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Le renégat est un apostat

01/02/2022 Aucun commentaire

Comme souvent, comme toujours, en tout cas comme la dernière fois, je lis un Jack London et je m’exclame Il a donc fait cela aussi ?

L’apostat est une nouvelle implacable sur le travail des enfants, dont le héros, Johnny, 12 ans et 12 heures par jour dans une usine de toile de jute, hérite ses trait à la fois de la biographie de son auteur (oui, il a fait cela aussi) et de l’imagination romanesque du même – pour peaufiner le destin mythique de son personnage, London fait naître Johnny dans l’atelier même où il travaille, puisque sa mère y était ouvrière avant lui :

Ses collègues l’avaient allongée à même le sol, parmi le métal hurlant des machines qui tournaient à plein rendement. Le contremaître avait prêté son concours à l’accouchement. Et quelques minutes plus tard, une âme de plus peuplait l’atelier de tissage. C’était Johnny, accueilli en ce monde par le grondement implacable des machines, respirant avec son premier souffle l’air humide et tiède, infesté de particules de jute. Le jour de sa naissance, il avait longuement toussé pour en débarrasser ses poumons. Sa toux n’avait jamais cessé depuis.

Johnny, usé, a déjà vécu et consumé toute sa vie : adolescent à 7 ans lors de son premier salaire, adulte à 11 en tant que soutien de famille, maintenant il est vieux. Il a même connu sa grande histoire d’amour et a eu le cœur brisé, à 9 ans, en apercevant cinq ou six fois la fille du directeur – qui s’est mariée entre temps. Que lui reste-t-il à vivre ? La rupture. La résistance. L’apostasie.

La nouvelle a été retraduite et republiée par les éditions Libertalia en 2018. En la lisant j’ai à nouveau été époustouflé par la modernité de London, mais j’ai éprouvé comme un petit sentiment de déjà lu. Et pour cause : égaré par le titre, je croyais me plonger dans un inédit alors que ce texte existe depuis longtemps en français sous le titre Le renégat. Très révélateur, du reste, est ce choix du traducteur d’un nouveau mot, ou plutôt d’un retour au titre original anglais, The Apostate : du renégat à l’apostat, les lecteurs français sont passés, en lisant la même histoire de cet enfant grandi trop tôt qui un beau jour conjure son destin et déserte, du registre de l’allégeance politique trahie à celui de la foi religieuse reniée. Johnny n’y croit plus

Car les esclaves du travail, qu’ils aient 12 ans ou l’âge de la retraite, se piègent eux-mêmes, verrouillent la porte de leur propre prison parce qu’ils croient à ce qu’ils font et, pis encore, croient qu’ils ne peuvent rien faire d’autre – comme chez La Boétie. Ou bien comme chez d’autres : soudain il m’apparait clairement que ce Renégat/Apostat (1906) appartient à une grande trilogie de récits où l’on dit non au travail qui a perdu son sens. Je prends cette décision inouïe et simple, je m’arrête, et le monde continue de tourner. Démerdez-vous sans moi, j’ai mieux à faire. La courageuse décision, l’héroïque rupture de Johnny s’insère presque à mi-chemin entre celle de Bartleby de Melville (1856) qui préfère ne pas, et celle de l’An 01 de Gébé (1970) où « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste ».

Quelles leçons tirer de cette nouvelle en 2022, alors que le travail des enfants n’existe plus en France, non plus qu’aux États-Unis (et perdure, n’oublions jamais, dans les pays qui fournissent nos vêtements, nos chaussures, nos meubles, nos téléphones, notre énergie – combien de Johnnys à l’autre bout du monde…) ? Les mômes ne bossent plus en usine (parce qu’il n’y a plus d’usines, au moins autant que parce que notre époque est devenue tendre à leur endroit), ok cette désertion-là a bel et bien eu lieu, mais d’autres restent à venir. La révolte de Johnny passe par cette prise de conscience : Johnny était devenu lui-même un rouage de sa machine. Nous sommes ce que nous faisons. Nous sommes créés par notre environnement autant que nous le créons. Nous, terriens de l’ère numérique, sommes des terriens numérisés. Pour le profit de quels patrons, au juste ?

Comme souvent, comme toujours, en tout cas comme la dernière fois, je lis un Jack London et je m’exclame Ah comme j’aimerais le lire à haute voix, m’en emplir la bouche et l’offrir à un public, quel beau spectacle ça ferait ! Pourtant non, pour l’heure je m’en tiens à Construire un feu… Veuillez à présent écouter ce communiqué de l’ACTC170 (Agence de la Culture pour Tous et Chacun du 170, Grenoble) :

Vendredi 1er avril à 20h vous viendrez au 170 galerie de l’Arlequin (app 8506) à Grenoble chez Marie et Christophe accompagnés d’une bouteille et / où d’un petit grignotis, vous vous installerez confortablement et vous y dégusterez le spectacle proposé ci-dessous !
Entrée au chapeau (10 € minimum recommandés !)
Résa par retour de mail ou au par téléphone auprès de Mme Mazille ou M. Sacchettini. 
« Construire un feu », spectacle pour passer l’hiver – lecture musicale d’après Jack London
Un homme solitaire marche dans une vallée du Klondike. Il doit rejoindre son campement avant la nuit. Il avance pas après pas, en se protégeant du froid, de la neige, de l’hiver, des imprudences, des coups du sort, du découragement. Un chien-loup le suit.
Unité de lieu, de temps, d’action… Tension dramatique à son comble avec deux personnages seulement, un humain et un animal… Suspense terrifiant dans un paysage minimaliste recouvert par le blanc… Et questions fondamentales sur la place et la responsabilité de l’homme dans la nature.
Jack London a-t-il écrit avec Construire un feu la nouvelle parfaite ? Sans doute pas puisque la perfection aurait surgi une fois pour toutes – or London a écrit cette histoire deux fois. La première version (1902) est plus rapide et légèrement plus aimable ; la seconde (1908), plus longue et plus âpre. C’est sur elle que le spectacle est basé. Attention : ce n’est ni l’Appel de la forêt, ni Croc-Blanc ; ce n’est pas pour les enfants. Mais l’Appel de la forêt et Croc-Blanc sont-ils vraiment pour les enfants ?
En guise de première partie seront lus des extraits du texte autobiographique de Jack London, Ce que la vie signifie pour moi.

