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La Confine qu’on finit

24/09/2021 Aucun commentaire
« Et moi je l’aime bien avec du citron ! »
Notre Bobyne (Lapointe) portraituré par notre Capucine (de la pointe, de son pinceau).

The Confine is back !

Au premier jour de la Confine, chanson à rallonge, burlesque et politique, signée Marie Mazille/Capucine Mazille/Franck Argentier/Fabrice Vigne, née pendant le confinement de 2020, revient. Et cette fois nous comptons bien aller jusqu’au bout. Ce sera la Confine qu’on finit. De grandes nouvelles arrivent bientôt, mesdames et messieurs préparez-vous à faire chauffer Ulule. Le Fond du Tiroir, qui avait pourtant solennellement juré plus jamais en 2016 après les Reconnaissances de dettes, s’apprête à éditer un livre, parce qu’il aurait été trop dommage que tout ça se perde… Non seulement un livre, mais un livre-DVD. Et divers goodies. Un savon, par exemple. Puisqu’il paraît que les Français ont cessé de se laver pendant le confinement.

En attendant, la saison 14 et la saison 15 du feuilleton surgissent, plusieurs mois après la saison 13 qui va vite fait bien fait être rebaptisée saison 15 afin que la vraie 13 c’est-à-dire la 15e trouve enfin sa place, la soudure est faite non mais laissez tomber ne perdez pas votre temps à essayer de suivre ça n’a aucune importance, écoutez plutôt la chanson…

Précisons plutôt, ce sera plus intéressant, que La Confine est une villanelle, et ça, ça vous la coupe, hein ? dixit Wikipedia : « Villanelle, sorte de petite poésie pastorale mise à la mode, en France, au XVIe siècle, à forme fixe et divisée en couplets qui finissent par le même refrain. (…) Le rythme des villanelles, le nombre des couplets et des vers ont varié selon le caprice du poète. Souvent elles ont quatre couplets de huit vers ; le dernier ou les deux derniers vers du premier couplet sont répétés en guise de refrain. C’est alors, sous un nom ancien, la forme ordinaire de la chanson. » Notre villanelle du XXIe siècle poursuivra sa marche inexorable et triomphale jusqu’à son fatal 107e couplet, mais toujours exclusivement sur deux jambes, et deux rimes, « -ine » et « -an ». Scoupe ! Yves Simon en personne a écrit pour nous un couplet de la Confine ! Car lui aussi a été inspiré par ces deux rimes entêtantes pendant le confinement !

« Tu portais une cape de zibeline
Chère Zelda, et tout en écoutant
Le tube « Kashmir » de Led Zeppelin
Y’en a bientôt marre du confinement ! »

Bon… okay… fake news… pastiche… Monsieur Simon n’a pas écrit la Confine, dont les paroles restent obstinément et hystériquement pondues par Marie Mazille et Fabrice Vigne. C’était juste pour attirer votre attention. Je l’ai, votre attention ? Alors d’un geste expert je l’attire et la déplace sur la saison 13 tout juste sortie des studios Clip Clap, qui est l’une des plus longues à ce jour (4 mn 50 pour 5 couplets), ma saison préférée jusqu’à la prochaine, saison de Marcel Proust (Le temps et Albertine, oh quel beau couple de rimes !), de lecture, de banjo, de jardinage, de rêverie sur une carte postale, de perte de notion du temps… Saison conclue par un magnifique couplet « Boby Lapointe » qui rappelle à quel point Capucine Mazille, en plus d’être une illustratrice drôle, tendre et poétique, est une portraitiste hors pair. (Mais vous le savez déjà si vous avez vu son Raoult, dans le couplet 17, dans la saison 4… Et encore, vous n’avez pas vu son Macron, qui déboulera bientôt au couplet 70 dans la saison 17 si je compte bien…)

To be continued and concluded.

Musique(s) pop(s)

20/09/2021 Aucun commentaire

Ce mois-ci sont morts deux musiciens pop, populaires, chacun sa manière. Un batteur anglais, puis un chanteur belge. Puisque (sans me vanter) je fais partie du peuple, j’écoute de la musique populaire et je les ai eus tous deux dans les oreilles. Aussi, je leur dois : comme à chaque fois que je me fends d’une nécrologie, je rejoue aux Reconnaissances de dettes, jeu sans terme, les morts ont été vivants et m’ont fait vivre.

