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Le chemin plutôt que la destination (2/2 : Crédo)

20/09/2020 2 commentaires

Suite à l’article précédent, on pourrait estimer (je pourrais estimer, vous ferez comme vous voudrez) que s’en remettre absolument au hasard, ne croire qu’en lui, est tout de même un peu nihiliste sur les bords. Encore faut-il habiller le hasard d’un peu de sagesse. Où trouver, où placer la sagesse ? Comment articuler hasard et sagesse ?

À l’heure où le soleil décline et rougeoie, que l’on est assis en lotus sur son rocher, OKLM, sans souffrance, que l’on contemple la plaine, que l’été est indien, que la douceur de l’air est agréable quoiqu’un peu louche, on se pose parfois ce genre de question.

Est-il possible de ne croire en rien ?

Si ne croire en rien est possible, est-ce souhaitable ? (C’est le nihilisme.)

Si ne croire en rien est impossible et/ou non souhaitable, en quoi faut-il croire ? Choisit-on ce en quoi l’on croit comme on choisit le plat qu’on pose sur son plateau à la cantine ?

Assis en lotus et sans souffrance sur mon rocher, j’énumère tout ce en quoi je crois, qui me protège du nihilisme. Attention, largage de credo. Il était temps, à mon âge. Je ne le ferai pas trente-six fois. Une profession de foi est un gros boulot : plus j’y réfléchis plus je crois à des trucs.

Je crois au chemin davantage qu’à la destination.

Je crois à tout ce qui est susceptible de rendre meilleur le long du chemin : la connaissance, la beauté, le lien, l’attachement, la joie, le rire, les rencontres. Je crois aux vertus de la contemplation du soleil couchant sur la plaine depuis un rocher.

Je crois en la raison, et je crois aussi que l’être humain est irrationnel : ce sont là deux types de croyances, compatibles puisqu’agissant à deux étages distincts. Je crois très fort que la distinction ferme entre les deux types de croyances, entre les idéaux (se laisser guider par une aspiration) et la réalité (revenir toujours au principe de réalité, concrète comme du béton anglais) fait partie de ce qui nous rend meilleurs sur le chemin. Je crois aux Pensées pour moi-même, qui sont également des pensées pour tout le monde, de Marc Aurèle :

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. (*)

Je crois à l’Histoire, c’est à dire à la succession des faits. Je crois à cette chronologie-ci que j’ai déjà égrainée ailleurs : l’univers a 13,7 milliards d’années ; l’espèce humaine 300 000 ans max ; les plus anciennes traces de préoccupation religieuse (des sépultures) ont 100 000 ans ; à la louche le concept de monothéisme, virtuellement totalitaire (si Dieu est unique c’est tout ou rien, soit on y croit et on est sauvé soit on n’y croit pas et on est damné) a 3000 ans, cristallisé en Perse et en Égypte.

Je crois que les religions sont intrinsèquement liées à la conscience de la mort. Creusons (c’est le cas de le dire) l’idée force énoncée dans le paragraphe précédent : les plus anciens témoignages de geste religieux sont des sépultures. Pour l’être humain individuel (il paraît que cela se passe vers l’âge de six ans ?) comme pour l’humanité (il paraît que cela s’est passé il y a 100 000 ou 200 000 ans ?), la prise de conscience de notre mortalité est une scène fondatrice et décisive, racontée dès L’épopée de Gilgamesh (texte inaugural de la littérature mondiale), lorsque celui-ci assiste à la mort de son ami Enkidu. À partir de cette révélation frustrante, absurde, soit on se laissera aller à des pulsions morbides, à la mélancolie, à la pure et simple attente angoissée que la mort vienne ; soit on accèdera à une forme de pensée tragique (=acceptation de la fin) et éventuellement à la sagesse ; soit on adhèrera à une quelconque religion qui, quelle qu’elle soit, nous dira, caressante dans le sens du poil, T’inquiète pas, la mort n’est pas la fin. Freud raconte dans L’Avenir d’une illusion que la mort est un processus naturel et, qu’en soi, elle ne suffirait pas à créer une civilisation ; en revanche, la religion, qui est un discours sur la mort et une réaction à la mort, constitue une illusion civilisatrice.

Crachons le morceau : je ne crois pas en Dieu et je crois que nous vivons une époque où il devient un peu risqué de prononcer cette phrase à haute voix, on passe pour un je-ne-sais-quoi (Je ne fais pourtant de tort à personne/En suivant les ch’mins qui n’mènent pas à Rome). Précision : je ne crois pas en Dieu mais je crois à la spiritualité – à nouveau, il n’y a pas de contradiction puisqu’il s’agit de deux formes distinctes de croyances, croyance dans la réalité d’une chose / croyance dans la justesse et dans les bienfaits d’un idéal et de ses manifestations. Je crois que seule la matière existe et que c’est suffisant puisqu’elle déborde d’esprit (attitude peut-être un peu shintoïste, pour ce que j’en sais). De même que je ne crois pas en Dieu tout en croyant à la spiritualité, je crois en la matière tout en ne croyant pas spécialement au matérialisme. Ceci est un chiasme, me semble-t-il. Je crois sans réserves aux figures de rhétorique.

Scholie (comme dit Spinoza) : c’est justement parce que, en tant que matérialiste, je crois que tout, absolument tout, est matériel (une pensée, un rêve, un souvenir, sont des connexions qui fusent dans un réseau de neurones et de synapses), que le matérialisme, au sens d’attachement aux biens matériels, m’écoeure. Ce matérialisme-là est un spectacle navrant et morbide où ce qui est de plus bas en nous (métaphore) se rabat sur ce qui nous est donné de plus évident, de plus trivial, où l’on se satisfait complaisamment de ce que l’on a déjà. Je suis matérialiste au sens ontologique, certainement pas au sens consumériste ou publicitaire. Je préfère infiniment qu’on m’entretienne de l’âme plutôt que du dernier iPhone, même si je sais que l’âme n’existe pas alors que l’iPhone existe, et même, précisément, pour cette raison. L’âme immortelle, en tant que fiction religieuse, consolation pour individus incapables de se résoudre à croire qu’ils mourront un jour tant ils aiment vivre dans un monde matérialiste-consumériste-publicitaire, me laisse froid. En revanche l’âme des poètes, quand ils parlent de ce qui les anime (au sens propre, anima = âme), et ce mouvement interne peut bien être la foi religieuse, peu importe, me bouleverse toujours. « Qu’est-ce que je fais sur la terre ? J’écoute mon âme. (…) L’âme, je la sens nettement au milieu de la poitrine. Elle est ovale comme un oeuf et quand je respire, c’est elle qui respire. » (Marina Tsvetaieva) Faut-il le préciser ? Je crois à la poésie.

Je ne crois pas en dieu à proprement parler, mais je crois en l’univers. C’est-à-dire que je crois aux métaphores : l’univers est vieux de 13,7 milliards d’années ; dieu au sens monothéiste en est la métaphore, jeune d’environ 6000 ans. Dieu est naturellement acceptable en tant que métaphore de tout ce qui est plus grand que nous – l’univers, la vie, la mort, l’humanité (« Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme », Pascal), le peuple, la connaissance, la nature (« Deus sive Natura » Spinoza), la danse (« Je ne croirai qu’en un dieu qui danse » Nietzsche), le ciel, la forêt, la mer, l’amour, l’avenir, le passé, le temps-qui-passe…

Sans aucun doute je me sens davantage frère des mystiques foudroyés par la révélation parmi des ruines antiques inondées de soleil, tel un Albert Camus dans Noces à Ibiza, ou bien au cœur d’une forêt, tel un Romain Rolland écrivant à Freud la fameuse lettre du 5 décembre 1927 où il évoque le sentiment de ne faire qu’un avec l’immensité du monde : « …le fait simple et direct de la sensation de l’éternel (qui peut très bien n’être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique) », que d’un Claudel, converti à Notre-Dame derrière le second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Moi qui vous parle j’ai connu une sorte de révélation devant le bureau des postes de Chambéry, c’est pour dire. Une forêt, une bourrasque, un bureau de poste ou même, pour les moins imaginatifs, une église, tout peut servir de support à cette métaphore universelle qu’est Dieu.

Exemples de métaphores usuelles (petit jeu amusant : dans chaque cas, vous remplacerez le mot Dieu par un autre qui vous semblera plus approprié) : À Dieu vat ! Dieu seul le sait. Chacun pour soi et Dieu pour tous. Dieu te garde/protège/guide/bénisse. Dieu soit loué ! À Dieu ne plaise. Dieu m’est témoin. Chaque jour que Dieu fait. « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits » (Monseigneur Barbarin). Mon pauvre enfant, à présent ta maman est auprès de Dieu. Vaya con dios. Inchallah. God save our gracions Queen. Gottverdammt ! Dieu ait son âme. Dieu vous le rendra. Mon Dieu je jouis. Etc.

En revanche l’espérance en Dieu en tant qu’être, vaguement anthropomorphe et traditionnellement plus viril qu’efféminé, doté d’une conscience et surtout d’un quelconque intérêt pour ma petite personne, m’apparaît comme la manifestation du besoin infantile de croire que papa pense encore à moi lorsque je suis tout seul dans la nuit. Au surplus, le concept si courant de dieu personnel (mon dieu me protège de même façon que mon parapluie ou mon doudou ; j’ai relevé il y a quelques jours cette bribe de conversation dans le bus : Je suis en paix avec mon dieu), s’il est en parfaite adéquation avec nos sociétés individualistes, solipsistes (tout ce qui m’entoure, y compris les concepts théologiques, n’a de valeur que rapporté à ma personne) et matérialistes (au sens publicitaires-consuméristes – j’ai choisi mon dieu en fonction de ses performances et des excellentes appréciations qu’il recueille des autres clients), me semble en totale contradiction avec la théorie relativement stimulante du monothéisme. Il serait stupéfiant que je sois le seul à avoir remarqué cette discordance.

Je crois à Raymond Queneau à la fois comme réalité et comme idéal : Si je parle des dieux c’est qu’ils sont perpétuels.

Je crois, pour redevenir sérieux deux minutes, que dans l’univers de 13,7 milliards d’années coexistent le déterminisme et le chaos et que c’est ce qui rend le spectacle formidable.

Je crois que l’univers est, en gros, une entropie, et un chaos (je reste poli), c’est-à-dire une somme fourmillante de milliards de forces contradictoires, tellement diverses par leurs natures, leurs puissances, leurs provenances et leurs directions qu’il est impossible de saisir l’univers dans son ensemble. Au mieux, en se concentrant et en plissant les yeux depuis son rocher, on peut distinguer et saisir l’une de ces forces, comprendre une cause et un effet à la fois, comme on voit une étoile filante traverser le ciel du mois d’août. Dans ce cas il faut absolument éviter de se laisser griser, se souvenir des milliards d’autres forces que l’on ne voit pas, sinon on prendrait le risque de s’imaginer que celle qu’on a vue explique tout à elle seule, on prendrait le risque de croire qu’on est arrivé, qu’on a tout compris, en somme de sombrer dans le complotisme.

Je crois au hasard, comme grand principe aveugle au sein du chaos, le hasard se manifestant par le croisement et la rencontre entre deux de ces forces, collision à laquelle on donnera, selon ses conséquences, un sens rétrospectif.

