donald Trump. Cet atroce quasi-fasciste est nuisible pour tout un chacun mais spécialement pour les tribus indiennes de son pays qu’il déteste, qu’il qualifie d’hommes préhistoriques et qu’il ambitionne explicitement d’éradiquer. Florilège :

« Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens. » Correio Braziliense, 12 avril 1998. « Les Indiens ne parlent pas notre langue, ils n’ont pas d’argent, ils n’ont pas de culture. Ce sont des peuples autochtones. Comment ont-ils réussi à obtenir 13% du territoire national ? » Campo Grande News, 22 avril 2015. « Soyez certains qui si j’y arrive [à la Présidence de la République] il n’y aura pas de sous pour les ONG. Si cela dépend de moi, chaque citoyen aura une arme à feu chez soi. Pas un centimètre ne sera démarqué en tant que réserve autochtone ou quilombola [territoire destiné aux descendants des communautés d’esclaves africains]. » Estadão, 3 avril 2017. « En 2019, nous allons mettre en pièces la réserve autochtone de Raposa Serra do Sol [territoire autochtone à Roraima, nord du Brésil]. Nous allons donner des armes à tous les éleveurs de bétail. » Au Congrès, publié en ligne le 21 janvier 2016. « Cette politique unilatérale de démarcation des terres autochtones par le pouvoir exécutif cessera d’exister. Sur toute réserve que je peux réduire, je le ferai. C’est une grosse bataille que nous allons mener contre l’ONU. » Vidéo de Correio do Estado, 10 juin 2016. « Je porterai un coup à la FUNAI [département des affaires autochtones du Brésil] – un coup à la nuque. Il n’y a pas d’alternative. Elle est devenue inutile. » Espírito Santo, 1er août 2018.

Ainsi de suite. Bolsonaro élu en octobre 2018 soit quelques mois après la récompense audit Festival de Cannes, a tenu parole, n’a eu de cesse de réduire l’espace vital des Indiens, de les asphyxier économiquement et culturellement, de livrer leurs réserves aux lobbies miniers, agroalimentaires et autoroutiers, de couvrir les assassinats des opposants, et de vider de sa substance la FUNAI, agence indienne devenue arme anti-indienne.

À ma droite, à ma gauche… Et nous autres au milieu, que les circonstances forcent à réfléchir si l’art est bien utile ou essentiel ou politique ou ceci-cela comme si nous soulevions la culotte des anges afin de vérifier leur sexe. Comment ne pas admettre que l’art est politique dès qu’il existe justement parce qu’il existe ? Un film comme Le chant de la forêt n’est absolument pas militant, il ne revendique rien, mais il existe, et il montre que des gens existent, que les Krahôs existent, ils sont là. Cette affirmation très élémentaire devient de l’autodéfense quand un chef d’état affirme le projet de la non-existence d’un peuple.

J’attends la sortie prochaine de mon « roman indien » dont le narrateur est lui aussi partagé entre la sagesse ancestrale et la modernité et qui, lui aussi, sent bien que son totem pourrait être le perroquet.


Post-scriptum n’ayant pratiquement rien à voir.

J’ai perdu l’excuse de la fièvre mais mon cerveau continue de turbiner comme devant, comme avant pendant ou après, en associant sans filtre les idées de fort curieuse façon, comme si je dormais à moitié, quitte à trouver ces idées saugrenues quelques instants plus tard.
Là par exemple, sans me vanter je viens de comprendre pourquoi le racisme, à tout le moins la notion de race, est si naturelle, si explicite aux USA alors qu’en France, pays où les « statistiques raciales » ou bien la mention de la « race » sur les papiers d’identité sont interdits, elle coince, elle heurte, elle est plus difficile à assumer ou à avouer.
C’est à cause d’un jeu de mots.
La « race » est tout simplement l’essence même de la culture américaine, de l’American Way of Life. Je veux dire, la course. La compétition. La concurrence dite libre. La lutte de chacun contre tous instituée en norme. La guerre en treillis ou en col blanc. La « rat race« , l’absurde et frénétique course de rats, la course à l’échalote. Quoi de plus normal, « the race » étant constitutif de la vie et de la pensée américaine, que le racism y soit monnaie courante, admis et rationalisé.
Autre hypothèse : je suis délirant y compris quand je n’ai pas la fièvre.