Contrebasse, compositions et improvisations : Olivier Destéphany
Voix : Fabrice Vigne
Visuel : Jean-Pierre Blanpain

Durée : une heure ou un chouïa plus

Il était temps que ça se termine/C’est la fin, c’est un autre commencement

30/01/2022 Aucun commentaire

30e et dernière ! Les pires choses aussi ont une fin !
Voici l’ultime saison de la Confine, comprenant les 4 derniers couplets, 105 à 108. Tous les fils se dénouent : la démence atteint son climax façon musique expérimentale sur France Musique à trois heures du mat… L’intrigue leitmotiv ma femme, sa farine et son amant trouve sa résolution… Et la porte s’ouvre enfin pour un choral des plus lumineux, suivi du générique de la fin finale.
Capucine Mazille (illustrations) / Marie Mazille (voix & textes) / Fabrice Vigne (textes et voix) / Franck Argentier (montage et animations vidéos) / Georges Bizet, Thilo Sacchettini, Pierre Marinet & John Dowland dit « Jean Téléchargement » (compositions originales scandaleusement outragées).

C’est terminé sur Youtube, merci à tous ceux qui ont suivi jusqu’à son terme cette aventure dingue durant près de deux ans… Mais vous pouvez découvrir plusieurs épisodes inédits, le prologue, l’épilogue, ainsi que divers bonus loufoques, sur le livre-DVD Au Premier Jour de la Confine (éditions le Fond du Tiroir) !

Et hier soir, vendredi 29 janvier 2022, nous avons donné, dans la joie et le bordel, un ciné-concert consacré à la seconde moitié, 14 mois après la première, de notre chanson interminable quoique terminée. La Confine est une école de patience. Sur scène : Mazille + Argentier + Vigne, ainsi que Christophe Sacchettini, Farid Bakli et special guest star pour un air de violon de moins d’une minute, Pierre Marinet. Maintenant nous attendons qu’une salle, un programmateur ou un particulier soit assez fou pour nous inviter à jouer l’intégrale.

Avant de nous séparer, veuillez écouter une dernière annonce d’intérêt public. Si vous aussi l’envie démange d’écrire, composer et chanter votre propre confine (ou, tant qu’à faire, plutôt autre chose, car y’en a bien tôt marre de la confine), sachez que l’association Mydriase organise ce printemps un atelier d’écriture de chansons avec Marie Mazille et Fabrice Vigne ! Le stage se tiendra du 24 au 30 avril 2022 (pendant les vacances de Pâques) à la MFR La Grive de Bourgoin-Jallieu (38).

Peace & love & système immunitaire,

Marie, Capucine, Franck & Fabrice

Construire un feu après l’autre

04/12/2021 Aucun commentaire

Merci à Jean-Pierre Blanpain de nous avoir offert le magnifique visuel ci-dessus, pour le spectacle que je donnerai avec Olivier Destéphany, duo voix-contrebasse adapté de la terrible nouvelle Construire un feu de Martin Eden. Première le mardi 7 décembre 19h, à l’Odyssée, Eybens (gratuit mais sur réservation et sous goddamn’ pass sanitaire).

Depuis l’irréparable choc que me fut la découverte de Martin Eden, je lis bon an mal an un Jack London chaque année, et j’espère vivre assez vieux pour avoir tout lu de ce pauvre Jack, cette force de la nature qui n’a vécu que 40 ans, vie brève et dense d’aventures et de littérature…

En 2021, comme pour prendre de l’avance face à un futur incertain, j’en ai lu beaucoup plus d’un. Notamment la fulgurante petite autobiographie Ce que la vie signifie pour moi (éditions du Sonneur), et puis l’extraordinaire Vagabond des étoiles, roman à la fois fantasmagorique et social (en l’occurrence, sont ici dénoncées les conditions de détention dans les prisons américaines) où l’on découvre que London est un pionnier du roman fantastique américain – on peut parfaitement lire Le Vagabond des étoiles comme une préfiguration des vertiges schizophrènes à venir de Philip K. Dick. Comme souvent avec les auteurs que j’admire, je relève la tête du livre en écarquillant les yeux et en murmurant Il a donc AUSSI fait ÇA ? Une citation du Vagabond des étoiles :

Mes vies sont les vôtres aussi. Chaque être humain arpentant aujourd’hui la planète porte en lui l’incorruptible histoire de la vie depuis son origine. Cette histoire est inscrite dans nos tissus et dans nos os, dans nos fonctions et nos organes, au plus profond de nos cellules. Et nous la transmettons par la reproduction, aussi subsistera-t-elle jusqu’à la fin des temps impartis à notre espèce sur la terre. Nous avons tous été blancs, noirs, ou de toutes les couleurs que vous voudrez. Nous avons tous été hommes ou femmes, et nous sommes tous nés quelque part ou ailleurs. Qu’importe, nous n’avons rien choisi de tout cela, il n’y a donc aucune raison d’en être fiers ni d’en avoir honte. Et malgré toutes ces vies croisées, toutes ces connaissances accumulées, des questions resteront sans réponses.
Pourquoi les chiens, les oiseaux ou les vaches ne construisent-ils pas de temples, de mosquées ou de cathédrales ? Nous qui partageons avec eux toutes les contraintes de l’animalité, intelligence et sensibilité comprises, pourquoi seule l’humanité est-elle affligée de l’indicible douleur de la superstition ?

