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Archéologie littéraire de la fake news (4/7) : Paul Valéry

(Nombre des extraits donnés ci-dessous proviennent de cette compilation)

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Déférence gardée envers Paul Valéry (1871-1945), ainsi que l’a chanté l’autre poète de Sète (1921-1981) qui l’appelait « mon bon maître » .

Parmi les bienfaits prodigués par la lecture de Paul Valéry, outre son indémodable Monsieur Teste qui flatte l’esprit, et ses poèmes néo- (ou archi-) classiques qui flattent l’oreille (« Le vent se lève, il faut tenter de vivre » in Le Cimetière marin), on lira avec profit quelques unes de ses pensées, qui flattent quant à elle l’instinct et l’action politique.

Académicien, titulaire de la chaire de Poétique au Collège de France, en somme poète quasi-national, Paul Valéry était penseur politique en dilettante.
Il a prodigué maintes lumières humanistes sur l’état politique de son pays, notamment durant la Seconde Guerre mondiale et à la Libération, ce qui a permis d’occulter quelque peu ses égarements anti-dreyfusards de 1899 (pour le coup, voilà un mensonge politique dans lequel il avait foncé tête baissée)…
Chaque matin à l’aube, pendant les cinquante dernières années de sa vie, le citoyen Valéry a consigné, discipliné comme par un yoga, ses réflexion sur l’action et l’éthique politiques dans ses Carnets. Un total de 260 cahiers noircis, 30 000 pages éditées à titre posthume, d’abord sous la forme de 29 tomes de fac-similés, mais qui auront servi aussi de viviers à quelques essais anthumes (Regards sur le monde actuel, Mélange ou Mauvaises pensées).

Or on trouve là certaines observations importantes sur le sujet qui nous occupe depuis quatre épisodes et davantage : le mensonge politique semble, pour Valéry, partie intégrante et fatale de la fonction politique. La poudre aux yeux est systémique.
Certains de ses traits ayant trait au mensonge sont brefs et percutants comme des lois ou des paradigmes, des apophtegmes ou des malédictions : Tout état social exige des fictions ; Tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui ne l’est pas est inutilisable ; ou bien Le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’Opinion.
D’autres développent sa pensée et la nôtre. Ainsi de cet extrait où l’écrivain toise la politique en chien de faïence, et analyse fort bien la rivalité entre la littérature et la politique – chacune des deux distordant le réel, l’une pour la bonne cause (l’essai que Jean Paulhan a consacré à Valéry s’intitule d’ailleurs La littérature considérée comme un faux), l’autre pour la mauvaise (la manipulation des masses) :

L’histoire des nations, telle qu’on l’apprend en général et qu’on la retient – est semblable à une littérature et représente surtout les crises, les événements – aux dépens du fonctionnement, de l’existence, et stabilité.
La politique s’en ressent – de cette optique – d’ailleurs la politique réelle est liée à l’ignorance.
Il est hors de doute que si nous en savions beaucoup plus la politique en serait toute changée.

Florilège :

La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ; elle exige, par conséquent, une action de contrainte ou d’illusion sur les esprits, qui sont la matière de tout pouvoir.

Mensonge
Ce qui nous force à mentir, est fréquemment le sentiment que nous avons de l’impossibilité chez les autres qu’ils comprennent entièrement notre action. Ils n’arriveront jamais à en concevoir la nécessité (qui à nous-même s’impose sans s’éclaircir).
– Je te dirais ce que tu peux comprendre. Tu ne peux comprendre le vrai. Je ne puis même essayer de te l’expliquer. Je te dirais donc le faux.
– C’est là le mensonge de celui qui désespère de l’esprit d’autrui, et qui lui ment, parce que le faux est plus simple que le vrai. Même le mensonge le plus compliqué est plus simple que le Vrai. La parole ne peut prétendre à développer tout le complexe de l’individu.

La politique fut d’abord l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. 
À une époque suivante, on y adjoignit l’art de contraindre les gens à décider sur ce qu’ils n’entendent pas.
Ce deuxième principe se combine avec le premier.
Parmi leurs combinaisons, celle-ci : Il y a des Secrets d’État dans des pays de suffrage universel. Combinaison nécessaire et, en somme, viable ; mais qui engendre quelquefois de grands orages, et qui oblige les gouvernements à manœuvrer sans répit.

Le résultat des luttes politiques est de troubler, de falsifier dans les esprits la notion de l’ordre d’importance des questions et de l’ordre d’urgence.
Ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple  bien-être. Ce qui est d’avenir par l’immédiat. Ce qui est très nécessaire par ce qui est très sensible. Ce qui est profond et lent par ce qui est excitant.
Tout ce qui est de la politique pratique est nécessairement superficiel.

La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ; elle exige, par conséquent, une action de contrainte ou d’illusion sur les esprits, qui sont la matière de tout pouvoir.
Tout pouvoir songe nécessairement à empêcher la publication des choses qui ne conviennent pas à son exercice. Il s’y emploie de son mieux. L’esprit politique finit toujours par être contraint de falsifier. Il introduit dans la circulation, dans le commerce, de la fausse monnaie intellectuelle ; il introduit des notions historiques falsifiées ; il construit des raisonnements spécieux ; en somme, il se permet tout ce qu’il faut pour conserver son autorité, qu’on appelle, je ne sais pourquoi, morale.
Il faut avouer que dans tous les cas possibles, politique et liberté d’esprit s’excluent. Celle-ci est l’ennemie essentielle des partis, comme elle l’est, d’autre part, de toute doctrine en possession du pouvoir

La politique trouve toujours une formule noble qui autorise, si elle ne les conseille, les procédés les plus infâmes.

Tant que les hommes, ici ou là, croiront que plus un pays est puissant et grand, plus les êtres y sont heureux et de plus grande valeur, cette illusion fera autant de mal dans les faits qu’elle en cause dans les têtes dirigeantes.

Ce qu’il y a d’ignoble dans la politique c’est la perpétuelle ambiguïté des paroles et des doctrines dont on ne sait jamais si elles tendent à quelque vérité ou à quelque intérêt privé ou sont mues par des sentiments et si ces sentiments sont vrais ou simulés.

La Politique est le produit le plus ignoble et le plus néfaste de l’existence des sociétés humaines. Elle séduit inévitablement les esprits à des spéculations dont la matière est la liberté, la vie, les biens des individus considérés en masse, et qui supposent toujours leur passivité et leur docilité obtenues soit par la crainte, soit par la faiblesse d’esprit ; et ceci, quels que soient le système ou le régime qui soient en vigueur, les intentions des politiquants, leur valeur ou leur vertu. C’est une triste nécessité. Toute politique est une volonté de rendre une population conforme à un modèle créé par l’esprit, et de mener les affaires de cette masse comme une affaire d’un seul – ce qui se fait en nommant ce Seul : Nation, Etat, peuple – etc.

Deux dernières pour la route, essentielles :

La démocratie est à la merci de la publicité. Du reste, l’une ne va pas sans l’autre.

La démocratie est une terrible affectation, une pose. Rien de moins vrai. Elle périra avec le règne exclusif de l’argent.

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