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J’apprends à trotter (Je ronge mon frein)

30/03/2012 Aucun commentaire

Je ne connais rien aux chevaux (c’est excusable), et je ne m’y intéresse pas du tout (c’est à peine plus coupable). Je sais pourtant à leur sujet un fait remarquable : ils ont trois allures, le pas, le trot, et le galop. J’ai dû lire un jour quelque part, attendu que le principe de la culture est d’avoir lu un jour quelque part des trucs qui peut-être vous serviront un jour ou bien jamais et en attendant vous les rafistolez dans vos souvenirs et vous leur faites dire un peu n’importe quoi en lien avec à peu près n’importe quoi d’autre au grand hasard des synapses, j’ai dû lire un jour quelque part que leur deux allures les plus naturelles sont le pas (employé lorsqu’ils ont besoin de se déplacer lentement) et le galop (employé lorsqu’ils ont besoin de se déplacer rapidement). Le trot est une invention de la civilisation, une allure intermédiaire artificielle, une allure tempérée, contrainte et disciplinée, un moyen terme inculqué aux chevaux par le dressage humain.

Voici mon état d’esprit depuis le début de l’année 2012 : j’ai l’impression d’apprendre à trotter. Je tempère, je discipline, j’artifice, je suis dressé. Je me demande quels coups de cravache je crains, moi qui orgueilleusement me crois mon propre cavalier. Comment vas-tu ? Oh, j’avance… J’avance, mais à une allure qui me laisse fort perplexe lorsque d’aventure je m’arrête une seconde pour observer mon pas. Je ne suis pas le mauvais sauvage, mais je me sens, comment dire, domestiqué.

Et puis là, sans rapport avec ce qui précède, pour quelques jours je me trouve au beau milieu de l’adorable salon du livre jeunesse d’Epinal, Zinc Grenadine (je n’emploie jamais, je crois, le mot adorable, j’adore peu au fond, mais c’est ainsi, les gens du Zinc sont adorables, les bénévoles étymologiquement autant qu’empiriquement nous veulent du bien). J’aime bien, je suis content d’être là. Je n’en avais pas fait depuis longtemps des salondulivs, alors je me rends compte en y étant (dans un bon) que ça me manquait. L’ingrat boulot de VRP se trouve amplement compensé chaque fois qu’un vrai contact humain se produit. J’ai eu droit à quelques très bonnes rencontres scolaires.

Parmi les souvenirs mémorables : une classe de terminale dans un lycée agricole m’a joué des scènes des Giètes. Or, pour moi, depuis longtemps déjà, Les Giètes n’est plus un roman, c’est un spectacle que je tourne avec Christophe. Ce qui fait que j’en ai oublié, littéralement oublié, des pans entiers, qui ne font pas partie du spectacle. J’ai écouté leurs saynètes, j’ai découvert un dialogue entre Max et M. Tchiapallo qui m’était totalement sorti de l’esprit. Et j’ai ri ! J’ai trouvé ça bien ficelé, enlevé, cohérent, j’étais heureux, merci jeunes gens, joli cadeau.

Autre chose, dans une autre classe : les élèves ont entrepris de dresser mon portrait chinois à coup de question Si vous étiez... C’était rigolo, mais parfois difficile : « Si vous étiez une des sept merveilles du monde ? » Comme si je connaissais la liste par coeur ! Or, personne dans l’assistance ne les connaissait non plus (la jeune fille qui me posait la question pas davantage que les autres), j’ai donc répondu n’importe quoi, j’ai dit « La bibliothèque d’Alexandrie, une bibliothèque ça ne peut pas faire de mal », alors qu’elle ne fait pas partie des sept, j’ai confondu, je viens de vérifier, c’est le phare d’Alexandrie la merveille, pas la bibliothèque, je suis bibliocentré, c’est un fait. J’ai séché plus longuement encore face à une autre des facettes chinoises : « Si vous étiez un personnage de Walt Disney ? » Alors ça… Aucune idée, voilà bien une question que je ne m’étais jamais posée (pas davantage que « Quel membre du gouvernement Sarkozy êtes-vous » ou « Quelle voiture » ou « Quel présentateur de TF1 ».) Mais j’ai joué le jeu, j’ai réfléchi à toute berzingue-grenadine et tâché de donner au pied-levé une réponse qui à la fois les amuse et ne me renie en rien. « Si j’étais disneyen, je serais Goofy, c’est à dire Dingo. C’est un gentil con. Le rôle du gentil con me va. Je préfère être un gentil con qu’un méchant malin, ça préserve du cynisme. »

Bon, des bons moments, tout ça, je ne suis pas le mauvais cheval, mais je trottine, je trotte. J’espère que je n’ai pas oublié comment on galope. Je me demande si la prochaine étape, ce serait l’impression de marcher comme un canard sans tête.

À quoi bon calculer la durée d’un sourire (Troyes épisode 45)

19/10/2011 4 commentaires

Je souffle, le salon de Troyes s’est achevé hier. Six jours plus tôt j’étais content qu’il démarre, et puis là je suis content qu’il se termine (finalement je suis toujours content, pas difficile le gars), parce que j’ai eu ma dose. Ce salon est sans aucun doute l’un des plus beaux de ma carrière de salonnard (gens charmants, organisation fluide, public pléthorique, bouffe trois étoiles etc., merci à toutes les petites mains), mais il n’empêche que cinq jours pleins, cinq jours de brouhaha et de rencontres, c’est éprouvant. Ou alors c’est parce que je vieillis. Je deviens scheik, comme disait l’autre.