Je crois, oh pas démesurément, je crois un petit peu, à l’organisation politique, qui est le moyen du lutter contre le chaos en son versant social. Je crois en tout cas aux principes directeurs de l’action politique (croyance de type : idéaux, et non : réalité – relire la cruciale distinction plus haut). Je crois à la liberté, je crois à l’égalité, et je crois, voyez comme c’est curieux, à la fraternité. Je crois à la laïcité, quatrième terme invisible de la devise nationale. (Au fait, je ne crois pas du tout à tout ce qui touche au nationalisme, mère patrie et autres billevesées puisqu’être né ici et maintenant est le pur effet du chaos et du hasard, voir plus haut.)

Je crois en revanche beaucoup aux forces personnelles volontaires voire volontaristes qui nous permettent de contrecarrer localement le chaos pour lui arracher un fragment de sens et d’intelligibilité. Parmi ces forces : la patience, l’observation, l’éducation, la transmission, la mémoire, l’échange, l’amour, l’art, le rituel, la répétition. Et les citations. Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. (Jean Cocteau, les Mariés de la Tour Eiffel)

Je crois aussi, je crois enfin, aux contes, qui contiennent et prodiguent les forces énumérées au paragraphe précédent : patience, observation, éducation, transmission, mémoire, échange, amour, art, rituel, répétition, et citations. Je crois aux histoires en général, qui sont des moyens de faire se faufiler une idée d’un cerveau humain à un autre cerveau humain en l’habillant de péripéties. Je crois au récit lui-même en tant que force traversant le chaos, je crois au récit qui nous percute, nous transforme et nous révèle sa nature de métaphore et de métonymie de notre chemin.

Vrai ou non n’est pas la question. Je crois autant à l’imagination qu’au témoignage du moment que la parole est construite. Je crois à la parole. Je crois aux paraboles, je crois aux rêves, je crois aux mythes, récits princeps, je crois aux poèmes, aux chansons, aux chroniques, aux romans, aux bandes dessinées, aux films et à toutes les formes que prennent les histoires, y compris les stories… Mais avant tout et après tout, je crois aux contes, qui en leur temps intemporel avaient déjà quasiment tout inventé. Cf. ici pour un éloge des contes et surtout des conteurs.

Et voilà que rentre dans ma vie un livre merveilleux, un trésor. Si je jouais encore aux Reconnaissances de dettes je préciserais que je dois cette découverte au hasard, je vous prie de le remarquer, hasard qui ce jour-là prit la forme d’un séjour dans les chiottes chez un pote qui se reconnaîtra, séjour qui s’est prolongé bien plus longtemps que nécessaire aux fonctions organiques. Un livre qui mêle le hasard et les contes, soit l’essentiel des forces naturelles et surnaturelles que je reconnais et vénère : Le Livre des chemins d’Henri Gougaud.

Semblable au Yi King, livre des transformations dans le Maître du Haut Château dont je vous entretenais précédemment, Le Livre des chemins est un oracle que l’on consulte en s’en remettant au hasard, et qui vous délivre une réponse cryptée, sous la forme d’une histoire, d’un proverbe, ou d’une citation. Le mode d’emploi figure en quatrième de couve :

Les contes ont pour berceau la nuit des temps.
Combien de siècles, de pestes, de révolutions, de montagnes et de mers ont-ils traversé avant de nous parvenir ? Les contes sont dans l’âme humaine comme dans leur maison.
Ils ont vécu assez longtemps dans l’intimité des êtres pour tout savoir de nos soucis, de nos rêves, de nos désirs.
Ils savent ce que vous ignorez.
Demandez-leur une réponse aux questions qui vous préoccupent, ils vous répondront.
Posez la main gauche sur le livre et formulez votre demande secrète, les yeux fermés. Prenez un des trois signets-arbres de vie et devenez pêcheur de merveilles en tranchant dans le vif du recueil, au hasard. Il vous désignera le conte qui attendait votre lecture. Puis lisez l’aphorisme qui correspond au signet choisi ; il vous précisera la réponse donnée par le conte ou l’habillera d’une lumière inattendue…

Comme je me trouve, pour six mois, dans une situation singulière, inédite, une bizarre croisée des chemins, je me sens d’humeur à consulter un oracle. Je fais l’expérience devant vous, mesdames et messieurs, quatre fois de suite. Garanti sans trucages. (Entre temps je suis sorti des toilettes, hein.)

1) J’interroge une première fois le livre en formulant en mon cœur cette demande : Que puis-je espérer de cette période singulière de six mois qui s’ouvre devant moi ?

Le livre me répond par le conte Marko (p. 255). Sur ses vieux jours, un vieux chevalier rentre dans son village, après ses exploits, et attend désormais, assis devant son porche, disponible pour toutes les visites. Un jeune prince vient lui demander où il puisa son courage. Le vieux chevalier évoque un souvenir de son enfance. Un jour où il vit un chien bâtard, efflanqué, pelé et solitaire tenir tête à une meute. Cette image lui a servi toute sa vie. J’aimerais dire que le conte est tombé dans le mille et que je comprends exactement ce qu’il veut me dire, mais, hormis l’image de l’homme disponible sur son seuil, qui observe la plaine au crépuscule comme depuis un rocher, je suis perplexe. Heureusement le conte s’accompagne d’une citation de Maître Eckhart : On devrait attacher moins d’importance à ce que l’on fait qu’à ce que l’on est.

2) J’interroge une deuxième fois le livre en formulant en mon cœur cette demande : Que dois-je accomplir, que dois-je viser, durant cette période singulière de six mois ?

Le livre me répond par le conte très bref Un monde au-delà de nos vies (p. 39), qui évoque à nouveau l’échange entre un maître et un élève et m’enjoint (je suppose) à me mettre au travail tout en sachant que le sens global et final me restera inconnu. Le conte s’accompagne d’un koan zen : Lorsqu’il n’y a plus rien à faire, que faites-vous ? Je lève la tête, mâche, déglutis, avale.

3) J’interroge une troisième fois le livre en formulant en mon cœur cette demande : De quoi dois-je me défier, à quoi dois-je renoncer, durant cette période singulière de six mois ?

Le livre me répond par le conte Confiance en Dieu (p. 113) qui est en somme une plaisanterie que j’ai lue autrefois sous la forme d’une sale blague dessinée par Vuillemin. C’est la grande inondation, c’est le grand déluge. Les rues sont devenues des torrents, un prêtre est monté sur le toit de son église, et refuse tout à tour l’aide d’un canot, d’un hors-bord de pompiers, d’un hélicoptère. Les trois fois, il répond Non merci, Dieu seul viendra à mon secours. Peu après, il meurt noyé. Au paradis, il engueule Dieu : Dis donc, tu t’es bien foutu de moi, je t’ai attendu et tu n’as pas bougé le petit doigt pour moi. Dieu lui répond indigné : Comment ça ? Quelle ingratitude ! Bougre d’andouille, je t’ai envoyé un canot, puis un hors-bord de pompiers, puis un hélico ! Cette fois le message est limpide.

4) J’interroge une quatrième fois le livre en formulant en mon cœur cette demande : À quoi puis-je me raccrocher, à quoi puis-je faire confiance, durant cette période singulière de six mois ?

Le livre me répond par le conte La mangouste et le serpent (p. 393). L’histoire est celle d’un fonctionnaire indien scrupuleux qui, absorbé par ses fonctions, se trompe du tout au tout sur ses affaires domestiques et croyant bien faire tue son animal domestique qui lui était tout dévoué. Bien sûr ce conte serait une fin en soi puisque ma demande cette fois-ci portait sur la confiance que je peux accorder autour de moi. Mais de surcroît il est accompagné, en guise de morales, de deux citations qui, pourtant sans lien entre elles, seraient, prises individuellement, des réponses nécessaires et suffisantes. L’homme est un animal enfermé à l’extérieur de sa propre cage. (Paul Valéry) Au milieu de l’hiver j’ai découvert en moi un invincible été. (Albert Camus)

Je recueille et médite chacune de ces réponses (et au passage j’ajoute quatre histoires à mon répertoire). Une conclusion ? Bien sûr que non, je n’ai pas de conclusion. Da capo : le chemin vaut mieux que la destination.


(*) – Ces mots appellent plusieurs commentaires.
Ces mots appellent plusieurs commentaires et mises au point.
Primo, cette belle citation a traîné partout – reproduite notamment dans les méthodes de développement personnel, posts Facebook, dictionnaires en ligne des meilleures citations du monde, emballages de papillotes, cartes de vœux, mugs, posters, fonds d’écran… Or, comme j’aime remonter à la source (je crois à l’archéologie), j’ai lu les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle dans l’espoir de retrouver la phrase originale. Je ne l’ai pas trouvée ! Cette citation a beau se rabâcher en tout lieu, jusqu’à devenir un lieu commun galvaudé, elle n’existe pas. Pourtant, elle fait de l’effet. Par conséquent elle existe (et s’applique, je crois, universellement : en ce qui concerne mon champ d’activité et mes ambitions, je dois me concentrer sur ce qui dépend de moi, écrire un bon livre, et non sur ce qui ne dépend pas de moi, écrire un livre qui rencontre le succès). Ce qui me permet d’ajouter à mon credo deux croyances supplémentaires : je crois que les voies de la sagesse sont impénétrables ; je crois que ce qui agit existe (l’idée de Dieu existe).

Deuxio, après enquête archéologique, la formulation la plus approchante de cette idée éthique fondamentale se trouve non dans les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle mais dans l’incipit de ce qui fut notoirement son modèle et son inspiration majeure, le Manuel d’Epictète :

1. Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d’autres non. De nous, dépendent la pensée, l’impulsion, le désir, l’aversion, bref, tout ce en quoi c’est nous qui agissons; ne dépendent pas de nous le corps, l’argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons.
2. Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves; ce qui n’en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger.
3. Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t’est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté; tu en voudras aux hommes comme aux dieux; mais si tu ne juges tien que ce qui l’est vraiment – et tout le reste étranger -, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route; tu ne t’en prendras à personne, n’accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n’auras pas d’ennemi puisqu’on ne t’obligera jamais à rien qui soit mauvais pour toi.

Troisio : je crois en la sérendipité. La formidable lecture des Pensées pour moi-même m’a apporté, comme de juste, tout autre chose que ce que j’y cherchais. Et particulièrement, une découverte extraordinaire : Marc-Aurèle a inventé les Reconnaissances de dettes dix-neuf siècles avant moi. Le premier livre des Pensées est une énumération de « dettes reconnues » dans un esprit strictement identique à ma propre démarche : ce que je dois à mon grand-père, à ma mère, à mon père, à mon frère, à tel ami, à tel prescripteur, à tel maître, à telle lecture, aux dieux…

Le chemin plutôt que la destination (1/2)

16/09/2020 Aucun commentaire
Sharon Stone et son top rose. Paul Verhoeven est le champion olympique du bon goût au XXe siècle.

Qui l’eût dit ? L’un des effets collatéraux du confinement est le retour en grâce d’une pratique qu’on croyait désuète, les reprises en salle de vieux films. Aujourd’hui, 16 septembre 2020, ressort Total Recall (Paul Verhoeven, 1990). Je me souviens et j’en nourris l’envie de rejouer à Reconnaissances de dettes.

