Hier, j’ai enchaîné cinq films en salle. Un marathon d’images, de couleurs, de visages, d’yeux et de bouches, de corps aussi bien sûr mais surtout de visages, de visages plus grands que soi, de sons, de musiques, de paysages, de mouvements, de mots, d’idées, de sensations, d’émotions, de plans, de temps, de vie. Cinq films dans la même journée, voilà qui ne m’était pas arrivé depuis environ 40 ans, lorsque « la fête du cinéma » inventée par Lang (Jack, pas Fritz) donnait accès à la boulimie et surtout au fantasme, à ce fantasme de « tout voir ». Je me souviens que Godard disait, avec autant de gratitude qu’il était capable, qu’il était de la dernière génération qui pouvait encore « voir tout le cinéma ».
Or par chance, ce sont cinq films extraordinaires que j’ai vus :
– Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan (Arf ! commencer sa journée par 3h15 en turc, ça vous fouette les biorythmes) ; – Sibyl de Justine Trier ; – Les ombres persanes de Mani Haghighi ; – Le bleu du caftan de Maryam Touzani ; – Yannick de Quentin Dupieux (Arf ! terminer sa journée par 1h05, soit le tiers des Herbes sèches, de délicieuse absurdité, ça vous requinque les biorythmes pour un tour et pour la nuit).
Cinq films formidables qui peut-être en d’autres circonstances eussent mérité un jour chacun, histoire de laisser le temps de la digestion… Sauf que là, pas le temps de métaboliser : un film chasse l’autre qui reste pourtant présent, en filigrane, en strate, selon le principe de la persistance rétinienne qui est le cinéma lui-même. Les conditions de visionnage intensif entraînent des effets curieux qui sont loin d’être inintéressants. Une exposition plus large de notre psyché photosensible, une attention parfois flottante où le cerveau du regardeur finit par lâcher prise, ouvrir les vannes, surmonter les inhibitions, il se laisse aller et accueille en vrac et bouche des trous et ouvre des portes, superpose des couleurs, des sens et des histoires, en somme il collectionne ces apophénies dont le Fond du Tiroir ou le complotisme sont toujours friands (cf. archive au Fond du Tiroir).
Ne pas confondre deux faux-amis : cet effet stupéfiant (au sens de drogue douce) propre aux festivals de cinéma est tout-à-fait distinct de celui engendré par le binge-watching de séries sur petit écran, où l’on passe des heures dans un état plus constant, un état d’excitation continue mais molle, d’écarquillement méthode Ludovico, d’hystérie impuissante où l’on est assez peu créateur de ce qui est en nous.
En fin de compte, enchaîner des films si différents, des oeuvres si différentes qui sont autant de propositions mentales, me rappelle surtout ce que je n’oublie pourtant jamais : j’aurai beau aimer tel ou tel film, et même parfois l’aimer passionnément… Que je l’aime ou non a finalement peu d’importance car ce que j’aime avant tout, c’est le cinéma. Être assis dans le noir et me laisser impressionner la psyché photosensible.
C’est comme lorsqu’on s’accorde le luxe exorbitant, de plus en plus rare en nos temps de fil à la patte numérique, de se plonger dans un livre, voire dans plusieurs, quelques heures d’affilée, et ne faire que cela. Manger de la phrase et tourner les pages sans s’interrompre, sans se laisser divertir par un quelconque détour sur internet : au bout d’un moment, l’effet opère, l’effet second, la quasi-transe, les mots ne font plus seulement des phrases, ils font un monde, on est parti, on accepte de se laisser faire et on avance, peu importe alors que l’on aime ce livre ou pas, ce qu’on vérifie c’est qu’on aime lire.
À la faveur d’une nuit augmentée d’une heure de sommeil d’automne, me voici remonté comme un coucou, et j’y retourne de ce pas, car ce dimanche est le dernier jour du festival.
Je ne sais pas trop ce que j’ai, ou alors je ne le sais que trop bien. Je viens d’écouter quatre fois de suite cette chanson. J’ai pleuré quatre fois. Je me souviens d’une interview de Paul McCartney à qui un quelconque journaliste demandait un peu sottement : « Ça vous fait quoi d’avoir été un Beatles ? » Il répondait, sans détour, sans cynisme, sans esbroufe, sans fausse modestie : « Je suis fier d’avoir chanté la paix et l’amour et que ces chansons de paix et d’amour aient circulé sur toute la planète » . En 1965, McCartney écrivait pour les Beatles We can work it out : On peut s’en sortir. En 2008, sur le plateau de Taratata, deux chanteuses israéliennes, la Palestinienne Mira Awad et l’Israélienne Noa (Achinoam Nini) reprenaient ensemble cette chanson de paix et d’amour. Les larmes coulent.
La communication sur les réseaux sociaux, même pour vieux, étant une parodie de communication, les malentendus et les dialogues de sourds ne tardent jamais. Sous mon post, un ami commente ma déclaration :
Il y a le monde que chantent les artistes, celui où nous serions tous frères, celui dans lequel nous aimerions vivre, et puis il y a le monde dans lequel nous vivons, celui où l’on interdit, lapide, égorge.
Comme ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, j’argumente à nouveau. Je cause esthétique, ce qui est pratique pour éviter de causer de la guerre, mais chacun son champ de compétence. J’enfonce mon propre clou, ce faisant je poursuis le dialogue de sourds et je ne sais pas si j’ai raison. Voilà bien la preuve que je ne suis pas fait pour les réseaux sociaux : je ne sais pas si j’ai raison.
Je suis en désaccord sur la fonction que tu sembles attribuer à l’art et aux artistes, que tu relègues dans la naïveté, leur idéalisme confinant au déni. Or l’art et les artistes ne sont pas là pour chanter l’optimisme mais pour montrer ce qui est possible (y compris l’optimisme). McCartney écrit We can work it out et non We are workin’ it out, le mot-clef est can. Il ne se vautre pas dans un aveuglement béat, mais propose une vision, une perspective à l’horizon. Une oeuvre d’art est toujours, comme un rêve que le rêveur fait pour lui-même, une recombinaison de la réalité pour envisager une potentialité. Un cauchemar est certes un rêve. « La paix et l’amour » chantés par les Beatles ne sont pas des données de fait, ce sont des possibilités entrevues (voir l’affiche célèbre et un peu plus tardive de Lennon : « War is over! (If you want it)« ). L’art montre ce qui est et ce qui peut être, sans émollient. S’il donne à entendre un espoir (ou la raison, ou le progrès, etc.), ce n’est pas gratuit. Il peut aussi donner à entendre le contraire (le désespoir, la déraison, la régression), se faire dur et violent, se dire le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, et ce ne sera pas gratuit non plus (cf. Goya, bien sûr). Sauf en cas de cynisme mais le cynisme outrepasse le champ de l’art. Une autre chanson bouleversante, en français celle-ci :
« Quand les hommes vivront d’amour Il n’y aura plus de misère Les soldats seront troubadours Mais nous, nous serons morts, mon frère.«
Il m’a fallu d’abord déglutir et digérer la débilité du principe même de classement (« Il n’y a pas de progrès en art, seulement des manières nouvelles de le faire, que chacun doit réinventer, c’est comme faire l’amour » disait Man Ray – pas de progrès, donc pas de podium, ni palmarès ni tableau d’honneur, ni CAC 40 ni Top 50, on sera bien avancé lorsqu’on aura péroré que Picasso est meilleur que Rembrandt, que Bach est plus ceci-cela que Coltrane, etc.). Puis ravaler ma propre mauvaise foi (« Peuh ! Que peut bien signifier un classement où 2001 l’Odyssée de l’espace n’arrive qu’à la sixième place ? Mulholland Drive à la huitième ?« )…
Enfin j’ai été piqué par la curiosité et je me suis procuré Jeanne Dielman. Film malcommode à débusquer ET à voir, rare, long (3h20), aride, pas complaisant, pas aimable, de surcroît pour le moment indisponible en DVD (cette lacune sera réparée en novembre prochain, avec une jaquette un peu trompeuse, esthétisante à la Edward Hopper).
Je l’ai vu. Et c’est bien ? C’est TRÈS bien ! Et c’est le meilleur du monde ? On s’en contrefout, tellement c’est bien ! C’est un chef d’œuvre, parmi les chefs-d’œuvre, voilà tout, et si un classement à la con donne envie à d’autres comme à moi de le voir, alors vivent les classements à la con.
Ce film est d’une radicalité formelle exceptionnelle, avec une durée et une fixité de chaque plan sur des gestes banals, qui rappellent les films de Warhol (Sleep, Eat, Empire...), sauf que contrairement à Warhol, Akerman a quelque chose à dire, elle montre du plein et non du vide. Les gestes banals recouvrent quelque chose, ils ne sont pas pure surface comme chez Warhol (1). Akerman montre la vie pleine à ras-bord d’une femme, et nous ne détournerons pas les yeux de la banalité comme nous faisons dans le monde réel, nous verrons de quoi est fait ce plein et ce ras-bord, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.
Durant de longues minutes, on voit la routine répétitive de Jeanne, incarnée plus qu’interprétée par Delphine Seyrig. Elle fait son ménage en silence, sa toilette, ses comptes, ses courses, son repas, son courrier, et aussi elle se prostitue. Elle fait cuire les légumes. Elle épluche des patates. Elle pétrit de la viande hachée, et pour elle comme pour nous, ces gestes durent tellement qu’on pense à autre chose : elle a les mains dans la viande mais, métaphoriquement, dans quoi d’autre ?
C’est un film d’une énergie extraordinaire et pourtant d’une patience infinie tourné par une cinéaste de 25 ans.
C’est un film hors normes sur la norme, un film gigantesque sur l’aliénation (comme on disait à l’époque) ou sur la charge mentale et le patriarcat (comme on dira aujourd’hui).
C’est un film féministe et c’est sûrement le film le plus féministe qu’on pourra voir cette année, plus que Barbie ou Jeanne du Barry, un film féministe pour notre époque, qui est l’époque où les femmes ne disent plus « je ne suis pas féministe mais tout de même » mais recommencent à dire « je suis féministe, point » .
C’est un film sur la règle et sur le dérèglement, en cela il est absolument kubrickien, mais j’emploie cet adjectif seulement parce que je suis trop ignorant pour écrire qu’il est absolument akermanien.
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(1) – Warhol répétait souvent : « Ne cherchez pas derrière la surface de mes toiles, il n’y a rien », et comme tout ce qu’il produisait, cette phrase est à prendre au premier degré. Il était certainement un pionnier, un inventeur, un grand créateur de formes, mais de formes purement superficielles. Mon hypothèse est que d’autres, innombrables, se sont entre temps emparés de ces formes creuses et les ont remplies. Dans le meilleur des cas, cela donne une oeuvre, comme Jeanne Dielman. Dans le pire des cas, cela donne des abominations, comme le monstrueux phénomène viral sur internet nommé Mukbang, où des gens se filment sans fin en train de bouffer, phénomène que j’identifie comme un rejeton direct du film Eat de Warhol. Entre ces deux extrêmes : des kilotonnes d’esthétique publicitaire en libre service.
“L’ordre social ne vient pas de la nature ; il est fondé sur des conventions.” Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Le Contrat social (1762, cf. 023) (Mais Jean-Jacques Rousseau, asocial notoire, est-il le mieux placé pour parler de sociologie ?)
[Avertissement. Cet article, de très loin le plus long et le plus retouché du site avec plus de 200 révisions au compteur, est la réécriture de 2023 à 2025, petit à petit mais de fond en comble et copieusement augmentée, d’une version initiale parue au Fond du Tiroir en 2013. Le gouvernement de la France était alors socialiste et on se demandait ce que cela pouvait bien vouloir dire (pour les plus jeunes : Emmanuel Macron était alors le ministre de l’économie de ce gouvernement socialiste). À cette énigme près, les problématiques n’ont guère changé. L’une des dernières apparitions du mot dans l’actualité : « Tous ceux qui prônent la décroissance devraient comprendre que ce serait remettre en cause notre modèle social. » Élisabeth Borne, Première ministre, Rencontre des Entrepreneurs, 28 août 2023.]
000 * Un jeune garçon de ma connaissance vient d’effectuer dans une librairie de bandes dessinées son stage obligatoire d’observation en entreprise, dit stage de troisième. Il m’a rapporté l’anecdote suivante. Un vieux monsieur entre dans la boutique, s’approche de lui et, avec le sourire mais à voix basse et nerveuse, lui avoue en jetant des regards latéraux qu’il recherche le rayon des bandes dessinées, ah, euh, comment dire, des BD, disons, des BD sociales, c’est ça, sociales. Car il aime beaucoup le social, il adore ça même, le social est son dada, sa passion, le social le met dans tous ses états. En réalité, il cherchait des BD pour adultes : du cul. Il venait en librairie chercher sa dose de porno. Mais l’exprimer de but en blanc à un ado mineur eût été inconvenant, alors il a usé de ce cache-sexe saugrenu, de cet euphémisme étonnant : l’adjectif social.
De fait, sauf en cas de masturbation (cas tout de même assez fréquent, et qui devait être familier à ce citoyen), le sexe est indiscutablement une activité sociale, même si on accole rarement les deux notions (à l’exception de Jean-Louis Costes qui, pionnier, inventa autrefois le concept d’opéra porno-socio).
Cette burlesque anecdote m’a néanmoins fait méditer sur les multiples outrages subis par ce malheureux épithète. Axiome : toute activité humaine est sociale, puisque l’homme est un animal social (l’expression date d’Aristote), étant donné que pour faire société, l’homme, y compris la femme, a fatalement des liens, plus ou moins lâches, plus ou moins soutenus et continus, plus ou moins virtuels, avec ses congénères. La totalité de notre expérience, y compris intime, est a priori sociale. Le Fond du Tiroir, qui n’aime rien tant que comprendre ce que parler veut dire, endosse comme il lui arrive parfois sa vocation pédagogique, et se lance dans une énumération des 107 (nombre qui, on le sait, dénote à merveille la profusion et dispense de l’exhaustivité) acceptions courantes du social, pour voir s’il est capable d’épuiser le vocable ou s’il finira épuisé avant lui.
001 * Tout d’abord, les sciences sociales, qu’est-ce que c’est ? Elles s’opposent aux sciences dures et recoupent, non les sciences molles, mais les sciences humaines. Bonjour la tautologie, humain=social, on le savait, Aristote vient de le dire, on n’avance pas beaucoup. Parmi les sciences sociales figure, c’est une évidence, la sociologie, ainsi que l’histoire (cf. 022) ; mais également, attention, faux ami ! l’économie. Citons Edgar Morin, pour le plaisir : “L’économie qui est la science sociale mathématiquement la plus avancée, est la science socialement la plus arriérée, car elle s’est abstraite des conditions sociales, historiques, politiques, psychologique, écologiques inséparables des activités économiques”.
002 * Tautologie encore, le corps socialc’est, selon le Larousse, l’ensemble des citoyens d’une nation. C‘est, ni plus ni moins : la société. Toutefois, attention aux faux amis ! La corporéité sociale n’est pas du tout le corps social, c’est l’ensemble des usages et des statuts des corps individuels au sein du corps social : le sport, la danse, le sexe, la bienséance, la nudité, les vêtements, les coiffures, les tatouages, les piercings, Mon corps m’appartient, etc.
003 * Tautologie toujours, on remarque parfois que l’adjectif social ne sert strictement à rien dans certains contextes, n’ajoute aucune idée supplémentaire au substantif qu’il est censé qualifier, et peut sans dommage pour le sens global être omis de la proposition. Exemples :L’état social de la France est simplement l’état de la France (alerte faux-ami ! ne pas confondre avec l’expression L’État social sans complément de nom mais avec un accent sur leÉ, qui est synonyme de l’État Providence, cf. 059). La norme sociale, c’est la norme. La misère sociale, c’est la misère. La crise sociale, en gros, c’est la crise partout-partout. L’ordre social, c’est l’ordre (assuré par les forces de l’ordre), etc.