Les rencontres scolaires se sont révélées fertiles, je pense particulièrement à une classe de 2de qui avait non seulement lu, mais très bien lu, Les Giètes, ce livre difficile, et avait des choses à dire à son sujet, nous avons donc causé ensemble d’histoire, de politique, de littérature, de nos rapports respectifs à nos vieux – dans ce cas la « rencontre » devient un vrai échange, on reçoit autant qu’on donne (l’autre classe, qui, deux jours plus tard à pourtant vu le spectacle, était beaucoup moins motivée et réceptive, tant pis, on prend ce qui vient, c’est le principe).

De mon côté, parce qu’il faut bien aussi penser à ce que j’ai à offrir, et aux mômes qui me voient débarquer en se disant eux aussi « on prend ce qui vient », la seule rencontre que j’ai foirée, et j’en suis sincèrement déçu comme d’un rendez-vous manqué, c’est celle à l’école de l’hôpital. J’avais beau être prévenu que le groupe serait imprévisible tant en nombre qu’en âge, je n’ai pas vraiment su m’y prendre face à ces enfants empêchés, coincés pour deux jours ou six mois dans une classe encore plus hétéroclite qu’une classe unique de campagne… J’ai eu du mal à trouver des mots qui s’adresseraient aussi bien à une ado de 14 ans qu’à un petit garçon de 6 ans et demi, n’ayant en commun qu’une santé en berne, alors au bout du compte je n’ai à peu près rien dit. Notre rencontre maladroite a tourné court, nous avons gentiment pris le goûter ensemble mais je doute de leur avoir apporté quoi que ce soit. L’instit a tenté de relancer : « Vous n’avez pas une question à poser à Fabrice pour savoir comment on fait un livre ? » Le garçonnet de 6 ans, des bandages couvrant tout le bras et la main droites, et traînant son goutte-à-goutte par déambulateur : « Oui, moi, j’ai une question. Comment on fait pour écrire un livre si on peut pas se servir de sa main ? » Glups. Ben… Euh… Tu peux dicter, tu peux taper sur un clavier avec l’autre main, tu peux parler au lieu d’écrire, tu peux écrire dans ta tête en attendant le moment où tu pourras à nouveau le faire noir sur blanc… Mais, je reconnais, rien de tout cela n’est facile. Pardon.

Comme d’habitude, sur le salon lui-même mon bilan comptable est piteux (j’ai peu signé, une vingtaine de bouquins en cinq jours), sans proportion avec le bilan humain qui, lui, est très précieux : le plus grand plaisir reste le voisinage de stand, l’apprivoisement mutuel (je l’ai vérifié bien souvent). J’ai retrouvé des-que-je-connais (Anne Jonas, Franck Prévot, Jean-Marie Defossez, François Place, les impayables duettistes Bernard et Roca, Yann Degruel), et découvert des-que-je-ne-connais-pas-mais-je-ne-demande-qu’à-faire-connaissance. Je me souviendrai de mes conversations avec Ramona Badescu (et ce qu’elle m’a raconté restera, pour moi, l’histoire la plus extraordinaire de ce salon, ah, je vous jure, mais je ne vous en révèlerai rien, cette histoire lui appartient), avec Frédéric Kessler, avec Serge Bloch (LE Serge Bloch), avec Kris Di-Giacomo, avec Clémence Pollet (précédente résidente), avec Max Ducos (quel gars étonnant ce Max Ducos, gentleman minutieux et élégant, qui cache dans son carton à noirs desseins des facettes légèrement plus trash), avec Benoît Charlat (lui aussi stupéfiant, extra-terrestre), avec Rolland Auda, et même avec Anne Fine, charmante et rigolote tendance pince-sans-rire comme une anglaise, d’ailleurs elle est anglaise, et j’ai eu l’honneur de lui servir d’interprète avec mon louzi inegliche aksinte, lors de son interview pour la télé locale. Sans oublier deux auteurs en simple visite sur le salon : Jean-Philippe Blondel et Vincent Karle.

Et voilà, rideau, salut la compagnie, je retourne au silence, à la solitude, à l’écureuil, et je vais essayer d’écrire un peu. Le vent souffle, les feuilles volent, la pluie tombe enfin et le ginkgo jaunit, je me remets au travail.

Mais comment mesurer la hauteur d’un frisson
À quoi bon calculer la durée d’un sourire
Les plaisirs entrevus et qu’on voudrait décrire
N’existent déjà plus et n’ont d’autre leçon.
(Galoube, un jour où il avait le bourdon.)

Pour nous consoler, voici un nouveau jeu concours, a priori destiné exclusivement aux quatre Troyens parmi les onze lecteurs de ce blog : le premier de vous quatre qui localisera la rue où j’ai pris la photo ci-dessus gagne un Flux ou un J’ai inauguré IKEA, au choix.

Ce n’est pas qu’on en vient à douter (Troyes épisode 43)

13/10/2011 Aucun commentaire

(Cette nuit, j’étais allongé sur le toit d’un camping-car conduit par Jacques Tati période Trafic, je m’agrippais pour ne pas tomber, mais ça va, il conduisait doucement.)

