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Archives pour la catégorie ‘En cours’

« Mage-Astre », comme il disait

08/08/2023 Aucun commentaire

Il se présentait à l’occasion comme Mage-Astre, lorsqu’il lui fallait rappeler que les noms sont tout sauf innocents. Et d’ailleurs il racontait, pour peu qu’on l’encourageât un peu, qu’il avait assisté au séminaire de Lacan à une époque où le défrichage du savoir était un peu plus épique et sauvage qu’aujourd’hui.

Aujourd’hui 8 août 2023 auront lieu à Grenoble les funérailles de Jean-Olivier Majastre. Je ne serai pas présent mais je songerai très fort à cette figure locale, à sa pensée si originale, à sa voix bégayante mais farceuse, à sa silhouette longiligne que je ne croiserai plus dans les rues, poussant son vélo et ayant toujours, comme par hasard, une chose intelligente à me dire.

Comme je l’ai avant tout connu en tant que professeur de sociologie durant mon cursus, j’admirerai sans fin ce vieil excentrique qui avait réussi à s’insérer dans un parcours académique tout en restant libre, capable de publier une Approche anthropologique de la perception aussi bien qu’une déclaration d’amour aux vaches. Tous les professeurs de liberté (en plus de sociologie) sont bons à prendre.

Je reproduis ci-dessus ses 36 choses à faire avant de mourir éditées (et diffusées sur les réseaux, merci) par Hervé Bougel. Le point 32 est un hommage à son fidèle vélo et j’en suis tout attendri.

J’écris pour savoir ce que j’ai à dire (Dossier M, 4)

02/08/2023 Aucun commentaire

Deux lecteurs sur un banc.
Fondation Jean-Michel Folon, Château de La Hulpe, Belgique, août 2023.

Je ne sais pas ce que lit mon ami, mais quant à moi, on peut voir facilement en agrandissant la photo que j’en suis au tome 4 du Dossier M, Grégoire Bouillier, et je ne vois pas le temps passer. Je suis en telle empathie que je pourrais m’asseoir à côté d’un rocher, d’un arbre, d’un chien, d’un bloc de fonte ou même du premier con venu mon semblable mon frère, du moment qu’il s’assiérait pour lire en silence à mes côtés, il serait mon ami et la fraternité est ce que j’éprouve d’abord quand je lis Bouillier, la sympathie au sens dur.

Ce 4e volet est dédié À qui n’en aura jamais assez. Les trois premiers l’étaient À qui en veut ; À qui en veut encore ; À qui en veut toujours. C’est dire si je prends pour moi la dédicace, à mon niveau personnel des choses : j’en veux. J’ai beau avoir laissé passer plusieurs mois depuis la lecture du précédent, dès la première page c’est parti, comme si je me branchais sur le secteur, le voltage reste le même.

La couverture noire annonce la couleur, nous sommes à présent dans une stase de dépression. C’est de tous les volumes celui qui fait le plus de sur-place et pour cause (« la vie qui les résume toutes sans être elle-même une vie, n’est pas une vie, non, pas une vie mais une solitude, une immobilité » p. 306). Pourtant Bouillier reste drôle, et palpitant quoi qu’il raconte, y compris quand il ne se passe rien, parce que même quand il ne se passe plus rien, il se passe toujours quelque chose en lui, par conséquent en son lecteur.

Je prélève un extrait particulièrement remuant, en lui et en moi, p. 189, survenant après des pages et des pages de dérive solitaire et morfondue sur une plage bretonne, d’idées fixes et de coq-à-l’âne, de ruminations sur la fatalité de l’idiosyncrasie ou sur l’édifiante tragédie de Donald Crowhurst (feuilleton enchâssé dans le feuilleton) :

Je ne sais pas trop pourquoi je viens d’écrire ces lignes. Les ai-je écrites ? À quel propos ? Quel intérêt ? Je ne sais pas. J’écris pour savoir ce que j’ai à dire. Et pour éprouver, au détour d’une phrase, si possible, un orgasme au-dessus de la ceinture m’indiquant que je suis dans le vrai, qu’une pensée vient de gicler et d’illuminer mon ciel (ce qui n’arrive pas souvent). Et pour passer le temps aussi. J’en avais pris pour dix ans et je commençais à parler tout seul, surtout en marchant sur la plage. Je n’avais plus que moi à qui m’adresser. À qui m’en prendre.
En cet été 2005, quelque part en Arizona, à soixante-dix-huit ans, décédait Elisabeth Kübler-Ross, psychologue célèbre pour avoir identifié cinq stades bien distincts par lesquels, selon elle, passe quiconque se trouve confronté à une « perte irréparable » : 1. Le déni (ce n’est pas possible, j’y crois pas !) ; 2. La colère (monde de merde ! Hello Monsieur Gicle) ; 3. Le marchandage (trouvons un arrangement) ; 4. La dépression (à quoi bon tout ça finalement… Hello pot de rillettes) ; et, enfin, 5. L’acceptation (bah, c’est la vie. De toute façon, on va tous mourir alors à quoi bon s’en faire).
C’est cool de posséder une carte de la dépression sur laquelle se reposer. C’est bien utile pour savoir où on en est de son existence et comment avancer, se sortir de la mouise, dénouer ses chakras, etc. C’est rassurant, j’imagine.