004 * Un rapport social, de même, c’est un rapport à autrui. C’est une interaction, de quelque nature qu’elle soit, entre deux personnes ou davantage (ce qui fait d’interaction sociale un autre pléonasme flagrant). Exemple : « Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! » Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 22 juillet 1852.
005 * Un lien social, idem, c’est un lien. Au surplus c’est un synonyme acceptable du rapport social (cf. 004). Soit : un lien social est l’ensemble des relations entretenues entre deux ou plusieurs personnes au sein d’un groupe humain donné (cf. 007). L’expression lien social est généralement valorisée : le lien social est réputé bon, propice à l’individu. Émile Durkheim, inventeur de la sociologie française, parlait de solidarité sociale. Attention, faux amis ! Le lien social ne doit être confondu ni avec le lien social, théorie lacanienne tirée par les cheveux coupés en quatre discours, ni avec Liaisons sociales, groupe de presse économique d’obédience progressiste, créé en 1945 par d’anciens résistants, et poursuivant son existence de nos jours sous la forme d’un site, le titre ayant été racheté par un groupe néerlandais.
006 * Un contact social, idem, c’est un contact. Du moins, un contact humain. Un contact qui serait non humain, donc non social, ne saurait exister, sauf métaphore ou autre abus de langage. Par exemple, le contact d’une voiture, qui ne fait que déclencher un moteur au moyen d’une clef. Ou embrasser un arbre pour retrouver le contact avec la nature. Voire renouer le contact avec soi-même, comme le veut une injonction douceâtre propre aux tenants du développement personnel.
007 * Une stratification sociale, c’est une méthode de découpage théorique de la société (du corps social) en divers ensembles sociaux. Attention, faux ami ! Par ensembles sociaux nous voulons dire regroupements d’individus humains à fins statistiques et comparatives, et non « grands ensembles sociaux » au sens de masses de logements et d’équipements conçus en un seul lieu (pour cela, cf. plutôt 051, à logement social). Définissons les quatre types de stratification sociale et donc les quatre niveaux d’ensemble social. – Un milieu social, c’est un environnement humain, par opposition à un milieu naturel, qui désignera plutôt l’environnement originel de tous les autres animaux, si du moins l’humain leur fout la paix. Notons que les milieux sociaux sont extrêmement nombreux à cohabiter au sein du corps social global (cf. 002). – Notion très proche du milieu social, le groupe social se définit toutefois plus précisément par des caractéristiques communes (sexe, âge, milieu de vie, niveau socio-économique, habitus) ; des buts communs (promotion d’une activité, défense des droits d’une communauté) ; une conscience d’appartenir à ce groupe (cf. 057). – Enfin, nuance supplémentaire, la catégorie sociale ressemble au groupe social mais s’en distingue parce que ses membres n’interagissent pas, ne se connaissent pas entre eux (ne se croisent pas sur le palier de l’immeuble ou sur les réseaux sociaux cf. 049), peuvent même être indifféremment morts ou vivants. – Une classe sociale, c’est un enjeu politique majeur réclamant un développement à part entière, que l’on retrouvera à 057.
008 * Un jeu social, en revanche, fin du quart d’heure tautologique, n’est pas forcément un jeu. Quoique tout dépend de ce qu’on entend par jeu, même si par définition un jeu à plusieurs joueurs (on ne compte pas ici les jeux solitaires sur écran qui seront traités plus bas) est une activité sociale (cf. à 000 les considérations à propos des activités sexuelles). Le jeu social est la somme de tous les liens sociaux (cf. 005) inter-individuels (on dit aussi tissu social), soit un système complexe (on dit système social, ainsi que structure sociale) englobant toutes les interactions au sein d’un groupe donné (cf. 007), où chaque individu est défini par la fonction qu’il occupe, autrement dit le rôle social qu’il joue au sein dudit système complexe global. Le rôle social désigne une fonction sociale endossée par un individu interchangeable, fonction qui existait avant l’individu et existera encore après lui. Exemples traditionnels de rôles sociaux : le fou du roi (ou du village), le mariole au fond de la classe, le garçon de café qui joue au garçon de café, le gentil, le méchant, l’homme, la femme (pour ces deux derniers exemples, on parle, quoique plus récemment, du genre social)… On remarque que jeu malgré ses trois lettres est un mot délicat, presque aussi polysémique que social dès qu’il renvoie explicitement au rôle que l’on joue dans ce système, et par conséquent à tout ce que l’identité sociale (cf. personnalité sociale, 044) peut contenir de factice, de fabriqué, de contraint, ou au moins de conventionnel. Quoi qu’il en soit, attention faux ami ! Une acception plus contemporaine de jeu social désigne un jeu auquel on joue (seul) en ligne avec d’autres personnes (chacune également seule, devant son écran), sur un réseau social (cf. 049). Attention, autre faux ami ! Le jeu social ne doit sous aucun prétexte être confondu avec le jeu de société, qui est un divertissement mondain ou convivial pratiqué selon des règles pré-établies précises, le plus souvent avec des accessoires (cartes…) et dont le principe exige la présence de joueurs multiples dans la même pièce. On notera que Wikipédia alimente le malentendu voire l’absurdité en ouvrant sa page consacrée au Jeu de société par la phrase Le jeu de société est un jeu qui se pratique seul ou à plusieurs.
009 * Officiellement, les Affaires sociales, c’est l’ancien nom d’un ministère (qui s’est à l’origine intitulé ministère de l’Hygiène, de l’Assistance (cf. 093) et de la Prévoyance sociale Et ici le mystère s’épaissit… Il semble que selon la logique des ministres, le social est associé à la santé. Mais comme nous avons vu que tout ce qui concerne la vie en société est social, on ne comprend pas en quoi les problèmes traités par les autres ministères, le travail, l’éducation, la défense, l’intérieur, la culture, l’économie, le logement, l’écologie, le droit des femmes, le commerce, le sport… seraient non sociaux. (Remarquons que le dialogue social, distinct des affaires, a figuré autrefois dans l’intitulé d’un autre ministère qui lui aussi a souvent changé de nom, or cette disparition du social dans les devantures des ministères étant sans doute un symptôme à part entière : le social potentiellement partout n’est plus nulle part).
10 * À propos d’hygiène et de prévoyance gouvernementales : la distanciation sociale est un concept oxymorique forgé durant la pandémie de Covid-19 (2020-2021) afin d’encourager la population à ne pas se toucher, ne pas s’approcher, ne pas se fréquenter, ne pas nouer de lien social (cf. 005) ou de rapport social (cf. 004), à éviter comme la peste de se faire la bise, de se serrer la main, voire de s’adresser la parole, et à se morfondre chacun pour soi devant des écrans. Malgré les préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé d’abandonner l’expression de « distanciation sociale » au profit de « distanciation physique », le terme reste employé de manière diffuse. Attention, faux ami ! L’expression distanciation sociale était utilisée dès 1966 dans l’essai Loisir et culture des sociologues Joffre Dumazedier et Aline Ripert, et désignait selon eux le refus de se mêler à d’autres classes sociales (cf. 057). Beaucoup trop optimistes, ils estimaient : « Vivons-nous la fin de la “distanciation” sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans les mines ou les cafés sont en voie de disparition. »
011 * Autre néologisme dû à la/le Covid 19 : le virus social, qui s’attrape en se frottant au porteur faute de distanciation sociale, c’est une tautologie supplémentaire, qui ne mérite pas de plus ample commentaire si ce n’est : comment diable un virus pourrait-il ne pas être social ? Attention, faux ami ! Ne pas confondre avec une maladie sociale, qui sera définie ci-dessous cf. 020.
012 * N’en déplaise à Aristote, l’homo sapiens n’a pas l’exclusivité ontologique d’être animal social puisque la plupart des espèces animales sont sociales en général, et se définissent par leurs mœurs inter-individuelles. Toutefois, plus spécifique et plus étonnant : un insecte social, c’est toute espèce d’insectes (par exemple fourmis, termites, abeilles, guêpes) vivant en colonies et bénéficiant d’une intelligence collective, concept fort troublant pour les homo sapiens-sapiens post-industrialis, à qui l’individualisme est fortement prescrit. Encore plus étonnant ! Un jabot social, c’est un deuxième estomac observable chez certains insectes sociaux comme les fourmis et les abeilles à miel, leur permettant de stocker de la nourriture prédigérée, destinée à être donnée à d’autres par trophallaxie.
013 * Toujours plus étonnant : une plante sociale, c’est une plante formant de vastes et denses peuplements, tels les phragmites, les bambous, ou l’ail des ours.
014 * Un fait social (redoublez d’attention, c’est ici que nous entrons dans le dur) est une chose. En effet, c’est une découverte essentielle du déjà cité Émile Durkheim en 1895, qui affirmait « il faut traiter les faits sociaux comme des choses », histoire de souligner simplement qu’ils existent, qu’ils ne sont pas une élucubration de sociologue, ou une abstraction née dans quelque monde des idées platonicien. Durkheim définit le fait social comme « toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel. » En gros, est fait social tout comportement (cf. 016) que la société dicte à un individu, consciemment (par la loi) ou inconsciemment (par l’immersion dans un bain culturel). On comprend que la découverte de Durkheim, égratignant le sacro-saint principe du libre-arbitre, ait été en son temps très critiquée. Toutefois, la signification recouverte par les mots fait social est aujourd’hui sensiblement différente : ils désignent, aussi, une catégorie de l’actualité, catégorie fourre-tout qui ne concerne pas le « people » mais, au contraire, le peuple. La rubrique people est ainsi la chronique des comportements dictés par la société à des gens célèbres ; la rubrique fait social est la chronique des comportement dictés par la société à des gens pas-célèbres. Le fait social est un événement statistiquement abondant (exemple : statistique sur les naissances), qui se distingue en outre du fait divers, s’affichant quant à lui comme exceptionnel et rompant avec la norme (exemple : statistique sur les bébés assassinés à la naissance). On peut ainsi dissocier la lente et irrésistible progression du vote d’extrême-droite (fait social) et chaque agression raciste ou antisémite (fait divers) – naturellement le fait divers et le fait social sont liés.
015 * Un fait social total, extrapolation du précédent (cf. 014), c’est une découverte en 1925 de Marcel Mauss, inventeur de l’anthropologie française et neveu par alliance d’Émile Durkheim. Le fait social total engage la société dans tous ses aspects et pour chacun de ses membres (exemples : la loi, l’éducation, le système économique, le système politique, la religion, les médias… sont des faits sociaux totaux).
016 * Une convention sociale, en tant qu’habitude qu’on ne discute pas ni ne remarque est donc un comportement social selon la définition de Durkheim : un comportement que la société dicte ou encourage. Exemple basique : dire bonjour en entrant dans une pièce. Mais on notera que comportementsocial est une expression qui n’existe presque pas, citée ici seulement pour mémoire, parce que c’est son contraire, le comportement asocial (exemple basique : ne pas dire bonjour en entrant dans une pièce), qui est très courant dans les discours, comme si appartenir à la norme implicite ne méritait pas d’être mentionné, contrairement au fait de s’en extraire. Une conserve sociale, c’est ainsi que le psychiatre et sociologue américain Jacob Moreno appelait (1889-1974) appelait un comportement social au sens sus-mentionné, c’est-à-dire un comportement appris, répété encore et encore et mis en conserve, un peu comme de la soupe peint par Andy Warhol.
017 * Un champ social, c’est un environnement spécifiquement circonscrit (un lieu, une époque, une activité, un métier, une population…) dans lequel s’ébattent les individus. Par exemple, le champ social d’un agriculteur, c’est son champ. Mais pas que ! c’est également l’agriculture en général, c’est-à-dire son économie, son écologie, sa politique, son organisation locale et globale, sa structuration notamment syndicale, son image, etc. Selon Pierre Bourdieu qui a beaucoup utilisé et redéfini ce concept, un champ social peut être décrit comme à la fois un champ de forces et un champ de luttes.
018 * Une innovation sociale, ainsi qu’une étude d’impact social, sont quant à eux des concepts datant de l’ère suivante dans la grande histoire des sciences sociales (cf. 001). Ils sont inventés non par la sociologie ou l’anthropologie mais par leurs enfants bâtards : le marketing et la publicité, bien décidés à exploiter pragmatiquement les intuitions de leurs prédécesseurs. Une fois admis que le fait social (cf. 014) est un comportement dicté par la société à l’insu de l’individu qui croit exercer son libre-arbitre, les métiers du marketing et de la publicité expliquent comment agir volontairement sur ces comportements dans un but donné (la pulsion d’achat, essentiellement) ; en somme, grâce à eux la société prescriptrice (le corps social, cf. 002) n’est plus une force unique, invisible, collective et anonyme, partout et nulle part tel Dieu lui-même, mais, disons, une Société Anonyme à Responsabilité Limitée (à propos de responsabilité limité, attention faux ami, cf. 087, RSE). Ainsi, une innovation sociale sera, non l’expérience inédite et massive d’un droit ou d’une liberté nouvelle (la liberté d’expression, par exemple) mais bien plutôt (attention, faux ami !) la mise sur le marché d’un nouveau produit, tels la perche à selfie ou le frigo connecté.
019 * Enfin, une ingénierie sociale, ultime raffinement des recherches sociales, c’est une technique de manipulation à des fins d’escroquerie, consistant à utiliser des techniques de psychologie sociale (cf. 020) pour manipuler quelqu’un. Selon cette définition, la publicité, la religion, le patriotisme, etc., seraient des ingénieries sociales… Pourtant non : au sens strict, l’expression ingénierie sociale, sans doute par opposition à ingénierie informatique, ne désigne que les failles de sécurité de votre ordinateur induites non par une faiblesse technologique (absence d’antivirus, par exemple) mais par une faiblesse humaine (vous allez cliquer sur ce bouton ultra-dangereux parce que vous avez besoin d’amour) : spam, scam, piège-à-miel, usurpation d’identité, phising, vishing, smishing, pretexting, scareware… Nous revenons à l’équation social=humain, avec cette fois le corollaire facteur humain=maillon faible.
021 * Liée à la psychologie sociale : l‘intelligence sociale, c’est une forme d’intelligence qui permet de comprendre autrui (ses pensées, ses sentiments) en situation d’interaction sociale (cf. 004). Elle a été conceptualisée en 1920 par le psychologue américain Edward Thorndike (1874-1949). Également liée à la psychologie sociale : la preuve sociale, quant à elle conceptualisée par Robert Cialdini (1945-), c’est un phénomène par lequel le comportement des autres déclenche chez nous un conformisme social, c’est-à-dire un comportement mimétique. Exemple classique : on n’a pas compris une blague mais on va se mettre à rire tout de même si l’on voit rire toute l’assemblée.
022 * L’Histoire sociale, c’est un autre croisement des disciplines académiques et sciences sociales : c’est une manière de raconter et d’enseigner l’Histoire (avec sa grande hache, comme disait Georges Perec) en s’éloignant des traditionnelles énumérations de « grands événements », « grands hommes », « grandes dates » et « grandes batailles », mais en s’intéressant aux mouvements lents et anonymes de l’histoire des peuples et des sociétés. En France, l’Histoire sociale en tant que discipline s’incarne dans l’entre-deux-guerres avec l’École des Annales et par sa revue Annales : Histoire, Sciences sociales, fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre.
023 * Du Contrat social est un célebrissime traité de philosophie politique publié en 1762 par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). La thèse de Rousseau s’inscrit plus largement dans un courant de pensée, nommé contractualisme, au sein duquel Thomas Hobbes (1588-1679) a précédé Rousseau d’un bon siècle. Pour résumer très grossièrement : le contrat social est l’acte de naissance symbolique de toute société, rompant avec un mythique état de nature où règne la loi du plus fort, et reposant sur une tractation tacite entre l’individu et ladite société naissante, par lequel chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile. Attention faux ami ! Existe aussi Le Contrat social, revue historiographique pro-soviétique ayant vécu de 1957 à 1968.