Le livre Reconnaissances de dettes (ne le cherchez pas, il est aussi introuvable que s’il n’avait jamais existé : soit vous le possédez, soit vous ne le possèderez jamais) témoigne d’un tortueux chemin d’écriture qui m’a tenu 18 ans, inventant au fur et à mesure sa méthode d’archéologie intime. L’intention initiale, naïve et vite abandonnée, était de dérouler l’entière pelote de ma psyché en partant d’un élément quelconque (un lieu, un livre, un film, un évènement, un objet, un souvenir qui en vaudrait un autre) et d’enchaîner les liens de cause à effet, les dettes, sans fin. Soit un élément A qui clignote dans ma mémoire… Je dois B à A, puis je dois C à B, D à C, E à D et ainsi de suite façon domino jusqu’à ce que s’épuisent les souvenirs et que s’achève un tour complet sur moi-même. Impossible, en réalité. Une fois lancée la mémoire tourne encore, comme un derviche.

Le livre achevé après 18 ans est finalement distinct de cette intention, plus erratique, avec 300 pistes engagées, certaines ouvrant sur des carrefours, d’autres fermant sur des culs-de-sac.

Mettons que je revienne à la méthode initiale, mettons que je l’applique en prenant Total Recall comme démarreur, parce que Total Recall est un souvenir qui en vaut un autre. Je pourrais aboutir à ce cheminement, à ce chapitre bonus des RdD :

1 – Je dois d’être allé voir Total Recall à sa sortie en 1990 non à sa vedette Arnold Schwarzenegger dont je me foutais absolument (pas client des gros bras qui disent des bons mots) mais à Sharon Stone, dont le regard par en-dessous, avec comme un infime strabisme vicelard, entrevu dans la bande annonce, avait fait bouillir mes hormones juvéniles.

2 – Je dois à la vision du film d’avoir porté à ébullition, au lieu de mes seules hormones comme escompté (on y voit assez peu Sharon Stone, finalement), toute mon imagination ainsi que les conceptions de vérité, d’illusion, de mémoire, de rêve, de foi dans le réel, de manipulation des sens, de paranoïa, de libre-arbitre.

3 – J’ai compris que le meilleur de ce film, son principe actif, n’était ni Verhoeven ni ses interprètes fussent-ils vêtus d’un top rose, mais l’auteur du roman originel, Philip K. Dick. Je dois à cette découverte de m’être plongé dans les oeuvres de Dick. (Blade Runner de Ridley Scott, adaptation du même, antérieure de quelques années, n’avait pas eu cet effet déclencheur, je n’avais vu sur l’écran qu’une aventure au sens plus classique, plus balisé, une enquête… une chasse à l’homme… une élucidation… certes des robots mais jamais ce doute insidieux sur ce qui est réel ou falsifié, cette vertigineuse et rétrospective mise en abyme de l’histoire qu’on nous raconte ainsi que de toutes les histoires, cette faille, cette authentique rupture de sens qui est une invitation à une initiation spirituelle vers d’autres paliers de conscience – aussi avais-je à peine relevé le nom de l’auteur initial).

4 – Je dois à ma passion instantanée pour Philip K. Dick d’avoir notamment dévoré dans un état presque second Le Maître du Haut Château. Ce roman m’a révélé ce qu’aucun livre d’histoire n’avait eu le courage d’écrire : la Seconde Guerre mondiale s’est achevée en 1947 par la victoire de l’axe germano-japonais, après que les débarquements alliés en Europe ont tous échoué et que les bombes atomiques allemandes ont rasé plusieurs villes américaines. Les USA n’existent plus, dépecés comme une vulgaire Pologne, partagés en deux zones d’occupation : le versant atlantique fait partie du Grand Reich Allemand ; le versant pacifique (dont la Californie) appartient à l’Empire Japonais. Quant au Maître du Haut château qui donne son titre au roman, c’est un personnage mythique, une légende urbaine, un écrivain qui selon certaines rumeurs aurait écrit un livre racontant que la guerre s’est en réalité achevée en 1945 par la victoire des Alliés…

5 – Je ne découvrirai les mot dystopie et uchronie que 10 ou 15 ans plus tard, comme tout le monde. Pour l’heure je devais à cette Amérique alternative des gouffres métaphysiques : ce qui existe devait-il exister ? Le réel est-il fatal ou contingent ? Échappe-t-on au déterminisme ? À quoi tient qu’une pièce qui tourbillonne tombe sur pile ou sur face ? Le résultat du jet en l’air de la pièce a-t-il un sens ? Destin ou simple destination ? Hasard ou nécessité ? (Monod) Pourquoi une chose plutôt qu’une autre ? Pourquoi d’ailleurs une chose plutôt que rien ? (Leibniz) le chat dans la boîte est-il mort ou vivant ? (Schrödinger)

6 – Je dois en outre à ce livre un autre livre dissimulé dedans : le Yi King. Les personnages du roman, vivant en Californie sous le joug de l’occupant japonais, sont imprégnés de culture asiatique, et plusieurs d’entre eux utilisent le Yi King au quotidien. Ils interrogent avec application cet oracle millénaire et portatif, leurs baguettes d’achillée entre les doigts, et avant de prendre des décisions importantes tiennent scrupuleusement compte des hexagrammes surgis pour eux seuls, même quand leur interprétation est sibylline. Le Yi King a une importance fondamentale sur l’intrigue et la construction du roman (Dick raconta à plusieurs reprises qu’il avait écrit son livre selon les instructions que lui laissait entrevoir l’oracle), et je dois à cette découverte un nouveau coup de boutoir propre à ébranler mes certitudes sur la réalité, déjà mises à mal par Philip K. Dick : est-ce donc cela, l’étape suivante ? Une fois admis le caractère globalement illusoire du monde, le voile de la Māyā selon les hindous, n’y a-t-il plus qu’à s’en remettre au hasard d’un tirage de signaux binaires, une suite de 0 et de 1, à l’aide de baguettes d’achillée ou faute de mieux d’une pièce de monnaie, pour tenter de comprendre quoi que ce soit à la vie ? Hasard est-il le nom du dieu suprême qui organise le cosmos, le réel ou la fiction, divinité dont les injonctions sont toujours à interpréter grâce à un intermédiaire, par exemple un manuel écrit en Chine il y a quelques 3000 ans ?

Démocrite : « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité », cité par Jacques Monod qui ajoute « Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux de l’évolution, cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse, parmi d’autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. » Albert Camus (La Chute) : « J’eus même l’impression, à cette époque, qu’on me faisait des crocs-en-jambe. Deux ou trois fois, en effet, je butai, sans raison, en entrant dans des endroits publics. Une fois même, je m’étalai. Le Français cartésien que je suis eut vite fait de se reprendre et d’attribuer ces accidents à la seule divinité raisonnable, je veux dire le hasard. N’importe, il me restait de la défiance. » Enfin Albert Einstein, qui ne croyait pas en Dieu : « Dieu ne joue pas aux dés » mais également, un autre jour, « Le hasard c’est Dieu qui se promène incognito », débrouille-toi avec ça.

7 – Quelques mois plus tard, je dois à mon frère un fabuleux cadeau d’anniversaire : le Yi King lui-même, fort volume relié de toile jaune et d’une jaquette Rhodoïd, la fameuse édition Richard Wolhelm/Etienne Perrot dans une version de luxe complète de ses accessoires, quarante-neuf baguettes d’achillée serrées dans leur étui en plastique imitation cuir. Il faut croire que j’avais exprimé mon intérêt pour cet objet assez clairement, assez bruyamment, et assez souvent, en citant Le Maître du haut château comme source d’inspiration, pour que mon frère en déduise une idée de cadeau d’anniversaire. Merci, frangin.

8 – Je dois à ce cadeau des dizaines d’heures de jeu sérieux et solitaire, d’activité manuelle concentrée (tu parles c’est du boulot, ces baguettes, la durée du rituel fait office de garantie qu’il se passe quelque chose), de méditation à base de rationalisme pur (il ne s’agit au fond que de statistiques, de mathématiques combinatoires en base deux, yin et yang) et d’irrationalisme tout aussi pur (pourquoi diable l’ordre de ce jeu de mikado reflèterait l’ordre de l’univers, hein ?), d’introspection et de devinettes, de songes creux et de délices face aux réponses cryptées que l’oracle délivrait à mes questions vagues, je m’extasiais que l’hexagramme né sous mes doigts m’explique que l’homme noble doit agir avec sagesse et prudence, mais oui, c’est fou je vois exactement ce qu’il veut dire, comment a-t-il deviné. J’avais développé ce talent de société et à l’occasion j’en faisais profité autrui, comme ces bonnes copines qui vous tirent les cartes et qu’on croit à demi, par jeu, en riant. Encore aujourd’hui je me souviens de la méthode, je connais les huit trigrammes par leur nom et si vous me le demandez poliment je peux ressortir pour vous les baguettes d’achillée de leur étui en plastique imitation cuir.

9 – Dick lui-même devait son intérêt pour le Yi King à Carl Gustav Jung. La préface de son Yi King comme du mien, signée Jung, glosait sur la redécouverte des puissances traditionnelles de la méditation et de l’introspection, rejoignant les conceptions modernes d’inconscient. Je dois à sa lecture de m’être entiché de Jung, qui offrait une alternative rêveuse à la psychanalyse de Freud, si déprimante, si logique et implacable. Je me déclarais par conséquent plus jungien que freudien, ce qui signifiait peut-être quelque chose à cette époque.

10 – Tout de même, au bout d’un moment, Jung, le hasard, le Yi King, les sagesses traditionnelles (dans le même ordre d’idée je dois à Moebius ma curiosité pour Carlos Castaneda, à Alejandro Jodorowsky ma passion pour le Tarot de Marseille…) ont accumulé un bric-à-brac mental dont je ne savais plus trop quoi faire ni ce que je lui devais, au juste. Moi qui me prétendais, moi qui me croyais, un esprit fort, athée, cartésien, qui décortiquais les dogmes religieux et compulsais avidement les textes sacrés en bonne part dans le but sournois de pointer leurs contradictions, lisais en m’esclaffant de joie et de rage l’abbé Meslier, moquais les superstitions, vomissais la vulgarité de l’astrologie (en ce temps-là, Michel Maffesoli, ponte de ma discipline universitaire, adoubait Elisabeth Tessier, ce qui m’indignait ; Maffesoli a fait pire depuis, s’affichant avec le FN et la sinistre Ligue du midi), quel sort devais-je réserver à toute cette part irrationnelle de l’esprit humain qui m’attirait si fortement, qui, pour le dire d’un mot très juste parce que justement ambigu, m’enchantait ? Comment concilier mes émerveillements littéraires devant le Yi King (trésor de sagesse et de spiritualité humaine !) et mon aversion pour l’opium du peuple ou mon dégoût pour la colonne horoscope de tous les magazines (quelle merde !) ? Comment résoudre mes propres incohérences, comment choisir entre l’Académie des sciences et la pensée magique ? Tiens, c’était pile une bonne question à soumettre à l’oracle.