1) Le 24 août est mort Charlie Watts. L’image de lui qui me vient spontanément est la pochette de l’album Dirty Works des Rolling Stones, l’un de leurs plus négligeables peut-être, mais il se trouve que c’est l’un des rares que j’ai écoutés dès sa sortie (1986). Sur la photo, chaque membre du groupe regarde effrontément l’objectif avec cet air de défi post ado, maussade mais prêt à en découdre, qui définit le rock’n’roll selon les Stones. Tous, sauf Charlie Watts, qui, dans le coin inférieur gauche, regarde ailleurs, hors champ, peut-être ses pieds ou un coin du studio, ou rien du tout, il rêve en souriant, un peu ailleurs tout en étant là. Beau portrait d’un groupe, bien complet de son éternel intrus. J’avais énormément d’estime pour Charlie Watts, batteur toujours impassible quoique toujours impeccable, qui ne dédaignait pas de faire tchak-poum sur ses fûts pour remplir les stades avec ses potes, mais dont la vraie passion était le jazz (cf. les Charlie Watts Quintet & Tentet, The Charlie Watts-Jim Keltner Project ou The ABC&D of Boogie Woogie).

Étant donné la longévité anormale des Rolling Stones (1962-?), entité collective plus durable que nombre d’humains individuels, il est presque inévitable d’écouter, ou au moins d’entendre, leur musique à différentes périodes de sa vie. Je me souviens qu’outre 1986 j’écoutais les Stones, notamment, en 2006, alors que j’étais plongé dans l’écriture d’un roman intitulé Les Giètes. Je lisais articles et biographies sur les Stones dont l’histoire, à l’époque déjà, était jugée d’une durée exorbitante. J’ai appris que Watts s’était vu diagnostiquer un cancer de la gorge, qu’il avait (comment faire autrement) envisagé sa disparition et ses adieux, mais qu’il s’était finalement battu, avait gagné contre le crabe, ce qui lui avait valu de vivre assez longtemps pour enterrer certains de ses amis – et de vivre le restant de sa vie comme autant de jours en plus. J’avais trouvé ce trait fort émouvant et je l’avais aussitôt amalgamé tel quel, rayons dans la gorge comprise pour économiser la parole, au protagoniste de mes Giètes, Maximilien Bertram. Car, au cas où vous ne seriez pas au courant, c’est en mélangeant qu’on invente. Charlie Watts est mort à 80 ans, l’âge du narrateur des Giètes dans le roman.

2) Le 18 septembre est mort Julos Beaucarne. Puisque je me pique d’écrire des chansons, je ne peux que saluer l’effet que me faisaient les siennes. J’aimais ses chansons douces et anarchistes, et sa poésie même quand c’était celle des autres, par exemple sa version de Vieille chanson du jeune temps (« Je ne songeais pas à Rose« ) de Victor Hugo. Le père Hugo avait beau dire Défense de déposer de la musique le long de mes vers, trop orgueilleux pour partager la couverture, ce poème-ci s’est glissé en moi par la musique et par la voix de Julos.
Et dans un autre registre, j’ai souvent pleuré en écoutant la lettre qu’il a écrite la nuit où sa femme a été assassinée, ici dite par Claude Nougaro.
Et voilà ! ça a encore marché ce matin, j’entends cette phrase de celui qui ne joue pas à être le ténébreux, le veuf, l’inconsolé : « Sans vous commander, il faut s’aimer, à tort et à travers« , et je chiale…

Céline n’avait pas menti (Cancel la Cancel, 4/5)

18/09/2021 Aucun commentaire
« La volonté du roi Krogold », légende médiévale. Manuscrit de Louis-Ferdinand Céline disparu en 1944. Retrouvé en 2021. Illustré par Jacques Tardi en 1991 (extrait de « Mort à Crédit », éd. Futuropolis).

On ne se débarrasse pas de Louis-Ferdinand Céline. Il reste là, tapi dans un coin du paysage littéraire, toujours monstrueux mais toujours génial. Toujours génial mais toujours monstrueux.

Diable sur ressort, voilà qu’en 2021, soixante ans après sa mort, il fait à nouveau l’actualité. Cet été a ressurgi un mètre cube de ses manuscrits que l’on croyait perdus à jamais : Casse-Pipe, qui aurait dû être un roman de l’ampleur de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à Crédit mais dont on ne connait jusqu’à présent que quelques maigres chapitres rescapés ; un autre récit intitulé Londres qui pourrait bien être le fantomatique Guignol’s Band 3 ; sa « légende médiévale » intitulée la Volonté du Roi Krogold ; etc.