Eros dans ton nez

27/01/2021 Aucun commentaire

Je me relève doucement de ma traversée du Covid. Les symptômes les plus paralysants tel l’excès de fièvre (au-delà de 39,5 on est bon à jeter) ont disparu peu à peu. En revanche je suis rattrapé par un symptôme que je n’avais pas senti venir : je n’ai plus aucun odorat.

J’enfouis mon nez dans les pots d’épices, dans une clémentine, dans mon assiette de soupe, dans ma tasse de café, dans le cou (pour être poli) de la personne qui partage ma vie… et rien. Je mâche, encore rien, alors j’ajoute du sel, le sel au moins je le sens, je sale et ressale, tout ce que je mange a le goût du sel (ce qu’on appelle le goût se limite à sucré/salé/amer/acide car tout le reste n’est qu’odeurs – on a beau le savoir, on tombe des nues le jour où on le vérifie par l’expérience). Je pète, et toujours rien (à quoi bon péter, dans ces conditions, je vous le demande). Je sors renifler l’air de l’hiver, la rue, la forêt… rien de rien, la nature est en carton, en vieux carton qui ne sent même pas le carton. Infirmité sensorielle aussi perturbante que si ma vue était brutalement devenue en noir-et-blanc ou en 2D. Mais instructive puisque, de même sans doute que n’importe quel élément qui nous constitue, c’est à l’instant de le perdre que l’on réalise à quel point ce sens est précieux, et que l’on vit sans cesse à l’intérieur de nos narines.

Nous autres sapiens-sapiens avons tellement valorisé la vue et l’ouïe que nous sommes ridiculement limités du nez, comparés aux chiens, aux chats, et sans doute à tous les autres mammifères qui en reniflant se repèrent dans l’espace et parmi leurs congénères. N’empêche que si l’on en est privé, un pan du monde tombe. Et on se souvient pourquoi on dit Untel je le sens bien ou au contraire Je ne peux pas le piffer.

Or sur ces entrefaites je lis Extases de Jean-Louis Tripp (deux tomes, 2017 et 2020, Casterman).

Extases est une autobiographie sexuelle de l’auteur. La sexualité est une part si essentielle de notre vie que toute autobiographie qui ne serait pas sexuelle manquerait de sincérité, nulle et non avenue ; peut-être qu’a contrario toute autobiographie qui ne serait que sexuelle serait nécessaire et suffisante. Tripp ne manque pas de rendre hommage, dans le premier tome, à quelques uns de ses prédécesseurs, le Journal de Fabrice Neaud ou La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet. Mais, de même que nos existences sont toutes distinctes et pourtant toutes communes, la vie sexuelle de Jean-Louis T. est profondément singulière et originale seulement parce qu’il se dévoue pour la raconter, et son lecteur lui en est fortement reconnaissant. S’adonner à une telle sincérité pour soi-même est une autorisation pour autrui.

C’est pourquoi Tripp précise que sa démarche n’est pas exhibitionniste mais politique : toute oeuvre dans laquelle le sexe n’est pas gratuit (masturbatoire) est politique dans le sens où elle réaffirme que le rapport au monde est sexuel, que le sexe est vital et naturel, universel et sain, source de joies, de liens, d’exploration du monde, de soi et des autres, loin des préjugés, des hontes, des complexes, des préceptes religieux qui prétendent asservir les corps et les désirs. Bander (ou mouiller), c’est être en vie, et, en somme, en bonne santé. Vive la vie, à bas la mort. Eros contre Thanatos, ni plus ni moins. Les Grecs le savaient il y a 2500 ans – du moins Freud l’a signifié il y a un siècle.

Ma vie sexuelle n’est pas, loin s’en faut, aussi débridée et aventureuse que celle de Jean-Louis Tripp, pourtant je m’identifie, je reconnais certains traits de ma libido explicités par la sienne. Par exemple, il raconte comment lors de son adolescence, débordant d’hormones et bafouillant en présence des filles, il avait mis au point une hiérarchie informelle des étranges créatures de sexe féminin : tout en haut, les princesses, les filles qu’on idéalise et qu’on n’abordera pas ; tout en bas, les lavandières, dont on n’est pas spécialement amoureux mais qui assument autant que nous la curiosité pour le touche-pipi et dont on peut s’assurer, avec quelle gratitude, les complaisances. Or le secret du bonheur sexuel (et donc, assénons-le, du bonheur tout court), est de tomber sur une princesse qui est aussi une lavandière – ou réciproquement. Bien vu, Jean-Louis.

