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Excellente, cette purée

01/09/2010 2 commentaires

Marc-Edouard Nabe est un cas, fort édifiant pour le Fond du Tiroir – il a déjà été cité dans un article antérieur, mais à la volée. Prenons le temps de nous arrêter sur sa démarche et, surtout, de lire son livre.

« Écrivain prometteur » et emmerdeur dès les années 80, Nabe aura publié 27 livres ici et là (Le Dilettante, Gallimard, Le Rocher, Denoël) avant de se retrouver brutalement sans éditeur, faute de franc succès et d’aptitude au compromis. Il clame alors sur tous les toits qu’il arrête d’écrire… On le croit dépressif, il pète de santé. Il attend son heure… En réalité, il écrit en douce une somme colossale (694 pages), une « autofiction » d’un genre spécial, un roman où il invente ce qui lui serait advenu s’il avait réellement cessé d’écrire. Début 2010, il publie ce 28e pavé intitulé L’homme qui arrêta d’écrire en auto-édition, ou plutôt en anti-édition selon son coquet néologisme, en rupture radicale avec le milieu littéraire et ses maillons : pas d’éditeur, pas de services de presse, pas de librairies, pas de promo, pas de diffuseur, pas de bibliothèques, visibilité zéro… Le livre, courageuse aventure individuelle mais aussi symptôme de la crise (partout-partout) du monde de l’édition, court-circuite tous les réseaux et se vend directement du producteur au consommateur de viande : il est exclusivement en vente sur le site de l’auteur et dans la boucherie de son quartier. Plusieurs milliers d’exemplaires, en trois tirages successifs, se sont écoulés par ces deux filières (on ne connaît pas le chiffre, ni en gros ni en détail, des exemplaires vendus en boucherie).

Autant dire que ce livre se mérite. Pour le lire, il faut en avoir envie. J’ai eu envie. Je me suis frotté cet été à cet étrange objet. Ouf. Il y a de quoi faire. J’en sors, encore un peu étourdi.

L’incipit est un brillant paradoxe : Nabe arrête d’écrire. Que lit-on, dans ce cas ? Ce qu’il pense ? Il sort de chez lui, prêt, pour la première fois depuis des lustres, à découvrir le monde sans songer à l’écrire, gratuitement en quelque sorte. Et il nous donne à lire tout ce qu’il n’écrira pas, soit un panorama à visée exhaustive du mode de vie d’aujourd’hui, en une folle semaine, sept jours de vadrouille de Paris, et presque autant de nuits blanches. Dans le désordre : les grands magasins, les défilés de mode, l’ANPE, la sociabilité par téléphone portable, la veillée funèbre de la Cinémathèque de Langlois, la blogosphère, les greffées du visage, le Grand Louvre et ses franchises, les pèlerinages Lady-Di sur le pont de l’Alma, les boîtes à partouzes, les néo-babas en yourte et en communauté, le cinéma de Bollywood, les jeux en réseau, les arrestations policières arbitraires, le Vélib, l’art contemporain, Jack Bauer, le théâtre subventionné, les nouvelles tendances culinaires, les sites de rencontre, la téléréalité, les cinglés de la théorie du complot, l’économie parallèle, la fin de la presse payante, la sexualité 2.0, la musique électro, l’enfer de Dante, les Champs Elysées au petit matin, la virtualisation à tout bout de champ, j’en oublie forcément et des pas mûres, c’est presque trop. Nabe, en Candide vachard, bouffonne tous azimuts, souvent en laissant ses marionnettes se chamailler entre elles et en se contentant de manger ce qui se trouve dans son assiette. « Excellente, cette purée ». Mais lorsqu’on le pousse un peu, le Nabe devient volontiers bavard et déploie des idées esthétiques non conventionnelles, ma foi très stimulantes. En gros, son crédo, c’est que l’art (le vrai) est l’ennemi de la culture (le faux).

Il est, dès lors, sans pitié dans sa satire des petits mondes de la « culture ». Les noms des morts (du côté de l’art) sont intacts, ceux des vivants (du côté de la culture) sont systématiquement altérés d’une lettre, c’est dire si nous sommes dans un roman. Défilent ainsi, lorsqu’est abordé (à l’abordage ! c’est le mot exact, pas de quartier) le milieu littéraire : Houellebeckq (son ennemi intime, comme on le sait par un autre livre), Angos, Solers, Asouline, Bégaudau, Alexandre Jardain, Beigbeidé, Bernard-Henry Lévit, Olivier Adan, Jean-Philippe Blondelle, et des douzaines d’autres. Exceptionnellement, une personnalité trouve grâce à ses yeux (Julien Dorré avec qui il discute de son grand-oncle Gustave ou de Duchamp, Florence Aubenats, Alain Delons…), mais vu le statut de tricard que le bonhomme se trimbale, on se demande s’il est valorisant pour eux d’être vus en sa compagnie… Pour tous les autres, c’est le grand casse-pipe du Wouzwou.

On suit Nabe dans ses déambulations parisiennes, on profite du voyage et on choppe au vol quelques gourmandes références littéraires. Ainsi, dans la boutique d’une couturière sise près d’un lieu jadis habité et hanté par Lautréamont, Nabe admire la machine à coudre Singer et nous gratifie de cet amusant dialogue, « rencontre fortuite » :

– Que fait ce parapluie dessus ? demandè-je.
– C’est rien, c’est un client qui l’a oublié, un jeune du quartier avec un accent pas possible du Sud-Ouest.
– C’est là que tu opères ?
– Oui, c’est ma table de dissection en quelque sorte…

C’est subtil, et l’un dans l’autre, entraînant. On achoppera sur quelques longueurs cependant, un peu de lassitude est peut-être fatal lorsque le règlement de compte prend le pas sur la verve. Chaque lecteur décrochera selon ses centres d’intérêt – quant à moi j’ai fini par bâiller durant les scènes où il dézingue les pipoles de la télé, du show-biz ou du journalisme (la scène la plus lourde et la plus science-fictionesque du livre mettant en scène le dernier soubresaut du cadavre de la presse parisienne, sous la forme d’une ultime conférence de presse réunissant toutes les signatures prestigieuses de ce milieu en voie de disparition, toutes plus ridicules les unes que les autres) : ces gens de média ne me sont tellement rien que leurs parodies ne me sont pas grand chose.