Cette découverte est la nouvelle la plus fracassante de l’année. Après le rapport du GIEC, naturellement. Après la chute de Kaboul, aussi. Attends… Après les incendies caniculaires, après la mise en plass du pass sanitaire de mes deux doses et son exigence impérative dans les médiathèques mais pas dans les églises, après l’expédition dans l’espace de connards de milliardaires ayant trop salopé la Terre pour la juger encore digne d’eux, après la délicieuse déroute électorale du RN, après la flippante déroute électorale générale, après Joséphine Baker panthéonisée… Bon, admettons qu’il y a treize nouvelles fracassantes à la douzaine. Mais celle-ci ! Comme elle fracasse ! Je suis fracassé ! Céline n’avait donc pas menti ! (sur ce point, du moins.)

Lorsque je travaillais sur Céline et sa réception, il y a une petite trentaine d’années, entiché jusqu’à l’obsession je dévorais tout, y compris biographies et correspondances où sans relâche il braillait comme un putois offensé contre les crimes dont il été accablé, parmi lesquels le vol et sans doute la destruction des fameux manuscrits, en 1944, alors qu’il fuyait l’épuration, d’abord via Sigmaringen en compagnie du gouvernement pétainiste en déroute, puis avec sa femme et son chat jusqu’au Danemark. Mais la mythomanie, le mensonge et, au minimum, l’hyperbole étant chevillés au cœur du personnage, fallait-il le croire ? Ce pan de l’œuvre escamoté n’était-il que l’une de ses légendes personnelles ? Faute de le croire sur parole, on rêvait : je me souviens qu’avec un camarade étudiant aussi obnubilé que moi, nous nous montions le bourrichon, Allez c’est juré on s’y colle toi et moi, on va mener l’enquête, on va la retrouver nous autres cette Volonté du Roi Krogold ! Et combien d’autres comme nous, voir par exemple le témoignage d’Émile Brami.

« Trésor je l’affirme ! De ces romans, tonnerre de dieu, que la littérature française en est appauvrie pour toujours ! La preuve qu’ils les ont brûlés, trois manuscrits presque, les justiciers épurateurs ravageurs ! Pas laissés un atome de cendres !», écrivait Céline dans Maudits soupirs pour une autre fois, comme le rappelle sur son blog sur son blog Jean-Pierre Thibaudat, dernier dépositaire de ces 6000 feuillets, qu’il a gardés au secret pendant 15 ans avant, enfin, d’en faire état – histoire rocambolesque.

Je me réjouis déjà des heures de lecture qui m’attendent, là-bas, dans les années à venir, lorsque les chamailleries entre ayants-droit seront résolues. Toutefois, cette réapparition miraculeuse prend place à une époque singulière, qui est celle de la cancel culture (pour ceux qui se demandaient où je voulais en venir et ne voyaient pas le rapport). Et la conjonction me pousse à certaine prise de conscience.

Céline est essentiellement infréquentable, et pour d’excellentes raisons. Ses trois pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre, 1937 ; L’école des cadavres, 1938 ; Les beaux draps, 1941) sont des ignominies, je ne parle pas par ouï-dire, je les ai lus. Ils sont impardonnables et (jusque-là tout est normal) impardonnés. Ils ont valu à leur auteur la condamnation, la prison, l’exil, la disgrâce, ainsi que, accessoirement, la subtilisation pour 60 ans d’un mètre cube de manuscrits en 1944.

Pour autant, il y a trente ans déjà, la position de principe, si banale, « Céline est antisémite donc je boycotte Voyage au bout de la nuit, je ne lirai jamais cette ordure » m’apparaissait comme une profonde injustice parce que ce livre gigantesque N’EST PAS antisémite, contrairement à son auteur. Or, aujourd’hui, je vois des injustices de même nature partout où se pose mon regard, les injustices sont systématisées, elles sont théorisées, elles s’appellent cancel culture et #DisruptTexts, et je réalise avec stupéfaction que le cas monstrueux de Céline était ni plus ni moins qu’un prototype, les procès qu’on lui intentait (je parle ici des procès moraux, de la justice expéditive des citoyens en réseau) étaient en somme l’avant-garde.

En gros, la logique « c’est un salaud antisémite, il faut supprimer ses livres » a fait tache d’huile, est devenu un modèle de pensée engendrant au fil des ans et par émulation aussi bien « Roman Polanski est un salaud pédophile, il faut empêcher le public de voir son dernier film » que « J.K. Rowling est une salope transphobe, mort à Harry Potter » . Nous pouvons tirer des polémiques sur Céline d’insoupçonnés avertissements pour notre temps.

