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La machine à décerveler du père Ubu

27/10/2022 Aucun commentaire

Le formidable et palpitant film documentaire consacré à « l’agnotologie » et à la désinformation, La Fabrique de l’ignorance (Franck Cuveillier et Pascal Vasselin) a reçu le prix Parisciences 2021, et c’est justice.

Cette archéologie, non pas du savoir, mais du non-savoir stratégique, est une œuvre de salubrité publique. Les deux auteurs décortiquent comment, depuis les années 50, les grandes compagnies (tabac, amiante, carburants, pesticides, chimie, plastiques, agroalimentaire, nucléaire, numérique, etc.) ont privatisé la méthode du doute scientifique ainsi qu’ils ont privatisé tout le reste du bien commun, afin de retourner perversement la science contre elle-même, et de dynamiter la notion même de savoir. Sophisme : le scepticisme est une vertu scientifique, n’est-ce pas ? Alors les climatosceptiques sont les seuls vrais scientifiques. Les conclusions de leurs commissions d’experts appointés par ces compagnies (ou, pire encore, sincères) est, de façon récurrente, “On ne peut pas savoir” (si le tabac, l’amiante, les carburants, les pesticides, la chimie, les plastiques, l’agroalimentaire, le nucléaire, le numérique, etc… sont réellement dangereux).

Ainsi est réduit à néant tout ce qui pourrait entraver leur “bizness as usual” et leurs profits. Dans l’un des documents confidentiels ayant fuité (cf. la 26e minute du film), on lit cet aveu extravagant :

« Le doute est notre produit car c’est le meilleur moyen de concurrencer l’ensemble des faits présents dans l’esprit du public, c’est aussi le moyen d’établir une controverse. »

Le doute, principe qui enorgueillit et élève la pensée humaine au moins depuis Descartes, est ravalé à l’ignoble niveau de l’astuce marketing. La responsabilité morale de ces compagnies dans la confusion mentale généralisée à notre époque saturée de “faits alternatifs” , de mensonges décomplexés, de trumpisme et de poutinisme, est colossale et sera impossible à rembourser – tout comme les crimes contre le vivant lui-même.

Le documentaire n’est plus en ligne sur Arte (sauf en payant sur la boutique) mais on le trouve en deux clics sur Youtube.
Le paradoxe, ironiquement souligné par le cinéaste lui-même, est que son succès aura été, aussi, celui des complotistes qui ont massivement regardé le film… Mais il est parfois terriblement difficile de contredire les complotistes : comment appeler un cénacle de messieurs encravatés qui se réunissent dans une salle de conférence et élaborent une stratégie globale de décervelage, sinon “un complot” ?

Également sur Youtube : notre chanson Vos gueules (Leïla Badri, Norbert Pignol, Fabrice Vigne et Nicolas Coulon), d’une actualité sans date de péremption puisque les gueules ne se ferment pas, ferait une excellente bande originale pour ce film. « Tiens, une abeille est morte, tralalala… » :

Sur le même sujet que La fabrique de l’ignorance, et mettant en exergue cette hallucinante même citation (Notre produit, c’est le doute), on se réfèrera à ce déjà classique de 2010 réédité cette année aux éditions du Pommier, Les Marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik M. Conway.

Vaillant petit ailleurs

17/10/2022 Aucun commentaire
Marie MAZILLE – chant, nyckelharpa, accordéon, mots
Christophe SACCHETTINI – flûtes, scie musicale, psaltérion, percussions, conception, montage
Fabrice VIGNE – récitant, trombone

Sept d’un coup ! Comme dit le vaillant petit tailleur.
Je n’avais jamais connu un tel marathon. En un mois, j’ai joué dans sept spectacles distincts, dont certains étaient conçus et écrits par moi-même, et dont plus de la moitié (quatre sur sept, eh ouais) étaient payés, fût-ce au chapeau. Si je devais devenir intermittent (qui connaît l’avenir, hein ?), ce mois-là serait une bonne période-test pour m’interpeler moi-même comme on donne un conseil à un vieux pote, Eh, gars, non mais franchement qu’est-ce que tu fous encore avec ton travail salarié que-t’aimes-bien-mais-t’as-mieux-à-faire ?