024 * Le Pacte social, au sens de la philosophie politique, est un synonyme du contrat social (cf. 023). Mais attention aux faux amis ! En France, l’expression pacte social désigne un accord signé en l’an 2000 en Nouvelle Calédonie et censé assurer, selon les termes du préambule de sa publication au journal officiel, la paix sociale (cf. 025) ; tandis qu’en Belgique, elle désigne un arrêté-loi instauré en décembre 1944 garantissant la sécurité sociale des travailleurs (équivalent de l’Ordonnance française du 19 octobre 1945 relative à l’organisation de la Sécurité sociale – cf. 071).
025 * La paix sociale, c’est l’état de concorde entre les citoyens ou les groupes sociaux (cf. 007), et notamment l’absence de conflit ouvert entre les classes sociales (cf. 057) (durant les phases de paix sociale, la lutte des classes devient donc une guerre froide). On parle du climat social, de même qu’on interroge la météo, pour savoir avant de sortir dans la rue si le baromètre annonce la paix sociale ou le conflit social (cf. 063). La paix sociale est sans doute le synonyme de la cohésion sociale ou de l’ordre social (cf. 003), et elle est en tout état de cause l’antonyme de désordre social, de trouble social, voire, dans les stades les plus avancés, de chaos social. Acheter la paix sociale est une expression péjorative qui désigne une action politique relativement veule et court-termiste reposant sur les distributions ciblées d’avantages en numéraires (subventions, prébendes, aides sociales cf. 093) ou en nature à des personnes ou catégories sociales (cf. 007) susceptibles d’être des agitateurs sociaux. La paix sociale se définit ainsi par une tolérance accrue envers des infractions à des lois ou des principes, en échange d’une garantie (précaire) d’absence de mouvements sociaux (cf. 031), manifestations, émeutes, etc.
026 * Une notation sociale, ou évaluation sociale, ou rating social, ou audit social, ou encore performance sociale, voire rapport social (mais en ce cas attention, faux ami ! ne pas confondre avec 004), c’est un avis fourni par un expert sur la façon dont une entreprise (cf. 084) traite son personnel. Mais qui évalue les évaluateurs, au fait ? Quis custodiet ipsos custodes, comme disait l’autre.
027 * Un cas social, également dit par abréviation populaire cassosse voire KSOS, c’est une personne expérimentant des maladies sociales (cf. 020) ou à tout le moins des difficultés économiques, familiales, scolaires, voire mentales ou physiques, bref toute personne susceptible d’être décalée selon les normes sociales (cf. 003). Cette personne incarne l’asocial (cf. 016). Cas social est une désignation très péjorative, voire une insulte.
028 * Un buveur social, c’est une personne qui prétend « Je ne suis pas alcoolique, je n’ai aucun problème d’alcool, je ne bois que lors de rassemblements avec les amis, durant les fêtes et les soirées » ; tout dépend alors de la densité de l’agenda social (cf. 043) de cette personne : si elle passe tout son temps en rassemblements, fêtes et soirées, elle peut facilement glisser du statut de buveur social à celui d’alcoolique mondain. Attention, faux ami ! Le vin social est un concept viticole marketing lié à l’actuelle économie sociale et solidaire (cf. 088) et prétend produire du vin tout en faisant du bien à la société (en embauchant des personnes en situation de handicap, selon l’exemple que j’ai pu lire). Variantes aux caractéristiques comparables au buveur social : le fumeur social ; le drogué social, voir par exemple ce que Virginie Despentes dit de la cocaïne : « C’est une drogue sociale à la con, les gens savent que ça crée un lien plus rapidement, donc, dès qu’ils ont un intérêt à t’avoir dans le coin, tu as de la coke très facilement. »
029 * Au fait, un statut social, c’est ce qui « fait référence à la position sociale qu’un individu occupe au sein d’une organisation sociale donnée. Il est relié à un ensemble de droits et de normes sociales [cf. 003] qui ont cours dans un groupe culturel donné [cf. 007]. Certains statuts sociaux sont plus prestigieux que d’autres. (…) Le statut social est conféré par trois sortes d’attributs : les attributs dits fondamentaux (condition nécessaire : exemple un diplôme donne droit au titre de docteur), importants (droits et devoirs, moeurs) et périphériques (stéréotypes sociaux [cf. 066]) » (Wikipedia).
030 * Un plan social, c’est un licenciement de masse (exemples ici ou là). À cet endroit, on observe que le qualificatif social mis en avant, semblant oeuvrer pour sauvegarder ou améliorer des conditions sociales (autrement dit les règles du jeu social, cf. 008), est carrément un superbe exemple d’antiphrase orwellienne : il s’agit en réalité de détruire, des emplois notamment.
031 * Inversement, un mouvement social, c’est, dans le langage courant, une grève, déclenchée dans le but de lutter contre un plan social (cf. 030), de faire valoir des revendications sociales, de préserver un acquis social (cf. 073) ou bien de promouvoir un progrès social (cf. 032). Lieu commun dans les médias, sur un ton réprobateur : « Encore un mouvement social à la SNCF » ou « à Radio-France » ou dans quelque autre service public et para-public.
032 * Un progrès social, donc (attention, faux ami ! le progrès social n’a strictement rien à voir avec l’innovation sociale, cf. 018 !), c’est une amélioration sensible des conditions d’existence observables pour tous les individus d’une société, quel que soit leur rang social. Ici, deux citations possibles. 1) : « La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu’individus est l’unique principe possible du progrès social. » Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934). 2) : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. » Slogan inventé par Aristote, encore lui, et largement utilisé par la SNCF dans ses réclames durant les années 80, époque où la compagnie ferroviaire se prenait pour un service public.
033 * La logique sociale, concept popularisé par le pionnier de la criminologie Gabriel Tarde (1843-1904), c’est une manière d’expliquer les choix et le déroulement de l’existence d’un individu (y compris ses dérives criminelles) à partir de son milieu social (cf. 007). On parle également de déterminisme social, de mécanique sociale voire, de façon plus pessimiste et tragique, de fatalité sociale.
034 * Une critique sociale, c’est est une forme de compte-rendu académique ou journalistique qui se concentre sur les problèmes sociaux de la société moderne, notamment en ce qui concerne les injustices perçues (cf. inégalité sociale, 103) et les relations de pouvoir en général. Trois exemples : l’opus magnum d’Auguste Blanqui (1805-1881) s’intitule Critique sociale ; Anatole France (1844-1924) était romancier, mais aussi socialiste (cf. 059) et il a beaucoup écrit de critique sociale, notamment sous les titres Opinions sociales (1902) et Trente ans de vie sociale (journal 1897-1924) ; le livre sans doute le plus fameux de Pierre Bourdieu (1930-2002), La Distinction (1979) est sous-titré Critique sociale du jugement. Attention, faux ami ! Ne pas confondre critique sociale avec ce qui suit.
035 * Un commentaire social, ou une critique sociale, c’est une œuvre non pas académique mais artistique (attention, faux ami ! ne pas confondre avec le concept d’oeuvres sociales, cf. 084 à Comité des oeuvres sociales) ou une simple intervention publique dont l’auteur affiche la volonté de s’exprimer sur le monde et non sur lui-même, attendu que ledit monde regorge de faits sociaux (cf. 014). Lorsque le commentaire social s’exerce sur le ton de l’ironie ou du sarcasme, on parlera de satire sociale. Exemple de commentateur social : Banksy. Dans le registre artistique, et spécialement narratif, on parlera selon les cas de drame social ou de comédie sociale, termes qui désignent respectivement un drame, et une comédie – mais prenant place dans un milieu social (cf. 007). Généralement, le prolétariat.
036 * L’Art social est un concept né au XIXe siècle dans les milieux intellectuels anarchistes, favorisant un art utile à la société et, éventuellement, à la réforme de celle-ci. Il semble que le tout premier à avoir fait usage de cette expression est le critique d’art Théophile Thoré (1807-1869), avec le titre d’un article publié dans l’Artiste en 1834 : L’art social et l’art progressif. Dès l’origine, l’art social se veut une alternative (voire un opposant) à l’art bourgeois, académique, ou à l’art pour l’art. L’art social se décline dans la littérature (037), le cinéma (038), la chanson (039), la bande dessinée (083 & 102, mais pas 000)…
037 * Ainsi, le roman social est, selon Wikipedia, « un genre littéraire qui dénonce, généralement par le biais d’une fiction réaliste, des problèmes sociaux et leurs effets sur les personnes ou groupes qui en sont victimes, issus des classes populaires (la classe ouvrière le plus souvent, mais aussi la paysannerie, cf. classe sociale, 057). Parmi ses thèmes les plus fréquents on trouve les inégalités économiques et sociales, la pauvreté et ses corollaires (famine, chômage, insalubrité et promiscuité au sein du logement), les conditions de travail, la santé (alcoolisme, maladies contagieuses, mortalité précoce, hérédité), la violence (familiale, criminelle, politique) et la répression politique et antisyndicale (…) L’âge d’or du roman social est le XIXe siècle. » Wikipedia cite en exemples de romanciers sociaux Georges Sand, Victor Hugo, Balzac « et bien entendu » Émile Zola. Pour ma part, je tiens à citer Georges Perec. Dans son article fondamental « Notes sur ce que je cherche » écrit en 1978, boussole bien complète de ses quatre points cardinaux, il énumère les quatre directions dans lesquelles il travaille, « quatre modes d’interrogation (…) La première de ces interrogations peut être qualifiée de « sociologique » : comme de regarder le quotidien. » Les trois autres directions qu’il énonce sont le romanesque, l’autobiographique et le ludique.
038 * De même, un film social, ou plus généralement le cinéma social, c’est une oeuvre ou un corpus d’oeuvres cinématographiques, de fiction aussi bien que documentaires, qui entendent décrire la société, et plus spécifiquement les difficultés des gens de peu, les opprimés du système social, les perdants du jeu social (cf. 008). Sur Henri, plateforme de VOD de la Cinémathèque française, on trouve un document extraordinaire : La Commune, film muet de 20 mns tourné en 1914 par Armand Guerra pour l’éphémère société de production coopérative Le Cinéma du Peuple, dont les derniers plans sont documentaires et présentent quelques vétérans de la Commune de Paris, 43 ans après l’insurrection tuée dans l’oeuf. Le film est présenté par Laurent Mannoni en ces termes : « À l’heure actuelle, ce sont les seules traces des débuts du cinéma social et militant, d’un « cinéma réalisé par le peuple pour le peuple lui-même », comme le voudront plus tard les réalisateurs du Front populaire. » Ken Loach, Mike Leigh, Robert Guédiguian, les frères Dardenne, comptent aujourd’hui parmi les cinéastes sociaux réputés. Le cinéma social est notoirement un genre cinématographique à part entière, puisqu’il existe un Festival du cinéma social, à Nice, durant lequel la plupart des projections ont lieu au cinéma Pathé Gare-du-Sud, située allée Charles-Pasqua, car le monde du social est plein de surprises.
039 * Enfin, une chanson sociale, c’est une sous-catégorie émergeant de l’histoire la chanson française (ainsi que, sans doute, d’autres aires culturelles où la chanson possède une tradition forte : les folk songs aux USA par exemple) dans les paroles de laquelle la revendication sociale (cf. 031) est prégnante. La chanson sociale semble bien documentée (on consultera par exemple le précis La chanson sociale de Béranger à Brassens par Pierre Brochon, Éditions ouvrières, 1961), toutefois on peine à en trouver une définition précise, puisque rares sont les chansonniers à revendiquer explicitement Je fais de la chanson sociale. Faute de quoi, on peut tout au moins affirmer que la chanson sociale s’inscrit dans une longue lignée, préoccupée de rendre compte de la vie du peuple, lignée qui remonte aux chansons populaires médiévales et aux complaintes, mais s’affirme au moment de la chanson réaliste (dès les années 1850, cf. Aristide Bruant, ou les goguettes, cabarets ouvriers où l’on poussait la chansonnette – la chanson réaliste est liée historiquement au réalisme dans d’autres domaines artistiques, notamment pictural) et court jusqu’à la chanson engagée, de lutte, protestataire ou révolutionnaire, de la Commune de Paris à nos jours. Pour nous aider à délimiter le champ, on remarquera que Chansons sociales est une rubrique à part entière des PCDM4 (Principes de Classement des Documents Musicaux, version 4) que les habitués des médiathèques publiques connaissent bien :
8.2 Chansons sociales 8.21 Chansons « pour et contre » : de lutte, de propagande, contestataires, révolutionnaires, etc. 8.22 Chansons d’activités collectives diverses : travail, marins, supporters, etc… 8.23 Chansons à message religieux.
040 * Le Romantisme social, c’est le titre d’un essai publié en 1944 par l’historien du droit Roger Picard (1844-1950) et qui, si je comprends bien (je ne l’ai pas lu), entend décrire les liens historiques entre romantiques et socialistes (cf. 059), soit entre les tenants du romantisme en art (durant la Monarchie de juillet, 1830-1848) et les préoccupations et théories sociales et socialistes. Ainsi, il y a du romantisme chez les socialistes et du socialisme chez les romantiques : du Victor Hugo et du George Sand chez Pierre Leroux, Charles Fourier ou pierre-Joseph Proudhon, et réciproquement, pour faire court. Exemple : Fourier considérait que l’objectif final de toutes ses théories sociales (ou utopies sociales) planifiant un nouvel ordre social (cf. 003), lorsque les « douze passions radicales » de l’être humain seraient canalisées, était rien moins que l’avènement de l’harmonie sociale universelle – notion dont on remarque qu’elle est beaucoup plus teintée de romantisme que de rigueur scientifique.
041 * Le code social, c’est l’ensemble des prescriptions sur la façon dont il convient de se comporter en société. Contrairement au Code civil ou au Code pénal, le code social n’est pas écrit noir sur blanc, sauf dans certains manuels de savoir-vivre (coucou la baronne de Rothschild). Il est de culture orale, transmis et intégré par les individus de façon informelle et inconsciente (coucou Émile Durkheim, cf. 014), souvent par simple imitation et cooptation. Ce caractère officieux propre à la tradition orale ne le rend pas moins normatif Une habileté sociale (souvent employé au pluriel : les habiletés sociales), c’est un équivalent du code social, ou plutôt une réponse aux exigences de celui-ci. Les habiletés sociales se définissent comme les compétences (d’ailleurs on parle aussi bien de compétences sociales) permettant de comprendre les messages communiqués par autrui et d’y donner une réponse adaptée ; elles sont étudiées plus précisément lorsqu’elles sont altérées ou déficientes, c’est-à-dire chez les personnes atteintes d’autisme, de TDAH, de troubles du comportement, de schizophrénie, de trouble de la communication sociale, de lésions cérébrales ou, plus fréquemment, de puberté, cette saison de la vie où l’on devient plus ou moins momentanément un inadapté social.
042 * Les convenances sociales, c’est le code social (cf. 041) par défaut ou par excellence, autrement dit le code social bourgeois, lui-même imité du code social aristocratique, « savoir-vivre » garant et vitrine d’un standing, d’une appartenance, d’un habitus, et donc d’une position sociale (cf. 029). Suivre à la lettre les convenances sociales relève d’un certain snobisme ; or le mot snob est lui-même passionnant et transclasse (pour le transfuge social, on se réfèrera à 069) : il a d’abord désigné en anglais une « personne de classe sociale inférieure, un nouveau riche, qui imite les usages d’une classe à laquelle il n’appartient pas encore » et s’est vu sur le tard affublé d’une plaisante étymologie populaire, il serait l’acronyme du latin sine nobilitate (« sans noblesse »). Nous pouvons en déduire l’hypothèse que suivre les convenances sociales révèle toujours une aspiration à intégrer une classe sociale supérieure à celle d’où l’on vient. Émettons ici une remarque d’ordre général, espérant faire avancer le débat tout en débusquant les faux amis : parfois le mot social signifie propre à la haute société, dite également bonne société (un événement social désignera alors, par exemple, un rituel huppé tel le bal des débutantes où l’on fait son entrée dans la société)… et parfois tout au contraire et sans avertissement, social signifiera propre à la basse société (qui, par pudeur, ne sera pas dite mauvaise société), comme dans les expressions cas social (cf. 027) ou cinéma social (cf. 038).