Plutôt que de ces satires parfois interminables, je fais mon miel de la pâte onirique de nombreux passages où le temps se dilate et se délite, de l’étrangeté de pages qui parviendraient presque à se faire passer pour réalistes mais qui ressemblent confusément à des rêves éveillés, des états seconds tissés de fragments perdus, communs ou bien relevant de la stricte vie privée de Nabe – comme quand, vers la fin, il rencontre sa mère, puis son fils… Au fond, tout le livre est un rêve. Nabe rêve qu’il a arrêté d’écrire. Mais ne le comprendra que lorsqu’il se réveillera, c’est le principe.

L’une des premières scènes rêve ainsi le passage du précieux manuscrit de Voyage au bout de la nuit entre les mains d’un technicien qui le scanne sans le lire (la matière culturelle, dévitalisée, ne fait plus que traverser des tuyaux numériques) puis celles de quelque collectionneur fétichiste… Les références à Céline sont innombrables (la traversée de Paris par une petite bande baroque et déchaînée évoque Normance, les descentes hystériques dans les cabarets interlopes rappellent le Touit-Touit Club de Guignol’s Band, et surtout le mystérieux Jean-Phi Bouchard réapparaît périodiquement comme un double inversé du narrateur à la manière exacte de Robinson dans le Voyage), et on comprend bien que Nabe a voulu écrire ici « son » Voyage, soit une traversée du monde contemporain en transe solitaire.

Et certes, voilà une somme ample, ambitieuse, qui prend le parti de saisir toute son époque (sans le moindre passéisme : Nabe préfère les jeunes incultes aux vieux « cultivés »), mais qui n’est tout de même pas au niveau de son modèle. L’homme a du souffle, indéniablement, mais sur la durée il commet (comme la plupart des écrivains, j’imagine) certains passages superflus et redondants, qu’il édite pourtant, il est éditeur, anti-éditeur, il tourne en rond au risque de se répéter…

Exemple : p. 110 « Clémentine n’a pas l’air choquée par ce que je raconte. Tiens, j’ai une copine. Je m’en aperçois à l’instant. C’est bien la première fois depuis longtemps. Moi qui ne cultivais pas les relations sociales, c’est le moins qu’on puisse dire. » Puis, p. 151 : « Il est drôlement dur avec vous, me dit Zoé, votre ami. C’est vrai. Elle a mis le doigt dessus, pas sur sa dureté mais sur son amitié. J’ai un ami. Je m’en aperçois à l’instant. C’est bien la première fois depuis longtemps. » Si ce livre avait été édité par un éditeur plutôt que par son auteur même, celui-ci eût-il laissé passé telle redite ? Un éditeur, c’est parfois utile, finalement… (Est-ce moi qui parle ainsi ? Ah, oui, tiens, c’est moi.)

Ce qui me gène le plus dans « le Nabe« , personnage que s’est créé Nabe, son alter-ego littéraire et tête à claque, ce n’est pas tant sa potacherie de sale gosse quinquagénaire (à un moment donné, il achète un lot de farces et attrapes ineptes qu’il dilapidera sur son passage pendant le reste du roman, en terroriste du coussin péteur) ; ce ne sont pas non plus ses provocations politiques, là encore Céline a fait tellement pire et mieux (pour mémoire, on peut lire ici et là que Nabe s’est fait étiqueter anarchiste de droite suspect d’antisémitisme, puis d’extrême gauche suspect de sympathies pro-arabe… essentiellement, il aime se faire détester) ; c’est en fin de compte qu’il pose un peu trop à l’écrivain de génie, forcément maudit – les scènes finales avec la jeune fille de ses rêves, qui l’admire éperdument, en sont pénibles de complaisance, quoiqu’on les lui souhaite inspirées de faits réels. Or, il n’est pas un écrivain de génie, il est seulement un bon écrivain, ce qui doit être pour lui très humiliant. Son livre n’est pas désopilant, il est juste humoristique ; il n’est pas bouleversant, il est juste parfois touchant ; il n’est pas lyrique, il délivre juste à l’occasion une belle comparaison ; etc. S’il mérite d’être lu ? Sans doute, comme des dizaines d’autres livres platement disponibles en librairie. Rien de génial. Reste le geste. Voilà 700 pages d’émancipation, de liberté farouche, voilà un geste, d’une irréductible beauté.

Going underground

14/02/2010 3 commentaires

Ma curiosité coule de source, et confine à la tautologie voire au narcissisme, pour les auteurs qui, ayant navigué dans le monde éditorial traditionnel, se plongent plein d’usage et raison dans l’auto-édition une fois revenus dans leur petit Liré ou leur gras Northampton. Jean « Moebius » Giraud ou, dans un autre style, Marc-Edouard Nabe en sont, en France, deux bons exemples (et en musique on pense aux courageux Ogres de Barback) – mais en voici un autre, anglais celui-ci.

Depuis tantôt vingt-cinq ans je puise dans les oeuvres d’Alan Moore un plaisir et une stimulation sans cesse renouvelés. Moore est un auteur, en ce qui me concerne, de tout premier plan, et j’ai consacré à ses livres certains textes qui sont des reconnaissances de dettes (un article ici même).

Dès les années 80, Moore flambe tout l’argent que ses comics à succès lui rapportent dans la fondation d’une maison d’édition, Mad Love Publishing. L’expérience fait long feu, mais voilà qu’il recommence. Il refuse d’être associé aux blockbusters que Hollywood fabrique d’après ses livres, il lorgne au contraire vers l’infiniment petit, le fanzinat, le sérieusement potache, l’artisanat créatif, la joie qui fuse ici. La contre-culture plutôt que le mass-media, ça prend un sens quand c’est quelqu’un qui a un pied ici, l’autre là, et qui dit non. Ressuscitant un projet et un titre vieux de trente ans, Moore lance en 2009 la revue expérimentale mais généreuse, foutraque quoique classieuse, Dodgem Logic (pas si indépendante que ça puisqu’elle est distribuée par un éditeur anglais solide, Knockabout, mais ne chicanons pas). Il parraine, il jubile, il réunit ses potes, voire sa famille, dont sa femme Melinda Gebbie (comment, vous n’avez pas lu Lost girls ? Mais qu’attendez-vous ? d’être devenu impuissant ?)