Retour à mon sujet initial : je relève dans le second tome d’Extases un passage où Tripp, entre deux histoires d’amour un peu développées, multiplie les coups d’un soir. Et il énumère les mille et une questions que l’on se pose à l’heure de se rendre à un rendez-vous amoureux. Parmi ces questions brûlantes : Vais-je aimer son odeur ? Va-t-elle aimer la mienne ? C’est une évidence, qui comme bien des évidences mérite d’être formulée : oui, nous faisons l’amour avec nos nez ! La libido passe par l’échange d’odeurs. On sait que Napoléon, de retour de campagne à l’autre bout de l’Europe, écrivait à l’Impératrice « Ne vous lavez plus, j’arrive ! » Faire l’amour sans odorat est toujours possible mais aussi peu motivant que renoncer à boire une bonne bouteille de vin pour se l’injecter directement en intraveineuse, nous prodiguant certes l’ivresse mais pas le plaisir. La libido et l’odorat ont en commun de relever de nos vies animales, sensorielles et mammifères, et par conséquent d’être condamnés par les instances en nous les plus intellectuelles, les plus moralisatrices ou les plus religieuses. Qu’elles aillent se faire foutre, ces instances, oh oui, littéralement, et bonne bourre. Et que revienne vite mon sens perdu.

Je termine en exprimant ma compassion navrée pour la jeunesse, qui vit en 2021 confinée, distanciée et masquée. Gardez patience et prenez courage, jeunes gens, jeunes filles ! La pandémie ne durera pas jusqu’à la fin du monde, un beau jour viendra où vous pourrez à nouveau vous renifler les uns les autres ! En attendant, bien sûr, il y a les livres, qui conservent l’expérience des autres. Le « virtuel » n’a pas été inventé par Internet.

Belladone

24/01/2021 Aucun commentaire

Merci à ceux qui ont demandé des nouvelles de ma santé durant ma semaine d’excursion au fin fond du Covid (on a le tourisme qu’on peut). Sachez que j’ai recouvré l’usage approximatif de mon cerveau puisque je viens de lire le dernier livre de mon camarade Hervé Bougel, Belladone (Buchet-Chastel). C’est du costaud.

En fait, j’avais initialement commis une erreur d’évaluation : j’imaginais, sous prétexte de minceur à l’encolure, que je serais capable de l’avaler d’une traite, ainsi que j’avais fait de son fulgurant opus précédent, Clandestine. Tu parles, cela me fut impossible, j’ai dû recommencer plusieurs fois et pas seulement pour cause de virus. C’est certes un petit livre, mais pas une petite bière, plutôt un alcool fort, le cul-sec n’est pas à recommander.

C’est un récit d’enfance d’une noirceur implacable, à Voiron vers la fin des années 60, qui se déploie le long de la dernière semaine d’école du narrateur avant les grandes vacances – en septembre il entrera au collège, il aura changé de vie. Car il faut changer de vie, parfois on le comprend à l’âge de 9 ans.

Dès l’ouverture, on est pris à la gorge par l’absence d’amour érigé en leçon de vie, par le sordide, la misère, la violence normale, la haine de soi des parents comme seul modèle, mais on tourne les pages jusqu’à entrevoir la lumière. Au fond c’est dans son dernier mouvement que j’ai vraiment compris de quoi parlait le livre, pour moi le pivot, la phrase clef, qui explicite les enjeux, est : « Je me sens coupable d’être là, mais je sais aussi que je veux vivre, me battre, m’organiser pour vivre, pour dans longtemps, pour plus tard. » (p. 115) Ce plus tard est-il 2020 et l’écriture de cette histoire ? Indice : le livre est dédié À ma mémoire, par conséquent voué à ce qui a survécu, non a ce qui a disparu.