La pensée construite et complexe reste sur le carreau, la nuance meurt : chacun est essentialisé, blanc ou noir, gentil ou méchant, cancelleur ou cancellé. Les anathèmes et les appels à autodafé interdisent tout accès à la culture et toute possibilité d’aller vérifier soi-même sur pièces – on découvre alors que la culture et la nuance étaient finalement des synonymes. D’ailleurs, André Malraux, qui fut le premier ministre de la Culture de la Ve République était aussi une sorte de ministre de la Nuance quand il écrivait « Si Céline est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain » (1). Pauvre type et grand écrivain, en voilà de la nuance de base : deux cases juxtaposées, comment les concilier, de la matière à pensée totalement anachronique, inconcevable aujourd’hui.

Et à présent, un peu de promo et de bande-annonce.

En parfait opportuniste tel que vous me connaissez, j’ai profité de cet été pour réécrire de fond en comble le mini-livre que j’ai consacré à Céline, publié autrefois aux courageuses éditions pré#carré et aux bons soins de M. Hervé Bougel (excellente personne au demeurant) : Lettre au Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris. Cette lettre reparaîtra en avril prochain, revue et abondamment augmentée, aux courageuses éditions Le Réalgar et aux bons soins de M. Daniel Damart (excellente personne au demeurant). Car en plus d’être opportuniste je suis toujours obséquieux avec mes éditeurs (tel que vous me connaissez).

Ce livre, bien loin de faire l’impasse sur les affaires, ne manquera pas de s’interroger sur l’effet que Céline produit chez son lecteur, et se donnera notamment la peine d’aller interroger un lecteur juif de Céline. Ce livre prend tout Céline, mais par le petit bout de la lorgnette, par une anecdote, une simple page extraite de son œuvre que je monte en graine, une micro-énigme littéraire que je m’efforce de résoudre, infime mais infiniment révélatrice : pourquoi, dans la dernière scène de D’un Château l’autre (1957), Céline se fait-il interpeler par une vieille excitée sous le nom de Docteur Haricot ?

J’énumère méthodiquement treize hypothèses sur l’origine du sobriquet, treize pistes pour explorer treize recoins céliniens. Pourquoi ce nombre treize ? Pour raison d’arcane majeure, sans doute. Mais, puisque vous êtes ici et moi aussi, je veux bien vous en délivrer une quatorzième au pied levé. Considérez ce qui suit comme une scène coupée.

Lorsqu’il se ré-établit en tant que médecin à son retour en France en 1951, Céline est très affaibli, amaigri par les privations, l’exil et la prison. Son visage est émacié, son corps décharné. Or la taille haricot vert est une image argotique qui désignait cette sorte de silhouette. Et, incidemment, quinze ans plus tôt on trouvait cette métaphore employée par un docteur au détour d’un passage de Mort à Crédit (1936). Dans ce passage, Ferdinand raconte justement comment il est devenu médecin, en prenant exemple sur la pratique peu scrupuleuse, cynique et cependant compassionnelle (tu la sens, là, la nuance ? les deux cases à juxtaposer ? attrape si tu peux !) de son aîné, son cousin Gustin Sabayot. Je recopie ce passage à votre attention, et ce faisant je ris tout haut. N.B. : on a évidemment le droit de détester cette littérature, et de déployer force anathèmes contre elle ; mais l’argument lutte contre l’antisémitisme n’a pas ici de pertinence, ce serait une manipulation rhétorique de catégorie whataboutisme.