Pour qui en voudrait encore, mais surtout pour qui danse cet été, ou qui fait danser sur des musiques (néo-)trad, suivez mon regard, je signale que juste après ce passage, aux pages 196 à 199, Bouillier sort de sa sinistrose en assistant à un bal breton, dont il fait un long éloge extatique :

J’ai sous les yeux la preuve que des communautés humaines sont possibles. De toute mon âme j’éprouve un désespéré sentiment de réconciliation.

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Épisodes précédents, archives au Fond du Tiroir :

Dossier M, zéro
Dossier M, 1
Dossier M, 2
Dossier M, 3

Me restent sous le coude les 5 et 6. Encore six mois, je dirais. Je ne sais pas encore qui va prendre le dessus, entre la tentation de connaître la fin et celle de faire durer le plus possible.

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En attendant, délice de la synchronicité et des coïncidences littéraires : sitôt refermé ce Dossier M 4, j’ouvre le formidable essai poétique de Corinne Morel Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, sous-titré Réflexions sur l’effondrement (ed. Libertalia, 2021). Il s’agit moins d’un manuel collapsologue et survivaliste comme son titre pourrait le laisser entendre que d’une réactualisation pour notre époque désastreuse de deux idées libertaires essentielles, la rupture avec la servitude volontaire et le refus de parvenir.

Dossier M vs. Plutôt couler en beauté : bien sûr ces deux livres n’ont rien à voir. Pourtant ils passent entre les mêmes mains (les miennes), se déroulent dans le même monde (le mien), dès lors comment s’étonner qu’ils brassent les mêmes références : ils se fondent tous deux sur la mythique première course autour du monde en solitaire de 1968-1969, sans escale et sans assistance extérieure, organisée par le Sunday Times, compétition sportive qui devient ici comme là métaphore de la compétition tout court, de la rat race qui est notre air ambiant.
Parmi les concurrents, Bouillier choisit comme « héros » , comme compagnon de route imaginaire, Donald Crowhurst, loser fabuleux ; Morel Darleux choisit Bernard Moitessier, dont elle fait l’incarnation du refus de parvenir. Aucun des deux n’a gagné.
Les deux écrivains recomposent noir sur blanc les itinéraires, essentiellement intérieurs, des deux navigateurs solitaires.
Chacun des deux a une histoire, une réaction face à la compétition, un combat contre soi-même plutôt que contre les autres. Combat perdu d’avance pour l’un, drawing dead, échappée vers la folie et la mort. Combat glorieux parce qu’il refuse justement la gloire pour l’autre, échappée vers le retrait élégant et la vie. Il n’y a pas photo sur la ligne d’arrivée qu’ils ont tous deux désertée.
Deux histoires qui méritent d’être racontées davantage que celle, finalement assez plate, du vainqueur, un troisième homme dont l’épopée fait sûrement l’objet d’un troisième livre que je ne lirai pas.

I’m just a sweet transvestite

01/08/2023 Aucun commentaire
Jessica DeBoisat au naturel
Jessica DeBoisat prépare sa séance de shooting
Jessica DeBoisat en trop-trop-trop gros plan.
Jessica DeBoisat au selfie dans le miroir
Jessica DeBoisat à l’oeil qui tue ! Et sa coiffeuse à l’arrière-plan.
Jessica D. et sa besta Laurence M.
Rubrique people : un selfie de Jessica DeBoisat aux côtés de son autrice préférée (dont elle n’a lu aucun livre), Mano Gentil

Il est jeune, il est pâle ― et beau comme une fille.
Ses longs cheveux flottants d’un nœud d’or sont liés,
La perle orientale à son cothurne brille,
Il danse ― et, secouant sa torche qui pétille,
À l’entour de son cou fait claquer ses colliers.
Louis Bouilhet, Étude antique

Je reviens d’Arles. Comme chaque été je me suis régalé la rétine des Rencontres photographiques, qui transforment la région en infini territoire de cimaises. Quatre jours d’orgie scopique, une dizaine d’expos quotidiennes minimum, un horizon complet d’images sur lesquelles (se) réfléchir au lieu que de se cogner contre, à chaque porte poussée le risque d’être curieux, indifférent, ébahi ou enthousiaste. Le pass à 40 balles pour au moins 50 risques, ça nous fixe le risque à une fraction d’euro, le prix devient symbolique, idéal comme un paletot.

Enthousiasme il y eut, oh oui, et nombre de fois ! Avec des merveilles dans tous les genres, c’est parti pour le feuilletage à toute berzingue du catalogue : le reportage (les archives photojournalistiques de Libé à Montmajour) ;
la réalité la plus actuelle dans ta face (La chasse à la Tarasque de Mathieu Asselin) ;
au contraire, la pure fiction, minutieusement mise en scène dans des grands formats époustouflants (Gregory crewdson, quelle claque) ;
l’autobiographie recomposée (Zofia Kulik, géniale, ou Lina Geoushy, pas mal non plus) ;
le happening expérimental explorant la mémoire d’un lieu (Entre nos murs des Iraniens Sogol & Joubeen) ;
l’archive retrouvée (Ne m’oublie pas, expo de photos d’identité de portefeuilles, ressuscitées d’une époque où l’on n’avait qu’une seule photo précieuse et pliée au fond de la poche au lieu de milliers d’images dévaluées dans son téléphone) ;
l’art contemporain, conceptuel et pourtant primitif, chamanisme au cœur de la forêt amazonienne (Roberto Huarcaya) ;
l’hommage au cinéma, ce frère esthétique (Agnès Varda est présente en trois endroits mais surtout pour les photos de repérage de son premier film La Pointe Courte, car elle a toujours été photographe même quand elle est devenue cinéaste) ;
le pouvoir conjoint de l’image et de la littérature (Paul Auster & Spencer Ostrander) ;
le projet encyclopédique dingo et pince-sans-rire (Soleil gris de Eric Tabuchi et Nelly Monnier) ;
ou la rétrospective de toute une carrière discrète et opiniâtre (Saul Leiter, flamboyante découverte)…