Alors ? Hein ? Oui, n’est-ce pas ! Il a donc AUSSI fait ÇA, pas vrai ?

Et puis bien sûr j’ai abondamment relu Construire un feu. Pour établir le texte du spectacle, j’ai décortiqué, pétri, remâché, comparé des traductions, remanié, coupé, et j’ai adoré une histoire que j’aimais.

London, puisant dans les souvenirs de sa traversée du Grand Nord et de sa piètre ruée vers l’or en 1897, a écrit cette nouvelle à deux reprises, en 1902 puis en 1908. La première mouture, plus brève et sensiblement plus optimiste, avait, dit-on, été écrite à l’attention des boy scouts d’Amérique que London souhaitait édifier et mettre en garde contre les dangers de toute arrogance face à la nature, qui est plus forte que nous. C’est sur la seconde version, plus longue, âpre et implacable, que je base mon spectacle. La phrase clef, que je livre ici sans rien divulgacher, est celle où London est le plus proche de porter un jugement sur son personnage, sans toutefois aller jusqu’à franchir le pas :

Ce qui lui manquait pour connaitre la peur, c’était l’imagination. Certes, il avait l’esprit vif quant aux choses de la vie, aux choses concrètes. Cinquante degrés au-dessous de zéro, c’était pour lui une de ces choses concrètes, il en éprouvait le froid et l’inconfort. Rien de plus. Cela ne l’entrainait pas vers des méditations sur la fragilité des créatures au sang chaud, qui ne peuvent vivre qu’entre d’étroites limites de température, sur la mortalité de l’homme ou l’immortalité de son âme, ou sa place dans l’univers. Non, cinquante degrés au-dessous de zéro représentaient la morsure douloureuse d’un froid contre lequel il convenait de se protéger, au moyen de moufles, de cache-oreilles, de mocassins chauds et de grosses chaussettes. Qu’il pût y avoir là davantage ne lui était jamais venu à l’esprit.

London condamne son personnage, du point de vue romanesque sinon du point de vue moral, parce qu’il manque d’imagination. Voilà qui est génial et prodigieusement contemporain, de la part d’un auteur qui, entre autres, a contribué à inventer le nature writing (Il a donc AUSSI fait ÇA ?). Ne pas prendre la mesure de notre rôle et de notre taille dans la nature, des désastres écologiques, de notre propre mise en danger, par exemple s’afficher climatosceptique, c’est manquer d’imagination.

Curiosités pour amateurs d’images qui bougent : Construire un feu a naturellement beaucoup inspiré le cinéma. Claude Autant-Lara en a tourné dès 1928 une version muette et expérimentale en testant un procédé nouveau de format panoramique, qui préfigurait le cinémascope, hélas le film est perdu ; Orson Welles a été le narrateur d’une version assez connue, réalisée en 1969 par David Cobham ; il paraît qu’existe un court-métrage de 2003 réalisé par Luca Armenia avec Olivier Pagès, mais pas moyen de mettre mes yeux dessus ; enfin une version animée de 2016, par François-Xavier Goby, est tout-à-fait remarquable.

Olivier et moi-même, perdus dans le Klondike avec une botte d’allumettes et un morceau d’écorce de bouleau. (Photo Franck Pélissier)

« No sport » (Winston Churchill)

16/06/2021 Aucun commentaire
Champion olympique du point Godwin ! (« Les dieux du stade », Leni Riefsenstahl, 1938)

Hier soir, premier concert depuis 18 mois avec l’orchestre symphonique d’Eybens. Soulagement et joie éruptive du moment longtemps empêché, longtemps retenu, longtemps confiné. Euphorie et exaltation au fond difficilement transmissibles par écrit, il fallait être là. Nous avons joué des compositeurs allemands, autrichiens, anglais, italiens, et même un Norvégien, convaincus que la musique est « plutôt un pays en plus » (pour paraphraser Jean-Luc Godard), et que nous étions de ce pays, sans passeport ni visa.
Je rentre chez moi sur un petit nuage. Las ! Je rentre chez moi, également, dans ma bagnole. J’ai le malheur d’allumer la radio et d’écouter les informations. Des nouvelles d’autres déconfinés heureux en plein relâchement m’agressent, et gâchent l’effet. Micro-trottoir à la sortie d’un match : « C’est un grand moment ! Qu’on attendait depuis tellement longtemps ! Qu’est-ce que ça nous avait manqué ! Mais c’est indescriptible, une soirée aussi parfaite dans les gradins, fallait être là ! On s’est baladé ! On les a pas vus, les Allemands ! On est chez nous ! Ouais on est chez nous ! Les Allemands mais ils n’ont plus qu’à rentrer chez eux bon débarras les Allemands ! Ah ah ! Nous on a le plaisir d’être ensemble, d’avoir supporté, et d’avoir gagné ! Et de s’embrasser, franchement tant pis pour les gestes barrière ! »
Je suis abasourdi, je cherche la faille logique : comment ce gars peut-il dire exactement la même chose que moi tout en disant le strict contraire ?
Vive la musique, qui est la découverte et le partage de ce qui se trouve au-delà des frontières ; à bas le sport qui est la guerre et le chauvinisme continués par d’autres moyens.