Gustin Sabayot, sans lui faire de tort, je peux bien répéter quand même qu’il s’arrachait pas les cheveux à propos des diagnostics. C’est sur les nuages qu’il s’orientait.
En quittant de chez lui il regardait d’abord tout en haut : «Ferdinand, qu’il me faisait, aujourd’hui ça sera sûrement des Rhumatismes ! Cent sous !»… Il lisait tout ça dans le ciel. Il se trompait jamais de beaucoup puisqu’il connaissait à fond la température et les tempéraments divers.
– «Ah ! voilà un coup de canicule après les fraîcheurs ! Retiens ! C’est du calomel tu peux le dire déjà ! La jaunisse est au fond de l’air ! Le vent a tourné… Nord sur l’Ouest ! Froid sur Averse !… C’est de la bronchite pendant quinze jours ! C’est même pas la peine qu’ils se dépiautent ! … Si c’est moi qui commandais, je ferais les ordonnances dans mon lit !… Au fond Ferdinand dès qu’ils viennent c’est des bavardages !… Pour ceux qui en font commerce encore ça s’explique… mais nous autres ?… au Mois ?… À quoi ça rime ?… je les soignerais moi sans les voir tiens les pilons ! D’ici même ! Ils en étoufferont ni plus ni moins ! Ils vomiront pas davantage, ils seront pas moins jaunes, ni moins rouges, ni moins pâles, ni moins cons… C’est la vie !…» Pour avoir raison Gustin, il avait vraiment raison.
– «Tu les crois malades ?… Ça gémit… ça rote… ça titube… ça pustule… Tu veux vider ta salle d’attente ? Instantanément ? même de ceux qui s’en étranglent à se ramoner les glaviots ?… Propose un coup de cinéma !… un apéro gratuit en face !… tu vas voir combien qu’il t’en reste… S’ils viennent te relancer c’est d’abord parce qu’ils s’emmerdent. T’en vois pas un la veille des fêtes… Aux malheureux, retiens mon avis, c’est l’occupation qui manque, c’est pas la santé… Ce qu’ils veulent c’est que tu les distrayes, les émoustilles, les intrigues avec leurs renvois… leurs gaz… leurs craquements… que tu leur découvres des rapports… des fièvres… des gargouillages… des inédits !… Que tu t’étendes… que tu te passionnes… C’est pour ça que t’as des diplômes… Ah ! s’amuser avec sa mort tout pendant qu’il la fabrique, ça c’est tout l’Homme, Ferdinand ! Ils la garderont leur chaude-pisse, leur vérole, tous leurs tubercules. Ils en ont besoin ! Et leur vessie bien baveuse, le rectum en feu, tout ça n’a pas d’importance ! Mais si tu te donnes assez de mal, si tu sais les passionner, ils t’attendront pour mourir, c’est ta récompense ! Ils te relanceront jusqu’au bout. »
Quand la pluie revenait un coup entre les cheminées de l’usine électrique : «Ferdinand ! qu’il m’annonçait, voilà les sciatiques !… S’il en vient pas dix aujourd’hui, je peux rendre mon papelard au Doyen!» Mais quand la suie rabattait vers nous de l’Est, qu’est le versant le plus sec, par-dessus les fours Bitronnelle, il s’écrasait une suie sur le nez : «Je veux être enculé ! tu m’entends ! si cette nuit même les pleurétiques crachent pas leurs caillots ! Merde à Dieu !… Je serai encore réveillé vingt fois !…»
Des soirs, il simplifiait tout. Il montait sur l’escabeau devant la colossale armoire aux échantillons. C’était la distribution directe, gratuite et pas solennelle de la pharmacie…
– «Vous avez des palpitations ? vous l’Haricot vert ? qu’il demandait à la miteuse. – J’en ai pas !… – Vous avez pas des aigreurs ?… Et des pertes ?… – Si ! un petit peu… – Alors prenez de ça où je pense… dans deux litres d’eau… ça vous fera un bien énorme !… Et les jointures ? Elles vous font mal !… Vous avez pas d’hémorroïdes ? Et à la selle on y va ?… Voilà des suppositoires Pepet !… Des vers aussi ? Avez remarqué ?… Tenez vingt-cinq gouttes miroboles… Au coucher !…»

En coda, un dessin d’actualité de Willem :

Willem, Charlie Hebdo, 18 août 2021

(1) – Lettre d’André Malraux à Claude Gallimard, 26 mai 1951. Malraux intercède pour que la maison Gallimard réédite les romans d’avant-guerre de Céline.

« Mon cher Claude,
Je crois que Céline a une grande envie de passer chez vous ; je crois par ailleurs que ce qu’on lui reprochait sur le plan personnel était faux ; et, sur le plan littéraire, l’amnistie semble maintenant certaine, quel que soit le résultat des élections.
Inutile de vous dire que je m’en fous complètement, car je crois qu’il m’a naguère couvert d’injures (que je n’ai d’ailleurs pas lues…). Mais si c’est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain. Donc, si vous voulez que je vous le fasse parachuter, dites-le-moi.
Bien à vous,
Malraux »

C’est une blague ou quoi ? (Cancel la Cancel, 3/5)

15/09/2021 Aucun commentaire
Joe Heller | Copyright 2020 Hellertoon.com

Il convient plus que jamais de rester attentif et concentré parce que les manifestations de la cancel culture sont parfois tellement outrancières qu’elles ressemblent à une grosse blague… On se dit Non, c’est pas vrai ? Hélas, c’est vrai.