Bizarrement ou pas, l’une des seules expos me laissant de marbre est celle présentée comme le must absolu toutes catégories, la rétrospective Diane Arbus. Or elle m’est apparue jetée en vrac, avec un système d’accrochage opaque et radin, une totale absence d’accompagnement, un côté démerdez-vous avec ça et si ça ne vous plaît pas c’est vous qui n’êtes pas à la hauteur, je n’y ai rien vu du tout, je l’ai traversée en aveugle, rendez-vous manqué. À tout prendre, on approche de bien plus près la personnalité de Diane Arbus en regardant le faux biopic Fur de Steven Shaiberg, film parfaitement fantaisiste mais sensible.

Et quant à celle que j’élirais mon expo 2023 préférée… Ce n’est pas commode, mais… je crois que ce serait Casa Susanna.

Quelle extraordinaire boîte de Pandore que ce carton d’archives rescapées des années 60, ces centaines de photos qui témoignent d’une société secrète, underground et hors-la-loi : la confrérie travestie secrète américaine, en pleine période du triomphe de l’American Way of Life, où John Wayne était l’homme, Marilyn Monroe la femme, et les vaches étaient bien gardées par les cowboys !

Casa Susanna, qui doit son nom à mademoiselle Susanna, alter-ego féminin de Tito posant sur la photo ci-dessus, a été pendant plus d’une décennie le nom d’un refuge clandestin pour hommes qui avaient en eux un alter-ego féminin. Un paradis, niché dans les Catskills au nord de l’état de New-York, un club archi-privé pour certains hommes qui se contactaient par les petites annonces du fanzine Transvestia, et se retrouvaient là, soulagés de découvrir qu’ils n’étaient plus, chacun, seul au monde. Ainsi une communauté émerge.

Le documentaire du même titre sur Arte, assez émouvant (comment ne pas être sensible à l’histoire d’amour entre Tito-Susanna et sa femme Maria, indéfectiblement unis jusqu’à ce que la mort les emporte tous deux, à une semaine d’intervalle) mais joue trop sur la fibre psychologique, et mélodramatique. J’ai ressenti une plus grande palettes d’émotions devant l’expo qui, composée de simples images, raconte l’histoire de façon plus brute, et plus sociologique. Elle montre des hommes lassés de paraître des hommes, ne pouvant s’épanouir qu’avec des perruques, du maquillage, des bijoux, des robes de satin et des talons aiguilles. Se préparant pour le bal ou pour les fourneaux, car on peut être coquette tout en tenant son ménage.

Et qui se prennent en photo. Et comme ils ont l’air heureux, sur ces photos ! Car ainsi, pour un instant seulement, derrière les volets clos de la Casa Susanna, le miracle opère : même ceux qui ne sont pas beaux sont belles. Belles d’être ensemble : la sororité vaut mieux que la fraternité (je sais de quoi je cause, j’ai été militaire), j’en suis convaincu à un point tel que si les féministes s’avisaient de prétendre modifier la devise de la République, je ne m’y opposerai pas.

Ces documents historiques sont stupéfiants et en même temps brûlants comme de la TNT, ils remplissent toutes les fonctions de la photo : ils attestent de l’existence de ces personnes (et de leur beauté) mais ils auraient pu, en de mauvaises mains, cesser d’être un souvenir enchanté et devenir une dangereuse pièce à conviction, leur valoir un sort affreux, la fin de leur vie sociale, et tout simplement la prison. Les multiples valeurs de ces photos, pourtant amateures, leur donnent leur indéniable place dans une expo des Rencontres Photographiques d’Arles.

Comment faut-il appeler ces personnes ? Des travestis ? Des transformistes ? Des drags (acronyme de DRessed As Girls) en attente d’être couronnés queens ? Des cross-dressers ? Des invertis ? En tout cas, ils ne s’appellent pas encore des LGBTQI+++ et d’une certaine manière, tant mieux, car il y avait là une certaine forme d’innocence qui disparaîtra lorsqu’il faudra coller une initiale sur chacun. L’histoire que raconte l’expo d’Arles se termine dans l’aigreur, quand d’une part la révolution féministe en marche rend caduc le modèle stéréotypé de la femme à laquelle ces hommes veulent ressembler ; quand, surtout, la belle unité et la convivialité de cette proto-communauté explosent, et que des antagonismes, voire des haines se révèlent, certains éléments radicaux estimant que s’habiller en femme est un plaisir d’homme hétérosexuel pur, et que tous les autres cas (les gays, les transsexuels en attente de transition) sont des monstruosités. Déchirements entre chapelles. On est loin, d’un seul coup, des sourires et de la joie de vivre de la Gay Pride. On est loin de la tolérance, on retombe dans l’intolérance et cela ne servira de leçon à personne.