043 * Une vie sociale, c’est soit une vie humaine (rappel de la tautologie originelle : 001), soit de façon plus circonstanciée une mondanité, planifiée dans un agenda social. On peut avoir une vie sociale très riche (on utilise alors l’anglicisme socialite, qu’il ne faut en aucun cas confondre avec socialiste (cf. 059), et qui désigne une personne mondaine, dont la vie est faite d’événements publics) ou modérée, voire abstinente (les ermites). Tout le monde n’a pas accès à la vie sociale. Si cet accès est offert, on peut s’y livrer ou non, selon son niveau de snobisme (cf. 042).
044 * Une personnalité sociale, ce sont deux choses distinctes, et allez, encore une petite fournée de faux amis. C’est soit un type de profil psychologique marqué par l’habileté sociale (cf. 041), la « popularité » et l’aisance dans la vie sociale (on révèle une personnalité sociale lorsqu’on aime et on cherche la compagnie d’autrui, lorsqu’on apprécie les contacts) ; soit l’image que l’on donne de soi en société, que l’on peut soigneusement préparer devant son miroir. Selon cette acception, personnalité sociale est quasiment synonyme d’image sociale ou de réputation – sachant que réputation sociale serait manifestement un pléonasme. Exemple : « Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres », Marcel Proust, Du côté de chez Swann – Proust étant lui-même un excellent marqueur social (cf. 045) : soit tu l’as lu soit non.
045 * Un marqueur social, donc, est l’un des éléments du code social (cf. 041), un signal isolé ; soit un comportement, une pensée, un réflexe, un habit, un savoir, une coupe de cheveux, un accent, une expression faciale, un prénom, etc., qui révèle une origine sociale (cf. 007). Exemples : lire Proust ; prétendre Je lis Proust ; prétendre Je relis Proust ; ne pas lire ; ne pas savoir lire ; écouter telle sorte de musique (la sonate de Vinteuil ?) ; manger telle sorte d’aliments (une madeleine ?) ; fermer la bouche en mâchant ou roter à table ; agencer les différents couverts autour d’une assiette, etc.
046 * Le spectacle social, qui découle de tout ce qui précède (jeu 008, convenances 042, conventions 016, code 041, marqueurs 045, mondanités 043, etc.) c’est tout un monde social que l’on peut observer et relater tel un spectateur (en romancier si l’on fait de la littérature, ou bien en sociologue si l’on fait de la science sociale), éventuellement d’un oeil ironique pour en faire la satire sociale (cf. 035). On peut être soi-même étranger au spectacle social que l’on décrit (regard extérieur), ou en être soi-même l’un des acteurs (regard in situ), ce qui place dans une situation un rien schizophrène. Le romancier et critique d’art Louis-Edmond Duranty intitule Le spectacle social un article de 1856 où il donne cette consigne aux apprentis écrivains : « On n’a qu’à raconter ce qu’on a vu dans son petit coin personnel, et si on est vrai, si on représente les gens dont on est entouré, les tenants et aboutissants réels auxquels on se rattache, en leur laissant leur physionomie extérieure, il se trouve qu’on a reproduit tout naturellement un ensemble social facilement appréciable et dès lors saisissant, c’est ce qui fait qu’on sent la vie dans une oeuvre. » (cf. 037 pour le roman social) Attention, faux-ami ! La société du spectacle a peu à voir avec le spectacle de la société. Car le spectacle est, également, un concept sociologique inventé par Guy Debord pour rendre compte de la post-modernité capitaliste intégrée : “Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social [cf. 004] entre des personnes, médiatisé par des images.”
047 * Un malaise social, c’est une sourde angoisse ressentie par plus d’une personne (cf. 020, à psychologie sociale). Exemple : l’éco-anxiété. A contrario, une sourde angoisse ressentie par une seule personne sera dite malaise existentiel.
048 * Un talent social, ou plus fréquemment talent de société, c’est une qualité particulière individuelle facilitant l’entregent et la vie sociale (cf. 043), une façon d’attirer les relations interpersonnelles en sachant discuter de tout et de rien, provoquer le rire par des facéties, réunir autour de soi les auditeurs et peut-être les amis. Exemples : imiter le président de la République, ou au moins imiter un imitateur qui imite le président de la république, est un talent social ; de même qu’être capable d’exécuter un tour de magie, un numéro de jonglage ou de gonflage de ballons, ou, au pire, de faire bouger ses oreilles. De nos jours, un talent social peut vous mener jusque sur un plateau de télécrochet. On s’interrogera sur les différences entre un talent social et un talent tout court, ce dernier étant quant à lui censé permettre la création d’une œuvre. Attention faux ami ! Un talent social n’a rien à voir, ni avec une oeuvre d’art à portée sociale (cf. 036), ni avec un comité d’œuvres sociales (cf. 084).
049 * Un réseau social n’est plus, aujourd’hui, un carnet en papier empli d’adresses ou de numéros de téléphone tracés à l’encre pour cartographier notre vie sociale (cf. 043) ; c’est une application, un service interactif connecté favorisant l’exhibitionnisme de masse (exemple : rejoignez la page Facebook du Fond du tiroir ! Laïkez-moi !) Variante : on parle aussi de média social. Il semble qu’il y ait une nuance : la préoccupation du réseau est la communauté tandis que celle du média est le contenu, mais le résultat est le même puisqu’au bout du compte il s’agit d’un contenu donné, pour une communauté donnée. Pour approfondir ce que les réseaux (ou les médias) ont de social (ou, aussi bien, d’asocial : ami Facebook = attention, faux ami par excellence !), on consultera avec profit la série Infernet de Pacôme Thiellement et tout particulièrement l’épisode consacré à Facebook.
050 * Une hormone sociale, c’est ainsi que l’on a qualifié l’ocytocine, un neuropeptide connu sous divers autres surnoms (hormone du plaisir, de l’amour, de l’attachement), qui semble jouer un rôle majeur dans l’alchimie interne des individus en situation d’interaction sociale (cf. 004) : confiance, empathie, séduction, générosité, ou au contraire anxiété, courage, violence…
051 * Un bailleur social, c’est un organisme gestionnaire en charge de la construction et de l’entretien de logements sociaux. Un logement social, c’est une habitation à loyer modéré (HLM) que les collectivités réservent exclusivement aux citoyens les plus modestes, les plus socialement fragiles, les plus dépourvus de ressources, voire les cas sociaux, cf. 027 (exemple de nécessiteux : François de Rugy). Au sein des HLM, un mètre carré social, c’est une unité de mesure des espaces mis en commun, locaux associatifs ou festifs, censés favoriser la vie collective.
052 * Attention, faux ami ! Une résidence sociale est relativement distincte d’un logement social puisqu’elle désigne une solution d’urgence, provisoire, généralement un studio meublé. On l’appelle aussi logement d’insertion. On peut habiter momentanément une résidence sociale avant de se voir attribuer un logement social (cf. 051).
053 * L’Union sociale (pour l’habitat), c’est depuis le nom de l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM (cf. 051). Attention, faux ami ! L’Union sociale, c’est aussi le titre d’une revue fondée en 1947 en tant qu’organe de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux).
054 * Un parent social, c’est la troisième possibilité reconnue pour un adulte de nourrir un lien de parentalité avec un enfant : en plus du parent biologique et du parent légal (en cas d’adoption), le parent social est celui qui n’est pas lié à l’enfant par un lien de filiation ni par aucun lien juridique mais qui prend soin d’un enfant et qui est intéressé par son éducation (beaux-parents, famille d’accueil…).
056 * Un Forum social mondial, c’est le rendez-vous bisannuel des altermondialistes, qui s’est créé et a trouvé son nom par opposition explicite au Forum économique mondial de Davos – un indice apparaît ici : le social est-il l’alternative pure et simple à l’économique ? Relire la citation d’Edgar Morin qui oppose social et économique (001), et lire, a contrario, celle de Friedrich Hayek, (082).
057 * Une classe sociale, c’est un milieu social (cf. 007) qui s’est pensé lui-même, structuré idéologiquement voire politiquement ; soit un fragment homogène de la population hétérogène (dite corps social, cf. 002), qui se définit par ce qu’il a en commun (un habitus, un habitat, un mode de vie, des sources de revenus, une culture, des aspirations, des souffrances… des conventions : 016). Tout ce qui distingue ce groupe du restant de la population sera justement appelé différence sociale ou distinction (ainsi que dit Bourdieu, cf. 034), et quiconque aura en tête sa propre appartenance à une classe sociale (cf. 057) et agira en conséquence fera preuve de conscience sociale. Plusieurs classes peuvent ainsi être conceptualisées et hiérarchisées selon la stratification sociale (cf. 007), classiquement en fonction de leur niveau de richesse, matérielle ou symbolique. Le nombre des classes sociales est variable en fonction des méthodes d’observation. Karl Marx (1818-1883), dans son ouvrage Les Luttes de classes en France (1850), en compte sept : l’aristocratie financière, la bourgeoisie industrielle, la bourgeoisie commerçante, la petite bourgeoisie, la paysannerie, le prolétariat et le sous-prolétariat. Mais de façon plus usuelle on se contentera d’en dénombrer trois : la haute, la moyenne, la basse. Le concept de lutte des classes n’est curieusement plus de mise, démodé depuis la chute des pays de l’Est, contrairement à celui de classe dangereusequi définit toujours les ennemis de classe. Exemple : « Le fossé qui sépare pauvres et relativement riches devient abyssal. Le consumérisme consume tout questionnement. (…) En conséquence, les gens perdent leur individualité, leur sens de l’identité, et donc cherchent et trouvent un ennemi de manière à se définir eux-mêmes. L’ennemi, on le trouve toujours parmi les pauvres. » John Berger (1926-2017), Le carnet de Bento. Pour un bilan définitif de la lutte des classes sociales, cf. le commentaire de Warren Buffett, 073.
058 * La mixité sociale, c’est un principe (un choix politique) qui consiste, en une zone géographique donnée (une ville, un quartier, une rue, voire un immeuble), à permettre à des personnes issues de milieux sociaux (cf. 007) et de classes sociales (cf. 057) différents de se côtoyer, de cohabiter, ou de favoriser un dialogue social (cf. 009). Le contraire de la mixité sociale serait l’étanchéité sociale, assurée par une barrière sociale.
059 * Une politique sociale, c’est un ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer et améliorer les conditions de vie des classes sociales (cf. 057) les plus pauvres, et ainsi éviter la désagrégation des liens sociaux (cf. 005), la fracture sociale (cf. 063) ou même l’explosion sociale (les émeutes – cf. désordre social, 025). La politique sociale est le fondement de l’État social également connu sous le nom d’État providence. C’est la politique sociale qui a fait l’objet d’une célébrissime citation du Président de la République Emmanuel Macron (1977-) le 12 juin 2018 : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir. » La politique sociale est souvent, même s’ils n’ont pas le monopole du cœur, l’affaire des socialistes, mot à suffixe né en 1831 pour désigner les politiciens et économistes préoccupés par la Question sociale, expression alors très courante. Exemple, pour mémoire et par mélancolie, un extrait de La Révolution de 1848 par John Stuart Mill (1806-1873) : “Le socialisme est la forme moderne de la protestation qui, à toutes les époques d’activité intellectuelle, s’est élevée, plus ou moins vive, contre l’injuste répartition des avantages sociaux” (cf. inégalité sociale, 103). L’étiquette politique socialisme est aujourd’hui très dévaluée par les intéressés eux-mêmes, lesdits socialistes (cf. 080 à social-traître & 081 à socio-démocrate), ainsi que, à leur décharge, par d’autres hommes politiques du passé qui se revendiquaient d’un National-Socialisme (soit du nazisme hitlérien), ce qui ne contribue pas vraiment à la limpidité du propos.
060 * Une loi sociale, c’est une action législative concrétisant la politique sociale (cf. 059) du pouvoir exécutif, dans le but d’offrir aux citoyens un acquis social (cf. 073). La première loi sociale en France est réputée être la loi du 22 mars 1841 par laquelle le roi Louis-Philippe limita le travail des enfants : interdiction du travail aux moins de 8 ans ; pas plus de 8 heures par jour de 8 à 12 ans ; pas plus de 10 heures par jour de 12 à 16 ans. Mais attention : parfois à l’intérieur d’une loi sociale se glisse un cavalier social, expression forgée le modèle du cavalier législatif et qui signifie qu’on a introduit dans le texte une clause sans aucun rapport avec le contexte, inutile voire anti-productive (antisociale).
061 * Le droit social, c’est un terme qui, selon Wikipédia, regroupe l’ensemble des règles régissant les relations individuelles et collectives de travail : le droit du travail, le droit de la Sécurité sociale (cf. 071) et de la mutualité, et le droit de l’action sociale de l’État (cf. 059). Ainsi, l’ensemble du droit social présente la particularité d’être régi à la fois par le droit public et privé français. À titre d’exemples, le droit social traite notamment de la lutte contre l’exclusion sociale (RSA) et de la pauvreté, du minimum vieillesse, de la protection des mineurs et de la dépendance des personnes âgées (APA). On parlera aussi de jurisprudence sociale (ensemble des décisions rendues par les différentes juridiction en matière de droit social). Faux-ami direct : ne surtout pas confondre LE droit social avec UN droit social (cf. 062).
062 * Un droit social (attention, autre faux ami ! Ne pas confondre avec une loi sociale, cf. 060) c’est un simple rappel de principe sans obligation légale, une injonction émise par le commissaire aux droits de l’homme (on trébuche ici sur la tautologie originelle : droit humain = droit social) du Conseil de l’Europe, qui définit ainsi le droit social: Les droits sociaux sont indispensables à tout être humain pour mener une vie digne et autonome. Ils englobent les droits à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, à un niveau de vie décent, à un logement abordable, à la sécurité sociale [cf. 071] et à des protections dans le domaine du travail.
063 * Une fracture sociale, c’est une différence sociale ou une inégalité sociale (cf. 103) qui a dégénéré et engendré un conflit social et a nuit au climat social (cf. 025). La fracture sociale est devenu un lieu commun des discours politiques non à l’initiative d’un socialiste (cf. 059) mais à celle de Jacques Chirac (1932-2019) qui en avait fait un thème essentiel de la campagne électorale au terme de laquelle il a été élu président de la République en 1995 : « [ces chiffres] n’expriment pas la fracture sociale qui menace – je pèse mes mots – l’unité nationale. » Attention, faux ami ! Un conflit social ne doit pas être confondu avec la Guerre sociale, qui estun épisode de l’antiquité romaine, ni avec la Guerre sociale, qui était un journal pacifiste).
064 * La justice sociale est une construction conceptuelle, morale et politique qui vise à l’égalité des droits et conçoit la nécessité d’une solidarité collective (cf. 005) entre les membres d’une société donnée. La plus ancienne mention de cette expression se retrouve dans L’esprit des journaux de , dans des propos attribués à Louis XVI concernant le droit de suite. Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec La Justice Sociale, hebdomadaire catholique bordelais fondé par l’abbé Paul Naudet en 1893. Il fut l’un des principaux organes de la démocratie chrétienne (cf. 065) jusqu’en 1908, date de son interdiction par Pie X. La justice sociale ne doit pas être confondue non plus (mais il y a peu de chance) avec la justice poétique ou justice immanente, concept moraliste et para-mystique relevant de la pensée magique, qui considère, en dépit de toutes les observations sociales (cf. 046), que tôt ou tard, dans l’au-delà s’il le faut, les bonnes actions sont toujours récompensées et les mauvaises actions toujours punies.