Moore titre l’édito inaugural Going underground, et interpelle ainsi le lecteur :

Bienvenue dans Dodgem Logic. Prix d’entrée : votre cerveau. Ainsi que £2,50. Franchement, si vous vous contentez des £2,50, on ne viendra pas vérifier que vous fournissez pour de bon votre cerveau, qui de toute façon doit être farci de protéines animales infectées et de réminiscences approximatives des meilleures répliques de Sex and the city. Soyons réalistes : la société s’est effondrée, la culture se débat comme un mille-pattes cloué au sol par une agrafeuse, l’économie s’est évaporée comme une divinité morte. Pendant ce temps, les corbillards se bousculent en déversant des cercueils venus d’Afghanistan, chacun recouvert d’une reproduction de la mini-jupe de Geri Halliwell pour que nos gars se souviennent pourquoi ils se battent, nous prenons conscience que nous verrons de notre vivant le Norfolk devenir une nouvelle Atlantide engloutie par les eaux, les icebergs nécessaires à la pollinisation de nos aliments meurent l’un après l’autre, et les abeilles fondent. Je le sais, j’ai fait des recherches. Il est donc clair que la seule chose dont le monde a besoin, c’est une revue underground barrée, et pour seul agenda une agressivité de hasard. Dodgem Logic est entièrement réalisé à Northampton, mais conçu pour résonner sur toute la planète précisément pour cette raison qu’un trou-du-cul-du-monde, saccagé et dérisoire, en vaut bien un autre. Nous ne sommes ni locaux, ni globaux. Nous sommes lobaux.

Lisant ceci, je me marre, me sentant pas mal lobal moi-même, mais je sais que l’affaire est grave. Il s’agit de liberté d’expression, non en principes dévitalisés, mais en actes. Le résultat sur papier est forcément inégal, bouillonnant qu’il est d’énergies disparates, mais toujours beau à voir. On y trouve des détournements et de la mémoire, de la rage et des poèmes, des flashs et des fictions, du bio et de l’alter, du dada et du situ, des dessins, des photos, des musiciens (le premier numéro est agrémenté d’un CD, une heure et quart de scène locale à Northampton, du groove blues rock rap vraiment ‘indie’, magnifique), d’autres machins et de moins descriptibles, et Moore en personne fournit quantité de textes, dont un historique fort intéressant sur la presse souterraine anglaise, et dans le numéro 2 un essai sur l’anarchisme, ben voyons.

Car le deuxième numéro vient juste de paraître, avec une somptueuse couverture signée par le photographe Mitch Jenkins. Pour rire, et parce que je suis prêt à braver crânement les menaces de démons antiques,  je vous traduis un extrait de l’ours (traduire Alan Moore est chez moi une marotte), en minuscules caractères sous la page 3 :

Dodgem Logic, deuxième numéro, février-mars 2010. Attrapez ça dans vos faces, vous tous les torchons qui n’ont jamais dépassé leur premier numéro. Style, la Bible. Tout le contenu de Dodgem est sous Copyright pour ses auteurs, tous droits réservés. Reproduction interdite sans l’accord de l’éditeur et/ou des auteurs individuels. Nous sommes sérieux, là. Ne venez pas nous chercher des poux. Sachez que nous sommes cul-et-chemise avec d’anciennes forces démoniaques, le genre de petits farceurs qui vous exploseraient la tronche comme rien. Nous ne proposerons pas de formule d’abonnement avant d’être bien certains que cette belle aventure ne se conclura pas dans la cellule d’une prison pour financiers véreux, notre pauvre derrière profané par Bernard Madoff. Pour tout renseignement, contacter Queen Calluz at PO Box 927, Northampton, NN19DT, ou par mail info-arobase-dodgemlogic.com, sauf si vous êtes ce type qui nous envoie des trucs à base de lait humain et de cuissardes, en ce cas sachez que vous nous faites flipper, et allez plutôt harceler Razzle [célèbre revue porno britanique] ou un autre organe du même genre, okay ?

En outre, ce numéro contient en encart le premier (et sans aucun doute dernier) comic-book entièrement écrit et dessiné par Moore : Astounding weird penises, dont le héros est un braquemart interstellaire en tenue de cosmonaute. Vous voyez bien, que l’affaire est grave.

Le livre que vous ne lirez pas cet été sur la plage

26/06/2009 3 commentaires

Ceci est-il un livre ?

Les livres du Fond du tiroir, « pour tout le monde et pour personne », sont discrets, mais cependant débusquables… Si l’on est persévérant, on finit par trouver quelqu’un au bout du fil… Ces livres nés de la cuisse du tiroir ne sont pas un mythe, ils sont en vente, et en conséquence ils sont même vendus, oh pas beaucoup… La crise, partout-partout… Mais enfin, si peu que ce soit, la possibilité d’une transaction commerciale suffit pour que leur destin public soit enclenché… Pour que leur vie de produit soit avérée… C’était encore trop… Je me disais qu’il y avait moyen de faire mieux. Pousser plus loin le bouchon, exacerber l’éclipse, la dissimulation au paroxysme, le geste encore plus gratuit et encore plus sublime…

Eh bien, voilà qui est fait.

Mon dixième livre vient de paraître. Sauf que ce verbe ne convient pas. Mon dixième livre vient de ne pas paraître.

Il s’intitule Reconnaissances de dettes, et il est publié par les éditions du Pur hasard, qui n’existent pas. En quatrième de couverture, un code-barre, un ISBN, un prix (15 euros), une adresse web (www.purhasard.fr), une mention de dépôt légal… Respect : tout ceci est pure fiction. Pourtant le livre est bel et bien là, entre mes mains, je peux l’ouvrir, le lire… Lire un livre qui n’existe pas, quelle étrange, et vertigineuse, et borgésienne expérience.

De la même façon strictement qu’avec mes neuf précédents, je suis fou de joie en le sortant du paquet, ah de quoi rire tout seul, ah j’ai fait ça, je l’empoigne, le feuillette, redécouvre mon texte mis en forme… Et de la même façon toujours, je tombe fatalement sur une page, une phrase, un mot, où ma bouche se pince, zut, scorie, je n’aurais pas dû laisser passer, il a manqué une ultime couche de correction… Oh, je connais fort bien les symptômes… Ici, ils sont à blanc. Puisque ce « livre » n’est que pour moi.