Hier soir, alors que je marchais dans la rue, me préparant aux imminentes rencontres scolaires dont sera fait le Salon du livre de Troyes, réfléchissant plus précisément à la question la plus bizarre qu’on m’ait jamais posée pendant une semblable rencontre, j’ai vu un cadavre d’oiseau gisant sur le trottoir. Je peux préciser le lieu, ça n’a pas d’importance, le temps qu’on vérifie il ne sera plus là, il aura été jeté à l’aube par un personnel de la voirie ou sitôt après mon passage par un simple citoyen, un riverain, moi je n’ai touché à rien, je précise le lieu parce qu’ainsi mon récit prend de plus grands airs de vérité, c’était rue des Tilleuls, côté pair, à Saint-André-les-Vergers. Je me suis arrêté devant cet amas de matière qui autrefois volait et je l’ai longuement regardé. Était-ce un pigeon ? Je n’en suis pas sûr. Je suis si peu savant en sciences naturelles que par facilité je pourrais bien prendre un oiseau quelconque et gris pour un pigeon, et mon ignorance soudain, maintenant qu’il est trop tard, est comme une insulte à sa dépouille, pardon l’oiseau, tu t’en fous, tu as raison, tu ne savais même pas que les humains t’avaient attribué  un nom. Son bec était cassé, les deux moitiés, dont l’une détachée de la tête, formant un angle étrange par rapport à l’oeil fixe, ses minuscules viscères rosâtres avaient sali son plumage, ces serpentins débordaient à la fois sur ses ailes et par côté, à même le sol, mélangés au noir crasseux du bitume, ça faisait comme les graines d’un fruit, une figue trop mûre par exemple, et tout le corps était très plat. C’est la platitude finalement qui m’a intrigué, je me suis penché dans l’illusion de lui redonner du relief, j’ai fait le tour deux fois pour tenter de comprendre ce qui s’était passé, dans quelles circonstances, par quel enchaînement de causes et d’effets devient-on plat. J’ai d’abord formulé l’hypothèse qu’une roue de voiture l’avait aplati et que, pour une raison ou une autre (projeté, ou déplacé à la main, mais dans quel but ?), ce n’était qu’une fois mort et partiellement vidé qu’il avait effectué le trajet de la chaussée au trottoir. Mais comment avait-il pu se laisser aussi bêtement surprendre par la roue ? Les voitures ici ne roulent pas si vite, il aurait eu tout le temps de réagir. J’ai ensuite réalisé que mon scénario ne fonctionnait pas. Si l’oiseau avait été déplacé de la chaussée au trottoir une fois écrasé, pourquoi les deux moitiés de son bec, désolidarisées, se retrouvaient encore côte à côte ? Non, il fallait admettre qu’il s’était fait aplatir à cet endroit même. Comment ? Pourquoi ? Peut-être qu’un véhicule avait roulé sur le trottoir. Ou bien c’était autre chose qui, tombant du ciel, l’avait saisi. J’ai levé les yeux sur la façade de la maison, toutes les fenêtres étaient éteintes.

La question la plus zarb qu’on m’ait jamais posée lors d’une rencontre scolaire est « Est-ce que vous êtes de la famille d’Avril Lavigne ? » Ce n’est pas qu’on en vient à douter, c’est qu’on n’a pas cessé de douter une seule seconde. On ne s’habitue pas, puisqu’il faut faire avec. Quarante-quatre jours, quarante-quatre articles. Et ce n’est pas tous les jours dimanche, sauf en semaine. Le premier qui me traite d’usurpateur je lui ! je lui ! je lui paye une bière. Je me comprends. Jusqu’à ce que je ne me comprenne plus.

Une certitude au moins, le salon du livre de Troyes débute aujourd’hui, et m’occupera, l’esprit avec, jusqu’à lundi prochain. Je m’en excite à bon compte, une parenthèse s’ouvre dans la parenthèse, plus le temps de penser aux viscères de pigeon, toute la place aux questions des jeunes gens. Le blog marque une pause, et ne redeviendra quotidien que la semaine prochaine. Ou jamais. On verra.

Petits ! Petits ! Petits ! (Troyes épisode 32)

02/10/2011 Aucun commentaire

Impossible de lui échapper. Dans chaque rue de Troyes on croise dix fois cette affiche signée Serge Bloch. Je l’ai même suspendue sur le mur de ma thébaïde. When in Rome, do as Romans do.

Le salon du livre aura lieu du 13 au 17 octobre, et ces pages de mon agenda se remplissent gentiment. Plus que celles de mon manuscrit.

(Londonomètre : eh, oh, ça va, on est dimanche.)

Mathias Enard est un grand écrivain

01/06/2011 5 commentaires

Je viens de lire L’alcool et la nostalgie, le dernier roman de Mathias Enard. C’est très bien. J’ai tout lu de Mathias Enard je crois, presque, à part son best-seller démesuré Zone, devant lequel je recule encore. Mais tout le reste, quand j’ai pu, même ses articles, même ses traductions, même son album jeunesse, même ses nouvelles de commande, et tout est très bien, constant, divers, une œuvre, une vraie. Je la surveille. J’ai mes raisons.