065 * À ce propos, le christianisme socialest un mouvement apparu au XIXe siècle dans les milieux protestants français confrontés à l’environnement social (cf. 007), économique et politique difficile né de la révolution industrielle et aux conditions de vie misérables des populations ouvrières. Cette préoccupation sociale n’est pas restée longtemps l’apanage des protestants : selon le Dictionnaire de l’Académie française, « le catholicisme social est un mouvement de pensée et d’action qui s’attache à promouvoir, dans une société où l’individu est isolé, les vertus évangéliques de charité et de justice. La doctrine sociale de l’Église, définie dans l’encyclique « Rerum Novarum », du pape Léon XIII, en 1891, établit les principes devant guider l’homme et la société dans la recherche du bien commun. »
066 * Une représentation sociale, c’est une forme de connaissance (qu’elle soit vraie ou erronée) socialement élaborée et partagée à l’intérieur d’un groupe social (cf. 007), que celui-ci soit restreint (une famille) ou extensif (une classe sociale cf. 057, une nation). Il s’agit d’une autre découverte majeure d’Émile Durkheim, introduite dans l‘article « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898) publié dans la Revue de Métaphysique et de Morale, tome VI, numéro de mai 1898. Représentation sociale est ainsi un synonyme de stéréotype ou idée reçue. Stéréotype social courtle risque d’être un pléonasme (un stéréotype étant par définition social puisque partagé socialement) SAUF si l’expression est employée pour désigner les stéréotypes concernant des catégories sociales (cf. 007) précises : les vieux sont toujours comme ceci, les jeunes comme cela, ainsi que les femmes, les hommes, les riches, les pauvres, les Blancs, les Noirs…
067 * Les Éditions sociales, c’est une maison d’édition fondée à la Libération, en 1944. Au départ émanant directement du Parti communiste français, elles ont notamment édité les oeuvres complètes de Marx et Engels. Pour l’occasion, voici une citation de Karl Marx : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ».
068 * Le contrôle social, c’est l’ensemble des pratiques par lequel un corps social (cf. 002) vérifie et régule la conformité (cf. 021, conformisme social) des individus à un modèle social (cf. 101), à une norme sociale (cf. 003) ou à un code social (cf. 041). Encore une distinction essentielle que nous devons à Emile Durkheim : le contrôle social est dit informel lorsqu’il est exercé par des membres du groupe social (cf. 007) eux-mêmes envers d’autres membres du groupe (railleries et accusations, dénonciations, hontes publiques, diffamations, voire lynchage… ou, inversement, compliments, manifestations d’admiration ; de nos jours ce contrôle social informel se fait le plus souvent en ligne sur les réseaux sociaux, cf. 049), et il est dit formel lorsqu’il est exercé par des institutions détentrices de l’autorité publique (police, justice).
069 * L’ascenseur social est une métaphore usuelle pour signifier la mobilité sociale ou la promotion sociale (attention, presque faux ami ! la promotion sociale, au sens strict, désigne non l’ascension sociale mais les outils et dispositifs éducatifs permettant celle-ci, tels la formation continue pour adulte ou l’éducation populaire). Selon cette métaphore, entrer dans la cabine de l’ascenseur social donnerait la possibilité, caractéristique de la méritocratie républicaine, de changer de milieu (cf. 007) ou de classe sociale (cf. 057) pour juguler, à titre individuel, les inégalités sociales (cf. 103), en bénéficiant de la justice sociale (cf. 064). L’ascenseur social est généralement unidirectionnel : il monte. (Exemple : “Rien ne peut se faire simplement chez les gens qui montent d’un étage social à l’autre.” Honoré de Balzac, César Biroteau) Dans l’autre sens, on parlera de descenseur social, expression pittoresque mais rare, ou alors, plus couramment et plus simplement, de déchéance sociale ou de déclassement (l’adjectif social étant ici implicite donc facultatif). Note à benêt : lorsque l’on tape ascenseur social dans Google, la première occurrence proposée est ascenseur social en panne. La réussite sociale, c’est l’ascension sociale accomplie dans les tout derniers étages desservie par l’ascenseur : on dit d’un homme qu’il a réussi socialement lorsqu’il est manifestement au-dessus de ses congénères, qu’il a atteint le sommet de l’échelle sociale ou de la pyramide sociale (cf. stratification sociale, 007). Certaines citations en circulation donnent des indices, hélas assez médiocres, des attributs de la réussite sociale : « Tout le monde a une Rolex. Si à cinquante ans on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a quand même raté sa vie » (Jacques Séguela, 1934-). Note à benêt : lorsque l’on tape Jacques Séguéla dans Google, la première occurrence proposée est Jacques Séguéla Rolex.
070 * Un Fléau social, c’est un grand malheur qui s’abat plus ou moins simultanément sur un nombre important d’individus ne se connaissant pas entre eux mais partageant leur classe sociale (cf. 057) ou leur catégorie sociale (cf. 007). Exemple : “Quand les riches se droguent c’est pittoresque. Quand les pauvres se droguent c’est un fléau social.” (Paul Schrader) Fléau social peut être considéré comme un synonyme, au ton plus dramatique et biblique, de maladie sociale (cf. 020). Attention, faux ami ! Le Fléau Social est aussi une revue publiée par le Groupe 5 du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (F.H.A.R), qui a connu 5 numéros entre 1972 et 1974.
071 * La sécurité sociale, ce sont deux choses. D’abord, c’est un principe : un droit de l’homme, selon l’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Art. 22 — Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » Ensuite, dans le contexte spécifiquement français, c’est une institution : l’ensemble de dispositifs et d’établissements majoritairement publics qui ont pour fonction de protéger (on parle de protection sociale) les individus des conséquences d’événements ou de situations diverses (maladie, vieillesse, famille, autonomie…), généralement qualifiés de risques sociaux (cf. également 075). La sécurité sociale, appelée sécu par apocope (surtout dans l’expression familière le trou de la sécu, cf. Dette sociale 077), a été fondée par ordonnance le 19 octobre 1945, à la Libération, par le Gouvernement provisoire de la République française. Son principe est « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » . Cf aussi Vive la Sécu !, 099.
072 * Un assujetti social ou assuré social, c’est toute personne inscrite auprès des institutions de sécurité sociale (cf. 071), notamment affiliée à un Régime Obligatoire d’Assurance Maladie et bénéficiant ainsi d’une couverture sociale de base. L’assuré social possède son propre numéro de sécurité sociale et détient une carte Vitale sur laquelle sont inscrits ses ayants droit.
073 * Un acquis social, c’est, selon de quel côté on se place de la barrière sociale, soit un progrès social (cf. 032), un droit collectif légitime obtenu de haute lutte pour les salariés ; soit un scandaleux privilège archaïque. Cet acquis est donc défendu par une certaine classe sociale (cf. 057), a priori basse, et dénoncé par une autre, a priori haute. Exemples d’acquis sociaux : la sécurité sociale (cf. 071), les prestations sociales, le minimum social ou son pluriel les minima sociaux (cf. 074). Ladite haute classe pourfendeuse des acquis sociaux a pour porte-parole le patronat (syndicat des riches), qui martelle que la lutte des classes est aussi ringarde que la Guerre de 100 ans, qu’elle n’existe plus et n’a peut-être même jamais existé… alors qu’en réalité la classe haute a gagné cette lutte et la gagne encore régulièrement. Se référer à l’aveu en direct sur CNN en 2005 du milliardaire américain Warren Buffett : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. »
074 * Les minima sociaux « visent à assurer un revenu minimal à une personne (ou à sa famille) en situation de précarité. Ces prestations sont non contributives, c’est-à-dire versées sans contrepartie de cotisations. Le revenu de solidarité active [RSA – attention, faux ami ! ne pas confondre avec solidarité sociale, cf. 005], l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et l’allocation spécifique aux personnes âgées (Aspa) sont les principaux minima sociaux. » (définition de l’INSEE)
075 * Une prestation sociale, dont les minima sociaux sont un exemple et une déclinaison, c’est un montant d’argent (ou parfois un avantage en nature) alloué par un prestataire social (représentant l’Etat ou l’une des institutions de protection sociale cf. 071) à un bénéficiaire social. Les comptes de la protection sociale, publiés annuellement, distinguent six catégories de prestations sociales correspondant à autant de risques sociaux : le risque vieillesse-survie (caisse de retraite), le risque santé (la sécurité sociale), le risque famille (les allocations familiales), le risque emploi (les indemnités de chômage), le risque logement (les APL), enfin le bien nommé risque pauvreté-exclusion sociale. Les prestations sociales constituent l’une des formes de la redistribution des revenus et représentaient, en 2020, 35,4% du produit intérieur brut (PIB), à hauteur de 813 milliards d’euros (attention faux ami ! rien à voir avec le 813 d’Arsène Lupin, quand bien même il existe un Arsène Lupin Social Club!). Cette somme explique pourquoi les prestations sociales sont réputées, dans les plus hautes sphères de l’Etat, coûter un pognon de dingue (cf. 059, à politique sociale), et le signifier haut et fort permet de faire honte aux bénéficiaires sociaux. La honte intériorisée du bénéficiaire social est en effet un moyen efficace de faire diminuer la dette sociale (cf. 077) : Le taux de non-recours aux prestations sociales est d’environ 30 % en France et même de 34 % pour le RSA.
076 * La médecine sociale, c’est l’ensemble des mesures médicales préventives et curatives prises en charge par les pouvoirs publics ou des organismes privés. Le dispensaire, où l’on prodigue des soins gratuitement aux nécessiteux sociaux, est un dispositif de médecine sociale, qui s’inscrit dans une très ancienne tradition d’ancien régime où les dispensaires étaient tenus par des congrégations religieuses féminines : les bonnes soeurs ont précédé les infirmières.
077 * La dette sociale, c’est donc le contrecoup de la prestation sociale : elle correspond aux déficits cumulés des organismes de sécurité sociale (le mythique trou de la sécu, cf. 071). On y retrouve principalement ceux des différentes branches du régime général mais également ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). On notera cependant que la dette sociale n’est que l’une des trois composantes de la dette publique française, et représente 9,9% de celle-ci. Les deux autres composantes sont la dette de l’État (77,2% de la dette) et des collectivités locales (8,8% de la dette). La dette publique française s’élève au total à 2 257 milliards d’euros (chiffres indicatifs, datant d’avant le confinement de 2020-2021). Faux ami : ne pas confondre dette sociale et coût social. Cette dernière expression recouvre (comme on dit recouvrir une dette, ah ah ah) l’ensemble des coûts imposés par une activité à la société dans son ensemble, pour éponger les effets secondaires (santé, accidents, pensions…) de cette activité. Le coût social est majoritairement payé par les puissances publiques, donc par les contribuables, les assujettis sociaux (cf. 072). Exemples : le coût social de la consommation de tabac est estimé à 156 milliards d’euros, celui de l’alcool à 102 milliards et celui des drogues illicites à 7,7 milliards (chiffres de 2019). À rapprocher du vieux dogme libéral : socialiser les pertes et privatiser les profits.
078 * La TVA sociale, c’est un gadget économique très étudié mais jamais appliqué en France (sauf outremer), qui consiste, pour faire baisser la dette sociale (cf. 077), à réaffecter une partie des bénéfices de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) aux dépenses sociales (cf. 059). Ce dispositif, plus symbolique qu’efficace, permet de faire comprendre aux consommateurs que certes ce qu’ils dépensent leur coûte cher, mais moins que ce qu’ils coûtent (culpabilisation toujours).
079 * Une réforme sociale, qui s’entendra comme quasi-synonyme de transformation sociale (même si la réforme évoque plutôt un changement par le haut – la loi, tandis que la transformation évoque un changement par le bas – les moeurs), c’est une façon de changer la société plus douce que la révolution. Se référer à Réforme sociale ou Révolution ?, essai dont le titre pose parfaitement l’alternative, écrit par la militante marxiste révolutionnaire Rosa Luxemburg (1871-1919) et paru en 1899.
080 * Un social-traître, c’est un social-démocrate qui plaidera au mieux pour la réforme sociale (cf. 079) mais refusera les voies de la révolution sociale, qui récusera par exemple le bien-fondé d’un mouvement social (cf. 031). L’expression est très ancienne puisqu’elle a été employée dès 1914 par Lénine, puis s’est popularisée en tant qu’injure dans les années 1920. Avant et pendant la Révolution russe de 1917, une importante créativité linguistique fut déployée pour qualifier les innombrables dissensions entre socialistes : social-pacifiste, social-patriote… Mais aucune de ces trouvailles n’a connu la postérité de social-démocrate (cf. 081) ou social-traître. Social-traître est en outre une chanson des Hurlements d’Léo.
082 * Quant à un socio-libéral, l’affaire se corse, c’est un tenant d’une politique qui concilierait (expression-clef : en même temps) des contraires a priori irréconciliables, la liberté économique et la préoccupation sociale. Rappelons que social et libéral sont plutôt, couramment, employés en tant qu’antonymes. Ainsi le philosophe et économiste libéral (donc anti-social ?) Friedrich Hayek écrivait-il en 1957 dans ses Essais de philosophie, de science politique et d’économie, que « l’adjectif social est devenu un mot qui ôte à toutes les expressions tout sens clair ». Pourtant la chimère socio-libérale existe bel et bien, à la suite de la pensée de John Stuart-Mill, sous divers noms : social-libéralisme, nouveau libéralisme (son nom d’origine), libéralisme social, haut libéralisme, libéralisme radical, libéralisme moderne…
084 * Une raison sociale, c’est le nom d’une entreprise ; un siège social, c’est la localisation de la même entreprise ; un patrimoine social, c’est la mise de départ constituée par les apports, effectifs ou promis, des fondateurs de cette entreprise ; un actif social, c’est l’ensemble des biens et valeurs qui figurent à l’actif du bilan de cette entreprise ; un passif social, c’est l’ensemble des dettes contractées par cette entreprise auprès d’un tiers (on parle aussi dans ce cas de dettes sociales mais attention aux faux amis ! cf. 077) ; un mandataire social, c’est la personne physique que cette entreprise a chargé de la représenter et/ou de la diriger.
085 * Une part sociale est si négligeable au singulier qu’on en parlera plutôt au pluriel : les parts sociales sont des parts de capital d’une entreprise à forme mutualiste ou coopérative (une banque, par exemple). En détenir, c’est donc être copropriétaire d’une fraction de l’entreprise.
086 * Une signature sociale correspond à la signature du représentant légal d’une structure qui en engage la responsabilité (s’applique, à ma connaissance, surtout aux cabinets d’experts-comptables). Bref, on remarque qu’au fil de l’énumération qui précède (084, 085 & 086), société est synonyme d’entreprise, par conséquent social = entreprenarial. Un bien social est ainsi la propriété privée d’une entreprise, faisant partie de son capital social, et pourra éventuellement faire l’objet d’un abus de bien social, à ne pas confondre (Attention, faux ami ! voire authentique ennemi !) avec le comité des œuvres sociales, dit également comité d’entreprise, qui concerne quant à lui les conditions matérielles des travailleurs au sein de la même entreprise – à rapprocher du service social.
087 * À propos de responsabilité : la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est une vieille lune managériale prétendant rendre le business, autrement dit et plus trivialement, l’appât du gain, un peu plus éthique et respectable moralement, afin que les maîtres du monde ne soient plus perçus du côté du mal mais donnent une meilleure image d’eux-mêmes (cf. Représentation sociale, 066) : s’ils gagnent de l’argent, ce serait en fin de compte pour le bien de tous, pour ruisseler. Un peu comme à l’époque où Nicolas Sarkozy coupait l’herbe sous le pied des anticapitalistes en déclarant qu’il ne fallait pas détruire le capitalisme mais le moraliser (2009). La RSE désormais compressée en un sigle usuel, c’est dire si l’idée a fait florès, plonge ses racines dans un essai de 1953, Social responsibility of the businessman par l’économiste américain Howard Bowen. Aujourd’hui, la RSE est définie ainsi par la Commission européenne et par le site economie.gouv.fr :l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. En d’autres termes, la RSE c’est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. Une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable. En notre époque écoanxieuse (cf. malaise social, 047), où l’on prend enfin conscience des destructions irréversibles engendrées par l’activité humaine (=activité sociale), la responsabilité des entreprises est explicitement repeinte en vert. Le synonyme de la RSE est greenwashing.