Mais il est temps de faire mon propre coming-out. Moi aussi j’ouvre et je partage sous vos yeux, en tête de cet article, mon vieil album photo. Moi aussi j’avais un alter-ego féminin. J’avais Jessica comme Tito avait Susanna. Si j’ai tant de bienveillance pour ces personnes c’est que j’ai vaguement fait partie de leur bande, moi aussi j’ai pensé qu’il n’y avait rien de plus beau et de plus désirable qu’une femme, alors j’ai voulu franchir le pas, m’approprier la beauté et le désir. Certes, dans mon cas, ce n’était qu’une blague (mais attention, j’étais sérieux comme une blague). Sans vouloir balayer les tourments psychologiques qui peuvent être associés au travestissement, je peux témoigner qu’existe aussi la pure joie carnavalesque d’être (d’être enfin !, mais d’être temporairement, car tous les états sont temporaires), quelqu’un d’autre, parce qu’il est trop pesant d’être tout le temps la même personne, parce que l’identité assignée est un fardeau. Changer, littéralement, de rôle. Marcher dans d’autres chaussures, eussent-elles des talons. Renversement salutaire. Mon outrance, mon stéréotype, ma caricature peut-être, mais mon empathie, et ma tolérance. Essayez, vous verrez. On se croise dans la prochaine gay pride ?

Peace and love,

Jess

Rrose Selavy, alias Marcel Duchamp, 1920. Photo : Man Ray.

Visage humain

31/07/2023 Aucun commentaire

Joli portrait de ma personne capturé par François Raulin, qui a mitraillé tous les membres de Micromegas. Et tout le monde est beau. Même moi je me trouve beau, parce que la beauté est dans l’œil (et dans l’appareil photo) de celui qui regarde. Merci François !
(Et même qu’à côté de moi c’est Christine Ebel et bien sûr Christine est belle)

Est-ce que ce qui suit a le moindre rapport avec ce qui précède ? Moi je le vois très bien, vous vous débrouillerez.

On ne lit pas tous les jours des livres croates. Sauf peut-être si l’on est croate. Mais je n’ai pas cet honneur, et je viens de lire non pas un mais trois albums, coup sur coup, de Miroslav Sekulic-Struja : les deux tomes de Pelote dans la fumée, puis Petra & Liza, tous trois chez Acte Sud.
Et quel choc, les amis ! Quel prodige de narration, quel sens du détail autant que de la fresque, quelle expressivité pour ne pas dire quel expressionnisme dans chaque case qui pourrait être un tableau (Sekulic est peintre avant d’être auteur de bandes dessinées), quelle humanité triste mais musicale, quelle âpreté dans ces chroniques souvent misérables mais jamais misérabilistes, parce que poétiques, et même, parfois, comme un coin de ciel qui par miracle s’éclaircit, heureuses. Heureusement que Petra & Liza est une histoire d’amour, on respire mieux à certaines pages.

C’est de la bande dessinée à son plus haut point d’exigence : à la fois de la peinture et de la littérature sans rien lâcher d’aucun côté, sans que l’un soit le simple instrument de l’autre. De quoi remettre la Croatie sur la carte des livres.

« Now we are all sons of bitches. » (Kenneth Bainbridge)

30/07/2023 Aucun commentaire

Vu Oppenheimer de Christopher Nolan hier soir. Je redoutais une prise de tête absconse de type Tenet, du même… Mais non, heureusement ce film-ci, quoique difficile, est beaucoup plus incarné, humain, et d’autant plus humain que le sujet du film est inhumain. Les personnages existent et les acteurs excellent à les faire exister loin de la binarité sympathique / antipathique.
La dernière demi-heure m’a semblé trop longue et trop bavarde, avec une façon de retourner l’intrigue sur elle-même à coups de flashbacks qui est la signature même de l’auteur (idem Tenet, Interstellar, Inception, jusqu’au matriciel Memento : comment complexifier au maximum une situation déjà pas simple), mais je suis prêt à admettre que la longueur venait de moi, j’étais crevé.

Le pitch pourrait être résumé ainsi : Projet Manhattan, Gadget, Trinity, le 16 juillet 1945 à 5h 29 mn du matin, à White Sands, Nouveau-Mexique (USA), l’axe du monde (et du film) est coupé en deux par une main humaine, une force mauvaise est libérée à la surface de la terre, elle ne retournera jamais d’où elle vient (le néant), et l’Histoire des humains en est changée à jamais.

Or… Ce pitch s’applique littéralement à autre chose… Il est, aussi bien, le résumé de « Gotta light ? » , le sidérant 8e épisode de la saison 3 de Twin Peaks par David Lynch.
Je crains que la comparaison ne soit pas en faveur de Nolan : celui-ci ne serait qu’un laborieux dialoguiste à côté de Lynch, poète visuel, peintre, photographe, homme d’images qui se passent du moindre mot pour faire ressentir un vertige historique et métaphysique.

Illustration ci-dessus : photogramme de Twin Peaks, saison 3, épisode 8. Le 16 juillet 1945 à 5h 29 mn du matin, à White Sands, Nouveau-Mexique (USA), l’axe du monde est coupé en deux par une main humaine, une force mauvaise est libérée à la surface de la terre, et elle s’appelle Bob.

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(Autre référence : Eternals de Chloé Zhao qu’il ne faudrait pas balayer d’un revers de manche sous prétexte qu’il n’est qu’une émanation de Marvel Studios, et par conséquent le film le moins personnel de son autrice. D’abord, il s’agit d’une extrapolation à partir de l’imagination de Jack Kirby, par conséquent digne d’intérêt ; ensuite et surtout, parce que cette idée que la bombe atomique a changé l’histoire de l’humanité, délimitant pour toujours un avant et un après, est très prégnante, à travers le personnage tragique de Phastos, ce dieu-ingénieur incarnant l’ingéniosité prométhéenne, pour le meilleur et le pire. Il me semble d’ailleurs que le champignon atomique se trouve pile au mitan du film.)