C’est un livre sur la force de vie qui s’entête au milieu des forces de la mort. Une fois que j’ai compris le sens de ce combat, tous les autres éléments du récit coulaient de source (le sport, la boxe, le fantasme sur le petit Daniel à l’hôpital qui lutte en parallèle depuis son coma, l’extraordinaire scène finale onirique sur le destin à venir…) et tout en lisant je n’ai pas pu m’empêcher de le prendre à titre personnel : en moi également, toutes proportions gardées, la vie a pris le dessus. Va te faire foutre, Covid !

[Addendum : une excellente critique signée Xavier Houssin dans le Monde]

Les Malheurs d’Alain

21/01/2021 un commentaire

Ce soir j’ai revu pour la première fois depuis une quarantaine d’année Les Malheurs d’Alfred de et avec Pierre Richard, sur un scénario co-écrit par Roland Topor (à qui je suis tenté d’attribuer les aspects les plus méchants de cette comédie plutôt bon-enfant).

J’ai à l’endroit de Pierre Richard une tendresse enveloppante et chaude comme un vieux pull vert déformé. Car Pierre Richard incarne dans le cinéma français ce qu’incarne Gaston Lagaffe au sein des éditions Dupuis : le pas de côté, la grâce, la joie, l’expérimentation, la résistance par la poésie pure (je nomme poésie pure un rapport direct au monde, sans calcul, sans cynisme, sans compromission adulte), la plasticité d’un corps burlesque en latex, et la subversion que menace d’apporter chacun des éléments sus-dits dans les plans et les comptes des Messieurs Bouliers de tous les milieux.

En outre, à chaque fois que je regarde un film des années 70, y compris lorsque ce n’est pas un chef d’œuvre, et même surtout dans ce cas, je me complais dans ces couleurs, ces costumes, ces musiques, ces effets de zooms, ces motifs de tapisserie, j’éprouve un sentiment doucereux et ambigu de familiarité mélancolique, qui est celui du retour au pays natal : j’ai vieilli mais pas lui.

Cependant, une surprise tout-à-fait singulière m’attendait parmi Les Malheurs d’Alfred. Alors que, vers la moitié du film, défilent diverses trognes d’imbéciles promis aux plus grands succès dans des jeux télé conçu pour être particulièrement débiles, voilà que surgit le visage d’Alain Finkelkraut. Je me sens bien sûr agressé, je sursaute. Bon sang, me dis-je, mais que vient faire ici Alain Finkielkraut ? Qu’il est fort tout de même ce Finkielkraut, il s’immisce partout, même dans un film de 1972 ! Je me suis frotté les yeux et j’ai réalisé qu’en fin de compte il s’agissait de Jean Carmet, déguisé en Alain Finkielkraut. Mais pourquoi Jean Carmet ferait-il une chose pareille ? Il m’a fallu me frotter les yeux une seconde fois, et réfléchir plus au calme, pour comprendre que je m’étais laissé abuser par une illusion d’optique. En réalité, une fois la chronologie restituée, ce n’est pas Jean Carmet qui se déguise en Alain Finkielkraut à l’occasion d’un film de 1972, mais bien sûr Alain Finkielkraut qui, à chaque fois qu’il se présente à nous dans les médias pour nous faire la leçon, imite et, disons le mot, PLAGIE éhontément le look du juriste pisse-froid, étriqué et arrogant campé par Jean Carmet en 1972. Monsieur Finkielkraut, je révèle ici publiquement que j’ai percé à jour votre petit pot-au-rose, vous vous faites passer pour Jean Carmet grimé en Monsieur Boulier, et ce n’est pas joli-joli.

(Sinon, les symptômes du Covid s’éloignent tout doucement de moi, je crois que j’ai passé le col et que je suis dans la redescente, mais quelque chose me dit que j’ai encore un peu de fièvre.)

Il s’en passe de belles à l’heure du couvre-feu

20/01/2021 Aucun commentaire

– Quoi ? J’apprends que vous avez animé hier soir un atelier d’écriture de chansons ? Par Zoom et par un pied-de-nez au contexte dit global ? À l’heure où les honnêtes gens couvrent le feu ? À deux doigts du reconfinement ? Sans attestation, sans le moindre ausweis ? Par-dessus le marché, entre deux poussées de fièvre dedans votre carcasse tremblante ? En outre il paraît que tout s’est très bien passé ? Vous ne manquez pas de toupet ! Alors qu’il y a tant de malheureux sur la terre !