Je viens d’achever L’alcool et la nostalgie et j’en suis étourdi. Cette dérive russe se prétend ou semble se prétendre strictement autobiographique : les protagonistes surgissent dans le monde réel du paratexte, « Mathias » le narrateur est aussi l’auteur et « Jeanne », l’amour perdu, est la dédicataire. Mais je n’y crois guère. Si autobio il y a, elle est sans aucun doute piégée, biaisée, romancée. D’ailleurs ce triangle amoureux tragique, avec dans un angle le narrateur, dans l’autre Vladimir l’ami/rival/doppelgänger/ogre, et dans le troisième Jeanne la frêle muse qui s’automutile, ressemble un peu trop et trait pour trait au casting qu’on lisait déjà dans le deuxième roman de Mathias Enard, Remonter l’Orénoque, lequel était peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, peut-être autant de la fiction, et puis d’ailleurs ce prénom, Jeanne, est louche, c’est celui de La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Cendrars dont Mathias Enard dit s’être inspiré, alors vraiment on s’en fiche de l’autobio, on ne veut pas le savoir, l’important c’est le souffle. Mathias Enard est en pleine possession de son souffle, on l’écoute en vibrant, on le suit à l’aveugle, on s’embarque dans sa transe lyrique et désespérée, dans sa mélancolie éthylique qui déborde l’érudition par tous les pores.

Je l’ai raconté plusieurs fois, je l’ai même écrit là-dedans sur le mode pathético-burlesque, je le répèterai tant qu’il le faudra : le Festival du premier roman de Chambéry au printemps 2004 fut un événement déterminant de ma vie, de mon existence « d’auteur » tout au moins. Ce festival, belle et brave institution de littérature vivante prend à cœur de découvrir : il recense depuis un quart de siècle les premiers romans publiés dans l’année, lit, fait lire, débat, déblaie, puis invite une poignée de « primoromanciers » comme ils disent, triés sur le volet, et pendant quelques jours au mois de mai, les choie, les célèbre, les écoute, les trimballe, les envoie un par un ou en commandos au-devant des publics, d’adultes, d’enfants, d’autres écriveurs, bref les prend au sérieux, et les traite comme des princes. J’ai eu l’honneur de connaître ce baptême du feu, ce privilège de celui qui, écrivant depuis un an ou depuis toujours, est brusquement lu.

C’est à Chambéry que j’ai reçu la première preuve, gratifiante et perturbante, que j’étais lu par des gens que je ne connaissais pas. J’étais lu, avec attention, gourmandise, bienveillance, fébrilité parfois, j’étais attendu, j’avais la sensation d’être pris pour un écrivain, de « démarrer une carrière ». Parmi d’autres qui, eux aussi, avaient publié leur premier roman l’année précédente, mais qui passé ce point commun avaient des profils  variés, des trajectoires singulières : on comprenaient de certains, comme JP Blondel, qu’ils n’étaient qu’au début de leur carrière et qu’ils publieraient désormais et pour longtemps un ou deux livres par an ; tandis que d’autres avaient écrit le livre de leur vie, et s’en tiendraient là. Et moi, où me situais-je ? Entre les deux, peut-être. Je n’épiloguerai pas sur la fibre névrotique de mon caractère qui, par la suite, m’a incité à esquiver cette « carrière » entrevue et, en lieu et place, à labourer, semer, arroser, et récolter le Fond de mon tiroir.

Il n’en reste pas moins que ces quelques jours de mai 2004 à Chambéry m’auront permis de lire des premiers romans (ce qui ne me serait pas venu à l’idée) et ainsi de me faire une petite idée de ce à quoi ressemblaient les primoromanciers mes pairs, et la primolittérature si elle existe. J’y ai lu des premiers livres qui, surprise bonus, m’ont enthousiasmé, j’y ai noué des contacts avec Jeanne Benameur et Thierry Magnier qui se sont révélés fertiles quelques années plus tard, et j’y ai même rencontré certains écrivains qui, suprême cerise sur le gâteau de Savoie, m’honorent depuis de leur amitié (celui-ci ou celui-là voire ce troisième).

J’étais invité, donc, à Chambéry pour mon premier roman, TS. Mathias Enard pour le sien, La perfection du tir. Ce roman m’a été un rude choc. Quand bien même certains des autres primoromanciers avaient signé de bons et estimables romans, sympathiques et/ou sincères, très émouvants ou très drôles ou très habiles, j’avais senti que celui-là planait un peu plus haut : une exigence, une tension, une énergie, une originalité, une âpreté dans le sujet comme dans l’écriture, un évident engagement littéraire. Un incontestable souffle, déjà, car tout est là, tout y était, tout est dans le souffle. Comme me le résumera plus tard un autre écrivain de la cuvée « Chambéry 2004 » : « Mathias, c’était le major de promo ».