Lorsque le sport se fait nationaliste, avec une « patrie n°1 » qui affronte une « patrie n°2 » , on peut le comprendre de deux façons : soit on considère que le sport est bienfaisant parce qu’il ritualise la guerre, la sublime, et par conséquent l’évite, la remplace, il fait diversion ; soit on n’y voit qu’une répétition générale à coup de galvanisation patriotique avant les vrais combats, comme les jeux olympiques de Berlin en 1936 filmés par Leni Riefenstahl.
Dans les deux cas le patriotisme décérébré est intact, valeur refuge, passion simple jamais remise en cause et même encouragée par les instances politiques en notre époque de revendications identitaires exacerbées.
En entendant hier un supporter répéter « On est chez nous » (slogan du RN) et expliquer sa joie d’avoir vaincu les Allemands qui n’avaient plus qu’à rentrer chez eux, humiliés (revanche inconsciente de 1870 et de 1940), m’est revenu comme une bile le premier chapitre de Voyage au bout de la nuit, quand Bardamu définit ce qu’est la guerre par A + B, comme une équation infaillible :

Alors, ils mettent leurs chapeaux haut de forme et puis ils nous en mettent un bon coup de la gueule comme ça :  » Bande de charognes, c’est la guerre ! qu’ils font. On va les aborder les saligauds qui sont sur la patrie N°2 et on va leur faire sauter la caisse ! Allez ! Allez ! Y a tout ce qu’il faut à bord ! Tous en chœur ! Gueulez voir d’abord un bon coup que ça tremble : Vive la patrie N°1 ! »

On peut remplacer « patrie n°1 » et « patrie n°2 » par ce qu’on voudra et la formule se vérifiera toujours, toutefois France-Allemagne est un indémodable classico.

Des génies et des escrocs

18/04/2021 Aucun commentaire

Dans l’interminable série La pub c’est de la merde je vous propose l’épisode du jour : la campagne des « Dirigeants commerciaux de France » .

Tout à l’heure j’attendais le bus, et comme il n’en passe pas bézèf en période de vacances scolaires, j’ai subi pendant près d’un quart d’heure dans l’abribus le voisinages de cette merde, je veux dire cette pub plus grande que moi.

Comprenons bien le message : « Quand j’étais petit et que j’étais tromignon, j’adorais me déguiser et jouer à être un artiste et un guitar-hero, mes parents me prenaient en photo quand je faisais des pestacles et ils avaient plein de likes sur Facebook. Mais ensuite j’ai atteint l’âge de raison, je suis devenu responsable, j’ai remisé les instruments de musique dans mon coffre à jouets entre mon nounours, mes crayons de couleurs et mon chapeau de cowboy, j’ai atteint la maturité et j’ai accompli mon destin : je suis devenu dirigeant et commercial de France. Désormais j’ai un vrai métier, plein de « créativité, d’expertise et d’empathie » et je peux me foutre de la gueule de ces maudits fainéants d’intermittents qui crèvent la dalle faute de la moindre once de créativité, d’expertise et d’empathie, ah ah, la preuve ces cons-là ont perdu un tiers de leur pouvoir d’achat au cours de l’année 2020. »

Une fois que j’ai bien vomi et que j’ai pris mon bus, je continue, à mon grand âge, à faire de la musique et c’est bien.

Jeudi 15 avril 2021, j’ai mené avec Marie Mazille un atelier de création de chansons express, parc Géo-Charles, Echirolles (avec la bénédiction de la Maison des écrits, merci Margaux).
Le principe : nous déambulons dans le parc, nous discutons quelques minutes avec les promeneurs, enfants ou retraités ou n’importe quelle tranche d’âge entre les deux, nous prenons des notes sur leur humeur du moment, et nous en tirons une chanson en dix minutes max. Neuf chansons ont ainsi été créées en deux heures (aucune n’est déposée à la SACEM). Nous nous sommes bien amusés, merci bravo ! Un bref extrait ici. Et des photos là. Et puis une autre escroquerie géniale ici.

En débriefant sur le chemin du retour, Marie résume à merveille le travail accompli : « Nous sommes à moitié des escrocs et à moitié des génies. » Certes ! Mais du moins ne serons-nous jamais des dirigeants et commerciaux de France.

Il s’en passe de belles à l’heure du couvre-feu

20/01/2021 Aucun commentaire

– Quoi ? J’apprends que vous avez animé hier soir un atelier d’écriture de chansons ? Par Zoom et par un pied-de-nez au contexte dit global ? À l’heure où les honnêtes gens couvrent le feu ? À deux doigts du reconfinement ? Sans attestation, sans le moindre ausweis ? Par-dessus le marché, entre deux poussées de fièvre dedans votre carcasse tremblante ? En outre il paraît que tout s’est très bien passé ? Vous ne manquez pas de toupet ! Alors qu’il y a tant de malheureux sur la terre !