Voilà toute l’histoire. En janvier dernier, je reçois ce mail :

Bonjour,
Je suis étudiante en troisième année d’édition au pôle « métiers du livre » de Saint Cloud, et je suis à la recherche d’un texte, ou plus exactement d' »écrits personnels » pour un projet éditorial qui consiste à éditer un texte (qui n’a jamais fait l’objet d’une publication) dans le cadre de mes études. Je recherche donc un roman personnel, une auto fiction, un journal, une autobiographie, un carnet de bord, des poèmes, recueils de chansons etc., en définitive, tout ce qui s’attache à ce sujet d’écriture de l’intime (je suis très ouverte quant à la forme de ces écrits pourvu qu’ils m’intéressent) en vue de les travailler, de les mettre en page et d’en imprimer un ou plusieurs exemplaires.
Ayant particulièrement apprécié
TS, je me demandais si vous auriez ce type d’écrit et, le cas échéant, si vous seriez d’accord pour me les « prêter », me les soumettre.
Il est évident que cela ne représente pas une vraie publication et que le travail d’auteur ne sera pas rémunéré (le travail abouti de sortira pas de l’université, il s’agit juste d’un exercice, il n’est en aucun cas question de violer les droits d’auteur).
Si mon projet retenait votre attention, n’hésitez pas à me contacter pour de plus amples informations.
Cordialement
Marion Hameury

Je réponds immédiatement : ah oui, bien sûr, très volontiers, j’ai ce qu’il vous faut. Je vous confie un texte intime et délicat, important extrêmement pour moi, dense, méticuleux et foisonnant, rédigé petit à petit sur une longue période (1998-2002), du temps où j’écrivais mais où personne ne me prenait pour un écrivain, ce qui évitait tout malentendu… Un projet vital à un moment donné, « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur » (Jean-Jacques – pour lire la citation entière c’est par ici), par bien des points la matrice de tout ce que j’ai pu écrire par la suite, publié ou non – Opus dix ? Plutôt Opus Zéro… et je ne souhaite absolument pas voir cette somme publiée, MÊME, c’est dire, au Fond du Tiroir. L’objet s’intitule Reconnaissances de dettes. Faites-en bon usage.

Elle en a fait bon usage. Aucune nouvelle pendant cinq mois… Enfin, un nouveau mail :

Je reviens vers vous maintenant que le projet est imprimé.
Nous vous avons réservé un exemplaire, aussi, si vous vouliez bien me donner votre adresse postale, je pourrais vous l’envoyer afin que vous puissiez voir notre travail, qui est en définitive le résultat du vôtre.
Je profite de ce mail pour vous dire combien il a été intéressant et enrichissant de travailler sur vos textes,
Reconnaissances de dettes et Journal de tournée, ce que nous comptons mettre en avant lors de notre soutenance (durant laquelle nous expliquerons à nos professeurs les raisons de nos choix éditoriaux).
Je vous remercie de la confiance que vous nous avez accordée en nous confiant vos manuscrits et soyez certain que nous avons veillé à ce qu’ils ne sortent pas du cadre de notre cours d’édition.
Cordialement,
Marion Hameury

Je vous reprends là où j’en étais : devant ma boîte aux lettres, je sors le volume du paquet… Le travail éditorial est soigné, le graphisme de la couverture pertinent (une vieille caisse enregistreuse greffée sur une machine à écrire)… For my eyes only. Je suis content. Comme je ne suis pas chien (ou alors, allez savoir, parce que je suis chien spécialement vicelard, soucieux  de parfaire la frustration), je vous recopie la quatrième de couve de ce livre que vous ne lirez pas :

On ne meurt pas de dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire.
Louis-Ferdinand Céline

À la manière du Je me souviens de George Perec, Fabrice Vigne compose un inventaire de 100 dettes, emprunts ou empreintes, autant de facettes de son existence que l’auteur explore à travers ce jeu oulipien. Il existe en effet un point commun entre Barbe-Bleue, Hemingway, le jazz, et le vol d’un stylo : tous on laissé une trace dans sa vie, et sont les créanciers de sa personnalité.
Une partie en trois manches dont la dernière s’étiole pour finalement s’interrompre en cours de jeu.
Fabrice Vigne est né en 1969 dans l’Isère. Proclamé « auteur jeunesse » suite à la publication de son premier roman,
TS, il aime jouer sur l’ambiguïté des catégories et brouiller les pistes, n’hésitant pas à s’aventurer hors des sentiers battus de la littérature conventionnelle et linéaire. Il est le fondateur d’une structure d’auto-édition, le Fond du Tiroir.

Moi qui, généralement, préfère avoir la main sur les quat’ de couv’, je trouve celle-ci plutôt bien torchée, et je souhaite à Marion de décrocher une bonne note à son examen, puis une longue carrière dans le monde de l’édition, milieu fort difficile où il convient de s’endurcir le cuir (cf. cet article rédigé par le Syndicat Interprofessionnel de la Presse et des Médias, SIPM). Bonne chance à elle !

Et surtout, grand merci. Je suis ravi, comblé. Mon dixième livre n’est que pour moi. Je ne manquerai pas, désormais, de mentionner ce titre introuvable chaque fois que l’on me réclamera ma bibliographie, riant sous cape à l’idée que quelqu’un, quelque part, peut-être, essaiera de dénicher cet Opus X fantôme. Où diable cette passion de l’occulte va-t-elle me mener ?

Bon ! Cette fois il n’y a plus moyen de faire mieux. Pour qu’un livre existe encore moins, il faudrait ne le point écrire, et je ne me résous tout de même pas à cette extrémité. Je retourne au boulot, requinqué. J’ai un livre à écrire. Qui, si tout se passe bien, paraîtra. C’est bien aussi (moue et haussement d’épaules).