Mesdames et messieurs, ledit marathon s’achèvera demain soir, mardi 18 octobre 2022 à 20h, avec le spectacle le plus bizarroïde des sept, haut la main, ne manquez pas ça parce qu’on ne le refera, a priori, jamais, et même, en capitales, JAMAIS.
Ce sera un ciné-concert intitulé Le miroir qui revient, chez Christophe Sacchettini et Marie Mazille, il reste quelques places, informations à la demande en message privé auprès de moi ou de Christophe, qui, dans certains réseaux sociaux interlopes, est également connu sous le nom de Mustradem Prod.
Pour de sordides raisons de droits, je n’ai pas l’autorisation de vous détailler davantage les œuvres filmées et écrites qui seront présentées ce soir-là (je peux tout au moins dire qu’on y entendra au minimum une chanson inédite de Marie Mazille), j’en suis réduit à vous redire Faites-nous confiance, venez donc, ce sera vachement bien et, au sens premier et absolu, inouï.

La photo originale (et c’est le moins qu’on puisse dire) est ici.

Concerto pour caillou

25/09/2022 Aucun commentaire
Pour agrandir : clic droit « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »

Sinon, je fais ce genre de choses, aussi.

J’ai reçu une demande de spectacle assez complexe : il fallait à la fois que ce soit une déclinaison pour enfants des Tubes du baroque conçus en 2020 avec Christine Antoine et le Jardin Musical (voir ici) ; mais aussi un concert pédagogique permettant la découverte et, dans le meilleur des cas, l’incitation à l’apprentissage, d’instruments de musique rares et peu enseignés ; et enfin, à tant faire, un conte musical pour distraire, amuser, enrober et faire digérer.

M’est revenu en mémoire le merveilleux conte (et non conte merveilleux, ne confondons pas tout) La soupe au caillou, tel que raconté par mon maître en contes, Michel Hindenoch (voir ici), parabole sur la générosité, sur le partage, sur l’acceptation de l’autre, sur le besoin humain de se nourrir de symboles autant que de nourriture.

Ainsi ai-je écrit Le concerto pour caillou, parabole sur la générosité musicale, sur le partage musical, sur l’acceptation de l’autre musicien, sur le besoin humain de se nourrir de symboles musicaux autant que de musique.

En secret, ce spectacle est aussi autobiographique, puisqu’il raconte, même si je n’allais tout de même pas le révéler aux marmots (ça ne les regarde pas) mes complexes intimes, ma petite timidité quand je dois partager la scène avec des vrais musiciens, moi qui ne le suis pas tant que ça : moi, je suis tout juste bon à jouer du caillou, c’est-à-dire du symbole par surcroît.

Le gestionnaire et le créateur

23/09/2022 Aucun commentaire

Lu avec passion Underground : Grandes Prêtresses du Son et Rockers Maudits (Glénat, 2021) d’Arnaud le Gouëfflec & Nicolas Moog, collection de losers magnifiques, puissances cachées, âmes damnées, loups solitaires et vengeurs masqués de l’histoire de la musique.

Si j’écoute et admire nombre de ces freaks depuis lurette, Sun Ra, Moondog, The Residents, Captain Beefheart, Crass (groupe anarcho-punk incorruptible que j’ai abondamment cité dans Jean II le Bon, séquelle), Brigitte Fontaine… d’autres en revanche sont pour moi des heureuses trouvailles. Par exemple, je ne connaissais que de nom, et vaguement de réputation, Un drame musical instantané, collectif pourtant très important puisqu’il est pratiquement l’inventeur de la fertile notion de ciné-concert. Or je découvre son histoire, sa philosophie, et au bas d’une page je m’arrête, mais vraiment, je tombe en arrêt devant la citation de l’un de ses fondateurs, Jean-Jacques Birgé :

Lorsqu’on sait faire, on gère. Lorsqu’on ne sait pas, on invente.

Cette sentence est tellement profonde et tellement universelle, applicable bien au-delà du domaine de la musique (en politique nous ne sommes gouvernés que par des gestionnaires qui savent y faire, longtemps qu’on n’a pas vu un seul inventeur), que je me la répète comme un mantra et que j’envisage de l’inscrire sur mon mur. La vérité c’est que plus je vieillis, moins j’ai envie de savoir et plus j’ai envie d’inventer. Dans la foulée je gouglise Jean-Jacques Birgé et je finis par retrouver sur son blog l’origine de la citation.