– Oui, oui, j’avoue, tout est vrai, tout va très bien, merci Marie Mazille et la Maison des Écrits d’Echirolles, merci à vous aussi ! Au fait, connaissez-vous l’origine de l’expression « Je vais me faire appeler Arthur » ? Très amusante, cherchez donc, vous verrez, non débrouillez-vous, je ne vais pas chercher à votre place, je n’ai pas le temps, je rimaille.

Si le monde doit partir en fumée
Ce ne sera qu’à l’heur’ du couvre feu
Le brasier attend, qui pour l’allumer ?
Couve, prend, grandit… Reste à faire un vœu.

Si le monde doit voler en éclats
Ce sera à l’heur’ du confinement
Il explosera comme sonne un glas
Et rendra ses couleurs au firmament.

Si le monde doit changer de chemin
Ce sera à l’heur’ du Covid-19
Pour croire encore un peu au lendemain
Au fond de l’inconnu, trouver du neuf.

Si le monde doit renverser la table
Ce sera à l’heur’ de la pandémie
Les bornes franchies de l’insoutenable
La guerr’ cessera faute d’ennemis.

Si le monde doit se réinventer
Ce sera à l’heur’ du coronavirus
Ou à la limite, quelques jours après
Nous sommes au début du processus.

Si le monde doit devenir heureux
Ce sera à l’heur’ du vaccin pour tous
En attendant prends courage et la queue
Et reste poli, j’en vois des qui poussent.

Si le monde doit retrouver ses marques
Ce sera à l’heure du variant mutant
La galère est là, pas le choix embarque
Tout est à réinventer maintenant.

Ce que j’aime dans la vie (anaphore)

14/01/2021 Aucun commentaire
Marie Mazille et moi-même en pleine action : atelier d’écriture de chansons, In Situ Babel Annemasse, décembre 2020. Merci photo : Patrick Reboud.

Le Fond du Tiroir hors les Murs ! MusTraDem m’est comme une résidence secondaire… Si vous êtes abonné à la niouzletter de MusTraDem, la prose de Christophe Sacchettini, qui joue de l’édito comme de la cornemuse, vous est familière. En 2015, je l’ai remplacé une première fois dans sa fonction d’éditorialiste. En janvier 2021 je recommence (deux fois en six ans, on ne peut pas dire que je me me surmène). Moi président, j’ai eu l’idée d’une anaphore que je reproduis ci-dessous.

Ce que j’aime dans la vie c’est être sur scène. Jouer, déclamer, échanger, chercher et trouver sur scène. Je ne sais plus qui a dit « La scène est le seul endroit sur terre où l’on ne vieillit pas » mais il est clair que ce type-là (ou cette fille, aussi bien) était dans le vrai. La scène produit une curieuse réaction chimique sur tout corps posé dessus et par miracle le processus de dégénérescence des cellules est immédiatement stoppé voire inversé, je n’irai pas jusqu’à dire que j’en ai la preuve mais à tout le moins l’expérience, et l’intuition. Malheureusement en ce moment les scènes sont toutes verrouillées, inaccessibles, ce qui fait que je vieillis un peu plus vite et sans remède. Je le sens bien, là, au moment même où je te parle, je vieillis à vue d’œil, mes cellules sont en pleine dégénérescence, elles s’affaissent sous moi, je perds mes dents et mes cheveux, une vraie pitié. Et pas moyen non plus de m’adonner à une autre activité que j’aime (dans la vie), fréquenter une salle de spectacle pour admirer sur scène le processus de rajeunissement d’autres que moi.

Ce que j’aime dans la vie plus généralement c’est la musique. En écouter – en ce moment il y a Youtube et les CD et c’est mieux que rien. En jouer – mais ça, je préfère avec des gens. Tout seul je manque un peu de volonté, je me décourage assez vite.

Car ce que j’aime dans la vie ce sont les contacts humains. Et les questions à la con du genre « Les contacts électroniques sont-ils des contacts humains ? » ou « Suis-je encore tout seul quand je suis en contact électronique avec quelqu’un ? »

Heureusement que j’aime d’autres choses dans la vie, des choses que je peux faire tout seul. Ce que j’aime dans la vie tout seul par exemple, c’est écrire. Des livres, des gros ou des petits, ou des poèmes, ou des courriels, ou des questions à la con, ou des frivolités, ou à la rigueur des éditos pour MusTraDem.

Ce que j’aime dans la vie, plus que tout, ce sont les bonnes histoires. Tu en veux une, de bonne histoire ? J’en ai. Il était une fois il y a fort fort longtemps, oh, une quinzaine d’années je dirais, ma première rencontre avec Marie Mazille. C’est un été en Maurienne, dans une maison pleine d’amis. Marie est au téléphone, elle était d’ailleurs tout le temps au téléphone, elle finit par raccrocher, elle me voit et la toute première phrase qu’elle m’adresse est : « Toi tu es écrivain, c’est ça ? Tu écris des chansons ? » (Il n’est pas absolument certain que ce soit sa vraie première phrase, il est possible après tout qu’elle ait commencé par « Bonjour », mais tant pis, moi ce que j’aime dans la vie c’est John Ford : « When you had to choose between history and legend, print the legend ».) J’ai répondu en riant un peu nerveux : « Chansons ? Pas du tout ah ah ah ! C’est pas mon truc ! J’ai écrit quelques poèmes et c’est ce qui s’en approcherait le plus, mais une vraie chanson ? Refrain couplet ? Ouh là là non, très peu pour moi, je ne serais pas capable. Ah ah. » J’avais instantanément cessé d’intéresser Marie Mazille qui s’est détournée et son téléphone s’est remis à sonner. Mais Marie étant une fille têtue, elle m’a reposé la même question à intervalles réguliers, jusqu’à ce que quinze ans plus tard je finisse par me rendre à l’évidence et que je réponde, avec surprise : « Ah mais oui, tiens ! Si fait, j’écris des chansons avec Marie Mazille. »

Ce que j’aime dans la vie c’est faire des choses dont je ne me croyais pas capable (merci Marie). J’aime énormément co-animer avec Marie des ateliers d’écriture de chansons, quand les pandémies nous foutent la paix. Je crois qu’il reste des places pour notre stage Mydriase de printemps, vérifie, si ça t’intéresse.