Une petite réserve, toutefois. J’avais confié à la demoiselle deux textes, tous deux intimes, mais très différents dans leur nature, en lui demandant de choisir… Elle a choisi de ne pas choisir, et à composé le volume en accolant les deux textes. Je ne suis pas certain de la pertinence. Les Reconnaissances de dettes étaient un projet spécial, très spécifique formellement, alors que le Journal de tournée était d’une teneur plus classique, et aussi plus brut, sans lecteur en ligne de mire, par conséquent sans le souci d’expliquer les références personnelles. Ainsi, je découvre, en le relisant aujourd’hui, la phrase « Je suis le chat qui fait baw-waw » sans le moindre commentaire de texte, donc rigoureusement incompréhensible. Je m’amuse à souligner, à l’attention de personne, que, cette explication manquante, je l’ai donnée des années plus tard, dans un des premiers articles du blog. Décidément, mes références ne changent pas tellement, avec les ans. Mon goût est fait. Pour cette constatation, intime s’il en est, merci encore, Marion.

[Coup de théâtre sept années plus tard : l’idée a fait son chemin et le Fond du Tiroir a publié en douce une édition définitive des Reconnaissances de dettes.]

M le Menu

19/06/2009 un commentaire

portrait signé David Rault

JC Menu : voilà un homme.

Lorsque, pérorant à propos du FdT (l’un de mes sujets favoris), j’éprouve le besoin d’invoquer un auteur devenu éditeur par viscéral besoin d’émancipation, d’intégrité, de liberté, je cite volontiers Benoît Jacques ; mais en fin de compte, dans ce registre, le Menu est peut-être une figure tutélaire plus importante encore(1). Alors que Benoît Jacques n’édite que lui-même, cowboy solitaire, Menu a les épaules d’un porte-drapeau (c’est lourd un drapeau, il faut des épaules), et il a initié une émulation longue, large et profonde, une collective lame de fond où ont trouvé leur place quantité d’auteurs (parmi lesquels Benoît, d’ailleurs).

Évidemment, mon cas personnel s’inscrit plutôt, représentatif d’exclusivement moi-même au creux de mon Tiroir sur mesure, dans le sillage de Benoît… Et c’est pourquoi je le cite spontanément en tant que modèle… Cependant je revendique fermement l’influence de Menu.

Jean-Christophe Menu, homonyme sans parenté de la présidente du Fond du Tiroir, est pour mémoire le co-fondateur et principal animateur de l’Association, cette maison d’édition capitale, qui a montré par l’exemple et par la ténacité que les livres, les bandes dessinées en l’occurrence, pouvaient être autre chose que ce que l’on s’attend à ce qu’elles soient.

Voilà plus de vingt ans (oui : Meder, 1988) que je ne manque rien de son œuvre protéiforme, et même doublement protéiforme, c’est dire s’il y a de quoi manger : auteur passionnant (avez-vous lu le Livret de phamille ? Les Lock groove comix ? qu’attendez-vous, bon sang ?) et éditeur irremplaçable (les trois volumes de l’Eprouvette, quelle somme ! quelle corne d’abondance ! et l’OuBaPo ! et Lapin !). Au sein de sa bibliographie, je fais la fine bouche seulement devant les Plates-bandes, pomme de discorde certainement salutaire mais qui ne méritait peut-être pas un livre. Car Menu, en outre, est un graphiste qui soigne ses objets : le livre a de la valeur ; est une valeur. Je trouve qu’il y a dévaluation du livre avec les Plates-bandes, texte contingent, lisible mais pas relisible, bah, peu importe.

Un récent entretien paru sur le site du9 présente un Menu toujours aussi stimulant. C’est bien simple, l’écouter parler, moi, ça me donne envie d’en faire, des livres. Depuis vingt ans, presque.

Dans cet entretien on peut lire notamment ceci, position radicale, provocation primesautière, par conséquent vitamine pour l’esprit, que je me fais un plaisir de copiercoller, juste parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de « littérature jeunesse » :

« L’Association n’a jamais fait de la jeunesse. Parce qu’on trouvait qu’il y avait plein de gens qui le faisaient déjà bien, et que faire une collection « jeunesse » à L’Association ça n’aurait pas eu de sens. On nous a souvent demandé pourquoi on ne l’avait jamais fait (…) Il y a déjà trop de choses à faire, il y a une sorte de sélection naturelle pour ce qui ne se fait pas. Et puis d’ailleurs je suis plutôt contre le fait de concevoir des livres réservés aux enfants. Ils n’ont qu’à tout lire !« 

(NB : lors d’une conversation avec Thierry Lenain, à propos du projet de ce dernier de créer une structure éditoriale « jeunesse » alternative, gérée par les auteurs eux-mêmes, je lui avais dit « Il faudrait pour cela une sorte de Menu… » Mais qui en aurait la carrure ? Thierry lui-même, c’est possible. Certainement pas moi !)

(1) – J’ajoute cette note parce qu’entre temps, un souvenir d’enfance m’est revenu… Un autre cas de bande dessinées éditées par l’auteur… Chez mes parents, quand j’étais petit, traînaient les volumes des Frustrés auto-édités par Claire Bretecher. Pourtant je savais (je m’intéressais déjà à ces choses) que Bretecher était éditée ailleurs, chez Dargaud… Sans aucun doute, l’exemple de Bretecher, auteur considérable qui choisit la voie de l’édition personnelle par souci d’indépendance, m’a également nourri.

DIY

24/01/2009 3 commentaires

L'anarcho-punk à brushing et sa boîte à out'

Voici quelques semaines, j’ai été contacté par Catherine Leblanc qui m’a présenté un projet original : « J’ai envie de créer un site, La fabrique d’albums, pour mettre des albums gratuits en ligne. L’idée initiale est d’encourager une création libre de toute notion de rentabilité, de découvrir des talents, de permettre les rencontres entres auteurs et illustrateurs. » Ce projet, qui n’en est qu’à ses balbutiements, inclurait un volet d’édition des albums à la demande ; aussi Catherine me demandait-elle de lui exposer comment je me débrouillais pour publier moi-même mes livres.