Or tout est intéressant sur ce blog. J’y retourne.

Mais à propos de ciné-concert avez-vous réservé votre soirée du 18 octobre pour le ciné-concert ultime ?

Ta mère fit un pet foireux / Et tu naquis de sa colique

24/06/2022 2 commentaires

Chaque peuple a besoin, afin de devenir peuple, d’une mythologie qui lui raconte et lui rappelle qui il est. Il a notamment besoin, au sein de cette mythologie, d’un mythe fondateur, étiologique, acte de naissance symbolique censé démarrer l’Histoire et qui sera rituellement célébré chaque année, par exemple à l’occasion de la Fête Nationale.

Ainsi, pour nous autres Français qui fêtons la Nation le 14 juillet, la Révolution de 1789 tient lieu de ce récit des origines – sauf chez les irréductibles royalistes, peuple séparatiste de longue date, qui en lieu et place commémorera par une messe la décapitation du roi chaque 21 janvier et se racontera le soir à la veillée, outre les massacres vendéens, l’élection d’Hugues Capet en 987 voire, parmi les intégristes, le baptême de Clovis en 496.

Pour les Italiens, ce sera sans doute l’épopée de Garibaldi dont le summum est son entrée dans Rome en 1848 ; pour les Suisses, le Serment du Grütli en 1307 ; pour les Américains, la première Thanksgiving de 1621 (le premier repas partagé avec les bons sauvages indiens qui n’attendaient que l’arrivée des père pèlerins pour découvrir le goût de la dinde) ou bien la Boston Tea Party de 1773 ; pour d’innombrables pays nés durant la décolonisation, divers épisodes glorieux et débordant de martyres de la lutte pour l’indépendance ; pour les Serbes, la bataille du champ des merles en 1389 ; pour un nombre conséquent de pays occidentaux où le 8 mai est férié, la fin de la Seconde Guerre Mondiale triomphant du nazisme (autorisant, aujourd’hui encore, l’invocation de la chasse aux nazis pour justifier une guerre : un récit mythique n’est valide que s’il est ponctuellement réactivé) ; les Allemands en revanche, pour qui la célébration de la Seconde Guerre Mondiale serait inappropriée, ont fixé leur Fête Nationale au 3 octobre, car leur récit des origines privilégie l’histoire récente, la Réunification ; les peuples ne se limitant pas aux frontières nationales, on note que le peuple chrétien a quant à lui pour mythe fondateur la naissance de son Sauveur entre le bœuf et l’âne (et qu’il est parvenu à imposer au monde entier le décompte du Temps : notre calendrier indique l’an 2022 après la naissance imaginaire, célébrée le 25 décembre) ; le peuple musulman, quant à lui, conte et compte à partir du voyage de Mahomet entre La Mecque et Médine ; etc.

Mais intéressons-nous à l’Ukraine. En Ukraine, le récit fondateur est certes guerrier, comme presque partout, mais également rigolard, comme presque nulle part : il s’agit de La réponse des Cosaques zaporogues au sultan de Turquie en 1676.

Admirez tout en haut de cette page le timbre-poste ukrainien émis en 2014 : il reproduit un tableau d’Ilia Répine (seconde version, 1889-1896, exposée en Ukraine au musée d’art de Kharkov – une première version datée de 1880-1991 est visible quant à elle en Russie, au Musée russe de Saint-Pétersbourg) et il réactive sous vos yeux le mythe fondateur d’une nation.