– Oui, oui, j’avoue, tout est vrai, tout va très bien, merci Marie Mazille et la Maison des Écrits d’Echirolles, merci à vous aussi ! Au fait, connaissez-vous l’origine de l’expression « Je vais me faire appeler Arthur » ? Très amusante, cherchez donc, vous verrez, non débrouillez-vous, je ne vais pas chercher à votre place, je n’ai pas le temps, je rimaille.

Si le monde doit partir en fumée
Ce ne sera qu’à l’heur’ du couvre feu
Le brasier attend, qui pour l’allumer ?
Couve, prend, grandit… Reste à faire un vœu.

Si le monde doit voler en éclats
Ce sera à l’heur’ du confinement
Il explosera comme sonne un glas
Et rendra ses couleurs au firmament.

Si le monde doit changer de chemin
Ce sera à l’heur’ du Covid-19
Pour croire encore un peu au lendemain
Au fond de l’inconnu, trouver du neuf.

Si le monde doit renverser la table
Ce sera à l’heur’ de la pandémie
Les bornes franchies de l’insoutenable
La guerr’ cessera faute d’ennemis.

Si le monde doit se réinventer
Ce sera à l’heur’ du coronavirus
Ou à la limite, quelques jours après
Nous sommes au début du processus.

Si le monde doit devenir heureux
Ce sera à l’heur’ du vaccin pour tous
En attendant prends courage et la queue
Et reste poli, j’en vois des qui poussent.

Si le monde doit retrouver ses marques
Ce sera à l’heure du variant mutant
La galère est là, pas le choix embarque
Tout est à réinventer maintenant.

Bonne chance pour vos examens

16/01/2021 Aucun commentaire

Les résultats viennent de tomber… Yes ! Je l’ai ! Diplôme en poche, ah ah ah ! Un grand jour, comme celui de mon bac ou de mon permis ! Je suis positif ! J’ai le Covid-19 ! (révérence gardée à l’Académie Française, je persiste à dire « le » , je ne me résoudrai pas à dire « la » pour une pareille saloperie, parce que je suis plein de préjugés sexistes.) À peine avais-je reçu la notification que je me suis mis à éprouver les symptômes, absents jusqu’à présent (ou alors je n’avais pas pris garde), la fièvre monte, j’ai froid, j’ai mal en des endroits étonnants, les yeux par exemple…

Jamais je ne me suis autant senti en phase avec mon époque. Le fil du temps « me traverse de la bouche à l’anu » comme disait Céline, mais plutôt en passant par la narine. C’est bien simple, je suis l’époque à moi tout seul, appelez-moi Synecdoque. D’ailleurs j’ai une gueule d’enterrement et je retourne me coucher, je tiens à peine debout. Bonne chance pour vos examens.

Ce que j’aime dans la vie (anaphore)

14/01/2021 Aucun commentaire
Marie Mazille et moi-même en pleine action : atelier d’écriture de chansons, In Situ Babel Annemasse, décembre 2020. Merci photo : Patrick Reboud.

Le Fond du Tiroir hors les Murs ! MusTraDem m’est comme une résidence secondaire… Si vous êtes abonné à la niouzletter de MusTraDem, la prose de Christophe Sacchettini, qui joue de l’édito comme de la cornemuse, vous est familière. En 2015, je l’ai remplacé une première fois dans sa fonction d’éditorialiste. En janvier 2021 je recommence (deux fois en six ans, on ne peut pas dire que je me me surmène). Moi président, j’ai eu l’idée d’une anaphore que je reproduis ci-dessous.