J’ai eu quelques autres occasions de rencontrer Mathias Enard dans les mois qui ont suivi. Nous avons notamment été conduits à mener une rencontre scolaire en commun (un troisième larron était présent, l’aimable Sylvain Estibal), dans un lycée de Belgique. Or, il s’est passé là quelque chose. Vers la fin de l’heure, un élève a posé une question un peu bateau, un peu naïve, un peu consensuelle, comme pour conclure sur le mode Salut les copains, bling, Druckeroïde : « Est-ce que vous aimez les livres l’un de l’autre ? »

La réponse ne fut ni bateau, ni naïve, ni consensuelle. Mathias a répondu : « Ben, heu, non. Franchement, non. Cette histoire d’ado, là, non, ça ne m’intéresse pas beaucoup… » J’étais assis à côté de lui, sur l’estrade, face à la classe, et j’en suis resté foudroyé, stupide. On n’est pas de bois. Mine de rien, il venait de briser un tabou, pulvériser le pacte tacite de non-agression entre auteurs, cette veulerie de principe si caractéristique et par conséquent si aisée à moquer, ces hypocrisies douceâtres et réciproques comme autant d’ascenseurs, que j’ai vues à l’œuvre des millions de fois, sur les plateaux des salondulivs ou des télévisions, « votre ouvrage est remarquable cher(e) collègue », cette politesse de façade qui n’en pense pas moins et qui ménage les susceptibilités (c’est délicat) ainsi que les entregents (c’est cynique)…

Quelques instants plus tard, enfin sortis du lycée, nous fumions une cigarette sur le trottoir. Mathias Enard me demande, pour rattraper le clou et enfoncer le coup : « As-tu pensé, pour promouvoir ton roman, à te mettre en cheville avec des psychologues scolaires, des spécialistes de l’adolescence, des campagnes de prévention du suicide, la DDASS ?… » J’ai pris cette placide suggestion pour une perfidie, m’expulsant sans papiers, me raccompagnant à la frontière du champ littéraire, un peu comme si je lui avais conseillé d’aller faire la réclame de son roman sur un sniper dans un colloque de tireurs d’élite sponsorisé par Smith & Wesson.

Voilà qui est sûrement bête à avouer (je suis sur mon blog, j’avoue ce que je veux même si c’est bête) : j’ai ressenti sur le moment une grande peine, qu’il m’a fallu un peu de temps pour comprendre. Non seulement une grande peine comme pour n’importe quelle variante d’amour à sens unique (je t’aime, tu ne m’aimes pas, j’ai le cœur brisé), mais aussi, au-delà de la blessure narcissique, une relégation, un désaveu cuisant qui en une phrase effaçait tout le bienfait du Festival de Chambéry : non, tout compte fait, ta prose est irrecevable, elle ne mérite pas le label « littérature », remballe gamin, rentre chez toi. Ma fragile dépression adolescente ne faisait pas le poids à côté de, ou disons plutôt, contre, l’implacable histoire de sniper yougoslave de Mathias Enard. « À moins d’être un crétin, on meurt toujours dans l’incertitude de sa propre valeur et de celle de ses œuvres » (Flaubert à Louise Collet, 19 septembre 1852), et dans cette incertitude, le seul indice vaguement fiable est la reconnaissance des pairs. L’adoubement réciproque est la fonction (pour employer un vocabulaire ethnologique) de ces rituels trop polis pour être honnêtes.

Mon anecdote est minuscule, puisqu’elle n’a par la suite rien permis, ni rien empêché. Elle ne joue aucun rôle dans le fait que je continue de lire Mathias Enard. J’ai rencontré l’auteur, à peine, pratiquement pas au fond, et ce n’est rien ; je le lis avidement de la même façon que je lis certains écrivains morts : je ne sais si un plus grand compliment est possible – si c’est vraiment de littérature que l’on cause, peu importe les hommes et les relations qu’ils entretiennent, seuls comptent les livres. Au moment où Mathias Enard vient de parrainer la dernière édition du Festival du premier roman de Chambéry, je me réjouis, et même je me félicite (quel sang-froid mes amis), d’affirmer aujourd’hui librement, c’est-à-dire simplement, en lecteur, sans l’ombre d’une jalousie, sans le moindre ressentiment : « Mathias Enard est un grand écrivain. »

J’ai toujours dans ma bibliothèque l’exemplaire de La perfection du tir que Mathias Enard m’a dédicacé à Chambéry. À mon attention il avait griffonné sur la page de garde un petit dessin qui réunissait en quelque sorte les deux gimmicks de nos romans respectifs : dans un cercle représentant la lunette d’un fusil, une silhouette humaine trimbalant un gros dictionnaire ; depuis 2004, entre deux feuillets, son personnage s’apprête à liquider le mien. La blague est brutale mais, je le reconnais, assez drôle.

Du reste il est grand temps que je me frotte à Zone.

Le club des fétichistes

14/04/2011 un commentaire

Hervé Bougel est un fétichiste : il a suspendu en son atelier, dans l’antre même, confortable et secrète, où il bichonne à la main chaque exemplaire des publications du pré # carré, un immense poster représentant Georges Perec rue Vilin, figure tutélaire et pensive face à l’éphémère des paysages.

Patrick Villecourt est un fétichiste : le mur en face de son bureau est orné d’une tête de Perec redessinée par Enki Bilal, sous le regard duquel Patrick factotumise en orfèvre les livres du Fond du Tiroir (ou d’autres ouvrages moins glorieux mais, à l’occasion, mieux rétribués).