Spécial Origines

24/07/2023 2 commentaires

Lorsque j’étais étudiant en sociologie à Grenoble dans les années 90, l’un de mes camarades de promo s’appelait Gérald Bronner. Je ne le côtoyais guère, je le croisais à peine : il avait la réputation, pour ne pas dire l’aura, d’un bosseur acharné, il était sérieux, il irait loin, il faisait tout très vite et très bien. J’avais peu d’indices sur qui il était vraiment, mais du moins avais-je été très impressionné par sa déclaration incidente, devant la machine à café, selon laquelle pour tenir le rythme de ses recherches il avait pris l’habitude de passer une nuit blanche par semaine. Tandis que moi, je glandais, je jouais de la musique, j’allais boire des coups et voir des films au cinéma, et lorsque je passais une nuit blanche généralement ce n’était pas pour faire de la sociologie. Il a décroché son doctorat en un temps record (je n’ai jamais terminé le mien), est parti enseigner ailleurs, est devenu professeur à La Sorbonne, a occupé un siège de l’Académie de Médecine, un autre de l’Institut Universitaire de France, exercé comme directeur éditorial aux PUF, rencontré le Président de la République, signé maintes tribunes dans les journaux ou chroniques dans le Magazine Littéraire, laissé son nom à la Commission sur Les Lumières à l’ère du numérique dite Commission Bronner, obtenu la Légion d’Honneur. Pendant le même temps, j’ai pas mal glandé, joué un peu de musique, bu beaucoup de coups et vu énormément de films au cinéma, on ne peut pas tout faire.

Je ne l’ai jamais revu sinon à la télé, ce qui fait que je l’appelle Bronner et non Gérald. Mais j’ai toujours gardé un œil curieux et admiratif sur son impressionnante bibliographie, enrichie d’un volume ou deux chaque année, depuis son premier essai, un « Que-Sais-je ? » en 1997, et son premier roman, aux éditions Baleine en 2001. Car Gérald Bronner écrit également des romans, parmi lesquels une histoire de super-héros adaptée en long-métrage pour Netflix et dont il a co-signé le scénario. Certains de ses livres m’ont grandement intéressé, surtout ceux consacrés aux croyances et à la post-vérité.

Je me suis rué sur son dernier, Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ? (éd. Autrement, coll. Les Grands Mots, 2023), dont le sujet promettait un essai à mi-chemin de sa discipline, la sociologie, et du témoignage autobiographique réfléchissant sur son parcours individuel. De la sociologie à la première personne : quasi-oxymore. Je m’étais dit, ah, Bronner décidément fait tout plus vite que les autres, à seulement mon âge (j’ai vérifié sur Wikipédia, il est plus jeune que moi d’un mois) il se permet déjà de publier l’équivalent d’Esquisse pour une auto-analyse, dernier livre (posthume) de Pierre Bourdieu, auquel celui-ci ne s’était consacré qu’à 70 ans sonnés.

Mais Bronner, et il est même connu pour cela, est plutôt un anti-Bourdieu puisqu’il récuse la fatalité de l’assignation sociale érigée en mythologie ou en récit personnel (ce qui fait d’ailleurs de lui un sociologue macrono-compatible, tenant d’un autre mythe, la méritocratie), et il récuse surtout le dolorisme afférent aux discours des transfuges de classe. Il est autorisé à parler de la sorte, transclasse lui-même, élevé chichement en HLM par une mère célibataire femme de ménage. Il égratigne les écrivains qui en ont fait un sujet, une complainte, une revendication ou une identité à part entière, tels Didier Eribon (autre sociologue, auteur du formidable Retour à Reims), Édouard Louis, ou Annie Ernaux elle-même qui, notoirement, est devenue écrivain en notant un jour sur un cahier « J’écrirai pour venger ma race », et qui a glosé sur la honte de classe au point de titrer La Honte l’un de ses récits (l’un des plus forts à mon goût). Bronner, lui, ne se sent pas concerné, n’a ni race à venger, ni honte à ravaler (on trouve la phrase-clef p. 154 : Il se trouve que certains d’entre nous refusons d’avoir honte), et prétend du reste n’avoir réalisé de quelle misère il provenait que bien après être arrivé. Il n’avait peut-être pas le temps pour cela : il bossait. Il note p. 56 « Les signes de notre pauvreté étaient nombreux mais aucun n’étaient vraiment douloureux » .

Je lis avec passion ce livre qui agence de très importantes problématiques sur la construction de l’identité, problématiques que j’ai creusées ailleurs et à ma manière – son dernier chapitre est intitulé Ce que nous devons à nos pairs et la dette est un concept qui m’intéresse toujours. Comment suis-je devenu ce que je suis ? Comment quiconque devient-il ce qu’il est ? La réponse ne peut être que : au contact de. Et la sociologie commence.

Ensuite, quelque chose se met en branle dans la perception de soi. Bronner donne un nouveau sens au terme autofiction : les transclasses ont selon lui cru à une fiction d’eux-mêmes, qui a fait de chacun d’entre eux un être singulier, notamment parce qu’ils ont eu un rapport au langage plus précoce et plus intense que leurs pairs.

