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Ado sexagénaire

Illustration de couverture : Jack Kirby mais l’intérieur est de Steve Ditko

10 août 1962/10 août 2022 : le super-héros préféré de tout le monde y compris les Ramones, Daniel Goossens et le Fond du Tiroir, Spider-Man, éternel ado, n’en fête pas moins ses 60 ans aujourd’hui.

Ou bien il les a déjà fêtés il y a un peu plus de deux mois, puisque les comic books ont une date de parution systématiquement ambiguë, anticipée : Amazing Fantasy #15, où est apparu pour la première fois notre héros, était daté du 10 août 1962, mais est sorti en kiosque le 5 juin. Admettons que Spider-Man a deux dates de naissance, et que nous avons choisi l’une des deux pour cette célébration.

Et que Grégoire Bouillier a choisi l’autre.

Ah, oui, rappelons que Spider-Man est très présent dans la littérature française contemporaine :

1) « Ce fameux mercredi où j’ai rencontré M., jour qui restera dans mes annales, et peut-être une vie bien remplie, une vie réussie, est-elle une vie où, pour soi-même, à son niveau individuel des choses, chaque jour de l’année parvient à dater un événement bien précis et, à nos yeux, décisif, comme si chaque jour était un verre vide attendant d’être rempli. Ou un verre plein attendant d’être bu. Que chaque jour, tel un lieu-dit, devenait un jour-dit parce qu’il nous est personnellement arrivé quelque chose ce jour-là (…) Comme le 23 janvier fut, pour Baudelaire, le jour où il reçut « un singulier avertissement » tandis que le 23 juillet fut la date choisie par Alain Leroy pour en finir avec les humiliations. Et que dire du jeudi 10 juillet pour Verlaine et Rimbaud ou du 7 janvier pour Samuel Beckett. Du 4 octobre pour Victor Hugo. Du 10 novembre pour Descartes. Du 4 juillet pour Lewis Carroll (…) Du 5 juin pour Spiderman. »
(Grégoire Bouillier, Le Dossier M, Livre 1, « Dossier rouge, le Monde », partie III, niveau 1.)

2) Mais Bouillier y revient également dans la partie IV/niveau 14 pour un autre développement sur ce personnage ainsi que sur d’autres super-héros ; et surtout, dans le dernier tome, Livre 6 « Dossier vert, le Temps » partie I/niveau 6 où il raconte ainsi sa puberté :
« J’avais senti une modification fondamentale s’opérer dans mon corps, une émulsion grandiose, quasiment un exorcisme, aussitôt suivi d’une possession démoniaque et, en un rien de temps, fiévreux comme je ne l’avais jamais été, confus et torturé, proie d’un infernal feu grégeois, je m’étais métamorphosé. Voilà. Comme Hulk. Comme Spider-Man. Mais pour de vrai ! Je bandais enfin, hourra ! Je GICLAIS ! Des poils me poussaient, faisant de moi un homme. Hip hip hip ! Même si je ne serai jamais velu (c’est peu de le dire), je n’en pouvais plus d’être imberbe, pour ne pas dire prépubère. J’étais cette mauviette de Peter Parker à la fin de l’année scolaire et, à la rentrée des classes, j’étais un super-héros qui cachait dans sa culotte le super-pouvoir de gicler des fils arachnéens dans tous les sens et de tout engluer sur son passage. »
Bref Spider-Man surgit très souvent chez Bouillier, quoique moins que Zorro, au fil du Dossier M, y compris dans les pièces supplémentaires tel ce roman-photo.)

3) « Jed était familier des principaux dogmes de la foi catholique – alors que ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus que sur celle de Spiderman. »
(Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire)

4) « Pour éviter [que son père] ne s’enferme dans une bouderie mutique, Naïma n’insiste pas. Elle préfère aiguiller la conversation sur les films de super-héros, une passion qu’elle partage depuis longtemps avec Hamid et qui, parfois, ressemble au besoin vague que quelqu’un vienne les sauver, même si elle ne sait pas de quoi. Pendant le reste du dîner, ils classent les membres des X-Men selon leur ordre de préférence, conspuent Superman par trop invincible et à jamais bien coiffé, encensent en revanche Spider-Man aux affres morales permanentes, et se moquent de Clarisse qui n’est jamais parvenue à s’intéresser à ces personnages et les confond tous.
(Alice Zeniter, L’Art de perdre)

5) « Ensuite Ness a entrepris Edwin sur un autre sujet en parlant encore plus fort du coup. « Edwin je peux te déranger je ne te déconcentre pas trop ? Tu sais quoi ? Mon petit frère n’est pas là, il est au karaté, mais viens voir, j’ai un truc à te montrer dans sa chambre… » Ness et Edwin, ainsi que moi-même passager clandestin dans leur sillage, on a traversé le couloir de l’appartement, je les ai vus rentrer dans la chambre du frangin et s’accroupir. Ness disait à voix basse « T’as vu ? C’est fou, hein ? Cette coïncidence ? C’est presque de la prédestination ou quelque chose du genre. Il est mignon. Tu trouves pas qu’il est mignon ? Il s’appelle Spidèrmane. Coucou Spidèrmane, tu as de la visite, je te présente Edwin. »
J’étais resté à distance dans le couloir, je penchais la tête mais je ne voyais pas grand-chose, je ne savais pas trop ce qu’ils bricolaient tous les deux de dos accroupis sur quoi. J’entendais les mains de Ness qui manipulaient délicatement le secret, avec des petits cliquets de plastique, et sa bouche qui faisait des bruits bizarres tchip tchip tchip. Puis ils se sont relevés tout doucement, la tête toujours penchée vers le mystérieux et délicat Spidèrmane. Quand enfin ils se sont retournés vers le couloir, Ness a relevé les yeux vers moi. «Coucou Thomas tu es là, dis bonjour à Spidèrmane Thomas ! » Elle tenait entre ses mains, au niveau de la tête de raton-laveur imprimée sur son sweat-shirt, une petite boule de poils blancs, un lapin nain qui remuait du cou comme un dingue, tremblait comme s’il était la seconde d’avant d’exploser au bout du compte à rebours, le pauvre était bêtement paniqué, les oreilles battues, émettant des sons aigus et louches de type extra-terrestre dans un jeu vidéo. »
(Fabrice Vigne, Ainsi parlait Nanabozo)

6) Ainsi bien sûr que chez Riad Satouff relayé par le Fond du Tiroir.

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Bonus 1 !
Attention, niveau supérieur, pour lecteurs motivés seulement : Le Fond du Tiroir ne se contente pas de rendre un aimable hommage, il s’est autrefois échiné à dresser une exégèse archéologique de longue haleine qui mène de Friedrich Nietzsche à Ayn Rand, puis à Steve Ditko (créateur de Spider-Man, personnage dont il a fait une sorte d’autoportrait), puis à The Question & Mr. A., enfin à Rorschach, version Alan Moore puis version Damon Lindeloff. Avec également une mention de Jérôme Bosch et une autre de Jeff Bezos. Car il est comme ça, le Fond du Tiroir.

Bonus 2 !
Mash-up Kafka-Spider-Man par Daniel Goossens in Georges et Louis : La Reine des Mouches (Fluide Glacial, 2001). Car il est comme ça, Daniel Goossens.

Bonus 3 !
Les Ramones chantent Spiderman. Car ils sont comme ça, les Ramones.

Bonus 4 !
Le Sacre du Tympan joue la même chose quelques décennies plus tard. Car il est comme ça, Fred Pallem.

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