La cancel culture qui, lorsqu’elle se préoccupe de liquider la littérature, se nomme également #DisruptTexts, est cette pulsion de purge, de destruction et d’oubli qui jette à la poubelle des « écrivains morts blancs racistes » aussi toxiques et négligeables que Dante, Shakespeare ou Homère (ainsi, une professeure de littérature du Massachusetts s’est vantée d’avoir cancelé l’Odyssée, dont l’épisode entre Ulysse et Nausicaa participerait de la culture du viol… Hein, c’est une blague ? Eh bien, non)… On supprime, aussi bien, des écrivaines blanches encore un peu vivantes mais coupables d’un tweet qui, sans être transphobe, a l’impardonnable tort de ne pas être protrans.

J’explicite cet exemple, propre à éclairer une anecdote qui émaillera ci-dessous mon propos : JK Rowling, l’autrice d’Harry Potter, s’est mêlée en décembre 2019 (qu’est-ce qui lui a pris ???) d’apporter son soutien à une scientifique licenciée pour avoir tenté de nuancer les gender studies en affirmant simplement « Le sexe est réel » ; la même Rowling a rechuté quelques mois plus tard en ironisant (quelle erreur stratégique !!!) sur le vocabulaire employé par les tenants du nouveau politiquement correct totalitaire :

«Les personnes qui ont leurs règles. Je suis sûre qu’il existait un mot pour ça. Quelqu’un peut m’aider, Wumben ? Wimpund ? Woomud ?»

Solidarité avec une victime d’épuration + ironie = deux crimes irrémissibles. Rowling a immédiatement subi un lynchage électronique, s’est fait traiter d’ignoble transphobe récidiviste et a subi un tsunami d’appels au boycott définitif de ses bouquins, y compris émanant d’acteurs ayant joué dans la saga Harry Potter.

Voici notre époque, voici notre air ambiant : une saga littéraire et cinématographique qui a contribué à construire psychologiquement et culturellement les deux ou trois dernières générations serait purement et simplement annulée, effacée des mémoires et des bibliothèques, comme si elle n’avait jamais existé. Remplacée par quoi ? Par rien, sinon la joie répugnante du ressentiment accompli et un tétanisant et frelaté sentiment de pureté, stérile comme de l’eau de Javel.

La cancel culture, littéralement culture de l’annulation, est une culture de la censure, une culture de la suppression, une culture de l’amnésie, une culture de l’ignorance (oxymore). Aussi, appeler culture une telle anticulture est une antiphrase digne d’Orwell (rappelons que dans 1984 le ministère de la propagande s’appelait Ministère de la Vérité, celui de la guerre, évidemment, Ministère de la Paix, celui de la répression Ministère de l’Amour, etc.). D’ailleurs, Gérard Biard définit la Cancel Culture comme « 1984 à Disneyland » et l’image est magnifiquement trouvée : le totalitarisme par l’oppression de la pensée elle-même, installé au pays de la candeur infantile et de la pureté morale en plastoc. Mais pour que la génération à venir goutte le sel d’une telle expression à double référence, encore faudra-t-il veiller à ce que ne soit cancelés de la mémoire humaine ni 1984 (livre très discriminant envers les communistes et qui fit de la peine à maints staliniens) ni Disneyland (rappelons que Walt Disney était un odieux exploiteur capitaliste et une balance maccarthyste, raciste, antisémite et misogyne… Mais bon, Disneyland en revanche est un safe space, pays de rêve, paradis perdu… où toutefois, si l’on cherche la petite bête, l’on peut voir une souris promener son chien, ce qui ne peut qu’offenser un animaliste radical quelque part dans le monde).

Quelle répartie possible ? Comme l’essayiste américain Thomas Chatterton Williams, j’estime qu’il faut lutter à la fois contre la cancel culture, et contre les préjugés (réels) que dénoncent ses tenants, en ajoutant plutôt qu’en supprimant.