11 – Au bout du cheminement, je dois à l’écriture de fiction, à la théorie mais surtout à la pratique de l’imaginaire, la résolution de cette épineuse dialectique intérieure. L’imaginaire est la zone grise idéale pour cultiver ce qui n’est ni tout-à-fait vrai ni tout-à-fait faux, ni science ni superstition, mais dont seul importe l’agencement narratif qui imite un peu les deux. Mon premier roman, TS, paru en 2003, mettait en scène un protagoniste utilisant un dictionnaire (objet qui est l’emblème absolu du rationalisme, de la pensée positiviste) en guise qu’oracle, l’ouvrant au hasard pour le consulter tel un objet sacré, comme un Yi King qui par un mystère insondable possèderait les réponses à toutes les questions, mais c’est fou je vois exactement ce qu’il veut dire, c’était justement le mot dont j’avais besoin, comment a-t-il deviné. Je dois au Maître du Haut Château une certaine disposition d’esprit de TS.

12 – Et ensuite ? Et depuis ? Ces questions me traversent toujours puisque je n’ai pas de réponse. La dialectique rationnel/irrationnel, comme un yin et un yang, est plus que jamais au coeur du roman qui m’a travaillé ces trois dernières années et qui peut-être sera publié un jour. Ou pas. Le Yi King n’est pas clair du tout à ce sujet et fait la sourde oreille.

Suite et fin demain ou un autre jour, pour parler de la même chose et de tout autre chose.

Malheur aux gauchers

05/09/2020 Aucun commentaire
The Left Handed Gun, Arthur Penn, 1958

Des gauchers, parmi vous ? Levez la main pour voir, que je vous compte ? Allez-y levez la main gauche ne soyez pas timides… De toute façon pour certains d’entre vous je sais déjà alors, il n’y a pas de honte. Ah voilà c’est pour le premier que c’est le plus dur et le plus courageux, les autres suivent. Un, deux, trois…

De gaucherie, il en est de tout temps, il en est en tout lieu. Si l’on cherche des statistiques précises sur les gauchers, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des gauchers contrariés, qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir droitiers pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des ambidextres qui échappent aux catégories), mais disons, d’après une source facile d’accès qui commence par Wiki et se termine par pedia, que les gauchers constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité renversée, qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça.

Dès que l’on se met à chercher les gauchers et à les énumérer on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot. Barack Obama, Oussama Ben Laden (ah ! il était temps qu’on leur trouvât un point commun à ces deux-là ! Étonnant que Trump ne s’en soit pas encore servi…), Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs, David Rockfeller, Benyamin Netanyahou, Hugo Chavez, Winston Churchill, Ronald Reagan, César, Napoléon, Aristote, Léonard de Vinci, Beethoven, Georges Perec, Stan Lee, Jean-Pierre Mocky, Sigmund Freud, Marilyn Monroe, Albert Einstein, Charles Darwin, Lewis Carroll, Paul Verlaine, Tignous (le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, au fait), Pierre et Marie Curie (deux mains gauches irradiées), Scarlett Johansson, Charlie Chaplin, Jean Genet, David Bowie, Jack l’éventreur, Elizabeth II, Hélène Grimaud, Glenn Gould, John McEnroe, Paul McCartney, Jimi Hendrix, Laurence Menu…

Or m’est advenue l’idée d’un roman à écrire, qui se passerait dans un monde parallèle où les gauchers sont punis de mort. De quoi carburer de la racontouze. Rien qu’en imaginant ce que pourrait être un monde où l’on se serait débarrassé de Marie Curie (pas de bombe atomique), de Freud (pas d’inconscient), de Darwin (pas d’évolution), d’Einstein (pas de relativité), de Paul McCartney (pas de Beatles), de Ben Laden (pas de 11 septembre) et de Marilyn Monroe (pas de Marilyn-Monroe), on entrevoit le pain sur la planche, tout un monde alternatif, une dystopie en dix volumes ou une série Netflix en six saisons.

Au sein de cette théocratie, le pouvoir est exercé et distribué par l’Ordre Droit, caste de saints-caciques, dignitaires religieux dont la pyramide est couronnée par l’Archisatrape. Les ancêtres de l’Ordre Droit, fondateurs de la caste, sont parvenus autrefois à prouver, grâce à l’interprétation spécieuse mais incontestables de quelques versets sibyllins extraits de manuscrits vieux de mille-cinq-cents ans, que les gauchers sont des individus maléfiques, et que Dieu (droitier, cela est prouvé positivement par les Docteurs de la Foi) déteste de toute Sa force et de Sa colère ces hérétiques, ces être impurs, inversés, invertis, diaboliques comme un miroir, habités par le sheitan, qui utilisent pour de nobles gestes (compter les boules d’un chapelet à prières, par exemple) la main maudite alors que tout le monde sait que la tradition oblige à cantonner cette main retournée aux tâches ignobles comme se torcher le cul. La Gauche c’est le Mal. Les insultes les plus courantes de ce monde-ci sont gauchards, gauchones, gauchiens, ou gauchiasses (ah non zut, je ne peux pas employer cette insulte-là, elle existe réellement dans un tout autre sens), et fusent en direction non seulement de ceux que l’on surprend à utiliser devant témoin leur main gauche (dite sinistre), mais également pour invectiver quiconque l’on souhaite rabaisser selon les circonstances de la vie. Exemple : « Regarde-moi ce sale gauchien qui double par la gauche sur l’autoroute ! Va niquer par la gauche, hé pauvre sinistre ! » Les gauchers sont traqués, dénoncés, persécutés, spoliés, humiliés. Les brimades vont de la simple amende aux sévices corporels (déambulation dans les rues avec le bras gauche attaché dans le dos) et même jusqu’à la prison et aux camps de rééducation. Voire, dans certains cas de récidives ou de cumul avec d’autres crimes (résistance à la force publique, rébellion, blasphème), à la mise à mort en place publique, selon un rituel immuable intitulé La Bébête qui monte, qui consiste, tout en psalmodiant des hymnes célébrant la bonté et la miséricorde du Tout-Puissant, à trancher à la hache d’abord les premières phalanges des doigts de la main gauche, puis les suivantes, puis le poignet, le coude, le poignet, et enfin fendre la tête en deux pour en jeter la partie gauche aux ordures afin que l’âme immortelle, enfin délivrée, puisse s’envoler vers le paradis des droitiers qui sont les chouchous de Dieu.

Il y faut naturellement une intrigue sentimentale. L’héroïne de l’histoire, je la vois d’ici, est une jeune femme intrépide, amoureuse d’un garçon qui, un beau jour, après une tendre étreinte à l’abri des regards, lui a révélé sans parvenir à retenir ses larmes son terrible secret : « Je dois t’avouer une chose… Peut-être ne voudras-tu plus jamais me regarder après cela mais je ne peux plus te mentir… Voilà… Je suis gaucher. J’ai tellement honte ! Moi qui croyais que les gauchers avaient été officiellement éradiqués par le Saint Ordre Droit ! Je suis une erreur de la nature, un monstre !
– Non, tais-toi ! Ne détourne pas les yeux, regarde-moi comme je te regarde ! Peu importe la main avec laquelle tu me caresses, je t’aime tel que tu es » , a-t-elle répondu en lui embrassant chaque doigt de la main gauche (puis le poignet, le coude, l’épaule, le cou, le côté gauche de la tête, parodiant en douceur l’ignoble rituel de la Bébête qui monte). Mais voilà qu’un jour, son amoureux disparaît sans laisser de traces. Que s’est-il passé ? Où est son amant ? Est-il encore seulement en vie ? La jeune femme se lance dans une quête pleine de dangers, aventures et rebondissements qui la verront traverser moultes strates de cette société, jusqu’au sommet du pouvoir où elle découvrira bien malgré elle ce que les Grands Satrapes de l’Ordre Droit auraient voulu maintenir caché… (Alerte spoiler : l’Archisatrape en personne est un gaucher contrarié !)

Bon. Reprenons notre souffle. Des idées de roman il peut m’en venir une par jour mais j’écris un roman tous les cinq ans, donc je me rends à l’évidence, je n’écrirai jamais ce livre. Si l’idée vous inspire, je vous en prie elle est à vous, c’est cadeau, ma tournée, de rien, mettez-vous au boulot.

Quel chemin a-t-elle emprunté avant de surgir, cette idée ? Voici son déclic. Son inspiration dans le monde réel. Une autre histoire, une vraie cette fois.

La saison dernière, en compagnie de Marie Mazille, j’ai effectué dans un collège un atelier d’écriture de chansons sur le thème des insultes (cf. ici, scroller tout en bas de la page, Jour 60). Nous débattions avec ces braves ados turbulents des insultes les plus usuelles et nous nous sommes arrêtés un moment sur pédé, ainsi que sur son corollaire enculé, qui à eux deux fournissent une base extrêmement solide, et même majoritaire, au répertoire juvénile des outrages. J’ai entrepris avec eux de réfléchir au sens de ces mots et à tenter d’élucider pourquoi l’homosexualité servait à ce point de repoussoir. Peut-on accabler quelqu’un pour quelque chose qu’il n’a pas décidé ? Ah mais en fait vous croyez peut-être que ceux qui sont pédés ont choisi de l’être ? Deux ou trois secondes de silence… Puis un petit gars plus audacieux que les autres tente : Ben oui ! Okay. Tu es sûr de ça ? Toi, par exemple, tu as choisi de ne pas l’être ? Le jeune homme botte en touche et répond, du ton de l’évidence, sur un autre registre. Mais, M’sieur, c’est pas normal, être pédé ! D’accord, alors discutons de ce qui est normal. La norme, c’est le plus grand nombre. Par conséquent, certes, les hétérosexuels sont normaux puisqu’ils sont les plus nombreux. Mais des homosexuels, il en est de tout temps, il en est en tout lieu, donc il est également normal qu’il y en ai toujours quelques-uns. Si l’on cherche des statistiques précises sur les pédés, on ne les trouve pas facilement, surtout que le cas des homosexuels contrariés qu’on a forcés ou qui se sont forcés tant bien que mal à devenir hétéros pour rentrer dans le rang, fausse un peu les chiffres (sans parler des bisexuels qui échappent aux catégories), mais disons, si l’on se fie à quelques recherches croisées sur Internet, que les homosexuels constituent entre 8 et 15% de l’espèce humaine. 8 à 15% de l’humanité qui ne l’a pas fait exprès, qui est née comme ça. Par contre si on se met à les chercher et à les énumérer, on ne tarde pas à les voir partout, ce qui pourrait facilement conduire à une amusante théorie du complot (ah le fameux lobby gay !).

Une objection fuse immédiatement dans le cercle de cette classe de 5e : Ouais, mais d’après la religion…

Oh putain la religion, la pire de toutes les théories du complot, c’est reparti, c’était fatal, dès qu’on parle de préjugés la religion vient nous emmerder en moins de cinq minutes pour faire croire qu’un préjugé est une Vérité puisqu’elle a été décrétée il y a longtemps. J’ai poussé un long soupir, puis j’ai déclaré que ce qui serait vraiment génial avec les religions, c’est qu’elles se préoccupent de religion. C’est-à-dire qu’elles se consacrent à prouver l’existence de Dieu, et rien qu’avec ça elles auraient de quoi s’occuper, elles n’auraient plus suffisamment de loisirs pour nous dicter ce que nous devons faire de nos culs. Je ne suis pas sûr que le message soit bien passé.

Les religions servent de caution et de légitimation à n’importe quoi, et leur avis est indiscutable puisque c’est la définition même de sacré : on ne discute pas.