Ce que j’aime dans la vie c’est MusTraDem, sinon tu penses bien que je n’aurais pas accepté de présider un tel bazar. Autre excellente histoire. Il était une fois, il y a six ans MusTraDem me demande : « Tu ne voudrais pas être président ? » Je réponds un peu nerveux : « Président ? Pas du tout ah ah ah ! Je ne serais pas capable. » Six ans plus tard tu remarqueras que je n’ai pas à rougir de mon bilan présidentiel : j’ai réussi à convaincre UNE personne supplémentaire d’adhérer à l’association MusTraDem. C’est Marie Mazille. Grâce à elle l’assemblée plénière de l’association accède enfin à la parité ! Je veux dire par là que nous y avons une paire de femmes. Et toujours huit hommes.

Ce que j’aime dans la vie c’est l’étymologie. Le président, étymologiquement, est celui qui est assis au-dessus des autres.

Oui, mais ce que j’aime dans la vie c’est Michel de Montaigne (1533-1592) : « Sur le trône le plus élevé du monde, nous ne sommes encore assis que sur notre cul ».

Ce que j’aime dans la vie ce sont les rituels. Les rituels confirment que le temps passe, et mieux encore le renouvellent, le revivifient, le débloquent quand il est bloqué, le répètent mais avec variations, transpositions et coda. Exemple, monter sur une scène pour voir ses cellules se régénérer est un rituel. Autre exemple, un président prenant la parole pour présenter ses bons vœux de nouvel an : « Mustradémiens, Mustradémiennes, chers administrés, quand les temps sont durs les durs prennent leur temps. Je vous souhaite de prendre le temps d’énumérer tout ce que vous aimez (dans la vie). Et une fois que vous en aurez dressé la liste ce sera pile ce que je vous souhaite en 2021. »

Fabrice Vigne

Le retour de la vengeance de la résurrection du fils de la Confine forever

09/09/2020 un commentaire

Le confinement est un événement historique que nous avons tous traversé et qui nous a tous traversés, du 17 mars au 11 mai 2020.Chacun pour soi, en son for intérieur, et même en son fort intérieur, et même en sa forteresse intime, aura tiré quelque chose de cette exceptionnelle jachère d’agenda. Une angoisse, une réflexion, deux kilos, un repos forcé, un divorce, une bonne résolution, un journal intime, une remise en question existentielle, un stock de PQ pour jusqu’à 2024…

En ce qui nous concerne, nous en avons tiré une chanson.

Ça s’appelle Au premier jour de la Confine, c’est censé durer 107 couplets, mais nous en avions interrompu la diffusion après le 50e, et au bout de 11 épisodes, pour cause de déconfinement malencontreux.

La Confine, œuvre de circonstance, était-elle morte et enterrée, victime de circonstances changeantes ? Sûrement pas ! La voici qui revient d’outre-tombe pour un 12e épisode qui continue de documenter avec grâce et humour la période historique du 17 mars au 11 mai 2020, avec de la joie ! de la déprime ! l’automédication ! de la scatologie ! de la cuisine au salon et du salon à la cuisine ! des plantes d’agrément ! de la Marie Mazille ! du Franck Argentier ! du trombone ! du oud (joué à la plume d’aigle) ! de l’arabe ! de l’adultère ! du sport ! de l’harmonie à trois voix ! du suspense ! (y aura-t-il un épisode 13 ?) Et toujours les splendides, gracieuses et spirituelles illustrations de Capucine Mazille…

Comme une catastrophe n’arrive jamais seule, sachez que nous donnerons ce samedi 12 septembre dans la joie et l’allégresse le ciné-concert du même nom : Au premier jour de la Confine ! Vous y entendrez des couplets déjà diffusés, et d’autres qui ne demandent qu’à l’être, vous comprendrez enfin le sens de l’objectif des 107 couplets, et vous chanterez à tue-tête avec nous « Y’en a bientôt marre de la confine », vous allez voir comme ça fait du bien.

Marie Mazille : chant, textes, accordéon, nyckelharpa
Fabrice Vigne : textes, chant
Franck Argentier : claviers, percussions, chant, animation vidéo
Christophe Sacchettini : flûtes, psaltérion, cajón, udu, chant
Capucine Mazille : dessins
Pascal Cacouault : son façade
Avec la participation amicale de Farid Bakli : oud, ukulélé
Samedi 12 septembre à l’Espace 600 (Grenoble) à 20h45.
Entrée libre et masquée.
Pas de réservation, venez tôt parce que deux-tiers de jauge seulement pour cause de.