« Je crois qu’il faut ajouter plutôt que supprimer. Il ne faut pas faire comme si Colbert n’avait jamais existé et déboulonner sa statue. En revanche, on pourrait par exemple ériger une statue de Toussaint Louverture. Il faut parler aussi des personnes dans leur complexité. Churchill est un héros de la Seconde Guerre mondiale, mais il était aussi raciste envers les Indiens, il ne faut pas avoir peur de parler d’une personne dans son entièreté. « 

L’idée de ce contrepoison est simple et géniale. Plutôt que de faire crever la dialectique et la pensée par un cul de sac thèse/cancellation de la thèse/nouvelle thèse totalitaire, rêver d’un débat potentiellement sans fin, thèse/antithèse/antithèse/antithèse/antithèse… Appliquée au champ littéraire, la méthode serait : allez-y les gars et les filles, ou même les filles les gars et les non-genrés pas binaires pour ne vexer personne, on vous regarde, écrivez, racontez, inventez, produisez des récits équivalents à Dante, Homère, Shakespeare ou Rowling mais conformes à vos valeurs, faites-nous rêver et réfléchir et puis on en rediscute (bon courage, hein).

Préférer construire plutôt que détruire. Si c’est détruire que tu veux, ce sera sans moi, voilà qui me remet en tête un texte écrit par un fameux maître à penser de la seconde moitié du XXe siècle :

You say you want a revolution
Well, you know
We all want to change the world
You tell me that it’s evolution
Well, you know
We all want to change the world
But when you talk about destruction
Don’t you know that you can count me out

Mais voilà que sur ces entrefaites un ami bibliothécaire, officiant dans une petite ville de 8000 habitants, me transfère, effaré, un courriel tombé comme un crachat dans sa boîte professionnel :

Bonjour,
Étant nouvel.le habitant.e. sur [la commune], je voulais m’inscrire à la bibliothèque.
Or, au vu de plusieurs ouvrages problématiques présents dans vos rayons je ne pourrai pas prendre mon adhésion.
Je vous rappelle que nous sommes en 2021, que la lutte antirasciste, négrophobe, lgbtqi+ phobe, et anti-islamophobe avance à grand pas aujourd’hui.
Il est donc inacceptable de trouver des ouvrages tels que les suivants dans vos rayons (autant jeunesse qu’adulte) et dans un établissement de service public :
White [de Bret Easton Ellis], bien que l’auteur soit homosexuel, qui glorifie l’homme blanc occidental
– La saga des Harry Poter dont les positions transphobes de l’autrice ne sont plus à prouver
Alma de Timothée de Fombelle ou l’auteur se met dans la peau d’une enfant esclave noire ce qui est largement déplacé pour un homme blanc occidental, certain sujet n’appartienne qu’aux personnes concernées par l’oppression mises en question.
La Gauche identitaire, l’Amérique en miettes de Marck Lila et La gauche contre les lumière de Stéphanie Roza qui insultent la pensée intersectionnelle.
– Je passe sur les ouvrages pleurnicheurs des survivants de l’attentat contre Charlie Hebdo comme Catherine Meurise et Phillipe lançon dont la ligne du journal islamophobe, lgbtqi+phobe n’est plus à prouver non plus.
– Les ouvrages de Leila Slimani, une native informant
– Et enfin la multitude d’ouvrages jeunesse et/ou film faisant de la réappropriation culturelle et notamment les livres d’Anthony Brown par rapport aux gorilles ou la présence d’un film comme Kirikou et la sorcière dans vos rayons dvd sont complétement inappropriés dans le monde d’aujourd’hui.
De plus vous n’avez aucun ouvrage décolonial par exemple de Françoise Verges ou de Houria Bouteljat dans vos rayons, ce qui est un véritable angle mort dans votre catalogue.
Et vos ouvrages féministes semblent s’arrêter à la prose précieuse de Joyce Carol Oates et d’Annie Ernaux.
Tous ces ouvrages problématiques et le manque de perspectives féministe et/ou décoloniale de la bibliothèque sont des raisons suffisamment importantes et graves pour canceler votre établissement.
J’envoie évidemment ce mail en copie au maire et à l’élue à la culture.
Je ne vous salue pas.
Sacha, lectrice engagée

Je suis sidéré à mon tour, indigné, pour tout dire terrorisé, j’en ai des palpitations. Incapable de garder pour moi cette grenade dégoupillée, je fais immédiatement suivre à tout mon carnet d’adresses, collègues bibliothécaires et autres gens de culture, sur le mode Non mais rendez-vous un peu compte dans quel monde vivons-nous au secours.