À bas le sacré. À bas la légitimation par la religion de la connerie, des préjugés, des violences verbales et physiques. À bas la religion, s’il le faut. Au fait, le procès des attentats de janvier 2015 vient de s’ouvrir, mais je l’ai déjà mentionné plus haut, je crois.

Gisèle Halimi (1927-2020) et moi

29/07/2020 Aucun commentaire

Parmi les innombrables grands disparus que nous pleurons en 2020, ayons une pensée pour Gisèle Halimi, emportée le 28 juillet.

Pour les plus jeunes de nos lecteurs, précisons que Gisèle Halimi était une féministe démodée qui ne parvenait pas à concevoir que le voile islamique, dans lequel elle ne voyait que ségrégation et patriarcat, pût être compatible avec la cause des femmes (« Ce n’est pas seulement religieux, c’est politique, ne nous y trompons guère et c’est surtout le symbole de la soumission et de l’infériorisation de la femme« ). C’est dire qu’on ne connait pas au juste la cause de la mort de Gisèle Halimi, Covid19 ou bien Cancel Culture.

Toujours est-il qu’en respectueux hommage je suis en mesure de publier ici une photo de Gisèle et moi (prise par l’honorable Hervé Bougel au salon du livre de Grenoble 2009). Sans me vanter, je l’ai connue, moi, Gisèle ! En revanche je crois qu’elle ne m’a pas connu.

Première diffusion ici.

Archéologie littéraire de la fake news (1/6) : Machiavel

19/07/2020 Aucun commentaire

« Si, comme la vérité, le mensonge n’avait qu’un visage, nous serions en meilleurs termes. Car nous prendrions pour certain l’opposé de ce que dirait le menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini. »
Michel de Montaigne, Essais, I, 9

« La notion même de vérité objective est en train de disparaître de ce monde. »
George Orwell, Réflexions sur la guerre d’Espagne, 1942

« Nous avons vu comment l’impossibilité de distinguer le mensonge de la vérité, et non le règne exclusif du mensonge, nous rendait manoeuvrables à souhait, comment, la moindre information probante étant systématiquement démentie dans la journée par une autre non moins improbable, il suffisait d’entretenir un certain brouillard sur toutes les données dont les gouvernants ont le monopole pour nous faire perdre pied. »
Julien Coupat, « Choses vues, mai-août 2020 » in terrestres.org

Donald Trump, président des États-Unis d’Amérique, est un maître incontesté de l’enfumage rhétorique. Son bobard de la semaine, qui sera oublié et remplacé par celui de la semaine prochaine : « Les USA ont l’un des taux de mortalité lié au Covid-19 les plus bas du monde » – c’est faux, au contraire il s’agit de l’un des plus hauts du monde (les USA tiennent le premier rang mondial du nombre de morts, le huitième rang une fois ce nombre rapporté à la population), mais quelle importance ? Quotidiennement, Trump dit (et tweete) n’importe quoi avec un aplomb si phénoménal que ses mensonges politiques resteront comme une sorte de chef d’œuvre dans l’histoire du mensonge politique. Un accomplissement, une apogée. Son règne aura été marqué par une généralisation et, mieux encore, une conceptualisation, de la mise à mort de la vérité en tant que valeur, idéal ou fin en soi – Rien n’est vrai, tout est permis, prophétisait Nietzsche. Qu’on l’appelle storytelling, intox, éléments de langage, fake news ou, plus pervers que tout, faits alternatifs (1), le mensonge vit sous nos yeux son âge d’or. L’Ère post-vérité, en tant qu’époque historique, a même droit à sa page Wikipedia, dans laquelle on compte pas moins de 83 occurrences du mot Trump.

Trump a théorisé le mensonge dès son best-seller de 1987, The Art of the Deal (si l’on n’avait pas un peu la trouille du Point Godwin on dirait volontiers qu’on était prévenu sur le bonhomme puisque son livre, exactement comme Mein Kampf, déroulait l’entièreté de son programme). Dans ce chef-d’œuvre, Trump rebaptise le mensonge d’un curieux oxymore : « exagération véridique » (truthful hyperbole). On peut mentir, on le doit même si on veut réussir une vente (ou une élection, car c’est un peu la même chose), on ment et par magie et par auto-conviction, le mensonge devient véridique, c’est-à-dire agissant comme s’il était vrai. Je cite :

L’exagération véridique [est] une forme d’exagération innocente, et une forme extrêmement efficace d’auto-promotion.

Pour autant, l’athlète du bullshit ne doit pas nous leurrer : Trump n’est en rien l’inventeur du mensonge en politique. De toute éternité le mensonge a fait partie intégrante de la fonction politique, en tant qu’outil, technique professionnelle, une règle et non une exception, en somme le métier qui rentre (Les promesses n’engagent que ceux qui les croient, Charles Pasqua)… Dès lors, à quoi bon tenir rigueur à Jérôme Cahuzac et autres malfaisants de mentir les yeux dans les yeux, puisqu’ils ne font là que leur job, selon une tradition ancestrale ?

On sait que « Nous ne parlons pas pour dire quelque chose mais pour obtenir un effet » (attribué à Goebbels) ; on sait que « La propagande nous a permis de conserver le pouvoir, la propagande nous donnera la possibilité de conquérir le monde » (attribué à Hitler) ; on sait que « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge, répété dix mille fois il devient une vérité » (attribué à Goebbels ET à Hitler selon les sources, normal qu’on se la dispute, c’est la meilleure de toutes les citations) ; on sait que l’organe officiel de propagande de la Russie soviétique, incomparable tissu de billevesées, s’intitulait La Pravda (1912-1991), c’est-à-dire la Vérité, et à ce niveau de renversement du sens des mots, Orwell n’avait aucun besoin d’imagination pour composer son roman 1984, il n’avait qu’à se baisser pour « inventer » un ministère de la propagande nommé Ministère de la Vérité (Miniver en novlangue) (2) ; on sait enfin qu’ « il ne faut pas désespérer Billancourt » (attribué à Jean-Paul Sartre – même si l’aphorisme s’avère impossible à sourcer, il est facile à traduire : il faut mentir aux ouvriers de Renault-Billancourt sur la réalité de l’URSS afin de ne pas leur faire perdre leur foi dans le communisme). On sait, donc, que l’histoire des totalitarismes est, grosso-modo, une histoire du mensonge. Lorsque les démocraties font le même usage sans scrupules du mensonge d’état que les totalitarismes, on peut affirmer que le mensonge a gagné la partie et recouvre la surface de la terre. Ici une archive du Fond du Tiroir : En 2014, tout le monde ment.

Outre le logos politique, le mensonge est le propre et la norme de nombreux autres corps de métiers, tels l’armée (La première victime de la guerre est la vérité, Rudyard Kipling), la justice (le but d’un procès n’est jamais l’établissement de la vérité, réputée inconnaissable, mais, faute de mieux, d’une décision consensuelle qui remplace la vérité – dès lors tous les acteurs d’un procès, avocat, procureur, témoins qui ont beau jeu de jurer de dire toute la vérité, accusé lui-même, jouent leur rôle non en fonction de la vérité mais en fonction du but à atteindre, qui est de peser sur la décision finale) (3), la religion (garante d’une prétendue vérité révélée, la religion est jalouse de ses secrets et ment comme personne, cf. les scandales sexuels, que ce soit Tariq Ramadan ou le père Preynat, étouffés ou niés jusqu’en enfer et au-delà), l’industrie (exemple récent et mémorable : le trucage des résultats des moteurs diésel), la finance ou les avocats d’affaire, les spin doctors et lobbyistes en tous genres et, bien entendu, tout au fond de la hiérarchie de l’ignoble, la lie de l’humanité, la publicité ou la communication d’entreprise.

Tous ces métiers qui consistent à mentir, et l’on notera avec intérêt qu’ils comptent parmi les plus prestigieux de nos sociétés, les mieux rémunérés et par conséquent les plus désirables aux yeux de jeunes gens entrant sur le marché de l’emploi. Logiquement, ils comptent aussi parmi les plus fréquemment représentés des séries télé, parce que l’ambiguïté sur la vérité et le mensonge est une inépuisable ressource romanesque : politiciens dans House of cards, avocats dans Better Call Saul, espions dans The Americans ou Le Bureau des légendes, pubards dans Mad Men, adeptes de la double vie en tous genres, qu’ils soient super-héros, serial killers, adultères, comédiens ou gangsters… Tous nos héros sont menteurs ! Ces métiers du mensonge forment une grande famille, un bel arbre généalogique où les rameaux s’entrecroisent et s’embrassent.

C’est ici que nous pouvons commencer notre entreprise d’archéologie de la fake news selon les écrivains, et remonter à la Grèce.

Tous ces métiers ont en commun d’être les héritiers de ce que Socrate appelait les sophistes, c’est-à-dire ceux dont la maîtrise du langage est mise au service d’un client. Or souvenons-nous un instant que le rêve du néolibéralisme, qui est devenu notre air conditionné, est de privatiser l’ensemble de la société afin que l’unique rapport humain qui subsiste soit celui du client, la place de chacun dans la société déterminée par deux questions, de qui est-il client/qui sont ses clients. La généralisation du rapport de force clientéliste (uberisation) est logiquement la généralisation du mensonge, le sophiste a gagné, et le mensonge est devenu normal (au sens de norme). Selon Socrate (- 2420 avant Donald Trump), le sophiste était le contraire, voire l’ennemi, du philosophe. Le philosophe, quant à lui, recherche avec une obstination ringarde et désintéressée le vrai le beau le bien et vit généralement dans un tonneau.

Même si les sophistes ont fait leurs preuves à Athènes il y a 25 siècles, l’escale déterminante d’une archéologie de la fake news serait pourtant Florence au XVIe siècle. L’événement en la matière est la publication du Prince de Nicolas Machiavel en 1532. Nous faisons de Machiavel notre patient zéro.

La postérité de l’adjectif machiavélique en dit long sur le cynisme, ou à tout le moins le pragmatisme, prôné par ce manuel classique à l’usage des dirigeants politiques de Florence, Paris, Moscou, Istanbul, Perpignan ou Washington DC. Machiavel signale de façon très claire que le mensonge n’est absolument pas un défaut pour un prince, peut au contraire se révéler une qualité décisive puisque, dans l’exercice du pouvoir, une qualité est ce qui permet de conquérir ou de conserver le pouvoir, un défaut est ce qui entraîne l’échec et la chute. Morceau choisi, au chapitre 18 du bréviaire, Comment les princes doivent tenir leur parole :

Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite. (…)
Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? (…)
Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées. (…)
[Quoiqu’il soit] souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même (…), il doit prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence.

Sur ce dernier point, capital, la tartufferie des Princes faux dévots, observons Erdogan ménager ses amis islamistes ou Trump, encore lui, prendre la pose devant les photographes une Bible à la main.

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(1) – Sur cette notion d’alternative, on est en droit de considérer qu’il s’agit d’un progrès démocratique : « Il faut distinguer le mensonge totalitaire des mensonges démocratiques. Le mensonge démocratique est pluraliste. Il ne prétend pas à l’exclusivité mais coexiste, tolérant, avec ceux de la concurrence » (« Le mentir-vrai », préface de Jean-Jacques Courtine à L’art du mensonge politique de Swift).