Ce que j’aime dans la vie c’est être sur scène. Jouer, déclamer, échanger, chercher et trouver sur scène. Je ne sais plus qui a dit « La scène est le seul endroit sur terre où l’on ne vieillit pas » mais il est clair que ce type-là (ou cette fille, aussi bien) était dans le vrai. La scène produit une curieuse réaction chimique sur tout corps posé dessus et par miracle le processus de dégénérescence des cellules est immédiatement stoppé voire inversé, je n’irai pas jusqu’à dire que j’en ai la preuve mais à tout le moins l’expérience, et l’intuition. Malheureusement en ce moment les scènes sont toutes verrouillées, inaccessibles, ce qui fait que je vieillis un peu plus vite et sans remède. Je le sens bien, là, au moment même où je te parle, je vieillis à vue d’œil, mes cellules sont en pleine dégénérescence, elles s’affaissent sous moi, je perds mes dents et mes cheveux, une vraie pitié. Et pas moyen non plus de m’adonner à une autre activité que j’aime (dans la vie), fréquenter une salle de spectacle pour admirer sur scène le processus de rajeunissement d’autres que moi.

Ce que j’aime dans la vie plus généralement c’est la musique. En écouter – en ce moment il y a Youtube et les CD et c’est mieux que rien. En jouer – mais ça, je préfère avec des gens. Tout seul je manque un peu de volonté, je me décourage assez vite.

Car ce que j’aime dans la vie ce sont les contacts humains. Et les questions à la con du genre « Les contacts électroniques sont-ils des contacts humains ? » ou « Suis-je encore tout seul quand je suis en contact électronique avec quelqu’un ? »

Heureusement que j’aime d’autres choses dans la vie, des choses que je peux faire tout seul. Ce que j’aime dans la vie tout seul par exemple, c’est écrire. Des livres, des gros ou des petits, ou des poèmes, ou des courriels, ou des questions à la con, ou des frivolités, ou à la rigueur des éditos pour MusTraDem.

Ce que j’aime dans la vie, plus que tout, ce sont les bonnes histoires. Tu en veux une, de bonne histoire ? J’en ai. Il était une fois il y a fort fort longtemps, oh, une quinzaine d’années je dirais, ma première rencontre avec Marie Mazille. C’est un été en Maurienne, dans une maison pleine d’amis. Marie est au téléphone, elle était d’ailleurs tout le temps au téléphone, elle finit par raccrocher, elle me voit et la toute première phrase qu’elle m’adresse est : « Toi tu es écrivain, c’est ça ? Tu écris des chansons ? » (Il n’est pas absolument certain que ce soit sa vraie première phrase, il est possible après tout qu’elle ait commencé par « Bonjour », mais tant pis, moi ce que j’aime dans la vie c’est John Ford : « When you had to choose between history and legend, print the legend ».) J’ai répondu en riant un peu nerveux : « Chansons ? Pas du tout ah ah ah ! C’est pas mon truc ! J’ai écrit quelques poèmes et c’est ce qui s’en approcherait le plus, mais une vraie chanson ? Refrain couplet ? Ouh là là non, très peu pour moi, je ne serais pas capable. Ah ah. » J’avais instantanément cessé d’intéresser Marie Mazille qui s’est détournée et son téléphone s’est remis à sonner. Mais Marie étant une fille têtue, elle m’a reposé la même question à intervalles réguliers, jusqu’à ce que quinze ans plus tard je finisse par me rendre à l’évidence et que je réponde, avec surprise : « Ah mais oui, tiens ! Si fait, j’écris des chansons avec Marie Mazille. »

Ce que j’aime dans la vie c’est faire des choses dont je ne me croyais pas capable (merci Marie). J’aime énormément co-animer avec Marie des ateliers d’écriture de chansons, quand les pandémies nous foutent la paix. Je crois qu’il reste des places pour notre stage Mydriase de printemps, vérifie, si ça t’intéresse.

Ce que j’aime dans la vie c’est MusTraDem, sinon tu penses bien que je n’aurais pas accepté de présider un tel bazar. Autre excellente histoire. Il était une fois, il y a six ans MusTraDem me demande : « Tu ne voudrais pas être président ? » Je réponds un peu nerveux : « Président ? Pas du tout ah ah ah ! Je ne serais pas capable. » Six ans plus tard tu remarqueras que je n’ai pas à rougir de mon bilan présidentiel : j’ai réussi à convaincre UNE personne supplémentaire d’adhérer à l’association MusTraDem. C’est Marie Mazille. Grâce à elle l’assemblée plénière de l’association accède enfin à la parité ! Je veux dire par là que nous y avons une paire de femmes. Et toujours huit hommes.