090 * Un membre social, c’est une personne qui, à jour de ses cotisations et droits d’adhésion, peut revendiquer sa pleine appartenance à une association, à une amicale, etc. Ici société a pour synonyme le club, et social signifie relatif à une association (loi 1901), soit sa quatrième et, a priori, dernière, acception majeure, après relatif à la société (au corps social, cf. 002), relatif à une politique d’aide aux défavorisés (cf. 059) et relatif à une entreprise privée de type SARL (cf. 084 à 086). On a bien avancé, là.
091 * À ce sujet, un social club, au sens anglais (en français on dit également cercle social), c’est soit un groupe de gentlemen se rassemblant par cooptation selon affinités et communauté d’intérêt, ayant par exemple en commun hobbies, professions ou convictions (nous retombons par conséquent ici sur une tautologie : social club = club), soit le lieu même où ils se rencontrent. Le Buena Vista Social Club était dès les années 1940 un tel lieu de rencontres privé où l’on écoutait de la musique, situé dans le quartier de Buenavista à La Havane (Cuba) avant, par métonymie et clin d’oeil, de devenir le nom d’un orchestre de musique cubaine fondé en 1996, notamment par Compay Segundo, Rubén González, et Ibrahim Ferrer, ainsi quele titre d’un film, d’un album, d’une tournée…
092 * Les partenaires sociaux, ce sont, tous-ensemble-tous-ensemble afin de démultiplier la confusion, les patrons (tenants d’intérêts privés, bénéficiaires de biens sociaux, voir ci-dessus, et détenteurs de la signature sociale) ET les ouvriers (tenants d’intérêts privés plus modestes mais aussi d’intérêt collectifs et publics, qui eux sont les bénéficiaires d’œuvres sociales, cf. 084), en somme des personnes appartenant à des classes sociales distinctes et aux intérêts divergents, ont l’occasion de se rencontrer et de s’adonner au dialogue social (cf. 058). Soulignons que dans l’expression partenaires sociaux, le substantif partenaires, aussi énigmatique que l’adjectif social et redoublant celui-ci, mériterait sa propre exégèse : son étymologie passe par l’ancien français parçonier qui signifie associé, par conséquent les partenaires sociaux seraient des associés sociaux, et ici nous sommes dans la tautologie – pourtant partenaires sociaux peut être curieusement employé en tant que synonyme de ennemis de classe (cf. 057).
093 * Tout comme la Sécurité sociale (cf. 071), l’Assistance sociale, c’est deux choses, une théorique et une pratique. C’est d’abord un principe, à savoir le devoir de solidarité de la société de porter assistance aux indigents, vieillards ou enfants abandonnés ; c’est ensuite un ensemble d’institutions et de travailleurs dédiés (essentiellement des travailleuses dédiées, cf. 094). En tant que principe théorique, l’expression Assistance socialedispose de deux quasi-synonymes : l’Aide sociale (mais pour sa part celle-ci désigne également, plus concrètement, les prestations sociales versées, cf. 074) ; et l’Assistance publique (mais pour sa part celle-là désigne également, plus concrètement, des établissements publics de santé assurant les fonctions de centres hospitaliers universitaires). À noter que l’Assistance publique a désigné de 1849 à 1956, souvent avec élision de l’adjectif : simplement l’Assistance, les orphelinats, et ce qu’on connaît aujourd’hui sous le nom d’Aide sociale à l’enfance, ASE, qui prend en charge les enfants ayant perdu tout lien avec leurs parents ou leur famille (cf. placement social, 096). C’est ainsi que dans le film Le Jour se lève (Marcel Carné, 1939, scénario Jacques Viot, dialogues Jacques Prévert) on peut entendre ceci : Françoise – J’ai pas de parents. Je suis de l’Assistance. François – Ça alors, moi aussi, je suis de l’Assistance… c’est marrant ! On s’appelle pareil, on est de la même famille puisqu’on n’en a pas, ni l’un ni l’autre… et puis, on se rencontre aujourd’hui… Juste le jour de notre fête…
094 * Une assistante sociale, animatrice sociale ou plus généralement travailleuse sociale (statistiquement il s’agit d’une femme, mais pas toujours, car on trouve quelques assistants sociaux, sans doute des hommes assez peu virils pour s’abaisser à exercer un métier féminin, ainsi que sont les assistants maternels, les maîtres d’école, les bibliothécaires ou les infirmiers), est une travailleuse sociale employée par l’Assistance sociale (cf. 093), localisée dans un centre social (cf. 095). Quelle est son image sociale (cf. 044) ? On la regardera, selon le groupe social (cf. 007) auquel on appartient, soit comme une courageuse héroïne débordant de vertus telles que l’abnégation, la générosité, la compassion, l’écoute ; soit comme une martyre en burn-out s’ébattant dans un désolant cache-misère privé de moyens réels, un pansement sur une gangrène ; soit enfin comme une parasite sociale gaspillant un pognon de dingue pour aider d’autres parasites alors qu’elle ferait mieux de fonder sa start-up, comme tout le monde. Car Le travail social, ou simplement Le social selon une abréviation métonymique courante, désigne une catégorie de métiers qui ne sauraient être respectés puisqu’ils ne rapportent pas d’argent. Les pouvoirs publics auront soin d’humilier régulièrement les travailleurs sociaux, jetant dans le même sac les assistés sociaux et les assistants sociaux, au motif que les prestations sociales (cf. 059) coûtent le proverbial pognon de dingue, ou qu’ils s’illusionnent s’ils imaginent que l’argent magique existe, pour citer une autre trouvaille rhétorique du président de la République Emmanuel Macron, le 5 avril 2018, lorsqu’il expliquait à une aide-soignante venue pleurer misère, qu’en gros, elle et ses congénères devraient se débrouiller puisque lui-même ne ferait rien pour l’aider. Une expression très banale recouvre précisément ce que le président a dit ce jour-là :« J’fais pas dans le social », qui signifie « Démerde-toi ». On dit faire dans le social pour qualifier, et souvent disqualifier, toute forme d’assistance à autrui, de soutien dispensé gracieusement aux nécessiteux ou aux personnes en déficit d’habileté sociale (cf. 041 pour énumérer quelques cas de telles lacunes), ou, par extension, d’entraide entre deux particuliers. [Faut-il le souligner au lieu que de rester humble et discret ? Le Fond du Tiroir fait dans le social.]
095 * Un centre social est, donc, le local d’accueil et le bureau de proximité de travailleurs sociaux (cf. 094), de fonctionnaires dévoués à la population (pléonasme ?), mais attention, en France seulement, car, faux ami ! En Italie et en italien, le centre social (Centro sociale) désigne un squat punk autogéré. Cf. les livres de Zerocalcare. Une mission locale est parfois le synonyme d’un centre social (au sens français et non italien), s’adressant toutefois à un public spécifique : elle est entièrement dédiée aux jeunes de 16 à 25 ans. Attention, faux ami ! La mission locale assume une mission sociale en tant qu’elle aide ces jeunes dans leurs démarches sociales, énumérées ainsi : emploi, formation, orientation, santé, logement, mobilité. Attention, DOUBLE faux ami ! Les entreprises privées revendiquent elles aussi une mission sociale, qui a peu à voir avec celle des centres sociaux ou des missions locales, et qui se définit essentiellement par une mission d’insertion sociale par l’emploi (cf. aussi la Responsabilité Sociale des Entreprises, 087).
096 * Parmi les expressions fréquemment associées à l’assistance sociale (cf. 093) ou à l’aide sociale, on trouve notamment la protection sociale ou le placement social, qui tous deux consistent à extirper de sa famille une personne fragile (un enfant, un adolescent, une femme), repérée comme encourant un danger dans son environnement d’origine, et à la faire prendre en charge par la société (par l’intermédiaire des services sociaux de l’État, sous décision du juge), société qui va la placer, la protéger, la loger dans une résidence sociale (cf. 052)… Le principe général est celui de la solidarité (cf. 005) : l’ensemble de la société pallie aux déficiences individuelles – en somme, c’est la déclinaison en termes humains de la solidarité financière que recouvre le coût social (cf. 077). Dans le même registre des dispositifs sociaux et solidaires, à l’occasion on trouve aussi des acceptions sensiblement plus rares, tel l’internat social, qui désigne un hébergement scolaire et une prise en charge nuit et jour permettant de scolariser des jeunes loin de leur milieu, après que celui-ci a fait la preuve de sa nocivité. Et à propos d’internement, attention, faux ami ! Défense et protection ont beau être synonymes, la protection sociale (cf. 71) ne doit pas être confondue avec la défense sociale, qui désigne (en Belgique, depuis 1930) un dispositif judiciaire destiné à interner selon des conditions spécifiques, à mi-chemin du médical et du pénitentiaire, les auteurs de crimes ou délits considérés comme irresponsables de leurs actes en raison de leur état mental. Ce dispositif a pour double but de leur assurer des soins appropriés et de protéger la société.
097 * Le Musée social, c’est un institut de recherches et une fondation privée nés à Paris en 1894, dans le but de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon d’Économie sociale de l’exposition universelle de 1889. Cette exposition, aux antipodes des habitudes propres à de tels événements internationaux davantage captivés par les progrès techniques, avait en effet réservé une place à une présentation pédagogique de la Question sociale (cf. 059) et des conditions de vie et de travail des ouvriers. C’est dans le cadre du Musée social que naîtront quelques progrès sociaux (cf. 032) tels que le mouvement mutualiste.
098 * La participation sociale, concept plus fréquent au Québec qu’en France, c’est le fait pour des individus exclus de la vie sociale (cf. 043), particulièrement les personnes en situation de handicap, ainsi que les personnes âgées de (re-) nouer des liens sociaux (cf. 005).
099 * Vive la sociale !, c’est un roman autobiographique (1981) puis un film (1983) de Gérard Mordillat, dont le titre provient d’un slogan peint dans le métro que contemple le narrateur, enfant. La Sociale, par élision du substantif, désigne la République sociale (cf. 101), telle qu’auto-définie par opposition à la République bourgeoise, dichotomie très active dans la vie politique française notamment lors de la révolution de 1848 et de la Commune de 1871. Vive la sociale est un cri poussé par certains des 147 communards au moment d’être fusillés par les Versaillais (tenants de la République bourgeoise) devant le mur des Fédérés, le 28 mai 1871. Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec La Sociale, sous-titré Vive la Sécu !, film documentaire de Gilles Perret (2016), qui, quant à lui, par élision d’un autre substantif, est consacré à la Sécurité sociale (cf. 071).
100 * La République sociale, c’est une chanson révolutionnaire (voire plus haut, à Chanson sociale) écrite par Emmanuel Delorme cette même année 1871, pendant et à propos de la Commune de Paris. La musique est sur l’air de L’Âme de la Pologne. Attention, faux ami ! Ne doit pas être confondu avec le Républicain social (Philetairus socius), petite espèce de passereau endémique des zones arides du sud de l’Afrique, notamment du Kalahari. Il est l’unique espèce du genre Philetairus. L’espèce est remarquable par ses nids : collectifs et habités à l’année, ils sont énormes, et peuvent être construits par des centaines d’individus. L’espèce n’est actuellement pas menacée.
101 * Mais, plus généralement, une République sociale, c’est un pays, par exemple la France. Lorsque le personnel politique français se réfère à « notre modèle social » il évoque deux choses : par l’épithète social, ils évoquent le caractère social de notre régime politique, inscrit dans l’article premier de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » ; par le substantif modèle, ils suggèrent, ce qui est très français, que ce régime politique doit servir de modèle et éclairer les nations du monde. Cette définition de la France ouvrant la Constitution de 1958 mériterait un examen mot à mot et, pour ce qui nous concerne, des précisions sur le dernier terme. Que veut dire au juste sociale en parlant d’une République ? Nous posons la questionau site gouvernemental vie-public.fret voici la réponse officielle : « Le caractère social de la République résulte de l’affirmation du principe d’égalité. Il s’agit de contribuer à la cohésion sociale (cf. 025) et de favoriser l’amélioration de la condition des plus démunis. » Voilà qui est une surprise, du point de vue de la philosophie politique : le principe social renvoie donc officiellement au principe d’égalité, soit le deuxième terme de la devise dont s’est dotée la République Française, alors que toute la recherche sémantique qui précède (cf. 001 à 100) portait à croire qu’il renverrait plutôt à celui de solidarité (cf. 093, 096, 005 et alii), troisième terme de la même devise. Quid en ce cas du concept d’égalité sociale ? Il y a fort à craindre que nous soyons en face d’un énième cas de tautologie (cf. da capo) : l’égalité sociale, c’est l’égalité.
102 * Social fiction, c’est le titre d’un livre de Chantal Montellier (1947-) qui rassemble ses œuvres de science-fiction publiées entre 1978 et 1983. L’autrice explicite ce titre générique dans une interview : « Plutôt que science-fiction, qui évoque pour moi le space opera et toutes ces choses, je dirais plutôt social-fiction, en ce sens qu’il s’agit pour moi de partir d’une réalité de la société d’aujourd’hui et de la pousser à l’extrême, par exemple le contrôle, l’omniprésence des caméras-vidéos, l’omniprésence d’un regard sur les gens. » Montellier s’inscrit manifestement dans la tradition de l’art social (cf. 036) et du roman social (cf. 037) en mâtinant cette tradition d’anticipation, car c’est en mélangeant qu’on invente. Il est plus qu’improbable que cet album de bande dessinées corresponde à la recherche du rayon des BD sociales qui a déclenché la présente enquête (cf. 000).
103 * L’inégalité sociale, qui en termes d’occurrences dans le discours public, est sensiblement plus fréquente que l’égalité sociale (cf. 016 où l’on relevait, de façon comparable, que le comportement asocial était plus récurent dans les discours que le comportement social), consiste dans la différence constatée selon les individus, au sein d’une société donnée, dans l’accès aux ressources, que celles-ci soient naturelles (l’eau, le contact avec l’environnement), économiques (le patrimoine, l’accès à certains métiers), institutionnelles (les services publics, l’accueil réservé par l’administration), éducatives, sportives, culturelles, symboliques, etc. Les inégalités sociales, vécues comme des injustices sociales, sont un effet du rapport de domination existant entre les classes sociales (cf. 057), et bafouent clairement le fameux deuxième terme inscrit au fronton des mairies, encadré par la liberté et la fraternité.
104 * L‘individualisme social, ce n’est pas un oxymore, c’est une proposition politique et même éthique, tout-à-fait stimulante, de Charles-Auguste Bontemps (1893-1981), militant pacifiste, anarchiste, l’un des penseurs du refus de parvenir. Bontemps prône un « collectivisme des choses et un individualisme des personnes ». Histoire d’ajouter un terme accolé à l’adjectif social, comme si on en manquait, il précise dans sa célèbre plaquette : « il m’a été demandé un résumé précis de maconception d’un individualisme social que je dénomme tout aussi bien un anarchisme social ».
105 * Le Samu social, ou Samusocial tel qu’il s’écrivait d’un bloc lors de sa création en 1993, est une fédération d’ONG ayant pour but de venir en aide aux personnes démunies. Ce mot-valise se compose de SAMU, acronyme qui signifie Service d’Aide Médicale Urgente, et de social qui signifie, ma foi, tout ce que nous savons, du moins si nous avons réussi à en savoir quelque chose. Dans la foulée de l’exemple français un Samu social international a été fondé en 1998.