(2) – D’Orwell, lisons attentivement l’essai fondateur : Politique et langue anglaise, écrit en 1946 parallèlement à son chef d’œuvre de fiction (1984, on le sait grâce à une commode astuce mnémotechnique, date de 1948). On y voit comment la novlangue n’est pas un génial concept de science-fiction mais un outil politique pragmatique.
Essai traduit également en français sous le titre Politique et langage.

(3) – Je relève ceci parmi les extraordinaires compte-rendus d’audience rédigés quotidiennement par Yannick Haenel durant le procès des attentats de janvier 2015 :

Plus les jours d’audiences s’accumulent, plus la vérité semble une chimère, un monstre composé de tous les mensonges qu’on a entendus ici. Et peut-être au fond n’est-elle jamais que cela, une fiction qu’on bricole avec des versions qui tiennent vaguement ensemble. Le président a eu cette formule désespérée : «  On n’a que la vérité judiciaire. La vraie, elle est autre. » Il voulait dire que la vérité réside dans ce qu’on ne sait pas. Mais il y a des jours où il semble précisément que « ce qu’on ne sait pas » constitue 90 % de la réalité, et que la réalité elle-même, c’est-à-dire ce qui s’est vraiment passé, ne sera jamais amenée à la lumière. Autrement dit, la « manifestation de la vérité », comme l’énonce la formule si belle du tribunal, n’aura pas lieu ; et peut-être n’est-ce qu’à partir de la conscience de cette impossibilité qu’on peut s’engager à penser ce qu’on entend, à en apprécier les inflexions, les nuances, les points de vertige et les impasses.

(à suivre)

Âges farouches

06/03/2020 un commentaire

Les rubriques nécrologiques ont vu se succéder à quelques jours d’intervalle deux dessinateurs de bandes dessinées dont la carrière connut son apogée durant les années 70 : Claire Bretécher (les Frustrés, Cellulite, Agrippine) et André Chéret (Rahan). Deux personnalités tellement opposées que leur contraste pourrait être enseigné dans les écoles afin de mettre en évidence sous les yeux des jeunes enfants les différences entre un artiste, créateur singulier qui forge ses propres moyens d’expression, et un artisan, exécutant besogneux cependant pénétré d’une mission sacrée, celle de perpétuer auprès du public une certaine tradition ainsi que, dans le cas des arts de la narration, diverses figures mythiques et récits légendaires. Le créateur est plus célèbre que ses créatures (comment qu’il s’appelait déjà ce personnage de Bretécher, tu sais, le médecin, spécialiste bobologue ?) ; l’artisan, lui, est moins populaire que ses créations (comment qu’il s’appelait déjà, le dessinateur de Rahan ?).

Il faut avoir l’esprit bien tordu pour gloser sur un quelconque point commun entre Bretécher et Chéret, que tout oppose. Eh bien, j’accepte la mission et m’y emploie sans délai car Tordu est mon deuxième prénom. Ou troisième, je ne sais plus.

Leur point commun, façon Reconnaissances de dettes, est simplement qu’ils ont tous deux, imprimés dans des hebdomadaires de gauche dont enfant je me nourrissais avidement, formé mon jeune esprit et mon goût, à la fois mon appétit pour le dessin et ma conscience politique.

D’un côté Bretécher, auteur très important qui, on le sait peu puisque c’était une femme, a inventé énormément de choses ayant profité à ses pairs, à commencer par l’auto-édition, geste radical pour s’affranchir des éditeurs, dont le Fond du Tiroir est un bâtard lointain mais plein de gratitude. En guise d’hommage je rediffuse cet article que j’avais posté de son vivant, comparaison entre une planche de Bretécher et une autre de Posy Simmonds. Or au temps de mes culottes courtes, elle était publiée à raison d’une page par semaine dans le Nouvel Observateur, qui était une sorte de Figaro Magazine avec en bonus une bonne conscience progressiste. C’est ainsi qu’on lisait dans ce canard de vibrantes tribunes égalitaristes, anticoloniales ou féministes, coincées entre d’abondantes réclames pour des produits de luxe (parfums, voitures, alcools) et un cahier immobilier présentant au lecteur fortuné les meilleures opportunités de châteaux en Sologne pour quelques centaines de millions de francs – bref l’Obs était en quelque sorte le journal officiel de la gauche caviar et de sa schizophrénie, et contenait dans son ADN la mort programmée du socialisme français, son agonie pathétique dans les années 2010 sous l’ère du sinistre triumvirat Hollande-Cahuzac-Macron (plus DSK dans un univers parallèle où le Sofitel n’existerait pas). Mes parents, petits bourgeois de gauche, étaient abonnés au Nouvel Obs et je les en remercie puisque grâce à eux j’ai découvert Brétecher, ainsi que Reiser dans le même créneau (une page de déflagration graphique par semaine). Aujourd’hui, comme l’essentiel de la presse, surtout de gauche, le Nouvel Obs est un organe zombie, mort mais qui bouge encore, et dont on remarquera que la page hebdomadaire la plus formidable, quasiment la seule lisible (bon, demeure également, comme un archaïsme, la colonne de Delfeil de Ton) est encore faite de bandes dessinées, grâce au merveilleux Journal d’Esther de Riad Sattouf.

D’un autre côté André Chéret, dessinateur qu’on pourrait qualifier de série ou de studio, tâcheron interchangeable (d’autres plumes signeront quelques épisodes de Rahan : Romero, Zamperoni… sans compter l’ineffable Raaan publié par l’Association qui s’est révélé, grâce à la beauté premier degré des planches de Blutch ou de Goossens, plus un hommage qu’une parodie), humble travailleur abattant sa tâche, qui se faisait une joie de dessiner l’anatomie d’un athlète en pleine action, complet de tous ses muscles en tension et en mouvement, qui par conséquent aurait parfaitement pu faire carrière en tant qu’auteur de comics de super-héros en collants eût-il été Américain, mais qui, Français, créa avec son compère scénariste Roger Lecureux l’extraordinaire personnage de Rahan, homme préhistorique en pagne, à l’occasion du tout premier numéro de Pif Gadget (1969). Et moi garçonnet, j’étais abonné à Pif Gadget, c’était comme mon Nouvel Obs perso dans la boîte aux lettres où toutes les pages étaient aussi intéressantes que celle de Bretécher dans le journal de mes parents.

Rappelons que Pif Gadget a ouvert ses pages à de nombreux génies débutants, Gotlib, Hugo Pratt, Mattioli, Mandryka, Tabary… Et qu’il était par ailleurs le journal pour la jeunesse financé par le Parti Communiste Français. Était-ce, outre un journal de petits miquets, un support de propagande bolchévique qui lavait le cerveau des jeunes lecteurs afin de préparer l’avènement de la dictature du prolétariat ? Il ne semble pas. En revanche, des valeurs de gauche, parmi lesquelles ne figuraient pas le consumérisme publicitaire ni les résidences secondaires en Sologne, mais bien l’humanisme, la solidarité, la tolérance, l’égalité, la justice sociale, le soutien aux faibles, l’amitié entre les peuples, le progrès pour tous, l’universalisme etc., affleuraient régulièrement tant dans les grandes opérations de com du journal (la Main de Pif collée à l’arrière des bagnoles qui préfigurait celle de Touche pas à mon pote) que dans les séries de BD dites réalistes, dont les héros étaient un médecin du monde (Docteur Justice), un Amérindien écolo (Loup Noir), un chien fou de la résistance (le Grêlé 7-13) et, surtout, le plus important, la vedette, le fils des âges farouches, j’ai nommé Rahan.

Rahan est notre ancêtre à tous, le chaînon manquant entre la mythique horde primitive et le genre humain. Il est le passeur de lumière qui entraîne ses frères « qui marchent debout » dans la grande famille humaine, qui apprend de chacun des clans qu’il rencontre mais ne s’attache jamais et ne veut pas du pouvoir, qui parcourt plusieurs fois le monde en poursuivant le soleil vers l’ouest et invente au passage, eh bien, euh, à peu près tout, puisque chacune de ses quelques 120 aventures pourrait se résumer à l’émergence d’une invention suite à l’observation de la nature et à l’expérimentation. La roue, le bateau, la boussole, la loupe, la longue-vue, le bobsleigh, le camouflage, l’astronomie, la phytothérapie, la pêche à la ligne, la couture, le piège à wampas, la démocratie, l’art, l’agriculture, la sarbacane, le saut à la perche, l’abolition de la peine de mort, la coopération, le féminisme, le gadget de Pif, la tourniquette pour faire la vinaigrette, le ratatine-ordures et le coupe-friture… On lira avec profit cet article de Guillaume Lecointre sur l’importance de la méthode scientifique dans Rahan.

Noble mais pas aristo, Rahan est avant tout partageur, il est cet orphelin dont la soif de voyages et d’apprentissages est inextinguible, et qui fait profiter de sa science tous ses frères humains, dans une innocence merveilleuse et une infatigable foi hégélienne dans le progrès. Il est à moitié Candide, à moitié Prométhée, et à moitié Ulysse (oui, bon, ça va, tout dépend de la taille des moitiés), il est une force qui va et qui transforme le monde, il est le Monolithe de 2001 l’Odyssée de l’Espace, il est cette forte incarnation de l’émancipation humaine, et si vous tenez sérieusement Pif Gadget pour un torchon de propagande stalinienne c’est à mon avis parce que vous avez un problème avec l’émancipation humaine, continuez plutôt à lire Eric Zemmour. Pour mémoire, le collier de Rahan est composé de cinq griffes qui représentent le courage, la loyauté, la générosité, la ténacité et la sagesse. Les cinq griffes ne sont pas le centralisme bureaucratique, le goulag, l’armée rouge, le KGB et le culte du Petit Père des Peuples.

Et puis, il y a sa vision de la religion. Rahan le globe-trotteur rationaliste observe les religions comme il observe tous les autres phénomènes. Il veut comprendre. Il remarque que Ceux qui marchent debout créent partout sur la terre leurs modes de vie, leurs cultures, leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances… et leurs religions. Le pluriel de ce mot est génial à lui tout seul, parce qu’il s’oppose implicitement à toute hégémonie, à tout totalitarisme, à toute unicité d’un dogme, et à la violence de tout monothéisme : la religion est, à l’instar d’une langue, un artéfact de la culture, c’est-à-dire une variation locale sur un thème universel. Je me souviens d’une histoire où Rahan affronte le clan du Dieu-Mammouth, qui vénère le crâne d’un mammouth monstrueux aux défenses gigantesques… Rahan touche ce crâne, en fait le tour, constate qu’il ne s’agit que de matière, de corne blanche et dure sans pouvoir surnaturel particulier. Rahan est un libre-penseur qui nous affranchit de la superstition. Ce qu’il invente ce jour-là est le scepticisme religieux, qu’en 2020 on appelle parfois « blasphème », puisqu’il déclare (on remarquera qu’en revanche il peine à inventer la première personne du singulier) : « Rahan ne craint aucun dieu, mais il craint les hommes qui leur obéissent. »

Ne serait-ce que pour cette phrase précieuse, je tenais à rendre hommage à André Chéret comme j’ai rendu hommage à Claire Brétecher. Je suis tordu et je vous embrasse.

(Mise à jour : ci-dessous la vignette en question, retrouvée facilement, alors qu’on ne vienne pas dire que ma chambre est mal rangée. Mais je citais de mémoire, alors le dialogue n’est pas tout à fait celui que je reconstituais, bon, pas loin.)