Il me semble que les transclasses offrent un terrain d’observation qui permet d’affiner les analyses usuelles de la façon, par exemple, dont se construit l’estime de soi, le rapport à la conflictualité, le rapport même à la créativité, c’est-à-dire le fait de pouvoir contester un ordre mental établi, que ce soit dans l’art ou dans la science… Il manque une enquête qui mettrait au jour, en tenant à distance le récit doloriste, les vraies caractéristiques de ceux dont les origines ne correspondent pas à la ligne d’arrivée sociale. La créativité me paraît un point assez aveugle de cette question. La chose est difficile à mesurer mais il me semble qu’elle présuppose un esprit frondeur, une forme de défiance qui est facilitée par le regard ironique de celui ou celle qui a traversé plusieurs mondes sociaux. Comme l’écrit de belle façon Norbert Alter dans Sans classe ni place à propos du nomade social : « Il aborde le monde avec liberté, et parfois le succès, de celui qui n’en connait pas les règles. » (p.112)

Puis :

Lorsque je repense à mes années de petite enfance – je sais bien qu’il s’agit en partie d’une reconstruction mémorielle – ce qui me marque, c’est le sentiment intime, qui m’est venu par la fréquentation des autres, d’être différent. Un sentiment un peu honteux [NdFdT : ah, tout de même, il n’est pas exempt de ce sentiment-là] qui m’inspirait l’idée que je n’étais pas de la même espèce que mes congénères. Lorsque j’observais les mouvements collectifs dans la cour d’école, je voyais ces petits êtres qui avaient mon âge comme des sortes de singes. Je leur parlais fort de peur qu’ils ne me comprennent pas. Je me montrais exagérément compréhensif avec eux. Je me sentais comme un extraterrestre abandonné sur terre et lorsque, plus tard, je demandai à mes parents : « mais comment étais-je à cette période ? » , leur réponse tint à ce seul qualificatif : bizarre. Dans mon milieu de socialisation primaire, Vandœuvre-Est, j’analysais la vie avec la sociologie spontanée d’un enfant de 5 ans. Je comprenais qu’il faudrait que je devienne violent. Violent juste ce qu’il faut pour ne pas faire partie des victimes qui n’étaient pas forcément les enfants [les] plus chétifs d’entre nous mais, à tout le moins, les plus craintifs. Ce n’était pas bien dur à comprendre. (p. 122)

Enfin, eurêka, l’hyperactivité s’explique :

Alors j’ai beaucoup rêvé – beaucoup – et cela a fait naître une créativité particulière. Aujourd’hui encore, si d’aventure je m’assieds pour songer un instant, je suis assailli par mille idées et mille histoires. On me demande parfois où je trouve l’énergie d’écrire ces essais, ces romans, ces éditoriaux… La vérité est que je n’ai pas le temps d’écrire – de loin – tous les livres que j’ai en tête, toutes les histoires que je voudrais narrer. C’est un bien, d’ailleurs, car la plupart de ces écrits seraient sans intérêt. Avoir beaucoup d’idées ne signifie pas en avoir de bonnes, mais il me semble que cette créativité dont j’ai découvert qu’elle m’était assez spécifique est une des choses qui s’est développée sur le terreau de mes origines. Le sentiment de différence, l’ennui, l’urgence de trouver une échappatoire ont fait de moi une machine imaginante. (p. 128)

Je trouve Gérald Bronner brillant encore une fois, toujours pertinent, et impeccable épistémologiquement : au passage il résout vers la page 77 la querelle ancestrale entre les deux écoles de la sociologie française, Bourdieu vs. Boudon, le déterminisme comme fatalité voire comme oppression consciente de la classe dominante vs. les mécanismes plus complexes de stratégies individuelles de l’acteur en fonction des conditions sociales… Bronner fait remarquer, et il fallait y penser, que l’un n’empêche pas l’autre ! Ça, c’est de la dialectique… Il ajoute : « N’eût été la rivalité entre les deux grands sociologues, cela aurait dû sauter aux yeux de tous leurs commentateurs. » Voilà qui me rappelle ma jeunesse… J’aimais bien la sociologie, y compris ses polémiques théoriques fumeuses…

A propos de polémique, je me permets d’émettre une réserve : je trouve Bronner parfois un peu léger lorsqu’il profite de son statut académique pour asséner ses idées sans les démontrer, même si ce travers est sans doute dû à la nature bizarre et métissée du texte même. Par exemple il affirme :

Aucun de mes amis originels [prolétaires] ne nourrit le désir de ressembler à un bourgeois. Ce n’est pas par sagesse mais simplement parce que cela ne nous paraît pas du tout prestigieux. Beaucoup d’entre nous sommes porteurs de stéréotypes sur la bourgeoisie ou la grande bourgeoisie qui nous les font tourner en ridicule plutôt qu’ils ne nous placent en position de soumission. Nous n’avons jamais été vraiment impressionnés par les ors et les rituels sociaux. J’ai pu rencontrer des ministres et même des présidents de la République et je n’ai jamais pu tout à fait m’empêcher de les voir – subrepticement, mais tout de même ! – comme des individus que nous aurions malmenés dans la cour du collège […] Lorsque nous rencontrons des bourgeois grands ou petits, nous ne pouvons pas toujours les voir autrement que comme des êtres faibles. Il est farfelu d’imaginer que nous avons profondément envie de leur ressembler. (pp. 52-53)

Je souris en lisant ce témoignage intime, intelligent, drôle, étonnant (imaginer ce qui se déclenche dans la tête de Bronner au moment où il serre la main de Macron est délicieux), à contre-courant… mais je fronce les sourcils. Autant je prise la sociologie ET cette sorte d’anecdote, autant je me garde bien de prendre l’une pour l’autre sous prétexte que l’auteur d’une anecdote est un sociologue. Testis unus testis nullus, et la statistique manque pour commencer à parler sérieusement de fait social. Il me semble qu’on trouverait sans trop de difficultés des contre-exemples, des cas où des « pauvres » envient sinon le mode de vie des « riches » du moins le moyen essentiel de ce mode de vie, la richesse, valeur absolue pour beaucoup, qu’on en ait ou qu’on en manque.

