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Un fond de tiroir, un vrai

Vers 1990, à une époque où je savais à peine me raser, j’ai écrit le scénario d’une bande dessinée intitulée Projet: Street Spirits (notez qu’il n’y a pas d’espace avant les deux points, pour faire plus américain, comme dans Mission: Impossible).

Il s’agissait d’une histoire de super-héros, plus ou moins parodique, que je me figurais archi- « de notre temps » puisque j’y décrivais le super-héroïsme comme une pure opération de communication.

Quoique connaissant par cœur les comics Marvel, l’influence que je revendiquais était plutôt une certaine tradition de la bande dessinée franco-belge, ironique, spirituelle, vacharde au besoin, un art du dialogue allant de Goscinny et Delporte jusqu’à Yann. Je faisais en somme du super-héros « à la française » parce que déjà à l’époque je pressentais que c’est en mélangeant qu’on invente.

Le lecteur français (nous ne nous adressions bien sûr qu’à lui) pouvait ainsi débusquer au fil des pages certaines références très locales : par exemple le maire de la ville s’appelait Pear et sa tronche dessinée en forme de poire était calquée sur la fameuse caricature du roi Louis-Philippe par Charles Philipon, parce qu’une poire blette me semblait une métaphore universelle des hommes de pouvoir, de quelque côté de l’Atlantique qu’on se trouve…

En revanche, j’avais dessiné le logo de la série en plagiant éhontément les titrailles en volumes de l’Américain Will Eisner, que je n’ai jamais cessé d’admirer, le titre lui-même constituant un transparent hommage au Spirit, ce faux super-héros, véritable être humain.

Avec le dessinateur, qui était un pote de lycée, nous avons réalisé trois épisodes – j’avais des synopsis pour douze, c’était un joli nombre douze, c’était comme Watchmen, j’ai pas mal gambergé sur la suite qui devait mettre en scène le seul adversaire que j’imaginais à la hauteur d’une opération marketing : le leader charismatique d’une secte (j’ai toujours adoré les leaders charismatiques de sectes), décrit comme une autre opération marketing réussi… Mais ainsi vivent et meurent les ambitions juvéniles : nous nous en sommes tenus à ces trois premiers épisodes, que nous avons photocopiés, agrafés, et vendus à la sauvette. Ce fanzine (vive le Do It Yourself !) était en somme notre premier « livre » , pour moi autant que pour lui, qui depuis a publié ailleurs ses propres BD.

Mais voilà-t-y pas que près de 35 ans plus tard, et sans me consulter, cet enfoiré que j’ai perdu de vue publie dans mon dos une réédition des Street Spirits ! Mis au pied du mur, je considère que cet objet est, ni plus ni moins, un livre pirate, un bootleg, une contrefaçon. Ce qui sans doute ne m’empêchera pas de commander un exemplaire pour le relire.

De mémoire, il me semble que ce travail de jeunesse, sans être déshonorant, était un peu amateur, non dénué de clichés. Surtout, il risque de paraître dérisoire et dépassé à notre époque, noyée qu’elle est sous les récits de super-héros, plus ou moins parodiques (voire trash, façon The Boys), ET sous les opérations de communication.

Qui est curieux se procurera l’objet ici.

Sinon on peut aussi écouter Street Spirit de Radiohead qui date de la même époque (1995) et rêver qu’il s’agit de la bande originale du livre. Le clip de cette chanson, beau et cafardeux, est signé Jonathan Glazer, qui sera bien plus tard l’auteur d’un des films les plus fous et les plus stupéfiants jamais tournés, Under the skin. Quel rapport ? Bah, on a tous des oeuvres de jeunesses planquées dans un recoin du www.

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