La religion nuit gravement

21/11/2019 4 commentaires

Paul Veyne a posé dès 1983 une excellente question dont la réponse ne peut qu’être ambiguë, mesurée, documentée, provisoire, débouchant sur de nombreuses autres questions au lieu de certitudes, et c’est à cela même qu’on reconnaît les excellentes questions : Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Pour mémoire, il faut toujours considérer avec circonspection les questions et les réponses les plus courtes, évidentes, assurées et définitives, elles sont la marque des religieux ou d’autres catégories de complotistes.

Ce matin, rencontre avec une classe de CP-CE1.

« Bonjour les enfants ! Aujourd’hui je viens vous parler de la mythologie grecque. Un mythe c’est une histoire. Une mythologie c’est un ensemble d’histoires qui ont des liens entre elles. Ces histoires-là ont entre 2000 et 3000 ans et on se les raconte de génération en génération parce qu’elles nous font toujours autant rêver, avec leurs héros et leurs monstres, leurs aventures fabuleuses, leurs voyages, leurs batailles, Ulysse, Thésée, Hercule… Je vous ai préparé une petite pile de livres, de contes, de romans, de bandes dessinées, et même de musiques, parce que ces histoires ont pris toutes les formes pour arriver jusqu’à nous, on verra bien ce que j’aurai le temps de vous raconter ! »

« La mythologie grecque a laissé de solides traces dans notre manière de voir et de dire le monde, puisque nous continuons à parler du chant des sirènes, du travail des titans, du cheval de Troie, du fil d’Ariane… Et ce beau centre culturel où nous nous trouvons, pourquoi croyez-vous qu’il s’appelle l’Odyssée ? Mais commençons par le commencement. Les Grecs avaient de nombreux dieux, et puis de demi-dieux, de héros, de rois… »

Une main se lève.

« Oui ? Tu veux dire quelque chose ?

– De nombreux dieux ce n’est pas possible. Il n’y a qu’un seul Dieu.

– Ah, bon ?… Alors ça, hein… On ne va peut-être pas rentrer dans cette discussion mais disons que certaines personnes sur terre croient à un dieu unique, on les appelle les monothéistes, d’autres croient à plusieurs dieux, on les appelle les polythéistes, et c’était le cas des Grecs. Ils ont imaginé que les dieux étaient très nombreux, qu’ils vivaient entre eux par familles et se mêlaient de la vie des hommes depuis leur ville, qui s’appelait l’Olympe. »

Une main se lève. Je commence à transpirer.

« Dieu n’habite pas dans une ville. Il est partout.

– Euh oui en quelque sorte. Mais tu sais, les religions, toutes les religions, se représentent les dieux d’abord en observant la nature. Un dieu est une explication à un phénomène naturel. Et les Grecs, tu vois, ils observaient cette immense montagne, à l’horizon, le Mont Olympe, ce phénomène naturel qui les dominait, qui semblait immense, inaccessible pour les hommes, et c’est pour cela qu’ils en ont conclu que les dieux habitaient là-haut. Et ils avaient des dieux pour tout ce qu’ils observaient dans la nature. La mer qui les entourait ? C’était le dieu Poséidon ! Le vent qui souffle ? C’est le dieu Éole ! Un éclair dans le ciel ? C’est une foudre lancée par Zeus ! On tombe amoureux, parce que cela aussi est un phénomène naturel, d’ailleurs très curieux à observer ? C’est un coup de la déesse Aphrodite ou du dieu Eros ! On se marie ? C’est la déesse Héra ! (Remarquons d’ailleurs comme c’est amusant, l’amour et le mariage sont attribués à deux déesses distinctes, une charmante jeune fille et une mégère…) On meurt, autre phénomène naturel très courant mais moins agréable ? C’est le dieu Thanatos ! Et ainsi de suite, tu comprends le truc ? Bref, chez les Grecs il y avait… »

Une main se lève. Je commence à transpirer beaucoup.

« Quand on meurt on va soit en enfer soit au paradis.

– Oui bon l’enfer est une bien plus vieille invention que le paradis, ce qui fait que les Grecs connaissaient l’enfer, c’était le royaume des morts gardé par Hadès, mais en revanche ils n’avaient pas encore inventé le paradis. Et c’est ainsi que pour les Grecs… »

Une main se lève. Je dégouline de sueur.

« Si on veut aller au paradis il faut faire ce qui est bien pour Dieu.

– Beuh peut-être si tu le dis mais c’est pas du tout de ça que je voulais vous parler, tu sais j’ai là sous la main plein de merveilleuses histoires qui font peur et rêver et rire et réfléchir et qui sont un peu plus compliquées que « ça c’est bon ça plaît à Dieu je file direct au paradis », je te parle d’un monde imaginaire grouillant de créatures bonnes ou méchantes ou entre les deux selon une infinité de nuances… »

Une main se lève. Je suis en nage.

« Il y a aussi les anges. Ce sont les anges et les démons qui essaient de nous influencer mais il faut écouter les anges. »

Les conversations se sont poursuivies sur ce mode jusqu’à l’heure de la fin de la rencontre où j’ai pu m’éponger. J’ai réussi à parlé un peu d’Ulysse, mais pas d’Hercule ni de Thésée, je n’ai ouvert aucun des livres que j’avais préparés, pas eu le temps. Nous sommes en 2019 et la religion a gagné les esprits des enfants de l’école dite laïque gratuite et obligatoire. Désormais, lorsqu’on parle de « dieux », on a de bonnes chances de tomber sur un enfant de CP/CE1 qui répond « Dieu » avec un D majuscule dans ta gueule en ayant l’air de savoir de quoi il parle, comme tous ceux qui en parlent, quel que soit leur âge. Ce qui fait qu’il devient difficile de transmettre ces belles histoires multimillénaires. Peut-être même que le différentialisme politiquement correct ira bientôt jusqu’à déconseiller formellement de parler aux enfants de mythologies, sous prétexte que cela froisserait la sensibilité des croyants. Ou celle des moralistes, puisque par ailleurs c’est rempli de viols et de meurtres.

J’en suis fort triste, inquiet et désemparé. S’il n’y a plus de place disponible dans les cerveaux des enfants pour les travaux d’Hercule, les voyages d’Ulysse ou même les amours bizarroïdes de Zeus, alors la religion est criminelle. La religion, en assénant ce qui est vrai, tue le plaisir d’entendre ou de raconter des « histoires », plaisir qui se situe dans la zone floue entre le vrai et le faux. Il me semble que les enfants savaient cela d’instinct, autrefois, et visitaient ladite Twilight Zone sans difficulté ni dommage, ils avaient le visa. La religion refuse le visa, paralyse une part d’émerveillement, une part d’imagination, une part d’intelligence, et une part de joie. La religion rend idiot. La religion tue et on devrait imprimer cet avertissement sur les emballages des livres sacrés comme on le fait pour les clopes.

Je me souviens de ces paroles de Michel Hindenoch, que je m’enorgueillis d’honorer comme mon maître, à l’époque où il présentait son spectacle inspiré de l’histoire du Minotaure :

« J’aime les mythes parce que ce sont des histoires qui nous dépassent. Ils nous relient à la naissance de l’humanité. Ils mettent en œuvre en nous une vertu précieuse et si rare aujourd’hui : la croyance. Depuis la nuit des temps, elles parlent de ce qui vit en nous, et aujourd’hui encore elles ne nous trompent pas. La raison et le savoir dont nous sommes si fiers ont étouffés notre capacité de croire, c’est à dire de faire confiance. Et notre monde est devenu craintif et avare. »

Ces paroles datent de 1992. Il y a près de 30 ans, on pouvait se permettre comme le fait Hindenoch de dénoncer le rationalisme comme l’ennemi mortel de l’imagination. Aujourd’hui on serait tenté de dire que cet ennemi impitoyable, c’est plutôt la religion. Peut-être que la situation s’est compliquée en 30 ans et que la partie ne se joue plus entre deux adversaires, mais trois ?

[Quelques années plus tard : la suite, relativement apaisée, comme quoi il ne faut jurer de rien.]

Si jamais il en existait la moitié d’une

20/09/2019 un commentaire

Rien n’est puissant comme un bon juron. En québécois, on dit un sacre, c’est-à-dire la profanation d’une chose sacrée. Rien n’est puissant comme un bon sacre. Dans Le cri du peuple, roman de Jean Vautrin sur la Commune de Paris, qui as connu une splendide adaptation en bande dessinée par Tardi, on entend un communard s’exclamer Bordel de vierge enceinte du pape ! et c’est magnifique. La brève Commune est une époque où l’on bouffait du curé (ce que je recommande métaphoriquement) et où l’on trucidait du ratichon pour l’exemple (ce que je désapprouve par principe). Quel rapport ? J’y viens.

Ces derniers temps, j’ai la chance fragile et inespérée (je ne vais pas vous raconter ma vie) de trouver quelques occasions de discuter avec mon vieux père. On cause de ceci, de cela. Forcément, il en vient à me raconter des souvenirs de quand il était petit et forcément, c’est ce que je préfère.

Il a été élevé, il y a 75 ans et mèche, par une tante, soeur de son père, paysanne de montagne qui avait perdu son mari à la guerre de 14 et son fils en bas âge. Tout le monde l’appelait Tante dans le village où elle était connue pour sa grande générosité et son langage de charretier, mélange fort pittoresque qui vaut naturellement beaucoup mieux que le contraire (langage châtié et coeur sec).

Entre autres excentricités, elle fleurissait les tombes des autres, giflait ses chèvres si jamais elles se montraient plus têtues qu’elle, nourrissait les mésanges l’hiver et les engueulait vertement le printemps venu quand elles revenaient manger ses semis. Elle jurait beaucoup, en toutes circonstances, notamment à base de « Fumier ! » ce qui est cohérent avec son mode de vie, mais elle avait un juron de prédilection, plus sophistiqué que les autres, qu’elle ne sortait que dans les grandes occasions, quand elle se faisait mal, ou le dimanche, et qui impressionnait beaucoup mon père enfant :

Pûta de Sinta Virza si n’ya yi aou man la maïta d’ina !

Ce qui veut dire, dans le patois fleuri de la Matheysine (dont est issu, je le rappelle au passage, le mot Giètes) :

Putain de Sainte Vierge si au moins il y en avait la moitié d’une !

La richesse de ce juron, si plein d’images, de nuances, de bizarreries (qu’est au juste une moitié de vierge ?), d’humour, de blasphème et pourtant d’espoir métaphysique diffus (si jamais…), a fait ma journée, comme on dit. Et il m’a remis en tête que, parmi tous les articles que j’ai publiés au Fond du Tiroir ces dernières années, celui dont je suis le plus fier est celui consacré à la Vierge Marie, parce que je suis fier de ce qui m’a demandé du boulot, je suis toujours fier d’avoir fait ce qu’il fallait faire en transpirant (du cerveau), c’est mon côté crypto-chrétien, Car lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément : dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus, deuxième épître de Paul aux Thessaloniciens, 3:8-10.

J’ai donc plaisir à rediffuser cet article de fond, à lire ou relire sous ce lien.