En maison

22/02/2020 Aucun commentaire

Suite aux représentations de notre spectacle Trois filles de leur mère d’après Pierre Louÿs, Mlle Bois, M. Sacchettini et moi-même avons essuyé un certain nombre de critiques qui du reste visaient plus souvent le texte lui-même, dont la puissance scandaleuse n’est pas émoussée, que notre travail. Heureusement, nous y étions préparés – nous ne le serons certes jamais assez. Parmi ces critiques est revenu le reproche bien contemporain (cf. les pénibles débats sur l’appropriation culturelle dont on peut lire quelques échos ici) de n’entendre par la voix de Louÿs et la mienne que la seule version d’un homme à propos d’une condition féminine – celle des prostituées.

C’est pourquoi je me suis précipité avec avidité sur La maison d’Emma Becker (Flammarion, 2019), espérant lire enfin la version occultée de la première intéressée, la vision d’une femme sur le travail du sexe, sur ce qu’il advient du corps, de l’esprit, du rapport à soi, aux autres, du désir lui-même, de la vie quotidienne, de la sociabilité, lorsque l’on fait profession de louer son sexe à l’heure. Emma Becker a travaillé deux ans dans un bordel de Berlin. Elle raconte. Le livre est un poil trop long et répétitif, bâti bizarrement et sans logique manifeste (pas chronologique le moins du monde), et pourtant parvenu à la fin j’en aurais voulu encore, tant ses heureuses vertus de chronique au fil des passes semblent inépuisables. La comédie du sexe et de l’argent est éternelle, renouvelée sans début ni fin, et, sauf si l’on est triste et blasé et si l’on a lu tous les livres, fort variée.

Avant d’en dire le bien que j’en pense, une menue réserve : plongé dans La Maison je me suis soudain rappelé avoir découvert il y a près de 20 ans une autre version de femme qui m’avait paru plus forte, plus crue, plus vitale, dans les livres de Nelly Arcan. On s’en souvient peut-être, Nelly Arcan est une figure tragique qui, après avoir écrit Putain, puis Folle, puis une poignée d’autres livres moins intimes mais tout aussi fulgurants, s’est donné la mort. Cette fin terrible influence sans doute la lecture rétrospective que l’on peut faire de ses livres, comme si la mort seule prouvait qu’on n’avait pas triché, ni avec le sexe, ni avec la littérature, ni avec rien. Illusion romantique. N’empêche que si je compare les deux autrices, je vois Nelly Arcan comme une pute qui était aussi un écrivain, tandis qu’Emma Becker est un écrivain qui a fait la pute.

Emma Becker, que j’espère en pleine forme et exempte d’idées suicidaires, m’évoque un autre registre littéraire, plus aventurier, elle me fait l’effet d’Hemingway qui en 17 en Italie puis rebelote en 36 en Espagne voit éclater une bonne guerre et se frotte les mains : chic, l’occasion en or, j’y cours, j’en ramènerai un livre et je reviendrai écrivain. La guerre de Becker est un bordel de Berlin, c’est de la Maison qu’elle tire de la littérature. Contrairement à la brutalité sans filtre des écrits de Nelly Arcan, le style de Becker est spirituel, flatteur, appliqué comme celui d’une normalienne qui se regarde trouver les bons adjectifs, placer des points-virgules et ne rechigne pas aux références lettrées propres à assoir son statut d’écrivain (son nom d’artiste, son pseudo au bordel est Justine). Ce rappel qu’au fond son identité n’est pas pute mais écrivain undercover est comme une mise à distance, ou plutôt comme un gilet pare-balles enfilé par-dessus le bustier et la culotte de soie. Ce qui ne m’a pas empêché de repérer une lacune dans ses lectures. Elle cite plusieurs fois Maupassant, Calaferte, Sade, Bataille (tiens ? rien que des hommes). Puis se plaint : selon elle personne n’en a jamais parlé, des filles. Comment ça? Et Pierre Louÿs, alors ? Nos Trois filles chéries ?

J’avoue éprouver un peu de défiance et quelque agacement envers les écrivains qui abusent des débuts de phrases de type Moi, en tant qu’écrivain. J’y entrevois un peu de complaisance, de pose. Car moi, en tant que lecteur, je préfère voir un écrivain faire son boulot sans se revendiquer écrivain, sans rappeler à tout bout de champ ses prérogatives et responsabilités d’écriture qui feraient mieux, par élégance encore plus que par humilité, de demeurer implicites.

Pourtant (réserve émise, j’attaque enfin l’éloge) elle le fait, le job, oh oui elle le fait très bien et très simplement. La dernière phrase du livre, « Il faut bien que quelqu’un en parle » , est un programme, magistralement accompli en fin de compte, voire une définition même dudit job, de ses responsabilités et prérogatives. La phrase rappelle ce qu’écrivait Alphonse Boudard en incipit de Mourir d’enfance à propos des siens. Si je ne parle pas d’eux, personne ne le fera. Et ce sera comme s’ils n’avaient jamais existé. Le job de l’écrivain au fond est là, empêcher les gens qu’on a connus de disparaître tout-à-fait.

Emma Becker parle des putes qu’elle a côtoyées, et cette galerie de portraits d’être humains, cette description d’un métier, honteux, méprisés, honnis des braves gens y compris dans les pays où la loi les couvre, est la meilleure part de son livre. Les collègues de Justine sont petites ou grandes, enthousiastes ou lasses, débutantes ou aguerries, négligentes ou professionnelles, spécialisées ou généralistes, bienveillantes ou méprisantes, rigolotes ou déprimées, douées ou pas tellement, qui pensent à l’horaire des trains ou bien qui jouissent (puisqu’en ce monde tout est possible, cela l’est aussi), elles sont plusieurs parfois dans la même personne et la même journée, elles sont complexes et contradictoires, elles sont vivantes.