Je reproduis ci-dessous la réponse que je lui ai faite, en guise de prière d’insérer, de note d’intention, ou bien de résumé des épisodes précédents

« Bonjour Catherine
Vive l’édition alternative, sans but lucratif, pure beauté du geste, anti-commerciale, anti-librairie, anti-réseau, anti-service de presse, anti-parisien, anti-province aussi bien, anti-tout, underground, punk, « do-it-yourself », équitable, libertaire ! Peu importe son nom, mais vive elle, ah ça oui ! Qu’elle vive !
Je vous adresse tous mes vœux pour votre projet de site, et je suis prêt à vous faire part de mon expérience, même si ceci est très différent de cela.

Voici : je disposais d’un petit pécule, gagné sur mes livres publiés chez de « vrais » éditeurs ; chérissant ma liberté plus que tout et en tout cas plus que les chiffres de vente, supportant de plus en plus mal d’envoyer des manuscrits (« Cher Monsieur ou Madame, voudriez-vous lire mon livre ? J’y ai consacré des années, juste un regard s’il vous plait ?« ), j’ai décidé d’engloutir (d’occulter, pourrait-on dire) cette somme dans un label d’auto-édition, pour publier ce que bon me semble, comme bon me semble, avec qui bon me semble, et dans un parfait dédain pour le sort commercial du livre. La « philosophie » en était :  je me paye le luxe de faire des livres à perte, grâce à l’argent que je gagne avec des livres rentables (toujours plus rentables pour les éditeurs que pour les auteurs, du reste), argent « détourné », en quelque sorte. J’ai ainsi auto-publié deux livres en 2008, et deux ou trois autres sont prévus en 2009 – si j’ai l’argent ! sinon ce sera 2010…

Détail crucial : je ne suis pas vraiment seul. Je n’aurais jamais entrepris cette démarche si je n’avais pas travaillé main dans la main avec un graphiste hors-pair (avec qui j’avais déjà réalisé deux livres chez un autre éditeur), prêt à l’aventure, et qui m’a assuré le logo, la charte graphique, la mise en page, l’élégance générale, et surtout l’émulation, le regard critique, le plaisir de créer à deux. C’est beaucoup : son titre de factotum n’est pas usurpé. Le résultat  visuellement parlant, m’enchante, je dois dire. Car d’ordinaire micro-édition signifie souvent, hélas, « édition moche » – or la médiocrité graphique était hors de question pour le Fond du Tiroir, micro-éditeur certes, mais maxi-exigeant esthétiquement. Ainsi, le personnel au complet du Fond du Tiroir se compose de moi-même et du graphiste, ce dernier étant le seul rémunéré : je lui fais un petit chèque forfaitaire pour chaque livre, bien en-deça d’ailleurs de la valeur et de la somme de travail qu’il fournit.

Je me monterai un jour ou l’autre en association loi 1901, afin d’afficher un statut légal (pour le moment, je suis dans l’absolu vide juridique : les dépenses et recettes du Fond du Tiroir sont mêlées à mon compte en banque personnel), mais cela est moins urgent que la pure et simple envie de faire des livres… La France est un pays où la liberté des livres est une authentique tradition, apprécions, et profitons-en : point besoin d’être une SARL ou quoi que ce soit d’autre… N’importe quel particulier (et je vous prie de me croire particulier) peut « faire un livre », demander à l’AFNIL un numéro d’ISBN afin de profiter de la TVA à 5,5%, etc… Ce que j’ai fait. (Je vous conseille, au chapitre des détails pratiques, la consultation de l’ouvrage qui hélas commence à dater un peu, L’auteur en liberté de Claude Vallier.)

Ensuite j’ai démarché divers imprimeurs dans la région de Grenoble (je suppose qu’il y en a autant dans la région d’Angers), j’ai comparé les devis, choisi en fonction du rapport qualité-prix… Pour mes deux premiers livres, j’ai ainsi fait appel sans le moindre scrupule à deux imprimeurs différents : je cherchais pour le premier une meilleure finition (un façonnage qui finalement s’est révélé impossible), et pour le second une garantie de rapidité et d’efficacité, j’ai donc opté pour un imprimeur davantage spécialiste du numérique… C’est tout simple, au fond ! Croyez-moi, consacrer une matinée, avec le graphiste et/ou l’imprimeur pour calibrer la couleur de couverture de SON livre, procure des joies comparables en intensité à celles de l’écriture, et nullement incompatibles.

Dernière étape, la plus fastidieuse : vendre le livre une fois qu’il existe. Je procède essentiellement par la vente par correspondance à partir de mon blog, et exceptionnellement je confie quelques exemplaires à des libraires que j’aime bien et qui m’aiment bien (sachant que ce dépôt est fatalement à perte : la marge que le libraire garde sur le livre, habituellement 30%, étant supérieure à ma propre marge « d’éditeur », plutôt située vers 15%.)

Bilan chiffré de mes premiers livres :
le premier m’a coûté 2700 euros (1800 d’imprimeur et 900 de graphiste). Il sera rentabilisé si j’écoule 220 exemplaires sur un tirage de 260 – or j’en suis à environ 110 ventes, à mi-chemin de ce seuil…
Le deuxième, plus petit et beaucoup moins cher, m’a coûté seulement 850 euros (550 euros d’imprimeur et 300 de graphiste) – celui-là sera rentabilisé plus rapidement, même si cela adviendra dans la même tranche : aux alentours des quatre-cinquièmes du tirage. À ce jour, sur un tirage de 365, j’en ai vendu 60… et offert une cinquantaine : à nouveau, j’arrive à un chiffre total d’une grosse centaine – je crains que ce soit là tout « mon public » (j’ai lu il y a quelques mois un intéressant article intitulé Mille vrais fans qui expose puis critique la théorie très « web 2.0 » selon laquelle un artiste sans éditeur (sans « major », puisqu’il y était essentiellement question de musique) mais avec un public de 1000 personnes seulement, est économiquement viable. J’en suis donc à 10% de cet objectif de viabilité !)
Le troisième livre FdT, qui sortira le 5 février, et sur lequel je travaille actuellement, est une folie douce. Très cher à fabriquer comme à vendre, il sera en quadrichromie et reproduira des gravures aux couleurs très délicates – celui-ci va me ruiner une bonne fois (reçu un devis de l’éditeur : 3800 euros, je ne dispose pas d’une telle somme, mon pécule est à présent épuisé, je vais lancer une souscription), et sera par conséquent peut-être le dernier – banco !