Dieu est amour

03/09/2019 un commentaire

J’aimerais penser à autre chose mais je pense encore à cette fiction si envahissante et toxique : l’idée que nous nous faisons de Dieu. Il se trouve que je suis de passage à Lyon, à la fois ville de Mgr Barbarin (le fameux distributeur de pardon aux prêtres pédophiles parce que « Dieu merci les faits sont prescrits » , cf. dessin de Coco ci-dessus) mais également ville où, le jour même de ma présence (ne me cherchez pas, j’ai un alibi), quelque abruti, la cervelle ravagée par ce funeste cocktail, drogue plus religion, a agressé des passants dans une station de bus, armé d’un couteau et d’une pique à barbecue. Bilan un mort et huit blessés parce que ce pauvre type entendait dans sa tête des voix lui enjoignant à venger Dieu insulté. Par ailleurs bien sûr Lyon est une très belle ville.

Bref, je rumine. Si vous souhaitez ruminer avec moi, je vous invite à tenter un syllogisme théologique.

Prémisse 1 : « Il n’existe pas d’amour, il n’existe que des preuves d’amour. » Aphorisme passe-partout et cependant fertile, dû à Pierre Reverdy quoique systématiquement attribué à Jean Cocteau parce que celui-ci a été le premier à citer (dans une préface au roman d’un troisième larron) cette phrase chipée à un autre, et parce qu’énoncer une citation c’est toujours un peu répéter ce qu’a dit le perroquet précédent. Toujours est-il que Cocteau s’empressait d’ajouter dans ladite préface : « Phrase admirable et qui peut se traduire en d’autres domaines. » On ne va pas se gêner.

Prémisse 2 : « Dieu est amour. » (Première épître de Jean, chapitre 4, verset 8)

Conclusion : « Il n’existe pas de Dieu, il n’existe que des preuves de Dieu. »

C’est ainsi que de dangereuses personnes pleines de foi agissent sous le coup des preuves de Dieu, que celles-ci prennent la forme d’un acte judiciaire (la prescription d’un crime) ou bien de voix entendues au fin fond d’une cervelle droguée.

Et maintenant voici l’heure de notre toujours populaire rubrique Actualité du spam, sans pour autant changer de sujet. Car la Providence dont les voies sont impénétrable m’envoie à point nommé le mail d’un expéditeur inconnu. Son adresse qui surgit sur mon écran, loeuvrededieu@gmail.com, m’incite à lire le corps de son message (lisez, ceci est mon corps) avec la plus grande attention.

Bonjour cher Bien aimé
Je sais que mon message sera d’une grande surprise quand tel vous parviendra. C’est vrai que vous ne me connaissez pas et moi aussi, je ne vous connais pas, mais j’ai trouvé votre adresse mail à travers mes recherches sur le net, il ne faudrait pas que cela vous soit étrange, je vous présente toutes mes excuses, j’espère avec prière que tout va bien chez vous et votre famille. Je suis Mme Jacqueline Jeanne PERE de nationalité française consultante au Bénin d’où j’ai servi pendant 12 ans en bref, En fait, je souffre d’un cancer de l’œsophage qui est en phase terminale, mon médecin traitant mon informé que mes jours sont comptés du fait de mon état de santé. Je suis hospitalisée à LONDRES en Angleterre à l’adresse : 639 Harrow Road Kensal Green où je vis ces dernières heures à cause de mon état de santé. J’envisage, vous faire don de ma fortune d’une somme importante pour que vous puissiez réaliser des projets humanitaires (Aide aux personnes vulnérables tel que : les enfants de la rue, les orphelins, les démunies sans-abris, etc.) je vous prie d’accepter cela, car c’est un don que je vous fais, et cela, sans rien demander en retour. NB : répondez-moi sur mon adresse mail loeuvrededieu@gmail.com pour que je vous mets en contact avec mon notaire pour le transfert des fonds sur votre compte. Que Dieu vous accorde son salut. [c’est moi qui souligne]
Mme Jacqueline Jeanne PERE

CQFD, ouais. Je pourrais en rester là mais ma passion irrationnelle du spam m’incite à gougueler l’adresse de l’hôpital où cette pauvre Jacqueline, mécène riche mais généreuse, agonise : 639 Harrow Road Kensal Green. On trouve à cette adresse l’Hostel 639, l’une des auberges de jeunesse les plus cheap de Londres. Je crois y avoir passé quelques nuits il y a 30 ans, à l’époque c’était moins un hôtel qu’un gymnase qui louait ses tapis de sol aux indigents nocturnes. Je n’oublie pas que l’endroit qui dans les grandes villes d’autrefois accueillait les indigents, les malades, les orphelins, les vagabonds, était nommé Hôtel Dieu. Si ça n’est pas une belle preuve d’existence, ça.

Merveilleux

25/09/2018 Aucun commentaire

Quelle merveille !
Derniers mots prononcés par Carl Gustav Jung (1875-1861),
sur son lit de mort.

À la merveille, sixième film de Terrence Malick, loupé en 2013, rattrapé en DVD en 2018.

Titre singulier, bizarre syntaxe : d’où sort-il cet à-la.

Ce n’est pas à la limite, ce ne peut pas être non plus à la tienne Etienne, ni à la manière ni à la bourre ni à la traîne ni à la Bolognaise ni à la six-quatre-deux ni à la bonne heure, c’est à-la-quoi ?

Le sens s’éclaire un peu par la V.O., To the Wonder. Ah d’accord, il s’agit d’une direction, d’un axe, d’une recherche, d’un idéal. Seuls titres pouvant lui être comparés : Vers la joie de Bergman, Vers la lumière de Kawase.

Quant à la destination, la merveille en question… Dans une biographie de Jean « Moebius » Giraud, j’ai appris que cet artiste qui m’émerveille depuis que j’ai des yeux avait un tic de langage : pour exprimer son approbation ou son enthousiasme, il disait toujours « C’est merveilleux ». Il a fallu que je le lise dans la bouche d’un autre pour m’en rendre compte, ah, tiens, moi aussi je dis tout le temps ça. L’émerveillement est peut-être une question de tempérament, un don. Il faut croire que je l’ai. J’en suis bien aise.

Merveille vient de l’adjectif latin mirabilis, admirable, lui-même issu du verbe mirari, s’étonner, s’éprendre, contempler. À la merveille est donc une injonction à s’étonner, s’éprendre et contempler. Je m’étonne qu’une telle invitation ne soit pas plus courante dans la langue française, tellement plus prompte à dire Va te faire foutre (cependant foutre et se faire foutre peuvent être merveilleux, certes). On pourrait se dire les uns les autres À la merveille ! comme on dit bonne chance ou bon voyage. À ta santé, à tes amours, à la merveille.

Je ne parle toujours pas du film, c’est ce que tu crois ? Pourtant si, je ne fais que ça, je t’assure. Comme ce film ne possède pas vraiment d’intrigue, que le tournage a eu lieu sans scénario et que les acteurs n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils étaient en train de faire là, il est impossible, inutile et peut-être fallacieux d’esquisser le moindre résumé, un pitch, voire une paraphrase d’histoire, alors tu permets, laisse-moi plutôt parler de Moebius ou d’étymologie ou d’aller se faire foutre, et nous serons dans le sujet.

Ou alors je te parle d’Edward Hopper. Comme ce film ressemble moins à un long métrage pour salle de cinéma qu’à une une installation d’art contemporain, boucle de cent dix minutes qu’on peut attraper et quitter à n’importe quel moment, pour s’en faire une idée puisons une comparaison dans les musées. Imagine que tu es dans un musée, que tu restes assis devant une toile de Hopper pendant cent dix minutes, tu fixes deux ou trois personnages dans une pièce et une fenêtre, tu fixes jusqu’à ce qu’un état second t’apporte les flashes, les bribes, les vies de ces personnages, les vies sensibles, les merveilles, les musiques, les paysages vus par ces personnages ou même par d’autres durant les minutes ou les années qui précèdent leur entrée dans cette pièce, tous les sentiments qu’ils ont éprouvés, les objets qu’ils ont touchés, leurs chairs de poules, leurs jouissances, leurs climats, leurs saisons, leurs heures, les ciels dans leurs fenêtres pour inverser la perspective d’un Hopper ordinaire, tu t’inventes la narration à mesure comme si tu la rêvais en sommeil paradoxal plutôt que d’attendre bouche ouverte qu’Hollywood la prêmache et te la déposes dans le gosier.

Ou bien je te parle d’Einstein, ou de Doisneau.

« Il y a deux façons de voir la vie, l’une comme si rien n’était un miracle, l’autre comme si tout était un miracle. » (Albert Einstein – sachant que miracle et merveille sont des cousins étymologiques)

« Je prends des photos pour les montrer aux gens et leur dire : regardez, vous avez loupé ça, vous n’aviez pas fait attention, vous étiez distraits, heureusement j’étais là. » (Robert Doisneau – citation approximative, de mémoire)

Dans tous les cas, Einstein, Doisneau, Moebius, Hopper, Malick, foutre et se faire foutre, la direction est la même, l’élan, le tempérament, l’axe, le vecteur, la quête, la promesse et le chemin : c’est la beauté. Le sens (toujours dans la même acception : l’orientation) de la vie repose dans la beauté. La voilà on la tient dans nos mains, la Merveille, ici elle est filmée par une steadycam flottante. Tiens ? J’ai mis une majuscule mais on peut l’enlever, parce qu’elle est humble, aussi, la merveille. Elle est dans l’air, elle est dans l’eau, elle est dans la boue, elle est dans un bison ou une fougère, elle est dans le vent et dans un une robe, dans une corde pincée et dans une mèche de cheveux, elle est toujours dans la lumière.

Elle est, avant tout et après tout, dans la conscience d’être en vie.

À la merveille est de tous les films de Malick celui qui a encaissé les plus mauvaises critiques. À coeur joie on a moqué sa narration ennuyeuse, son esprit de contemplation qu’on a qualifié de complaisant dès le deuxième coucher de soleil, son préchi-précha abscons, ses aphorismes ineptes (« D’où vient cet amour qui nous aime ?« ), son ridicule achevé (les scènes de ménage qui tombent comme cheveux sur la soupe, entre autres), son esthétisme de pub pour les assurances ou pour le tourisme à Paris ou au Mont Saint Michel… Tout cela parce que les critiques n’avaient pas le don. Dommage pour eux. Ils n’avaient pas cette conscience du miracle d’être en vie, conscience qui peut nous être révélée dans une forêt, ou sur l’océan, ou dans le désert, ou même dans une rue et dans la foule. Ou dans un film de Terrence Malick qui, telle une photo de Doisneau, fonctionne comme une séance de rattrapage : « Vous n’aviez pas fait attention ? Regardez mieux. »

Malick est un mystique, sans aucun doute. Ça ne me dérange pas. Les mystiques, pour tout dire, sont merveilleux. Il faut prendre garde à ne jamais confondre un mystique, être admirable parce qu’il cherche, avec un dévot, être dangereux parce qu’il sait. Les films de Malick, de Béla Tarr, de Tarkovski, de Kiarostami, de Bresson, d’Eugène Green, peut-être de Lynch, sont des oeuvres de mystiques, et autant de merveilles. La passion du Christ de Mel Gibson, ou Le Pape François, un homme de parole de Wim Wenders, sont des films de dévots et on remarquera à quel point l’effet est différent.

Le dernier mot prononcé dans À la merveille est français : « Merci ».

  • Pour un récit de révélation mystique et de joie d’être en vie on peut aussi lire l’ultime paragraphe des Reconnaissances de dettes, III/100, page 364.