Ce que j’aime dans la vie c’est l’étymologie. Le président, étymologiquement, est celui qui est assis au-dessus des autres.

Oui, mais ce que j’aime dans la vie c’est Michel de Montaigne (1533-1592) : « Sur le trône le plus élevé du monde, nous ne sommes encore assis que sur notre cul ».

Ce que j’aime dans la vie ce sont les rituels. Les rituels confirment que le temps passe, et mieux encore le renouvellent, le revivifient, le débloquent quand il est bloqué, le répètent mais avec variations, transpositions et coda. Exemple, monter sur une scène pour voir ses cellules se régénérer est un rituel. Autre exemple, un président prenant la parole pour présenter ses bons vœux de nouvel an : « Mustradémiens, Mustradémiennes, chers administrés, quand les temps sont durs les durs prennent leur temps. Je vous souhaite de prendre le temps d’énumérer tout ce que vous aimez (dans la vie). Et une fois que vous en aurez dressé la liste ce sera pile ce que je vous souhaite en 2021. »

Fabrice Vigne

L’estomac bien accroché

13/01/2021 Aucun commentaire

Tombant comme de par hasard après les excès des « fêtes », janvier est le mois propice à la diète, à l’abstinence, à la sobriété et à la frugalité, afin de laisser nos foies et nos estomacs le loisir se refaire une santé ! Amis gourmets et gourmands, je vous offre gracieusement mon astuce régime perso, mon conseil minceur (émoji qui cligne de l’oeil) : j’ai toujours à portée de main le livre Les demoiselles de Vienne de Pierre La Police.

Coup de génie éditorial hélas resté confidentiel (du moins pour l’édition originale, la réédition chez Cornélius semble quant à elle facile à trouver), ce livre repose sur un concept très original et, espérons-le, unique au monde : le recueil de photos de cuisine qui flanquent la gerbe. Plats lourds, vieux, répugnants, difficilement identifiables, filtrés par une lumière grise et verdâtre qui suggère que la date de péremption est outrepassée depuis belle lurette, et accompagnés de slogans neuneus à l’infernal premier degré, « Les plaisirs simples sont souvent les meilleurs », « Ne vous fiez pas à l’apparente bonhommie des cornichons », « Le pâté ne tolère aucune approximation », « La purée n’a pas dit son dernier mot », « Rien ne surpasse le pouvoir d’attraction de la viande », « Le dîner reste bien souvent pour la famille moderne la seule occasion de communiquer »….

Si jamais la fringale menace, aucune hésitation, j’ouvre au hasard le volume, un haut-le-coeur ne manque jamais de remonter, l’idée même d’introduire de la nourriture dans mon corps m’apparaît comme une intolérable monstruosité, et je peux sans souci poursuivre mon dry january en aspirant à la sobriété heureuse. Merci, Pierre la Police !

Pour découvrir le travail aberrant, inquiétant et désopilant (chacun ses goûts, hein) de Pierre La Police, voir par exemple Pierre la Police, une esthétique de la malfaçon chez Serious Publishing, qui reproduit plusieurs clichés gastronomiques des Demoiselles de Vienne.

Halte aux amalgames

06/01/2021 Aucun commentaire

1) 1993, Prévessin-Moëns (Ain) : au terme d’une spirale de 20 ans de mensonges, escroqueries et dénis, Jean-Claude Romand assassine sa femme, ses enfants, ses parents. Seul survivant retrouvé inanimé sur les lieux, il est d’abord hospitalisé avant d’être arrêté en tant que suspect. Très pieux, il a reçu la grâce de la foi, ne sélectionne en prison que des visiteurs chrétiens (c’est ainsi qu’il accepte les visites de l’écrivain Emmanuel Carrère, qui en tirera un livre), passe son temps en prière face à une reproduction de la Sainte face de Georges Rouault (1933) suspendue au mur de sa cellule (voir illustration ci-dessus), et devient le détenu le plus fidèle de l’aumônerie. Dès 1994, ses visiteurs lui proposent de devenir « intercesseur », c’est-à-dire un volontaire qui s’engage à se lever la nuit, au moins une fois par mois, afin de prier pour les intentions que portent les Équipes Notre-Dame. « De sa prison, Jean-Claude avait ainsi le sentiment d’appartenir à l’Église », témoigne l’un de ses amis. À sa libération en 2019, il trouve refuge en l’abbaye traditionaliste Notre-Dame de Fontgombault, dans l’Indre, la même qui abrita dans les années 1970 l’ancien milicien Paul Touvier, caché avec sa famille alors que la justice le traquait pour « complicité de crime contre l’humanité ».