Je suis, il est temps de l’avouer malgré que j’en ai, un fétichiste : je porte en permanence dans mon portefeuille, à l’horizontale du cœur, un timbre à l’effigie de Perec un chat sur l’épaule, que je me garde bien de mélanger avec les bêtes Mariannes ordinaires identité-nationale mon cul,  il s’agit de ne pas le salir, minuscule grigri, trésor non affranchi que pour rien au monde je ne voudrais voir disparaître sur la première enveloppe venue et se prendre des coups de tampons sur la coupe afro.

Il était fatal que nous nous rencontrassions, et pas seulement pour les plaisirs raffinés de l’imparfait du subjonctif. Quand un fétichiste rencontre deux autres fétichistes, qu’est-ce qu’ils se racontouzent ?

Je reviens de chez l’imprimeur, les bras heureux et chargés d’un carton de livres, le plus beau livre de notre catalogue comme tous les autres livres de notre catalogue : « Ce qui stimule ma racontouze » de Georges Perec, splendide sixième livre et demi (demi pour cause de co-édition) publié par le Fond du Tiroir, fruit du minutieux et passionné travail de trois fétichistes.

Pour assurer la promotion de ce bel objet (qui n’en a guère besoin, après tout : nous sommes assurés d’écouler l’essentiel du tirage lors du Printemps du livre de Grenoble – spéchol sinx à Mmes Carine d’Inca et Vanessa Curton), je viens de me prêter à une interview au micro de Michèle Caron pour France Bleu Isère. Si tout fonctionne correct c’est écoutable ici.

« À bas le style ! » (Picasso)

21/11/2009 2 commentaires

"Tu n'es pas obligée de me croire, maman, mais tout ceci est vrai."

Les salondulivs ou la grande parade des hommes-troncs (en guise d’illustration ci-dessus, le très beau et étrange Jesus Betz de MM. Bernard et Roca, débrouillez-vous pour trouver le rapport, je ne vais pas tout vous expliquer).

Salondulivs ? Merci bien, j’en aurai « fait » cinq cet automne. Première fois que je salonne à tel rendement. Franchement, c’est trop. C’est lassant. Les compte-rendus de salons sont lassants aussi. Je me suis adonné souvent à cet exercice de compte-rendu, salon après salon, ici, ici, ici, ici, ici, ici, et même . Comme si ça ne suffisait pas, j’en ai même rêvé certaines nuits. Et puis on s’use, on se répète, on se fatigue, on vieillit tronc. Il est exténuant de répondre toujours à la même question, « C’est pour quel âge ? » (coucou Nadia), il est insidieux et louche surtout de s’homme-tronniser, s’introniser, « écrivain » au lieu d’écrire. De paraître plutôt que de faire. Bling bling, si j’ose m’exprimer.

Oh, certes, les salondulivs sont des endroits douillets, accueillants, sis parfois dans des endroits superbes, riches de leurs spécialités gastronomiques et de leurs bénévoles épatants, et je me dit que je suis un privilégié trop gâté à fine bouche. Il arrive, en outre, que l’on fasse des rencontres formidables, sur les salondulivs, et c’est l’avantage essentiel, indiscutable. Il arrive que l’on rencontre pour de bon un compagnon de stand, ou un lecteur, ou les deux, bref un être singulier qui ce jour-là va illuminer votre conscience et votre sensibilité, et la journée est belle, la vie aussi ma foi.

Mais les salondulivs sont, au moins aussi souvent, l’occasion de non-rencontres parfaitement réussies. Je vous rapporte (voilà où je voulais en venir) une anecdote survenue lors de mon dernier en date salonduliv.

Une dame s’arrête à mon stand. Elle me dévisage par-dessus ses lunettes. « Alors vous, c’est quoi, votre style ?
– Mon Style ? Ben… Heu… Je heu je sais pas trop… Mon style, vous dites ? Je le cherche encore, je crois…
– Ah oui. Je vois. Vous vous cherchez. »

Elle fait une drôle de grimace, saisit un livre sur l’une des piles de mes œuvres complètes déballées entre nous. Elle le feuillette en silence, lit peut-être une phrase, peut-être un mot, peut-être même pas, à trois pages différentes, et alternativement me regarde en faisant une moue nouvelle. Enfin elle hoche la tête, pleine de compassion, repose le livre et s’en va, lâchant un « Merci » du bout des lèvres, lorgnant déjà sur le stand suivant.

Cet épisode de rien du tout, cette histoire minuscule, fait gamberger lorsqu’on est homme-tronc attendant le chaland. J’ai manifestement été très mauvais : à l’évidence, je n’ai pas dit ce qu’il fallait dire. J’aurais dû faire semblant de savoir quel est mon style. Je suis malcommode à identifier, aussi, on dirait que je le fais exprès. Visez-moi ce fatras. Un livre pour enfants, un livre pour vieillards, un abécédaire (mais pour adultes), un livre en kit encombrant comme pas permis, un mini-livre de 12 pages avec signet conceptuel, un journal de rêves, un vrai roman et plusieurs faux… Je ferais mieux d’avoir un style. Hey, mec, t’as pas un gimmick ?

Ah ! Cette manie de vouloir identifier, étiqueter les choses et les gens ! Savoir à qui on a à faire, afin de préparer le mieux possible la non-rencontre ! Par association d’idées – parce que, du coup, j’avais des loisirs sur mon stand pour associer les idées, je pensais à l’identité nationale d’Eric Besson. « Alors vous, vous êtes français, c’est quoi votre style ? »

J’ai assez de bouteille, désormais, pour délivrer, plein de suffisance, un bon conseil aux auteurs débutants qui vont installer pour la première fois leur stand sur un salonduliv : venez avec votre style.