Non ? c’est pas vrai ? c’est une blague ? Ben oui, pour le coup, c’était une blague. Un poisson d’avril extrêmement réussi et pernicieux puisque crédible, la réalité juste augmentée d’un cran. Au fond le canular fonctionne comme un rêve, il extrapole le réel pour préparer à la suite. Une fois le poteau rose découvert il m’a fallu ré-envoyer une salve de messages à mon carnet d’adresses pour m’excuser d’avoir crier au loup alors que ce n’était qu’un poisson. Je suis passé pour un con, mais tant pis, je préfère. J’hésite à féliciter ou à engueuler l’auteur de la supercherie… Tout bien réfléchi les félicitations sont de mise si je suis cohérent avec ce qui précède : le farceur n’a pas annulé mais bel et bien ajouté, il a été créatif, il a produit une bonne histoire. Je me suis contenté de lui demander l’autorisation de reproduire son texte ici.

Le zèle des mythos (Cancel la Cancel, 2/5)

08/09/2021 Aucun commentaire
Cérémonie animée par le Conseil Scolaire Catholique Providence (Sud Ouest de l’Ontario) : on brûle les livres censurés et la cendre est ensuite utilisée comme compost pour planter des arbres. Attention, faut pas se moquer des rituels locaux, ce serait de la discrimination, faut respecter.

La « cancel culture » est une peste de notre temps. (cf. épisode 1)

Le génocide amérindien s’est poursuivi pendant quatre siècles au Canada et on prend à peine la mesure de l’actualité de ce massacre planifié (tout l’été 2021 ont été exhumés des cadavres de jeunes autochtones à proximité des pensionnats catholiques conçus pour les désensauvager…) – détails ici.

Et en réaction à ce scandale permanent, faute de réflexion réelle et de prise de conscience, faute d’aggiornamento politique, social, économique et religieux, que fait-on ? On détruit par le feu quelques livres jugés « inappropriés » ! Parmi les condamnés : Tintin, Astérix, des documentaires illustrés qui ont le toupet de montrer des Amérindiens torse nu (non mais de quel droit ?), voire d’utiliser le mot dégradant amérindien, ou des romans ayant eu, à une autre époque, la prétention de mettre en scène des personnages issus de ces peuples alors même que leur auteur est aussi blanc que Jacques Cartier, par conséquent au minimum complice et bénéficiaire de stigmatisation et de racisme.

(Tintin, je dis pas, les stéréotypes racistes y sont avérés, et au premier degré, sans humour, mais Astérix ??? Astérix est un chef d’oeuvre de déconstruction des stéréotypes, notamment nationaux, grâce à l’humour qui met à distance. Le brûler, c’est se priver d’un puissant outil intellectuel : la distance, c’est très grave et c’est hélas très contemporain. Si ce n’est déjà fait, on condamnera bientôt Iznogoud pour islamophobie.)

Un autre livre intitulé Les Indiens, publié en 2000, a été jeté au recyclage pour avoir été écrit en France, sans consultation des communautés autochtones du Canada. Suzy Kies, autoproclamée « gardienne du savoir » autochtone et, en tant que coprésidente de la Commission autochtone du Parti libéral du Canada, responsable acharnée de ces mises de livres au bûcher, a établi une sévère ligne à ne pas franchir (on n’ose pas dire une ligne rouge, à tous les coups ce serait mal perçu) : « Jamais à propos de nous sans nous » .

Quelle misère intellectuelle, quelle pénible odeur d’inquisition. Je me fais une raison, Ainsi parlait Nanabozo, roman éminemment inapproprié ne fera jamais carrière au Canada. Je tirerais même un grand orgueil qu’il brûle dans le même autodafé qu’Astérix.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Elle connaît ces jours-ci un rebondissement inattendu, du genre qui fait le sel de toutes les bonnes histoires de tartuffes.

Intéressant cas de psychopathologie : il vient d’être révélé que la sus-nommée Suzy Kies, grande inquisitrice et maîtresse de cérémonies des feux de joie purificateurs, n’a, après vérification, aucun ancêtre amérindien sur au moins 7 générations. Alors que le site web de son parti la présente comme « une autochtone urbaine de descendance abénaquise et montagnaise [ancien terme désuet pour innu] ». Celle qui détruit les livres en proclamant, la main sur le cœur, « Les enfants dépendent de nous pour leur dire ce qui est vrai ou faux, ce qui est bien ou mal » est une impostrice (imposteuse ?) maladive, rongée par on ne sait quelle névrose de culpabilité et de justice à rendre.

Après le fameux « zèle des convertis », voici le temps du « zèle des mythomanes ». On n’a pas fini de rire jaune.