Que voyons-nous sur cette scène d’allégresse où les convives sont rouges comme à la fin d’un banquet ? Des cosaques morts de rire sont en train de rédiger une lettre d’insultes au Grand Turc. Ils répondent, en réalité, à une missive préalable, celle-ci dénuée du moindre humour, dépêchée par le sultan Mehmed IV qui les a envahis et les somme de se rendre :

« En tant que sultan, fils de Muhammad, Frère du Soleil et petit-fils de la Lune, Vice-roi par la grâce de Dieu des royaumes de Macédoine, de Babylone, de Jérusalem, de Haute et Basse Égypte, Empereur des Empereurs, Souverain des Souverains, Invincible Chevalier, Gardien indéfectible jamais battu du Tombeau de Jésus Christ, Administrateur choisi par Dieu lui-même, Espoir et Réconfort de tous les musulmans, et très grand défendeur des chrétiens,
J’ordonne, à vous les Cosaques zaporogues de vous soumettre volontairement à moi sans aucune résistance.
Sultan Mehmed IV »

Les cosaques, grisés par l’atelier d’écriture et par l’invective, tout en rongeant leur frein avant le vrai conflit armé, rient aux éclats de leur orgueil, de leur audace et de leur obscénité, et répondent en ces termes :

« À Toi Satan turc, frère et compagnon du Diable maudit, serviteur de Lucifer lui-même, salut !
Quelle sorte de noble chevalier au diable es-tu, si tu ne sais pas tuer un hérisson avec ton cul nu ?
Mange la vomissure du diable, toi et ton armée.
Tu n’auras jamais, toi fils de putain, les fils du Christ sous tes ordres : ton armée ne nous fait pas peur et par la terre ou par la mer nous continuerons à nous battre contre toi.
Toi, marmiton de Babylone, charretier de Macédoine, brasseur de bière de Jérusalem, fouetteur de chèvre d’Alexandrie, porcher de Haute et de Basse Égypte, truie d’Arménie, giton tartare, bourreau de Kamenetz, être infâme de Podolie, petit-fils du Diable lui-même,
Toi, le plus grand imbécile malotru du monde et des enfers et devant notre Dieu, crétin, groin de porc, cul d’une jument, sabot de boucher, front pas baptisé !
Voilà ce que les Cosaques ont à te dire, à toi sous-produit d’avorton ! Tu n’es même pas digne d’élever nos porcs. Tordu es-tu de donner des ordres à de vrais chrétiens !!
Nous n’écrivons pas la date car nous n’avons pas de calendrier, le mois est dans le ciel, l’année est dans un livre et le jour est le même ici que chez toi et pour cela tu peux nous baiser le cul !
Signé le Kochovyj Otaman Ivan Sirko, et toute l’armée zaporogue »

N’est-ce pas que l’on a envie de lire ces phrases fleuries à voix haute, de les brailler, de se goinfrer de l’injure, de se barbouiller du grand rire ? Peut-être venez-vous de le faire, comme moi ? Le Fond du Tiroir (archive) vous a déjà entretenus autrefois, en temps de paix, de ce si pittoresque fait historique qui inspira Mallarmé dans la Chanson du Mal-Aimé, pour une sorte de traduction en octosyllabes :

Plus criminel que Barabbas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d’immondice et de fange
Nous n’irons pas à tes sabbats

Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D’yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique

Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments

… Puis à sa suite Léo Ferré et Chostakovitch.

Mais, réactivation du mythe commun oblige, cette histoire trouve des échos singuliers depuis l’agression de Poutine que l’Ukraine subit. Les Ukrainiens de 2022, pour qui Navire de guerre russe, va te faire foutre (en VO : Російський військовий корабель, іди …!) est devenu un joyeux cri de ralliement et de résistance acharnée, ne sont-ils pas les superbes descendants des cosaques de 1676 ?

Terminons comme nous avons débuté, par la philatélie. La poste ukrainienne a émis ce très joli timbre, allusion au fier slogan.

Les coïncidences sont toujours les mêmes

22/06/2022 Aucun commentaire

Il (me) reste tellement de chansons d’Anne Sylvestre à découvrir, ou au moins à redécouvrir quand on a le malheur de les avoir oubliées… Celle-ci, Coïncidences (1981, album Dans la vie en vrai) me tombe par hasard dans l’oreille ce matin et je suis abasourdi par sa modernité, elle aurait pu être écrite hier ou demain.