Esprit d’escalier : trois jours plus tard, trois jours trop tard, je découvre cette intéressante citation.

À bas le style ! Est-ce que Dieu a un style ! Il a fait la guitare, l’arlequin, le basset, le chat, le hibou, la colombe, comme moi. L’éléphant et la baleine, bon, mais l’éléphant et l’écureuil ? Un bazar ! Il a fait ce qui n’existe pas. Moi aussi. (Pablo Picasso, propos rapportés par André Malraux, La Tête d’obsidienne, 1974).

(Réplique : dès le prochain article.)

Et ci-dessous, le salonduliv de Romans sur Isère vu du ciel. Sauras-tu retrouver ami lecteur quelques hommes(et femmes)-troncs dissimulés dans la foule ? Jean-Pierre Blanpain ; Valérie Dumas ; un philosophe à chapeau ayant enlevé son chapeau mais ayant trouvé son style ; Nadia Roman de trois-quarts dos ; moi.

ROMANS 14 et 15 nov 2009 (376)

Gisèle et moi

03/04/2009 2 commentaires

Gisèle Halimi et moi

L’essentiel, lorsqu’on passe trois jours sur un stand, dans un salon du livre et dans le brouhaha, est de demeurer patient. Ferme et stoïque. On a fait des beaux livres, on est là pour les introduire dans le monde, on espère les vendre un peu malgré la crise mondiale (mondiale, ça veut dire « partout-partout »), afin de dégager les moyens d’en fabriquer un autre plus tard. On attend le chaland.

Le chaland s’arrête. S’il feuillette et déclare en souriant : « c’est joli », la journée est très mal barrée, le chaland refermera sans aucun doute  l’ouvrage et vaquera plus loin ; cette leçon de vie, maintes fois vérifiée, m’a été aimablement fournie par ce vieux briscard d’Hervé Bougel. Parfois, aussi, le chaland engage la conversation : « Ah, vous avez écrit un livre sur IKEA ? Vous vous êtes inspiré de Vincent Delerm, c’est ça ? C’est très à la mode… (chantonne) Page 123, du catalogue IKEA, tralala… »

Droit dans mes bottes et debout à mon stand, je l’affirme sans affectation, mais plutôt avec patience, fermeté et, disons-le, stoïcisme : plutôt crever que m’inspirer jamais de Vincent Delerm. Qu’ai-je besoin d’un Fanny Ardant et moi, quand je puis afficher le document ci-dessus, qui montre clairement et sans ambigüité Gisèle Halimi (assise) et moi (debout), assaillis par la foule sur notre stand du Printemps du livre de Grenoble.

Ce facétieux quoiqu’authentique cliché est issu de l’album photo du pré-carreleur pré-cité et pré-cautionneux Hervé Bougel, compte-rendu rétinien du salon de Grenoble que vous êtes invités à cousulter sur son blog. Parmi les scoops en image, vous y découvrirez le visage avenant de Marilyne Mangione.

J’ai inauguré « J’ai inauguré »

29/03/2009 Aucun commentaire

Ingvar Kamprad Elmtaryd Agunnaryd

Je l’ai ! Il est beau ! Plus beau encore que je ne l’espérais, et j’espérais beaucoup ! J’ai inauguré IKEA a été rendu par l’imprimeur avant-hier, tout pimpant, gorgé d’odeurs d’encres, et depuis j’en ai des bouffées de rires, je glousse comme un imbécile heureux, que je suis au fond. (Au fond de quoi ?) Et je cite à nouveau, par plaisir et par devoir, celui qui est, au minimum, co-auteur de ce livre : Patrick Villecourt, factotum et concepteur de ce livre-objet qui est le sien encore bien plus que le mien.

À présent, comme à chaque livre du FdT, je dois digérer la joie d’avoir fait le plus beau livre du monde, et m’employer à une tâche d’éditeur, que je ne suis guère au fond : le vendre. Ouïe, les ennuis commencent. Ennuis rigolos, parfois : j’ai vendu les premiers exemplaires ce week-end même sur mon stand du salon de Grenoble, j’ai testé les  réactions…  Une dame s’est exclamée devant mon stand, « Oh, IKEA ! », ça lui faisiat quelque chose, elle m’a expliqué, en anglais, que sa famille était partiellement suédoise, qu’elle avait travaillé pour IKEA, que ses enfants adoraient IKEA, qu’ils appelaient ça « The Big Blue House », et d’empoigner mon livre et de le brandir à la face de son môme, en poussette, à peine plus d’un an, « C’est quoi ça mon chéri ? Tu reconnais le logo, hein ? C’est quoi ?  Réponds à maman mon chéri ! Tu sais ce que c’est voyons ! C’est iiiii…. C’est iiiiiiiiiiiikkkkk…… C’est ikkkkkkkkééééééééé…. » Le gamin a fini par lâcher le mot magique, qu’on en finisse, j’étais plutôt embarrassé. En-deçà de tels cas limites d’émotivité, les badauds s’arrêtaient globalement perplexes (et exceptionnellement émerveillés) devant cette planche bizarre, inconcevable,  « Alors ça, donc, ces affiches, là, ce sont les épreuves de votre prochain ? les brouillons ? les extraits ? et il sort quand, celui-ci ? » Eh bien, il sort avant-hier, chère madame. Car vous avez devant vous le produit fini. (Ah, et par ailleurs, restituez-moi immédiatement cet exemplaire du Flux que vous avez glissé en douce dans votre sac, il s’agit d’un vrai livre, pas d’un prospectus, ni d’un catalogue, ni d’un produit promotionnel.)

