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Femme artiste

S’il te plaît, Dieu,
ne me laisse pas écrire comme une femme.
Dortothy Parker

Je réalise, je n’en tire pas de conclusion, cela ne signifie rien de spécial, c’est comme ça, je réalise que j’ai surtout emporté des femmes dans la valise de mes vacances : un Annie Ernaux, un Nelly Arcan, un Corinne Lovera Vitali, la biographie d’Olympe de Gouges dessinée par Catel (écrite cependant par un homme, Bocquet, okay), et alors, pas besoin de parité, il s’agit de littérature pas de queue devant les toilettes, on s’en fout de la parité, c’est comme au festival de Cannes, elle était oiseuse cette histoire.

À ce propos, je lis justement dans le Corinne Lovera Vitali :

Il n’y a pas une seule artiste qui pourrait dire qu’elle n’a jamais une fois considéré qu’elle était une femme artiste. C’est impossible. Sauf que […] j’ai effectivement pensé qu’écrire n’est qu’un type de manie ou tic ou toc ou addiction peu importe, une maladie qui se console elle-même en curant sans relâche son symptôme. Un truc de maboule et de faiblard camé jusqu’aux yeux où pour le coup il se pourrait qu’on ait la stricte égalité mâle femelle.

Je lis plein de phrases de ce genre dans ce CLV, qui me touchent à plein d’endroits distincts dans ma personne, comme il arrive quand on lit un livre dont on se dit c’est pas possible c’est tellement juste ça a été écrit exprès pour moi alors qu’on sait bien que ça a été écrit pour l’auteur. Par exemple, à un moment elle donne une définition de ce que c’est écrire, elle la donne oui elle l’offre, à l’improviste au milieu d’un paragraphe qui parle aussi d’autre chose, elle la donne subreptice sans gyrophare ni enseigne « Attention ! Ici définition de l’écriture ! », et ensuite elle pourrait aussi bien changer de sujet même si c’est le sujet de tout le livre finalement, ça fait comme ça :

Je crois que mon travail c’est l’action de mon inconscient et de ma volonté côte à côte dans mon corps comme y sont côte à côte cœur et poumons, la fabrication de mon inconscient et de ma volonté réunis de force pour revivre ce sentiment d’échapper au temps que j’ai connu d’abord avec la lecture il y a longtemps, quand j’étais adolescente. Échapper au temps alors devait avoir ses raisons d’alors, qui finalement ont dû rester. Finalement on change de tout et même de vie sauf de ce qui la première fois nous a emportés.

CLV envoie des mots, en rafale ou en flux, aucun pour rien, des mots sur la littérature et sur sa littérature (sa « fabrique de présent »), des mots forts, des mots drôles, des mots pavé-dans-la-marre (j’aimerais contresigner son chapitre La maman, ses observations sur la façon dont se font les livres pour enfants parce qu’elle en sait là-dessus au moins autant que moi), des mots d’indépendance (dernier chapitre : « C’était au début de NON, quand on décidé qu’il fallait faire, et faire tout de suite, se passer des éditeurs, se passer des commissaires, se passer des intermédiaires pour être direct dans la matière et donner forme à la chose qui était dans l’envie »), des mots de détours étonnants loin de nous pour y revenir (elle dit de jolies choses sur The Wire, eh bien oui, on a beau habiter loin de Baltimore, tout ce qu’on écrira peut avoir et doit avoir un lien avec The Wire parce que The Wire le câble la ficelle c’est justement littéralement : le lien), elle dit des choses terribles aussi (« J’ai attendu d’être contrainte à pénétrer une morgue pour ne faire qu’écrire »), elle ne triche pas, elle y va, elle y est, j’aime lire CLV de même que j’aime aller discuter avec elle en buvant un coup à la terrasse d’un troquet, ça me requinque pour un laps.

Le livre s’appelle Scrute le travail, il est accompagné d’un CD qui lui aussi gratte au bon endroit (Laisse dire, laisse dire…), il vient de paraître aux éditions Précipitées (Artignosc-sur-Verdon), il coûte 16 euros, je ne sais pas où vous pouvez vous le procurer, je ne sais pas si vous pouvez vous le procurer, tout le monde n’a pas la chance de boire des coups avec CLV à la terrasse des troquets, essayez directement chez NON (155non arobase orange.fr), c’est mieux.

Et puis il y a son site.

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