J’en suis d’abord épaté, ensuite accablé. Cela veut dire qu’il y a 40 ans on savait déjà tout, mais tout, sur la pollution, sur l’usure au travail, sur les ravages industriels, sur le déni puis les mensonges des communicants, sur l’économie qui prévaut face à la destruction, sur la mort en marche, sur les discours de temporisation pendant la sauvegarde de la production et de la consommation. Sur la colère. Sur les chansons qui causent toujours. Que s’est-il donc passé depuis 40 ans ? Rien. Ah, si, tout de même : Emmanuel Macron a dit, attends, accroche-toi, que « l’écologie est le combat du siècle« . Ha ha ha ho ho ho hi hi hi !

« Et surtout gardez vos vélos, on ira voir au bord de l’eau, si jamais la mer veut redevenir bleue« , conclut Anne.

J’ai créé sur un peu le même sujet la chanson Vos Gueules avec Norbert Pignol, Leïla Badri et Nicolas Coulon, il y aura bientôt trois ans. Que s’est-il passé en trois ans ? Oh, ben tu penses, Anne Sylvestre n’a rien pu faire, alors nous…

LEF

21/06/2022 Aucun commentaire

« La liberté, l’égalité, la fraternité et moi »
Photo : François Raulin, juste avant le concert de Micromégas, Châtel-en-Trièves, place de la Mairie (naturellement), 11 juin 2022.

Un peu plus tard, en pleine action, nous ressemblions à ça :

Pour ceux qui l’ignoreraient encore, Micromégas n’est pas qu’un petit géant âgé de 670 ans et mesurant trente-neuf kilomètres, venu de la lointaine Sirius. C’est aussi un petit grand groupe (en V.O. : little big band) qui swingue quand il le faut, improvise souvent, danse la bourrée auvergnate quand il a soif, groove le reste du temps, et parfois cumule les mandats. Mais toujours avec force liberté, égalité et fraternité.

Prochaine apparition publique : parc d’Uriage-les-Bains, jeudi 7 juillet, 19h.

Marchons, marchons, mais dans une autre direction

01/05/2022 Aucun commentaire

Les éditions phonographiques EPM viennent de publier Gaston Couté, jour de lessive, qui déploie en deux CD quelques-unes des chansons du grand poète anarchiste, entonnées par ses héritiers du XXIe siècle : Gérard Pierron, Laurent Berger, la Bergère, Marc Ogeret, Loïc Lantoine, Coko, Danito, etc.

Et puis bien sûr il y a La paysanne, chantée par Marie Mazille et nous autres, vibrante comme si elle avait été écrite ce matin, hymne national officieux qui aurait de quoi faire rougir de honte la Marseillaise – elles n’ont guère en commun que le « Marchons ! Marchons ! » volontariste, mais il suffit de se souvenir que n’importe quel parti, et pas le moins vulgaire, peut s’intituler « En marche » pour négliger ce lieu commun si facilement récupérable (ledit parti vient du reste de changer d’enseigne comme on retourne sa chemise et répond (?) désormais au nom de Renaissance alors même que le quattrocento ne lui appartient pas davantage que la marche à pied).

Écoutons, réécoutons cette chanson. « Eh bien, j’en suis ! », comme dit la Canaille : je suis là, quelque part dans les chœurs qui grondent.

S’agit-il d’une consigne de vote ? En quelque sorte.

Les détails ici : Michel Kemper en personne présente la collection Nos enchanteurs inaugurée par ce double album Couté.

Et puis, pour une autre exégèse, une rediffusion au Fond du Tiroir.

Consigne de vote

21/04/2022 un commentaire

Comment ? Il paraît qu’un événement national aura lieu ce dimanche 24 avril ? Attendez, je ne vois pas de quoi vous parlez… Laissez-moi réfléchir… Ah, mais oui, bien sûr ! Le début du stage de printemps à Bourgoin-Jallieu ! Avec notamment l’atelier « Ecriture de chansons » par MMMM (Marie Mazille et Mézigue pour Mydriase) !