106 * Le Recueil social, c’est un service à part entière de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens), fondé en 1994 à la faveur de la suppression des lois réprimant le vagabondage, et entièrement dédié à la prise en charge des sans-abris sur le réseau. Une soixantaine de professionnels ainsi que des « bus de maraude » apportent aux plus démunis une première prise en charge, un réconfort, un café, une orientation vers des structures d’accueil social. On voit à l’oeuvre un bus de maraude affilié au Recueil social dans le film L’Histoire de Souleymane (Boris Lojkine, 2024).
107 * Les socio-chaux, ce sont les adhérents d’une association fondée en 2018, dont la raison sociale est un mot-valise conjuguant sociétaires et Sochaux tout en plaidant implicitement pour ressusciter la mission sociale du football, réputée perdue par la professionnalisation et le business entourant ce sport. Le Footing Club Sochaux-Montbéliard (FCSM), fondé en 1928, est une équipe de foot née du paternalisme industriel de l’entreprise Peugeot, représentative d’abord de l’heure de gloire du football français, puis de sa décadence et sa dérive financière, après son rachat par une société chinoise en 2015. Les socio-chaux, entrés au capital du club, revendiquant droit de regard et pouvoir de décision, incarnent (du moins, souhaitent incarner) un retour du pouvoir populaire dans ce sport devenu spectacle de masse et chose de la finance internationale.
108 * Un mérou social, c’est… Ah… Non… Je ne sais toujours pas ce qu’est un mérou social. C’est peut-être un animal mythologique, ou une simple vue de l’esprit, une chimère pour théoriciens. Comme l’Europe sociale.
Quelle pagaille. Que de contradictions, de presque synonymes, de tautologies et d’oxymores, surtout que de faux amis dans le monde social.
Et il faudrait ne pas désespérer d’un parti ou d’un gouvernement dit socialiste ? Et quoi encore ? Crier Vive le roi ? Ne plus trousser les filles ? Aimer le filet de maquereau ?
Bonus 1 : si vous en voulez encore, on peut également se plonger dans l’étymologie mais je vous préviens, ce qu’on y trouvera ne lèvera pas l’imbroglio, en ajoutera au contraire une louche : socius vient du verbe latin sequor, suivre, qui a aussi donné secte, et dès Rome l’adjectif avait les usages les plus divers (le socium templum était un temple dédié à plusieurs divinités, le socius lectus était le lit conjugal, la socia agmina était l’armée auxiliaire, etc.). Je me souviens qu’en 1992, en préambule d’un de mes premiers cours de sociologie, si ce n’est le tout premier, le professeur nous avait souhaité la bienvenue en nous avertissant que nous entrions dans une discipline bizarre, empirique, composite, contradictoire et expérimentale, et pour le vérifier il n’y avait qu’à se référer à son étymologie, qui avait le culot de mélanger arbitrairement le latin, socio-, et le grec, –logie.
Bonus 2 : “Toujours le Social. Le contrat social, le sens social, l’avenir social, la souffrance sociale, le spectre social. Cette croyance à la Société est quand même la plus étrange qui ait jamais existé. » Philippe Sollers (1936-2023), Passion fixe (2000)
Bonus 3 : le sociologue Alain Touraine (1925-2023), qui commença sa carrière en tant que spécialiste des mouvements sociaux (cf. 031), avait plus tard développé une curieuse propension à déclarer achevée l’époque du social et à ringardiser sans regret ce qui relevait de cette notion. « Le temps des luttes sociales, des rapports de classes, des mouvements sociaux n’est-il pas passé ?», se demandait-il dès La Voix et le Regard en 1978 ; méthodologiquement, il estimait que la sociologie devait se débarrasser du concept de social, « de même que les historiens se sont débarrassés de toutes les formes d’évolutionnisme, et ils ne s’en sont pas plus mal tirés » ; en 1984, après le tournant libéral du Parti socialiste, il salue le gouvernement dont « le mérite essentiel est de nous avoir débarrassé de l’idéologie socialiste » ; dans une interview de 2011 il évoque une « société post-sociale », estime que « La mondialisation a fait disparaître le social », que l’on « assiste à cette formidable montée de forces non plus sociales mais morales » et prophétise : « La crise économique n’a pas fini d’aggraver la crise sociale, on risque d’avoir affaire à des mouvements qui sont le contraire de mouvements sociaux, des mouvements de repli sans autre orientation possible que la violence » ; enfin, dans l’un de ses derniers livres, La fin des sociétés en 2013, présenté comme le couronnement théorique de son oeuvre, il explicite « l’ère post-sociale et post-historique dans laquelle nous entrons » : « Nous sommes, depuis la crise financière, confrontés à cette évidence : avec la décomposition du capitalisme industriel, toutes les institutions sociales, la famille, l’école, la ville, les systèmes de protection et de contrôle social, l’entreprise, la politique elle-même perdent leur sens. »
Bonus 4 : l’adjectif convivial, qui dans certains contextes spécifiques peut faire figure de synonyme de social (lorsque tous deux s’inscrivent dans le registre du vivre ensemble), désigne quant à lui désormais et plus prosaïquement une facilité d’utilisation, en parlant d’un système informatique. Bonne convivialité à tous.
Bonus 5 : j’ai fait ma part mais si vous avez encore faim, une fois épuisées les occurrences de social vous pourriez vous pencher sur celles du plus récent sociétal. Un indice puisé chezGrégoire Bouillier, Le dossier M, livre premier, dossier rouge, « Le Monde », partie V, niveau 3 : « [C’est] à cette époque aussi [les années 80] que les problèmes de société ont été remplacés par des questions dites « sociétales », fabuleux mot permettant d’évacuer d’un coup d’un seul les problèmes liés à la lutte des classes. Exit la lutte des classes, déclarée obsolète sans autre forme de procès, on ne se demande pas pourquoi, ni par qui. »
Vu Oppenheimer de Christopher Nolan hier soir. Je redoutais une prise de tête absconse de type Tenet, du même… Mais non, heureusement ce film-ci, quoique difficile, est beaucoup plus incarné, humain, et d’autant plus humain que le sujet du film est inhumain. Les personnages existent et les acteurs excellent à les faire exister loin de la binarité sympathique / antipathique. La dernière demi-heure m’a semblé trop longue et trop bavarde, avec une façon de retourner l’intrigue sur elle-même à coups de flashbacks qui est la signature même de l’auteur (idem Tenet, Interstellar, Inception, jusqu’au matriciel Memento : comment complexifier au maximum une situation déjà pas simple), mais je suis prêt à admettre que la longueur venait de moi, j’étais crevé.
Le pitch pourrait être résumé ainsi : Projet Manhattan, Gadget, Trinity, le 16 juillet 1945 à 5h 29 mn du matin, à White Sands, Nouveau-Mexique (USA), l’axe du monde (et du film) est coupé en deux par une main humaine, une force mauvaise est libérée à la surface de la terre, elle ne retournera jamais d’où elle vient (le néant), et l’Histoire des humains en est changée à jamais.
Or… Ce pitch s’applique littéralement à autre chose… Il est, aussi bien, le résumé de « Gotta light ? » , le sidérant 8e épisode de la saison 3 de Twin Peaks par David Lynch. Je crains que la comparaison ne soit pas en faveur de Nolan : celui-ci ne serait qu’un laborieux dialoguiste à côté de Lynch, poète visuel, peintre, photographe, homme d’images qui se passent du moindre mot pour faire ressentir un vertige historique et métaphysique.
Illustration ci-dessus : photogramme de Twin Peaks, saison 3, épisode 8. Le 16 juillet 1945 à 5h 29 mn du matin, à White Sands, Nouveau-Mexique (USA), l’axe du monde est coupé en deux par une main humaine, une force mauvaise est libérée à la surface de la terre, et elle s’appelle Bob.
(Autre référence : Eternals de Chloé Zhao qu’il ne faudrait pas balayer d’un revers de manche sous prétexte qu’il n’est qu’une émanation de Marvel Studios, et par conséquent le film le moins personnel de son autrice. D’abord, il s’agit d’une extrapolation à partir de l’imagination de Jack Kirby, par conséquent digne d’intérêt ; ensuite et surtout, parce que cette idée que la bombe atomique a changé l’histoire de l’humanité, délimitant pour toujours un avant et un après, est très prégnante, à travers le personnage tragique de Phastos, ce dieu-ingénieur incarnant l’ingéniosité prométhéenne, pour le meilleur et le pire. Il me semble d’ailleurs que le champignon atomique se trouve pile au mitan du film.)
Ce nombre est abstrait. Comment rendre la peine de mort concrète, c’est-à-dire incarnée dans des êtres humains qui soit exécutent, soit sont exécutés ? Par le cinéma, évidemment.
Je viens de voir un film iranien et j’en sors bouleversé, en larmes : Le diable n’existe pas(titre péremptoire et pourtant prodigieusement subtil, puisque marquant non une fin de réflexion, mais un début, pour méditer après le film) de Mohammad Rasoulof. Ce chef d’œuvre me conforte dans deux de mes convictions. Primo, le cinéma iranien est l’un des plus passionnants du monde, et aussi l’un des plus héroïques puisque pour exister il doit se battre pied à pied contre son propre pays. Le diable n’existe pas a été tourné en clandestinité, déjouant une censure locale qui ferait passer le code Hays pour une aimable partie mah-jong, et Rasoulof, après sept mois d’internement dans la tristement célèbre prison d’Evin, a désormais interdiction de quitter le territoire alors qu’il était attendu en tant que juré du dernier festival de Cannes.
Secundo, pour accéder à la complexité d’une culture, d’un pays, ou d’une époque, il est préférable de regarder ses œuvres d’art plutôt que de coller l’œil sur le flux internetisé de l’actualité. Ici, on comprend ce qu’est concrètement la peine de mort : c’est une tache indélébile sur un homme à qui un deuxième homme a dit Tue ce troisième homme.
Ce film ressemble davantage à un recueil de nouvelles qu’à un roman puisqu’il assemble quatre histoires distinctes (une chronique sociale, un thriller, un mélo amoureux, un mélo familial) qui ont toutes en commun le thème de la peine de mort mais, plus largement, celui de la responsabilité individuelle. C’est, philosophiquement, aussi profond que du Albert Camus, autre auteur pour qui la peine de mort était un grand sujet à incarner, et c’est aussi beau que dans ses livres, puisque la lumière, le soleil et les couleurs sont, comme chez Camus, époustouflants. Et d’autant plus tragiques.
Question incidente et subsidiaire : voilà deux films persans que je vois coup sur coup, Leila et ses frères et ce Diable n’existe pas, où apparait le même élément narratif (essentiel dans le premier, anecdotique dans le second), qui semble un trait des mœurs persanes, très exotique pour nous Français : l’importance extrême, à la fois économique et symbolique, accordée aux pièces d’or. Durant la crise (or la crise est sans fin), la « pièce d’or » semble une valeur refuge, contre l’inflation aussi bien que contre la déroute spirituelle, chargée des valeurs mythiques et mythologiques attribuées à l’or, comme dans les contes traditionnels. Ainsi, selon ces deux films, si l’on veut faire à quelqu’un un cadeau « sûr » , conséquent, prestigieux voire ostentatoire, empreint d’une grande valeur à la fois financière et symbolique, on offre des pièces d’or.
En France existe une sorte d’équivalent : les personnes riches offrent ou s’offrent des Napoléons ou des Louis d’or, mais c’est une pratique plus marginale, plus rare, réservée à la grande bourgeoisie, et il ne me semble pas que cela tienne lieu de cadeau traditionnel. Sans doute parce que l’économie française est plus stable que l’économie iranienne. Jamais personne dans ma famille n’a possédé un Louis d’or.
Aujourd’hui : nouvelle journée de grève, mobilisation et manif contre la réforme des retraites. Nous en sommes à combien, septième, dixième, quarantième journée, je ne sais plus, j’ai perdu le fil, je ne les ai pas toutes faites.
Le gouvernement ne bouge pas. Le président ne bouge pas. Rien ne bouge à part l’essentiel, le Peuple (je luis mets une majuscule pour faire plus hugolien).
Or par hasard c’est aujourd’hui que passe sous mes yeux Le Président d’Henri Verneuil, vieillerie de 1961. Et je suis époustouflé de ce qu’il me dit sur la situation d’aujourd’hui.
Est-ce réellement, du reste, un film de Verneuil qui, après tout, n’a fait que diriger, filmeur plutôt qu’auteur ? Ou est-ce plutôt un film de Jean Gabin qui le porte tout entier sur ses épaules de patriarche ? Ou est-ce un film de Georges Simenon, qui écrivit le roman quatre ans plus tôt (le livre, qui tourne davantage autour de la décrépitude du protagoniste, ancien président du Conseil rédigeant ses mémoires et méditant ses combats, est plus morbide et crépusculaire que le film) ? Ou est-ce un film de Michel Audiard dont l’esprit vachard suinte de chaque réplique ?
Le film est resté célèbre pour un bon mot :
– Il existe des patrons de gauche, je tiens à vous l’apprendre ! – Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !
… mais on pourrait citer treize bons mots à la douzaine. J’en prélève un autre qui me plaît beaucoup, très classe et bien loin du cynisme que l’on prête d’ordinaire à Audiard :
– Monsieur le Président, vous pouvez tout ! – C’est bien pour ça que je ne peux pas tout me permettre.
Surtout, ce que ce film nous raconte d’utile pour comprendre aujourd’hui, et peut-être toute l’histoire politique française, tient en une idée-force : la loi est faite par les riches, afin de les rendre encore plus riches.
Ce film parle, comme si on y était, de l’arrivisme en politique : de notre startup nation, de sa startup assemblée, de son startup sénat et de son startup président, à cause de qui la vraie démocratie sera encore, sera toujours, confisquée par la ploutocratie. La déconnexion entre les députés Renaissance qui ont voté la réforme des retraites et les Français qui la subiront, est en réalité une très ancienne tradition. Cette tradition est ici mise en scène, en direct de 1961.
Gabin incarne un type d’honnête homme, animal politique intègre et idéaliste, plus rare encore dans le monde réel que les poissons volants (en guise de repère, il s’était fait grimé en Georges Clémenceau car le Tigre était l’un des rares hommes politiques qu’il respectait), tandis que son adversaire, le député Philippe Chalamont qui attend son heure à la Chambre après avoir fait carrière dans les banques d’affaires (sic), interprété par Bernard Blier, est quant à lui un modèle infiniment plus courant, récurrent, voire banal, un invariant de la médiocrité. On aurait hélas pour le réincarner aujourd’hui l’embarras du choix : il est Macron bien sûr, comme il a été Sarkozy le président des riches, il a été Fillon, il a été Juppé droit dans ses bottes, il est chaque ministre pris, telle Agnès Pannier-Runacher, la main dans le pot de confiture du conflit d’intérêt, il est l’ignoble Jérôme Cahuzac, il est leurs prédécesseurs et leurs successeurs. Il est le Pouvoir politique français en personne, autrement dit le business, la bourgeoisie capitaliste, depuis, grosso-modo, que Thiers a écrabouillé la Commune pour installer les épiciers.
Dans la tirade la plus célèbre du Président, exceptionnel exercice d’éloquence que les détracteurs du film ont qualifié de populiste (on disait poujadiste à l’époque), Gabin seul contre tous commence par rappeler :
J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger les chômeurs, j’ai vu la richesse de certaines contrées et l’incroyable pauvreté de certaines autres…
Oh oh… Est-ce un reportage d’actu ? Elle en est où, la manif, dites ? Puis, Gabin président rappelle que l’affairisme est la clef historique de toute politique (y compris le colonialisme ! quand le film sort, la France n’est pas encore sortie de la guerre d’Algérie). Ensuite, extralucide, il assène que l’Europe en train de se construire sera celle des multinationales et des lobbies :
La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus, messieurs, de soutenir un ministère mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration.