Je m’occuperai demain des souscriptions. L’envoi par la poste est problématique : l’objet mesure 64 cms sur 45 (une fois monté, 14 x 19,5)… Soit je le plie pour le glisser dans le pli, ce qui est dommage parce que la feuille, dans l’idée, ne doit être profanée que par son lecteur (en outre pour faire simple les plis nécessaires à l’enveloppe ne correspondent pas aux plis préconnisés pour le montage de l’ouvrage), soit j’achète des tubes en carton, mais j’augmente ainsi très sensiblement les frais de port.

Bon, que cela ne vous empêche pas de commander

Et ton coeur et mon coeur sont repeints au vin blanc

09/03/2009 un commentaire

Rebelle en ayant un stand ?

« Il n’y a pas d’éditeur, il n’y a que des preuves d’éditeur ». (C’est de qui, ça, déjà ? Jean Cocteau, je crois, ou Pierre Reverdy, je ne sais plus, ou alors je me goure.) Quand j’ai reçu la plaquette du Printemps de Grenoble, j’ai bien ri en constatant que le Fond du Tiroir était coincé, par ordre alphabétique des éditeurs régionaux invités, entre les éditions du Dauphiné libéré, et la Maison de la poésie en Rhône-Alpes. Ah oui, c’est bien sa place, tiens, juste pile, je le saurai si on me demande.

C’est dingue : le Fond du Tiroir ressemble de plus en plus à un éditeur, puisqu’il tiendra un stand dans un salon du livre. Vous pourrez venir à ce stand, comme pour de vrai, faisons semblant de rien, pour discuter et vous faire dédicacer des livres, par mézigue mais également par Marilyne Mangione, qui a aimablement accepté de faire le pied de grue en ma compagnie (vous allez voir comme nous sommes gracieux en pieds de grue). Nous serons sous le chapiteau du salon de Grenoble, du vendredi 27 mars au dimanche 29, par intermittence, selon arrivage des produits frais, voisinant comme par un fait exprès avec celui qui m’a présenté à Marilyne, Hervé Bougel, autre cowboy solitaire et fringant.

Et le Tiroir, au Fond, comment va-t-il ? Eh bien, pas si fort, pour ne rien vous cacher. J’ai traversé une mauvaise passe, de tristesse et de découragement. Pour certaines raisons déjà évoquées, mais aussi, plus profondément parce que le troisième livre qui vole de ses propres ailes, ABC Mademoiselle, m’a coûté les yeux de la tête (je suis loin d’avoir fini de le payer, j’ai dû faire un emprunt) et ne s’est pratiquement pas vendu. La crise mondiale (et même partout-partout) se fait sentir ici aussi, finalement. Les temps sont durs.

Certains jours je me demandais mélancoliquement si tout ceci valait la chandelle, si cette auto-édition avait un autre sens qu’un caprice à long feu comme certaines bonnes âmes me l’ont susurré dans mon propre intérêt, et je me trouvais fort misérable d’être réduit à cette situation dégradante, douloureuse et vulgaire (vulgaire au sens de sort commun, hélas) : en permanence je pensais au fric – au lieu que de penser en permanence au sexe, comme n’importe quelle personne normale et libre. Merde, je n’avais tout de même pas créé le Fond du Tiroir pour en arriver là… Autant tout laisser tomber… La tentation était grande de fermer le tiroir, placer la clef sous le paillasson et passer à autre chose. Un an à m’amuser, c’était joli.

Mais je prends en main l’ABC, je le feuillette, je le trouve incroyablement beau, mon plus beau, et ça me revient : ah, oui, c’est vrai, c’est pour cette joie-là, que je l’ai créé, le Fond du Tiroir. Pour faire mon plus beau livre à chaque fois. Alors je me remets au prochain ; il est quasi-prêt. Sans blague, ce sera mon plus beau.

Envoyons d’l’avant, nos gens ! Retrouvons l’allant, le printemps, et la curiosité. Tiens, ceci : je note avec intérêt que, tandis qu’à Grenoble le salon du livre choisit d’honorer « les graines de rebelles », celui de Villeurbanne (j’y serai le mois prochain) vient d’annoncer son thème pour 2010 : « Résistances ». Attendez, c’est quelque chose dans l’air, ou quoi ?

Rubrique « Du pain et des jeux », suite : sur le blog dudit salon de Villeurbanne, vous trouverez un concours amusant, 22 trombines à reconnaître, 22 résistants-rebelles qui avancent masqués. Moi, j’ai vu où je suis, mais qui sont les 21 autres ? Sur ce, pardon, mais je vais plutôt faire du pain. Et en cadeau ci-dessous, la Cosa mentale de Marilyne Mangione, c’est beau comme du bon pain.