Et voilà que, dommage collatéral, cette nuit je participais avec ma fille à un atelier d’improvisation théâtre-clown, dirigé par François Raulin (qui dans le monde réel dirige un orchestre où j’improvise au trombone).
Avec son énergie et sa vitesse habituelles, François lance les thèmes et pousse les gens sur la scène. Il nous désigne, ma fille et moi, en deux coups d’index : « Allez, on y va, hop-hop, vous deux, vous tournez dans une émission de téléralité, il y a le présentateur qui retrace la carrière de son invité et appelle à monter sur scène successivement sa famille, ses amis et son chat. Vous avez deux minutes pour vous préparer. »
Immédiatement j’empoigne un papier et un stylo, je commence à écrire à toute vitesse et je dis à ma fille : « Alors… c’est moi qui tiens le micro, je te présente tout mielleux tout sourire, attends j’ai une super idée, je me fous en caleçon et je te dis comme si de rien n’était : Merci beaucoup d’être venue, nous sommes ravis de vous recevoir, nous avons envie de tout savoir de vous, y compris votre inconscient, vos cauchemars récurrents, par exemple, racontez-nous : cela vous arrive-t-il de rêver que vous apparaissez en public en sous-vêtements, pas du tout préparée ? Ah ah, trop marrant, non ? »
Et en riant je commence à me dessaper. Ma fille lève les yeux au ciel et me dit en soupirant : « Mais arrête, qu’est-ce que tu fous, rhabille-toi, et d’ailleurs arrête d’écrire tout à l’avance, c’est un atelier d’improvisation, pas d’écriture… »
Je me réveille, et je recommence illico à cogiter à notre stage de chansons qui commence dans quatre jours.

Rachmaninov ? It is unfair ! (Cancel la Cancel, 5/5)

21/03/2022 Aucun commentaire

Je conclus en musique le feuilleton du Fond du Tiroir consacré à la cancel culture, débuté l’an dernier en musique. Épisodes précédents :
1 : Que faire du baroque ?
2 : Le zèle des mythos
3 : C’est une blague ou quoi ?
4 : Céline n’avait pas menti

Le vendredi 18 mars 2022, OSE, l’orchestre symphonique dirigé par Christine Antoine, au sein duquel j’officie à la fois en tant que trombone basse et chauffeur de salle, a donné un spectacle dont le clou était l’interprétation du 2e concerto pour piano de Rachmaninov, avec la jeune et prodigieuse Laure Cholé au piano.

Le speech que j’ai prononcé en amont :

Vous allez entendre à présent le deuxième, sans doute le plus connu, des quatre concertos pour piano écrits par Sergueï Rachmaninov. C’est pour nous une grande chance de jouer cette pièce, très difficile pour nous, de même c’est une chance pour la soliste, la pianiste Laure Cholé, de jouer avec nous cette pièce très difficile pour elle aussi – surtout pour elle, d’ailleurs – au seuil de sa carrière qu’on lui promet brillante. Elle est très jeune certes, quoique pas beaucoup moins que Rachmaninov qui n’avait que 27 ans au moment de la création du concerto. Mais attention : je viens de mentionner deux fois que c’était une œuvre difficile… Mesdames et messieurs, il vaut mieux ne pas s’étendre sur la grande difficulté technique de cette musique, car si elle n’était pas aussi belle, sa difficulté n’aurait aucune importance. 
Qu’est-ce qu’un concerto ? C’est, littéralement, une concertation, un dialogue. Vous allez assister à un dialogue entre deux interlocuteurs, un instrument soliste, ici le piano, et l’orchestre. Que raconte ce dialogue ?
Le concerto a été créé en 1901 et depuis 120 ans, son succès ne s’est jamais démenti. On l’a entendu sur tous les continents, on a vibré, on s’est extasié, on l’a cité (“Rachmaninov ? It is unfair !”), on l’a décortiqué et analysé de bien des façons, et pour ma part, je vous propose la grille d’interprétation suivante : il s’agit d’une œuvre profondément autobiographique. 
Comment comprendre une musique sans paroles comme autobiographique ? Eh bien, simplement en se souvenant que Rachmaninov était un romantique, peut-être le dernier des romantiques égaré dans une époque où le romantisme n’était plus guère à la mode. L’un de ses modèles revendiqués était Berlioz, et comme son précurseur, il n’hésite pas à emplir sa musique de ses propres drames, ses passions, ses angoisses et ses enthousiasmes. On peut écouter ce concerto comme un documentaire sur la psyché de Rachmaninov, d’autant qu’il l’a composé au sortir d’une longue dépression. La musique raconte sa résilience, si l’on veut employer ce mot du XXIe siècle qui est ici un grossier anachronisme, tant pis.
Un autre élément clef autorise, à mon sens, la piste autobiographique : lors de sa création en 1901, qui joue du piano ? Rachmaninov lui-même, bien sûr. Écoutez bien : le piano parle, l’orchestre répond. Le dialogue entre le piano et l’orchestre est en réalité un dialogue que l’individu R. engage avec son art, avec la musique. Voire avec le monde.
Rachmaninov était un pianiste prodigieux, un des meilleurs de son époque, avec une mémoire sans égale, et une exubérance qui tranchait par rapport à son tempérament plutôt réservé et introverti lorsqu’il se tenait loin du clavier. Il était connu pour jouer de façon très véhémente, il lui arrivait de casser des cordes de son piano en concert (il est en cela le prototype des rock stars qui ont fait de même avec leurs guitares). Espérons qu’aucune corde ne casse ce soir. Il avait aussi des mains gigantesques, il pouvait d’une seule main jouer un accord de treizième, je laisse les musiciens dans la salle (et sur la scène) rêver à cet intervalle : sur un clavier, du do au la de l’octave suivante – mais, de nouveau, quelle importance aurait la difficulté technique de jouer une treizième en une seule main, si ce n’était pour atteindre à la beauté d’un accord de treizième ?
Je vais vous laisse maintenant savourer ce moment exceptionnel, ce concerto composé de trois mouvements : Moderato ; Adagio sostenuto ; et Allegro scherzando, en vous rappelant de ne pas applaudir entre les mouvements. Nous voici, vous et nous, embarqués pour environ 35 minutes de musique sublime.

