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Hygiénisme et crime de guerre (Troyes épisode 36)

Ci-dessous un échange de mail avec Mano Gentil, dont il vous faudra lire sans faute l’effroyable prochain roman, Pavillon 19, à paraître quelque part en 2012 (mise à jour : le roman est finalement paru début 2013 sous le titre Le berceau de la honte), je vous garantis que c’est un gros morceau, j’ai eu l’honneur de le découvrir sur manuscrit car je suis dans ses petits papiers, expression idéalement adéquate. En attendant que ce nouveau volume soit disponible en librairie pour la vaine multitude ainsi que pour vous, sans vous commander vous feriez bien de lire toutes affaires cessantes (oui, immédiatement, laissez tomber ce blog, n’allez pas au-delà de cette phrase, d’ailleurs elle est trop longue, éteignez l’ordinateur, lisez plutôt des livres) Le Photographe, roman suffisamment fort pour qu’une fois ingéré il vous repête en tête, de loin en loin, en fonction de l’actualité. Bref. Ci-dessous un échange de mail avec Mano Gentil. Elle titre son message Née en 1961, comprenne qui pourra.

Très cher Fabrice,
J’ai attendu jusqu’à ce jour pour lire ta lettre adressée au Docteur Haricot. Je ne sais pas pourquoi avoir tardé autant. Peut-être sans le savoir, envie de la lire quasiment un an après , jour pour jour, que tu l’aies écrite.
J’admire ta science et ton écriture. Cette intimité avec Céline me laisse entrevoir les vides que j’ai encore à combler. Pourtant de cet écrivain, je n’ai jamais rien voulu savoir. J’ai lu, un point c’est tout. Et au fond de moi, j’ai toujours pensé qu’il en voulait plus à lui même qu’à l’humanité. Pour moi, il se sentait condamné à vie et pour ce, il lui fallait taper sur quelqu’un. Alors pourquoi pas le Juif? Après tout, humain qu’il était, quoi de plus humain que la faiblesse et la facilité en un temps où il n’était pas le seul à avoir donné « un statut » aux Juifs!
Pour moi, il était également un humoriste, certes cynique, mais tellement drôle. J’ai dernièrement visionné des entretiens entre lui et ceux qui cherchaient à débusquer la bête curieuse. Ils ne les a pas roulés, il leur a donné à voir!
J’espère ne pas te décevoir avec ma vision superficielle qui a cependant l’avantage de ne pas être celle d’un mouton. Ce qui est bien meilleur pour le haricot.
Je t’embrasse et ne peux m’empêcher de te dire encore Bravo.
Mano

Chère Mano
Eh, bien, en voilà un message qui me requinque de bon matin ! Mieux qu’un café + jus d’orange.
Le savais-tu, je suis à Troyes, en résidence d’écriture, fort seul en règle générale, et mes mises en route du matin sont un peu laborieuses. Sauf aujourd’hui.
Merci Mano.
Ta vision nest pas si superficielle que ça puisque, ayant lu Céline de la cave au grenier, je tombe finalement sur la même analyse : l’antisémitisme de Céline est un symptôme de son désespoir. Symptôme fort malvenu sous l’Occupation, ou l’antisémitisme cesse (pour toujours, semble-t-il) d’être une simple opinion stupide, pour devenir complicité de crime de guerre. Céline a une certaine vision des hommes, en gros il ne les aime pas, même s’il a de la tendresse pour eux en tant que médecin (« je suis devenu médecin parce qu’il n’y a que quand ils sont malades que les hommes cessent d’être méchants »), et dans ses romans il sublime cette misanthropie mélangée, il en fait la pâte de sa littérature, aucun lecteur ne peut s’en remettre. Cette misanthropie est, disons, métaphysique, parce qu’elle regarde l’humanité en général ; mais elle devient criminelle entre 1937 et 1941 parce qu’elle précise sa cible. Les trois livres publiés dans cet intervalle ne disent plus, soudain, « l’homme est mauvais » mais « le Juif est mauvais », comme si Céline avait enfin identifié le problème, diagnostiqué en docteur la maladie. C’est mystérieux et écoeurant depuis 70 ans.
Bon, et comment vas-tu ? Raconte un peu. Il est prêt à sortir, ton roman ? Non sans liens, d’ailleurs : une autre édifiante histoire de médecine et d’antisémitisme…
Tu connais cette blague sur l’écrivain qui parle de lui, encore de lui, toujours de lui, qui saoule son interlocuteur pendant une demi-heure puis finalement dit : « Mais assez parlé de moi. Parlons un peu de vous. Qu’avez-vous pensé de mon dernier livre ? » Il paraît que c’est une anecdote authentique mais je ne sais pas à qui elle est attribuée.
Bises
Fabrice

La suite de cette conversation privée, où nous avons parlé de nous et de nos livres, ne vous concerne pas, vaine multitude. Parlons un peu de vous. Que pensez-vous de ce que nous pensons ?

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