2) 2011, Nantes (Loire Atlantique) : Xavier Dupont de Ligonnès tue sa femme et ses quatre enfants puis disparaît. Catholique traditionaliste, il a, avant d’enterrer ses quatre victimes sous sa terrasse, pris soin de joindre à chaque corps une figurine religieuse pour accompagner son dernier voyage. Lui et sa famille appartenaient par ailleurs à un groupe de prière mystique inspiré par l’Apocalypse de Saint Jean et déplorant que le monde appartienne désormais, surtout depuis Vatican II, à Satan. Ce groupe, nommé « Le Jardin » ou « Philadelphie », a été fondé en 1960 par la propre mère de Xavier, Geneviève Maître, qui entendait des voix et recevait des messages de l’au-delà. Peu avant la tuerie, Xavier écrivait sur un forum catholique : « En quoi Dieu a-t-il besoin, ou envie, ou autre sentiment, qu’on lui offre la mort d’une bête, d’un enfant, d’un homme… de son Fils ? »

3) 2020, Saint-Just (Puy-de-Dôme) : Frédérik Limol, survivaliste violent, surarmé, antisystème et paranoïaque, terrorise sa compagne, abat trois gendarmes et se suicide. Il était aussi un catholique pratiquant et très fervent et c’est ce qui l’avait rapproché de sa compagne, elle-même en quête de spiritualité. Lors de la dernière nuit de terreur qu’il lui a fait subir, elle déclenche l’enregistreur de son téléphone : «  Je vais brûler ta maison. Je vais t’enlever tout ce que tu as. Tu ne vaux rien. Je vais tuer plein de gens là, maintenant. Je vais tuer tous les gens autour de toi, et toi en dernier. (…) Tu n’auras aucune miséricorde. Dieu n’est pas avec toi. Je te jure qu’il ne sera jamais avec toi. C’est ma colère, ma colère et ça se règle avec ça. [Il lui applique une machette contre le visage, il hurle.] Fais ton signe de croix, fais ta petite prière de merde. Fais-le Jésus, Marie, Joseph. Vas-y ! Tu comprends pas que ça sert à rien. Il est pas là pour toi. Tu sais pourquoi il est pas là ? Parce que t’es qu’une pute. Je dis la vérité aux gens avant de leur couper la tête. Tu m’as fait perdre trois ans de ma vie, petite connasse. Je te jure sur la tête de ma fille que je vous regarderai crever. Avant ça, je vais tout t’enlever. Ta maison, tes biens. Et quand tu auras tout perdu, peut-être tu réfléchiras. Dieu t’a envoyé un mec qui comprend tout avec des milliards d’années d’avance. (…) T’es une vieille, t’es de moins en moins bandante. Tu n’as rien pour t’en sortir. (…) Tu me dégoûtes, tu l’expliqueras à un autre ange de l’apocalypse. »

Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand assisterons-nous à ces massacres sordides que l’on qualifiera de faits divers regrettables mais commis par des déséquilibrés solitaires, sans ouvrir les yeux sur ce qu’ils ont en commun ? Les intégristes catholiques sont des personnes extrêmement dangereuses que les services de renseignement feraient bien de surveiller, tant leur religion où le mythe fondateur montre un père tuant son fils (« Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Matthieu 27:46 ) est un exemple funeste propre à intoxiquer les âmes influençables, banalisant la violence et le crime. À la fin, qu’attend donc l’ensemble de la communauté chrétienne pour se désolidariser, pour clamer « not in my name », pour dire « Nous n’avons rien en commun avec ces monstres à part une lointaine base théologique archaïque, nous voulons seulement vivre notre religion en paix tout en respectant les règles de la République » ? Ce geste que nous attendons d’eux sera seul capable d’enrayer la christianophobie, d’empêcher les amalgames entre les chrétiens et les christianistes et de restaurer un climat serein dans l’espace républicain laïque.