– Si, malgré l’adversité (et la crise mondiale partout-partout), j’équilibre mes comptes, je ferai un quatrième livre, puis un cinquième. Les idées ne manquent pas, comme on dit.

Voilà ! J’ignore si ces informations peuvent vous servir… Je termine en mentionnant un auteur-éditeur que j’admire énormément et qui est, dans le milieu de la littérature jeunesse, un exemple accompli de « l’auto-édition qui réussit » : Benoît Jacques. Voilà des années que Benoît creuse son sillon sans aucunement dévier sa charrue, il fait ses livres voilà tout, ses albums aux formats variés et ses bandes dessinées, souverainement, et ils sont magnifiques. Je n’en suis certes pas là (le FdT n’étant même pas distribué), mais, au moins de loin, Benoît Jacques est l’un de mes héros.

Bien à vous, bonne chance, et bon an neuf,
Fabrice

En post-scriptums, trois éléments de réflexion complémentaires :
1) Je crois (mais je me trompe peut-être) que les illustrateurs sont, d’une façon générale, davantage que les auteurs dans une démarche « professionnalisante », n’ont pas d’autre « métier » que leur art, et rechigneront par conséquent à offrir gratis des travaux à un site pour la pure beauté du geste, sans revenu garanti… Il est bien clair que, en ce qui me concerne, je dispose d’un salaire régulier (quoique modeste), pour une activité autre, qui assure mon quotidien et me permet de consacrer mes gains littéraires à des pures pertes littéraires.
2) J’avais discuté avec Thierry Lenain autrefois d’un projet qu’il avait conçu de monter une maison d’édition associative, gérée par les auteurs eux-mêmes, « Faire en quelque sorte », disait-il, « pour la littérature jeunesse ce que l’Association a fait pour la bande dessinée ». C’était une belle utopie, qui ne s’est jamais concrétisée, faute d’énergie et de motivation. Peut-être devriez-vous parler avec Thierry ? Peut-être que son projet et le vôtre sont compatibles ?
3) Un peu d’eau dans mon vin, finalement. Je commençais cette lettre par une énumération de qualificatifs négatifs, me posant anti-ceci, anti-cela, anti-monde de l’édition traditionnelle… Aujourd’hui, je dirais plutôt non-ceci, non-cela, plutôt qu’anti. Ce que je fais, je le fais sans eux, mais pas contre eux. »

Ci-dessous, pour illustrer le propos, la tête-de-moi-en-punk (ah ! que de souvenirs ! toute une époque ! canettes, chiens et pogo !) et un hommage de Buznik :

no  future

Casser la Barack

En vente partout !

14/11/2008 Aucun commentaire

En vente nulle part, oui. Je l’ai déjà dit, L’Échoppe enténébrée, récits incontestables n’est pas en vente en librairie (mais seulement sous le manteau). Pourquoi ? Eh bien, pour certaines raisons évidentes (étant donné le prix de revient, si on enlève la marge du libraire, je vends ce livre à perte et préfère donc ne pas le vendre du tout) et pour d’autres plus occultes (voilà un ouvrage underground, pas tête-de-gondole pantoute, dédaigneux de ses chiffres de vente, exclusivité réservée aux lecteurs sérieusement motivés, qu’ils se débrouillent donc pour trouver le chemin, le Fond du tiroir ça se mérite).

Certains libraires (bonjour Yves, bonjour Christian) m’en ont affectueusement fait le reproche, mais c’est comme ça. Pas d’échoppe pour l’Echoppe.

Et pourtant, j’ai fait à ce jour deux exceptions.

1) J’ai déposé le mois dernier une poignée d’exemplaires à la librairie Bonnes nouvelles, 3 rue Dominique Villars à Grenoble. Pourquoi acceptè-je de vendre à perte ici et pas ailleurs ? Eh bien, pour certaines raisons évidentes (cette librairie-ci se distingue par son fonds, constitué de curiosités introuvables, de mille et un livres rares et précieux, exclus des circuits commerciaux ordinaires, L’Échoppe y est bien entourée), et pour d’autres plus occultes. Je dois une fière chandelle aux Bonnes nouvelles. En 2005 je leur avais confié un manuscrit, pour avis. Elles l’avaient transmis à Philippe Castells, un autre client de leur boutique. Dans l’année qui a suivi cette entremise, j’ai publié deux livres aux éditions Castells – expérience au bilan nuancé mais sans laquelle je ne me serais jamais lancé dans l’auto-édition. C’est dire si, d’aile de papillon en aile de papillon, sans l’échoppe « Bonnes nouvelles », L’Échoppe « incontestable » n’existerait pas.

2) Je reviens de Saint-Etienne, où une animation sur Les Giètes a eu lieu tant bien que mal (les gens qui m’accueillaient étaient tout à fait charmants mais foutredieu j’ai rarement vu une organisation aussi par-dessus-la-jambe ! les libraires croyant que les bibliothécaires se chargeaient de tout, et réciproquement, personne finalement n’a rien organisé du tout. Parlez-vous un peu, messieurs-dames ! Vous êtes voisins ! bref…). J’étais venu avec sous le bras quelques exemplaires de l’Echoppe, et avant de repartir je les ai confiés à la librairie Les Croquelinottes. Pourquoi ? Eh bien, pour certaines raisons évidentes (on me l’a demandé gentiment), et pour d’autres plus occultes (ils ont accepté que je ne leur concède qu’une remise ridicule de 10%, au lieu des 35% habituels).