Les putes sont là. Par conséquent il faut en parler, c’est tout simple et c’est important. Elles existent, tout autant que les employés précaires des start-ups (le livre s’ouvre sur quelques belles pages de mélancolie en flash-forward, le bordel ayant fermé pour céder ses murs à un quelconque open-space et donc à d’autres esclaves, écrit-elle). Elles existent tout autant que leurs clients, les hommes qui font toutes sortes de métiers (le livre se referme sur une dernière fusée, une rêverie où Becker s’imagine en homme, et en client, en meilleur client que tellement de médiocres consommateurs qu’elle aura vu défiler).

Confession personnelle dont vous ferez ce que vous voudrez : en 1991 j’étais bidasse à Berlin. Il m’est arrivé de fréquenter les bordels, émerveillé qu’ils soient ici légaux et débordant de gratitude envers ces femmes qui, miracle, acceptaient de vider mes jeunes couilles et de feindre d’y prendre plaisir. Vingt ans plus tard, sous la pression d’un ami, j’ai signé la pétition Zéromacho qui réclamait l’abolition pure et simple de la prostitution, solution finale. J’ai ensuite regretté ma signature, surtout pour le côté utopiste et naïf de la démarche, qui plaquait d’une manière si française un idéal sur la réalité puis détestait la réalité de ne pas assez ressembler à l’idéal. Les putes, c’est mal, éradiquons-les d’une signature, on aura fait le bien. Réclamer la disparition de la prostitution est à peu près aussi raisonnable que réclamer celle de ses deux composantes, le sexe et l’argent. En attendant ce jour, je suis, si jamais on me demande mon avis, plutôt en faveur de la réouverture et l’encadrement légal des maisons dites closes. Ce serait quasiment une délégation de service public, toujours mieux que la jungle des « indépendantes » ubérisées aux mains d’une mafia ou d’une autre. Mais on ne me demande pas mon avis. Faut que je pense à arrêter de signer des pétitions.

Mlle Bois, M. Sacchettini et moi-même redonnerons, si tout va bien, deux fois l’été prochain le spectacle Trois filles de leur mère. Restez en ligne, les détails viendront.

Profession : assistante en jupon

15/02/2020 un commentaire

Février 2020. La fine équipe de MusTraDem, soit Marie Mazille en Blanche-Neige entourée de sept nains dont je suis le Joyeux Simplet, infuse pour trois ans en résidence à Annemasse, Haute-Savoie (le projet s’appelle In Situ Babel). À l’instant nous revenons d’une exaltante et éreintante semaine de l’improvisation durant laquelle nous avons mis le Conservatoire de musique sens dessus dessous. J’ai pour ma part co-animé avec l’inépuisable Marie moult ateliers « création de chansons » auprès des publics les plus divers, depuis les marmots de trois ans jusqu’aux professeurs les plus chenus. Tous repartent avec leur chanson dans les oreilles et le sourire juste en-dessous comme un nœud papillon.

Car depuis une paire d’années j’ai fantaisie et plaisir à écrire, à faire écrire, des chansons.

Bien sûr il y a le cas Vos gueules (musique Norbert Pignol, voix Leïla Badri) chanson acrobatique et engagée, techniquement compliquée, fignolée sans relâche sur le motif, pour laquelle j’ai transpiré trois mois. Mais le plus souvent écrire une chanson aux côtés de Marie ne ressemble pas du tout à ça. C’est même le contraire : une décharge d’énergie joyeuse et immédiate, un triple-saut plutôt qu’un marathon, la chanson existe dans l’air au bout d’un quart d’heure et tout le monde est content.

Échantillon : C’est parti, chanson que nous avons composée avec les mots fournis par les jeunes écoliers d’Annemasse pour nous consoler tous ensemble de la rentrée scolaire (Marie à la voix et à la nyckelharpa, Patrick Reboud à l’accordéon, et des masses de marmots dans les chœurs). Résultat, un tube instantané et un marronnier pour tous les septembres qu’il reste au monde.

Moyen terme : Les fossiles géants de spermatozoïdes, chanson monorime qui ne m’a réclamé ni un quart d’heure (il ferait beau voir !) ni trois mois (encore heureux !) mais un laps intermédiaire. En somme tout est possible.

Allez, je peux bien vous révéler un secret, vous le garderez pour vous. Au sein de notre duo, je suis l’imposteur. 75% du boulot est accompli par Marie. Jonglant avec trois mots, le cerveau en roue libre et l’un de ses instruments sur les genoux, elle pond des chansons comme elle respire. À côté d’elle je fais figure de laborieux, empêtré loin derrière, je réfléchis, je cherche encore une meilleure rime dans le refrain pendant que Marie achève le cinquième couplet tout en harmonisant une seconde voix. Au fond, je me fais l’effet de l’assistante en jupette d’un magicien. Je bouge mon popotin sur la scène, je tends les accessoires, je suis prêt volontiers à me faire découper pour de faux et à jaillir de la boîte, et je lève les bras au bon moment pour indiquer au public quand il faut applaudir, mais ce n’est pas moi qui réalise le tour de magie. Bah, il n’y a pas de sot métier, je la porte très bien la jupette et en plus j’adore les spectacles de magie.

Tout ça pour vous dire : si vous avez envie d’assister à nos tours, mais surtout si vous avez envie de travailler avec nous deux sur votre propre répertoire de chansons, je crois qu’il reste une ou deux places dans le stage que nous proposons à Bourgoin-Jallieu en avril prochain, aux bons soins de Mydriase.