Je suis, en somme et tout simplement, heureux d’avoir des nouvelles de Gérald Bronner, de le découvrir tel que je n’avais pas eu l’occasion de faire il y a 30 ans. Aujourd’hui beaucoup moins sociologue que lui quoique sans doute resté plus bourdieusien, gorgé moi-même de la doxa qu’il dénonce à propos des origines sociales déterminant la vie, imprégné de cette vulgarisation sociologique sur laquelle il fait la fine bouche… je ne peux que me poser la question : son côté bosseur acharné, homme pressé tête baissée, nuits blanches sur le métier, et pas seulement son côté rêveur et différent… ne lui viendrait-il pas de son origine modeste ? Pas de dolorisme, non, pas non plus de rapport mécanique et simpliste de cause à effet, mais une indéniable énergie, un moteur.

Titanesque

20/07/2023 Aucun commentaire
Photo : Sciences et Avenir

Oh oh, c’est quoi cette odeur ?
On vient d’observer près de Nancy l’éclosion de la plus grosse fleur du monde ! Fleur rare et fragile mais disproportionnée, qui s’appelle Pénis de titan, et qui pue, mais qui pue, que c’en est affreux-affreux. Il n’en fallait pas davantage pour ressusciter brièvement et en pleine canicule Mirliton Matin. (Pour mémoire, les annales de MM, média éphémère, sont consultables ici.)

Une (autre) charogne
Hommage à Charles Baudelaire

Surnommée « Pénis de titan »,
La plus énorme fleur au monde
N’en éclot que tous les cent ans
Dans une puanteur immonde.

L’Amorphophallus titanum
(De son aimable nom latin)
Déploie un répugnant arôme
La protégeant des importuns.

Trois mètres, un quintal… La géante
Schlingue à mort la viande pourrie !
Et cette exhalaison puissante
Est sa seule coquetterie.

En disciples de Baudelaire,
Nous sentons cette fleur du mal
Empoisonner notre atmosphère,
Toxique ainsi que sont les mâles.

Tout en voilant son nez, le fier
Botaniste-accoucheur se navre
Que sa fleur née dans la bruyère
Ait un autre surnom : « Fleur-cadavre » .

Aussi retenons « Pénis » ! Et la leçon :
Chers messieurs, la taille ne fait pas tout.
Mieux vaut minuscule qui fleure bon
Que titanesque refoulant l’égout.

Kestufras quand tu sras grand ? (Moi je veux être président)

08/07/2023 Aucun commentaire

Si l’on cause littérature, et quoi de mieux au monde que causer littérature, je ne suis pas assez snob pour négliger Amélie Nothomb. Je m’en trouve fort aise puisque je prends souvent grand plaisir à lire ses livres, comme ici, ou (voir Jour 80).

Je viens d’en découvrir un formidable avec seulement 30 ans de retard, Le sabotage amoureux (son opus 2, en 1993), qui me conforte dans mes penchants : je préfère de loin sa veine autobiographique à sa veine romanesque. Sa propre vie réinventée m’enchante, tandis que je baille devant ses personnages imaginaires aux patronymes invraisemblables, dont la fantaisie fabriquée n’arrive jamais à la cheville de celle, authentique, de leur autrice.

Le sabotage amoureux raconte la deuxième enfance d’Amélie, en Chine, de 5 à 7 ans – sa première enfance, avant l’âge mûr de 5 ans, ayant été japonaise, comme chacun sait. Récit virevoltant, drôle, intelligent, débordant de la joie du mot d’autant plus étonnant qu’il est juste, érudit mais dont l’érudition n’est jamais autre chose qu’un carburant pour l’imagination (1)… Avant tout, beau livre sur l’enfance, qui énonce pour la première fois semble-t-il une idée appelée à devenir récurrente chez elle : les adultes sont des enfants déchus. L’irrémédiable déclin commence vers 14 ans.

Or j’avais une idée derrière la tête. Je préparais un atelier d’écriture sur le thème des souvenirs d’enfance (cf. l’interviou du Dauphiné Libéré ci-dessous) et je compilais soigneusement des citations susceptibles de nous inspirer. J’avais déjà du Peter Handke (« Quand l’enfant était enfant, il marchait les bras ballants, il voulait que le ruisseau soit rivière » cf. Les Ailes du désir) ; du Riad Sattouf (« En 1980, j’avais deux ans et j’étais un homme parfait« ) ; du Eugène Delacroix (« Je me souviens que quand j’étais enfant, j’étais un monstre« ) ; du Shakespeare (la chanson du bouffon, When that I was and a little tiny boy…) ; et même, une fois n’est pas coutume, quelques mystérieux versets de la Bible (Première épître aux Corinthiens, chap. 13-14 : « Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant (…) Frères, pour la raison, ne soyez pas des enfants. Mais pour le mal, oui, soyez des enfants. ») ; etc.