Puis, le speech en aval :

Après cet exceptionnel concert russe, nous vous proposons pour le rappel d’effectuer un pas de côté, qui n’est pas mentionné dans votre programme. Pardonnez-moi, il me faut pour une fois parler ici avec une certaine gravité. Car nous avons beau nous consacrer aux beautés de la musique, nous vivons dans le même monde que tous, et ce monde est heurté. Les échos de la guerre nous parviennent. La guerre qui a lieu en ce moment en Ukraine a d’innombrables conséquences, y compris dans le milieu de la musique. Un peu partout dans le monde, les musiques russes et les musiciens russes sont boycottés, en sanction d’événements qui les dépassent. Le cas du chef d’orchestre Valery Gerguiev, évincé des salles de concerts, est le plus connu, mais les exemples ne manquent pas. On peut citer celui du jeune pianiste russe de 21 ans, Alexandre Malofeev, qui justement joue Rachmaninov avec virtuosité, et dont les concerts en Europe ou en Amérique sont tous suspendus. Or, il s’était exprimé dès le début du conflit, conscient que ses propos pouvaient mettre en danger sa famille restée à Moscou. Il a déclaré : « La vérité est que chaque Russe se sentira coupable pendant des décennies à cause de la décision terrible et sanglante qu’aucun de nous ne pouvait influencer et prédire. » 
Et quant à nous, petit orchestre symphonique d’Eybens, même à notre échelle nous devons répondre à des questions du type : « Êtes-vous certains de la pertinence d’interpréter de la musique russe en ce moment ? N’y a-t-il pas une faute de goût ou au moins un problème de timing ?” Que répondre à cela sinon notre espoir que donner accès à la beauté contribue à la paix plus efficacement que canceler, reléguer au purgatoire Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Moussorgski, Borodine, Chostakovitch, ou Prokofiev ? (Prokofiev qui du reste n’était pas russe mais ukrainien…) Et aussi répondre par notre foi que la musique, comme Jean-Luc Godard l’avait dit à propos du cinéma, est “plutôt un pays en plus« . Comment ne pas évoquer pour conclure, l’amitié indéfectible et l’admiration mutuelle entre Rachmaninov le compositeur russe né à Novgorod et Vladimir Horowitz le chef d’orchestre ukrainien né à Kiev ?
En guise de bis, pour clôturer notre programme russe, nous allons vous interpréter l’hymne national ukrainien. Il s’intitule Chtche ne vmerla Ukraïny, ce qui signifie : “L’Ukraine n’est pas encore morte” .