Et c’est ainsi que L’Échoppe enténébrée, récits incontestables est désormais en vente dans deux librairies au monde. Je me demande si je ne suis pas en train de me faire récupérer par le système, corrompu, pourri, vicié, laminé, en un mot : vendu…

Ça a débuté comme ça

09/04/2008 un commentaire

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

Me r’voilà.
Je sais, je sais…
J’avais dit : « Je ne publierai rien en 2008 ».
J’y croyais, quand je l’ai dit.
Et puis non, et puis si, j’en publie quand même un petit, là.
Un tout petit, mais très beau.
D’où sort-elle, cette grossesse non prévue ? Cet enfant non désiré ? Ce bâtard sans père (sans éditeur) ? A notre époque, pourtant, où toutes les précautions existent !
Voilà l’histoire : l’Arald (bien connue Agence Rhône-Alpes pour le Livre et la Documentation) a eu la gentillesse et l’intrépidité de décerner un prix « Jeunesse » à mes Giètes, vous savez, ce livre paru l’an dernier et dont, depuis lors, je chante sur tous les toits que ce n’est pas du tout un livre jeunesse, mais bien plutôt un livre « vieillesse ». Bon, ce prix « jeunesse » étant assorti d’une forte somme, finalement pour cesser de pinailler je veux bien me montrer aimable et admettre que tout compte fait, en y réfléchissant, c’était un livre un petit peu « jeunesse ». On est bien peu de choses.
J’ai touché ladite forte somme le vendredi 4 avril, lors d’une petite cérémonie dans la cinémathèque de Grenoble (vous n’y étiez pas ? vous auriez dû).
Mais à présent que faire de cet argent providentiel et inespéré ?
Ben un livre, tiens.
Oh, oui, quelle bonne idée, un livre.
Un, livre ! Un, livre ! Un, livre !
Bon, d’accord.
Mais alors, un livre que je ferai tout seul, pour moi, et pour quelques autres, pas plus. Un livre autoproduit. (Vive la culture vivrière ! vive le livre de proximité ! vive l’autogestion ! vive le do it yourself ! vive les punks ! No future, comme je dis toujours.) Un livre sans but lucratif, sans libraires, sans distributeur, sans service de presse, sans prix littéraires, sans débats ni contre-débats pour fixer par décret l’âge du public cible (hi hi hi), sans rien, un livre fin-en-soi.
J’ai, vous le savez sans doute si vous avez reçu mes précédents faire-parts, publié deux livres aux éditions Castells. Cette belle aventure, en cours d’achèvement, ne présente pas un bilan unanimement euphorique, toutefois j’en retire un enseignement précieux, essentiel, lumineux : faire un livre n’est pas compliqué ; ce qui est compliqué, c’est le vendre.
Or, ce livre-ci dont je vous parle, j’ai envie de le faire, ah ça oui, mais pas spécialement envie de le vendre.
Alors c’est dit, c’est parti, hop, je le fais.
J’invente un nom fictif pour une maison d’édition : « Le fond du tiroir », enseigne explicite quant à ses ambitions éditoriales. (Pourquoi pas « Les calbuts qui débordent », tant qu’on y est ?)
Ensuite, je prélève dans le fond de mon tiroir un manuscrit substantiel, auquel je tiens, sinon ce ne serait pas la peine, mais dépourvu de toute chance de connaître le moindre destin éditorial ni commercial.
Ensuite, je le retravaille soigneusement, et l’adrénaline me grise.
Et je le vois prendre forme, et l’adrénaline redouble.
Et je demande un numéro d’ISBN, pour faire vrai, et pour bénéficier d’une TVA à 5,5% au lieu de 19,6, et l’adrénaline est à son comble.
Et je reçois mon n° d’ISBN. Oh, comme il est beau ! J’en ai déjà vus des ISBN, croyez-moi, mais aucun n’était plus beau que celui-ci. Je pourrais le réciter sans fin, élégant et sublime, pur et dense comme un haïku, 978-2-9531876-0-1, 978-2-9531876-0-1…
Et d’un seul coup, ça par exemple, mais ne dirait-on pas que « Le fond du tiroir » est un vrai éditeur, avec logo et tout ?
C’est bien imité, hein ?
Bon sang, mais… mais… mais cela voudrait dire… Je suis éditeur !
Bon, c’est pas tout ça, mais de quoi il parle, ce livre ?
On peut dire, primo, qu’il s’appelle L’échoppe enténébrée, récits incontestables, et que ce titre constitue un plagiat perequien sans scrupules ; secundo, que tant que vous ne l’aurez pas lu vous ne saurez pas si vous êtes dedans ou pas (alors, ça, si ce n’est pas efficace, comme teasing), et voilà strictement les seuls indices qu’on en peut donner sans déflorer l’intense suspense qui court au long de ces pages. N’insistez pas, vous n’en saurez pas plus. À quoi bon ?
Ah, non, attendez, tout de même, une autre précision indispensable : l’habile et exquis Patrick Villecourt, idéal acolyte illico promu au rang de factotum du « Fond du tiroir », a conçu ce livre, c’est dire si le volume flatte l’oeil, la paume, et le bon goût.
Il est imprimé à 260 exemplaires aux dépens de l’auteur (merci qui ? merci l’Arald), qui, pas chien, numérote et signe à la main chaque exemplaire.
Vous le voulez ? Vous y tenez ? Vraiment ? C’est pas pour me faire plaisir, au moins ?
Alors, c’est très simple : vous envoyez un chèque de 13 euros + 2,90 euros de port (si j’ai l’occasion de vous donner l’objet de la main à la main, laissez tomber le port, naturellement), multiplié par le nombre d’exemplaires dont vous avez besoin, à l’adresse suivante :
Le fond du tiroir, c/o Fabrice Vigne, 11 rue du Champa, 38450 Le Gua.
Vous libellerez le chèque à l’ordre de moi-même (mon nom est « Fabrice Vigne »), et ce faisant vous éviterez soigneusement je vous prie de libeller au « Fond du tiroir », option qui serait certes plus rigolote, mais m’obligerait à ouvrir un compte bancaire sous ce nom [Aggiornamento 2010 : c’est fait] – par conséquent je préconise cette plaisanterie exclusivement à ceux d’entre vous pour qui la fin du mois est précoce chaque mois, et qui préfèrent que j’attende un peu voire très longtemps voire la vie des rats avant d’encaisser leur règlement.
En outre, d’avance je vous remercie de vous abstenir de m’envoyer vos manuscrits, je ne les lirai pas, c’est pas parce que je suis « éditeur » (et que je dispose d’ISBN incomparablement plus beaux que ceux des autres) que je vais me mettre à publier des livres comme des petits pains. Eh, oh ! Je sais bien que, vous aussi, vous avez des tiroirs remplis à ras bord de manuscrits, mais si vous voulez les éditer, vos livres, vous savez ce qu’il vous reste à faire : décrocher le prix « jeunesse » de l’Arald.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, faites de beaux rêves.
Fabrice