Et pour terminer en apothéose, flinguant sa carrière, il se met à interpeler par ordre alphabétique chaque député dans l’hémicycle et énumère ses intérêts. Geste anachronique et jouissif du lanceur d’alerte. Tous ces élus du peuple en croquent et pensent à leur biftèque, CQFD. Essayez de visionner l’extrait sans vous laisser gagner par l’hallucination de regarder LCP en 2023 (quoiqu’en 2023 on verrait davantage de femmes, déjà ça de gagné même si le progrès est modeste, on trouve des femmes d’affaires parmi les hommes d’affaires) :
Post-scriptum qui n’a presque rien à voir : Indigné par les propos de Gérald Darmanin, écœurant ministre de l’Intérieur (ça ne sent pas très bon à l’intérieur, faudrait aérer) sur la Ligue des Droits des L’Homme, je viens de me précipiter pour adhérer à cette vénérable association. Je ne suis pas le seul. Intéressante variation sur l’effet Streisand. J’espère que cet afflux des dons ne servira pas de prétexte supplémentaire à couper les aides publiques.
Hier soir j’étais de projection au village. Comme la programmation est aléatoire (il arrive que les films soit pré-loués par l’association de cinéma itinérant avant même leur sortie et tout avis critique), parfois le film est une bonne surprise, parfois une infâme panouille… Et parfois, au petit bonheur, un chef d’oeuvre. Dans ce cas, et c’est exceptionnel, je passe toute la séance assis sur mon fauteuil, je ne perds aucune miette, sans me lever une seule fois pour jeter un oeil au projecteur ou à l’ordi de contrôle. Et c’est ce qui est arrivé hier : je range The Fabelmans de Spielberg dans la catégorie chef-d’oeuvre. C’est un merveilleux film d’émerveillement et, sur l’enfance des cinéastes qui raconte par métonymie l’enfance du cinéma, je le place au même niveau que Jacquot de Nantes ou Fanny et Alexandre. Mais en outre c’est un film américain, et les USA, pays de cinéma, existeraient beaucoup moins sans les images qui bougent. Les écrivains américains rêvent tous, paraît-il, d’écrire « le grand roman américain » , en attendant ceci est un « grand film américain » qui saisit ce moment de l’histoire, les années 50 et 60, où l’Amérique est devenue une nation audiovisuelle. Naissance d’une nation, comme dit l’autre.
Ce que raconte Spielberg sur le cinéma est non seulement bouleversant (et l’apparition de David Lynch à la fin est beaucoup plus qu’une pirouette, c’est un couronnement), mais diablement intelligent : il nous montre sans jamais l’expliquer ce que signifie le cinéma filmé par son personnage-miroir, Sam Fabelman. Ainsi, dans le passage sur les années « collège » (on dirait un peu Grease, American Graffiti ou mille autre teenagers movies, mais en mieux, puisque vu à travers une caméra), son apprenti-cinéaste filme magnifiquement un athlète en pleine action (les images évoquent Leni Riefenstahl filmant les Dieux du Stade, autre cinéaste d’une grande nation de cinéma et de propagande et, oui, en filigrane, il est ici question d’antisémitisme). Or cet athlète, il le déteste et le méprise… Alors pourquoi ? La réponse est tout sauf superficielle.
Quelle ambiguïté ! J’avoue que je n’en espérais pas autant de Spielberg, que je croyais plus simpliste. Y compris sur les relations familiales : Spielberg a toujours eu une tendance au mélo et au happy end familial… Rien de tel ici, tout est plus délicat que d’habitude, plus tragique que mélancolique. Magnifique. Espérons juste que ce ne soit pas un enterrement de première classe et que le cinéma vive encore longtemps. The Fabelmans a fait un bide, échec le plus cuisant de son auteur.
Flashback ! Les photos ci-dessus, sur lesquelles on me voit charger avec Amour un projecteur de cinéma 35 mm, sont faciles à dater. Voici 10 ans, le cinéma achevait sa mue, abandonnait sans retour l’argentique pour se convertir au numérique. Fin du film originel, ruban de triacétate de cellulose qui par métonymie désigne pour toujours une œuvre cinématographique.
Du reste, Amour, le film de Michael Haneke, dont on voit le titre imprimé sur l’amorce de la pellicule, est sorti en France le 24 octobre 2012.
Ces photos et le matériel qu’elles figurent ont désormais un charme vintage, ainsi que tant d’objets muséifiés : radio à galène, téléphone à cadran, machine à écrire, reflex 24×36, phonographe complet de son cornet et de ses disques à 78 tours, répondeur téléphonique à bande, magnétoscope, 2CV, disquette cinq pouces un quart, minitel, et autres artefacts dont le seul destin aujourd’hui sera celui d’accessoires lors de tournages de films d’époque. Filmés en numérique.
Dix ans de numérisation, donc. Si l’on s’en tient au sens littéral et étymologique du numérique, dix ans à faire parler les nombres. La numérisation du cinéma n’est que l’un des symptômes, sans doute pas le plus important, de la numérisation du monde, massive et irrémédiable, transformation de toute connaissance et de tout rapport humain en nombres, en zéros et en uns, dont nous n’avons pas fini de cerner les effets. En ce qui me concerne, depuis ma cabine de projection et par le petit bout de ma lorgnette, je peux dire au moins ceci : lorsque, au siècle dernier, j’ai passé l’examen du CAP d’opérateur-projectionniste de l’audiovisuel, ce métier était artisanal et ses outils de base étaient les ciseaux et le rouleau de Scotch. Les outils du projectionniste sont aujourd’hui le disque dur et la souris. Me risquerais-je à en faire un cas général, et à avancer que tous les métiers artisanaux, voire tous les métiers, point, sont devenus des métiers d’informaticiens ?
L’époque révolue de l’argentique alimente désormais la nostalgie, et en 2023, soit au terme d’un laps rond de dix ans après enterrement, le nombre de films récents de fiction qui alimentent cette nostalgie du triacétate est remarquable : The Fablemans de Spielberg ou Empire of light de Sam Mendes. Ce dernier poussant le chic jusqu’à proposer aux spectateurs quelques séances en 35 mm argentique, excentricité qui nécessite de dénicher un projectionniste de la vieille école avec ciseaux et Scotch, mais ça va, il faut davantage qu’une seule décennie pour qu’un savoir-faire artisanal se perde.
Autre signal statistique fort de la nostalgie en marche : en rafale sortent les films qui compilent, sur une voix off réfléchie et réflexive, les bobines d’autrefois, publiques ou privées. Je pense aux Années Super 8 d’Annie Ernaux, au formidable Retour à Reims (fragments) de Jean-Gabriel Périot ou au non moins sensationnel quoique plus rigolo Et j’aime à la fureur d’André Bonzel (1) qui déclare explicitement en incipit :
Depuis mon enfance je collectionne les bobines de films d’amateurs et d’anonymes. Voir la vie des autres m’a sans cesse fasciné. Ces cinéastes d’un jour filmé leurs amours, leurs bonheurs dans une vaine tentative d’arrêter le temps.
Ces trois montages de vieilles bobines ont en commun d’être à la fois autobiographiques et universel, et de célébrer le retour aux sources et au sens premier du cinéma, art démocratique : assister à ce miracle, la lumière qui sauve et ressuscite, qui fait bouger des fantômes. Nos fantômes sourient. Sur un support fantôme.
(1) – Au sujet de ce dernier, je consigne ici un fait surprenant, une coïncidence. Il se trouve que le même jour, à quelques minutes près, j’ai vu Et j’aime à la fureur qui tire son titre et son épigraphe du poème Les bijoux de Charles Baudelaire, et j’ai lu la page 130 du roman Riquet à la houppe d’Amélie Nothomb citant très exactement la même phrase qui, il faut bien le reconnaître, semble parler du cinéma (les choses où le son se mêle à la lumière) 40 bonnes années avant l’invention des frères Lumière. (Qu’est-ce qu’ils ont les Belges avec ce poème ? Ils ne sont pas rancuniers.) La raison était suffisante pour relire Baudelaire et d’ailleurs tous les prétextes sont bons, et ce poème parle aussi des grappes de ma vigne, c’est dire.
Les bijoux
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur, Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de métal et de pierre Me ravit en extase, et j’aime à la fureur Les choses où le son se mêle à la lumière.
Elle était donc couchée et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d’aise A mon amour profond et doux comme la mer, Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté, D’un air vague et rêveur elle essayait des poses, Et la candeur unie à la lubricité Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,
S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal Où, calme et solitaire, elle s’était assise.
Je croyais voir unis par un nouveau dessin Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin. Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe !
Et la lampe s’étant résignée à mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre, Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !
Le risque de l’association d’idées débridée est de sombrer dans l’apophénie, de tisser des liens entre tout et n’importe quoi et réciproquement, liens paranoïdes qui révèlent davantage la personnalité ou l’agenda de celui qui reçoit les œuvres que les œuvres elles-mêmes. J’avoue que je sombre régulièrement dans ce risque de l’apophénie et, circonstance aggravante, je dispose d’un blog pour m’y complaire.
Exemple entre mille. J’ai, à quelques jours d’écart, vu/lu un film et livre qui a priori n’avaient rien en commun sinon de me passer sous les yeux simultanément. L’apophénie fait le reste : ah mais c’est pareil en fait.
1) Le film : Mr. Nobody (Jaco Van Dormael, 2009)
Au départ était un autre film, que j’ai vu et projeté par hasard (puisque je continue mon job de projectionniste au village un lundi sur deux). Au petit bonheur : parfois je me réjouis du film, parfois je m’emmerde et me contente de me souvenir que j’aime le cinéma en général même quand je n’aime pas tel film en particulier. Ce lundi soir, j’ai adoré ce que j’ai vu : Le tourbillon de la vie d’Olivier Treiner. Typiquement le film ni attendu ni repéré, que je ne serais pas allé voir en ville, que je projette fortuitement et sans m’être renseigné le moins du monde, même pas lu de critiques. Le titre est un peu con, beaucoup trop référencé (on pense forcément à la chanson de Jeanne Moreau dans Jules & Jim alors que ça n’a quasi-rien à voir), et l’affiche est un peu moche…
Or voilà que le film est formidable. Il est à la fois très conceptuel, très prise de tête, et pourtant limpide, évident, bouleversant à chialer, un bon gros mélo mais, comment dire sans spoïler, un mélo virtuel, et d’autant plus mélancolique, comme est mélancolique la chanson Les passantes de Brassens sur les amours qu’on n’a même pas perdues puisqu’on ne les a pas eues. Le film réussit sur les deux tableaux, l’idée et l’émotion. Et puis l’actrice, Lou de Laâge, est géniale, changeant de tête cent fois, autant qu’elle change de vie, cent nuances. Ce film qui parle de nos vies non vécues, ou bien vécues dans des univers parallèles, m’a bien sûr fait penser à la saison 6 de Lost. Je l’ai trouvé au même niveau, soit assez haut.
Je m’en ouvre à une copine, fondue de Lost comme moi. Elle me dit, parce qu’elle compose ses propres apohénies et chacun les siennes, c’est intime ces histoires-là : Ah, d’accord, le pitch me fait penser à un film que j’aime bien, Mr. Nobody.
Ni une ni deux je me procure ledit Nobody. Verdict : le film est visuellement et formellement époustouflant, avec une idée par image, bombardement épuisant sur 2h40 (puisque j’ai choisi de regarder la version longue), d’une richesse étourdissante… et pourtant j’ai préféré le Tourbillon de la vie, sans doute justement parce qu’il est plus simple, plus modeste, et ne se sent pas obligé d’expliquer sans cesse ce qu’il est en train de faire au moyen de rationalisation de science-fiction. J’ai l’impression que Mr Nobody complexifie à loisir son propos et dit de façon toujours plus compliquée des choses simples. Que le héros, Nemo Nobody, ait accès à ses vies parallèles, ok, j’adore, très fertile et romanesque, mais à quoi bon lui donner divers pouvoirs supplémentaire, notamment celui, radical, de ne PAS mourir et de repartir en marche arrière ? Cette conclusion me semble nier le tragique de la vie, c’est là pirouette simplette et optimiste comme une religion qui promet la vie éternelle. Oui, c’est ça, exactement comme une religion, Mr Nobody se réduit finalement à une fable qui nie la mort. Le Tourbillon, de ce point de vue, me semble plus « sage » et je veux dire : plus mûr. Car lorsqu’on a évacué le tragique, plus rien n’a d’importance, et l’émotion aussi s’en va. La fin du Tourbillon m’a ému aux larmes tandis que celle de Nobody m’a juste fait « Ah ouais bon d’accord » .
2) Le livre : Riquet à la Houppe (Amélie Nothomb, 2016)
Là encore, je viens à cette œuvre via une autre. Je retourne régulièrement aux contes, et repars toujours d’eux. J’adore depuis, ma foi, toujours, le Riquet à la Houppe de Perrault qui m’a expliqué tout ce que j’avais besoin de savoir sur l’esprit que l’on prête à la beauté, sans que l’on ne prête de beauté à l’esprit. Le conte ne pense pas pour vous, il est plus ambigu que cela, il vous fournit des cadres de pensée. Riquet à la Houppe aide à penser la libido et quelques-unes de ses mille situations, par exemple le sex-appeal des intellectuels (qui porte un nom : la sapiosexualité), ou, inversement, l’opinion sur la crise socio-économico-géopolitique que l’on sollicite, fébrile, auprès des top-models 90-60-90.
Amélie Nothomb en a écrit une version contemporaine ? Elle a quelque chose à dire sur le sujet ? Fort bien, je me plonge.
J’aime la Nothomb et comme je n’en nourris jamais de trop hautes espérances, elle ne me déçoit pas. Je la lis comme on boit un rosé, ce ne sera pas un grand cru, tant pis, mais qu’est-ce que ça fait du bien par où ça passe, sympathique et rafraichissant (cf. une autre lecture d’un autre Nothomb ici, jour 80).
Dans ce Riquet-là, je retrouve avec plaisir son allant et son excentricité, quoique je continue de préférer ses autobios à ses romans. Par exemple, j’aime beaucoup ce qu’elle raconte de la prime enfance de Déodat Eider (le nom de son Riquet), ce sentiment de plénitude et de toute-puissance de l’enfant avant le langage, qui regarde les adultes comme une bizarrerie, sauf qu’elle l’avait déjà raconté, et en mieux je crois me souvenir, à propos d’elle-même dans la Métaphysique des tubes. Dans le dernier chapitre de Riquet, elle parle soudain à la première personne et j’adore tout ce qu’elle me dit. En tout cas j’ai apprécié son hommage, sincère et pertinent, au conte originel, dont elle salue « l’exquise absence de morale » , elle peut glisser à l’intérieur, comme si elle était chez elle, sa propre candeur et sa propre fantaisie.
3) L’apophénie
Je n’ai pas pu m’empêcher (je ne peux jamais m’empêcher) d’apophéniser, c’en est presque pathologique. Ainsi je vois très bien les points communs entre Nobody et Riquet, et surtout sur leur facteur commun qui fait que j’ai trouvé ces deux œuvres distrayantes-sans-plus : les noms des personnages. Personne, dans la vraie vie, ne peut s’appeler « Nemo Nobody » (Personne Personne) ni « Déodat Eider » (un nom d’oiseau, évidemment). Non plus que « Trémière » ou « Lierre » (autres personnages dans le Riquet : Nothomb est coutumière des noms de personnages impossibles), etc. Dans les deux cas, les auteurs soulignent, voire surlignent, à coups de noms archi-signifiants, l’idée qui a présidé à la fabrication des personnages, comme s’ils dévoilaient les coulisses. C’est aussi cela qui tient à distance mes émotions, l’impression de me trouver trop clairement face à des idées et non face à des personnages romanesques.
Éditeur et blogueur depuis avril 2008.
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