La lettre maudite
Je me promène dans la forêt, je me perds sur les sentiers et dans mes pensées, comme j’aime.
Tiens ? Dans lesdits sentiers, plus de voitures que d’habitude, parquées à la va-comme-je-te-pousse.
Bang !
Ah mais oui c’est vrai : j’entends une détonation, qui me rappelle à qui appartiennent ces bagnoles. Les sous-bois regorgent d’animaux bipèdes en gilet orange et armés jusqu’aux dents. Leur loisir consiste à tuer et je suis invité à partager avec eux l’espace naturel. L’un d’eux a aimablement suspendu à son essuie-glace un écriteau : « Chasse en cours. Dialoguons ensemble. »
Ce qui me navre le plus dans cette communication en carton (Bang ! faisons un carton !) n’est pas le bizarre pléonasme (quelqu’un peut-il m’expliquer comment dialoguer autrement qu’ « ensemble » ? essayez de dialoguer séparément pour voir ?), mais la masse de logos entassés sous l’image : le département, la région, et même la République française, Marianne chasseresse. Tous les étages de mes impôts ont craché au bassinet de ce lobby archi-subventionné qui a réussi à se faire passer pour le seul authentique mouvement écologiste (car les autres sont des amish). Pour rappel, et on le rappellera aussi souvent que nécessaire tellement c’est hallucinant : la subvention de la chasse est passée de 27 000 euros en 2017 à 6,3 millions d’euros en 2021. Cher le carton.
Bang ! Une autre détonation retentit. Je commence à transpirer et à comprendre vaguement ce qu’ils entendent par « dialoguons ensemble », le pléonasme était nécessaire finalement, on va vous mettre les points sur les i.
Je ne reste pas statique trop longtemps, j’ai peur des balles perdues, je me remets en marche, je sifflote nerveusement pour me signaler à la cantonade, en espérant ne pas être confondu avec un quelconque animal qui par malheur siffloterait exactement de la même manière que moi.
Balle perdue… Balle perdue… Je rumine la balle perdue et presse le pas, peu serein. Je rumine cet archaïsme qui se fait passer pour moderne.
Je pense à d’autres archaïsmes qui perdurent, à d’autres sinistres héritages du mode de vie « vingtième siècle » qui nous trouent la peau et nous déglinguent le monde au vingt-et-unième et c’est très curieux, en les comptant sur mes doigts, je réalise que comme la balle perdue ils commencent tous par la lettre B…
La bagnole…
La bidoche (que ce soit en burger ou en barbecue)…
La bourse…
La bigoterie…
Le béton…
Le business…
Le black friday…
Le bien-être et ses mythes…
Ce sont peut-être des balivernes, des blagues ou des billevesées, mais les mots en b me viennent tous seuls pas à pas dans la boue… Ah ben tiens voilà, la boue, quand sortirons-nous de la boue…
Oh, la bêtise bien sûr, en général… Salut à toi, dont le règne est méconnu… Et la bienpensance…
Pourtant, pas de plan B. Pas de planète B, on l’a dit on le sait.
Bang !
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