Je sentais bien qu’il me manquait du Nothomb. Je suis allé à la pêche dans le Sabotage. Je n’ai pas été déçu. Une perle p.54 :

Nous, nous avions un sens si aigu des valeurs humaines que ne parlions quasi jamais des plus de quinze ans. Ils appartenaient à un monde parallèle, avec lequel nous vivions en bonne intelligence puisque nous ne nous croisions pas.
Nous n’abordions pas non plus l’inepte question de notre avenir (…) Quand on me posait la fameuse question : « Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? » je répondais invariablement que je ferais Prix Nobel de médecine ou martyre, ou les deux à la fois (…), cette réponse pré-machée me servait à évacuer au plus pressé ce sujet absurde. (…) Peut-être parce qu’instinctivement, nous avions tous trouvé la seule vraie réponse : « Quand je serai grand, je penserai à quand j’étais petit. »

Me voilà refait, merci Amélie. Mais soudain je tombe aussi, p. 72, sur :

Qui diable était ce petit ridicule ? Je ne le connaissais pas.
J’enquêtai.
Il s’appelait Fabrice. Je n’avais jamais entendu ce prénom et je décrétai d’emblée qu’il n’y avait pas plus ridicule. Par un surcroît de ridicule, il avait de longs cheveux. C’était un ridicule extrêmement ridicule.

Allez, sans rancune…

_________________________________________________________

(1) – Exemple de l’utilisation ludique de sa culture : elle glisse, l’air de rien, p. 73, une citation merveilleuse de Stendhal, « Mon Dieu, si vous existez, ayez pitié de mon âme, si j’en ai une. » J’adore et je m’empresserais d’ajouter cette phrase dans la section Mon crédo du présent blog… si seulement j’étais sûr de son authenticité. Or je ne réussis pas à en élucider la source exacte, référencée et circonstanciée. Par conséquent, tant qu’un stendhalien assermenté (s’il y en a dans la salle…) ne m’aura pas donné confirmation, je présumerai que la Nothomb a inventé cette citation. L’en croire capable est lui faire crédit.

Le sens est caché derrière l’anagramme

07/07/2023 Aucun commentaire

Si l’on cherche des anagrammes correspondant à la suite de mots aléatoire « La théorie de la compote », on tombe, comme par hasard, sur « Toi, Œdème phallocrate ».
Ou : « Coopter la mélodie = hate » .
Ou : « Empathie électorale ? Doo ! »
Ou : « Démocratie, hôtel opale » .
Ou : « La méthode Ciao-pétrole » .
Ou : « Acte rapide ? Hello # metoo ! »
Ou : « Léopold, âme théocratie » .
Ou : « Ophélie décalotte Omar » .
Ou : « Ami Théodore, le pactole » .
Ou : « Alcoolo ? Merde, hépatite ! »
Ou : « Oedipe récolta mâle hot » .
Ou : « Hamlet, le roi poète : coda » .
Ou (par conséquent) : « Ophelia, matelot décoré » .
Ou : « Othello, empoté, Arcadie » .
Ou (pour clôre l’instant shakespearien) : « Roméo et… Hop, détaille ça ! »
Ou : « Copte adorée mit le hola » .
Ou : « Toi, Lolcat, ado éphémère ! »
Ou : « Chiotte, Paloma remodèle » . (spéciale dédicace à Pablo Picasso)
Ou : « Échalote, poire modale » . (spéciale dédicace à Erik Satie)
Ou : « Philo éclatée moderato » .
Ou : « Comédie ? Tapote Le Horla » .
Ou : « Écho, pelote maladroite » .
Ou : « Polaroïd : Télécom athée » .
Ou : « Cool air, mode télépathe » .
Voire : « The cool dream : Éole tapi » .

Je pose très simplement la question : une telle accumulation de phrases signifiantes, de messages habilement sous-entendus, pour ne pas dire d’indices, peut-elle être une coïncidence ? Je vous laisse conclure en votre âme et conscience.

La Théorie de la Compote est aussi un livre en vente dans toutes les bonnes librairies.
Je ne vous apprendrai pas qu’il ne faut surtout pas croire tout ce qu’on peut lire sur Internet, surtout gratuitement.
Mais voilà, je vous signale tout de même, et vous vous ferez votre propre opinion, que l’éditeur dudit ouvrage a jugé bon d’en publier en ligne les premières pages. Gratuitement. C’est plus que louche.

Violence en col blanc, violence en uniforme bleu, violence en cagoule noire

01/07/2023 Aucun commentaire
Photo : merci le Dauphiné Libéré. Le saccage de la librairie le Square, à Grenoble, 30 juin 2023

Un policier tue un ado, encouragé par son collègue qui lui parle comme s’ils jouaient à un jeu vidéo, « Vas-y, shoote-le ! » = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « débordements regrettables ».

S’en suivent des émeutes dans les rues, un peu partout en France = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « incivilités inexcusables ».

Tant que les pouvoirs publics n’auront pas pris conscience de la continuité linéaire entre ces deux violences, ainsi que d’autres (ce gouvernement EST violent), les violences se poursuivront.

Pour autant, je n’excuse rien. Je me permets de trouver plus « inexcusables » que toutes les autres violences, les destructions de librairies et de bibliothèques, qui sont lieux d’émancipation et non d’oppression, victimes collatérales des violences du gouvernement et des violences de rues.

Alors je relis un poème de Victor Hugo, « À qui la faute ? » in L’Année terrible, 1872.

Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui.
J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.