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Articles taggués ‘Chambre d’écho’

Titanesque

20/07/2023 Aucun commentaire
Photo : Sciences et Avenir

Oh oh, c’est quoi cette odeur ?
On vient d’observer près de Nancy l’éclosion de la plus grosse fleur du monde ! Fleur rare et fragile mais disproportionnée, qui s’appelle Pénis de titan, et qui pue, mais qui pue, que c’en est affreux-affreux. Il n’en fallait pas davantage pour ressusciter brièvement et en pleine canicule Mirliton Matin. (Pour mémoire, les annales de MM, média éphémère, sont consultables ici.)

Une (autre) charogne
Hommage à Charles Baudelaire

Surnommée « Pénis de titan »,
La plus énorme fleur au monde
N’en éclot que tous les cent ans
Dans une puanteur immonde.

L’Amorphophallus titanum
(De son aimable nom latin)
Déploie un répugnant arôme
La protégeant des importuns.

Trois mètres, un quintal… La géante
Schlingue à mort la viande pourrie !
Et cette exhalaison puissante
Est sa seule coquetterie.

En disciples de Baudelaire,
Nous sentons cette fleur du mal
Empoisonner notre atmosphère,
Toxique ainsi que sont les mâles.

Tout en voilant son nez, le fier
Botaniste-accoucheur se navre
Que sa fleur née dans la bruyère
Ait un autre surnom : « Fleur-cadavre » .

Aussi retenons « Pénis » ! Et la leçon :
Chers messieurs, la taille ne fait pas tout.
Mieux vaut minuscule qui fleure bon
Que titanesque refoulant l’égout.

Violence en col blanc, violence en uniforme bleu, violence en cagoule noire

01/07/2023 Aucun commentaire
Photo : merci le Dauphiné Libéré. Le saccage de la librairie le Square, à Grenoble, 30 juin 2023

Un policier tue un ado, encouragé par son collègue qui lui parle comme s’ils jouaient à un jeu vidéo, « Vas-y, shoote-le ! » = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « débordements regrettables ».

S’en suivent des émeutes dans les rues, un peu partout en France = ce sont, selon les termes du gouvernement, des « incivilités inexcusables ».

Tant que les pouvoirs publics n’auront pas pris conscience de la continuité linéaire entre ces deux violences, ainsi que d’autres (ce gouvernement EST violent), les violences se poursuivront.

Pour autant, je n’excuse rien. Je me permets de trouver plus « inexcusables » que toutes les autres violences, les destructions de librairies et de bibliothèques, qui sont lieux d’émancipation et non d’oppression, victimes collatérales des violences du gouvernement et des violences de rues.

Alors je relis un poème de Victor Hugo, « À qui la faute ? » in L’Année terrible, 1872.

Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui.
J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.

#moiaussi

26/06/2023 un commentaire

Jacques Higelin m’émeut et me transporte.

Je crois bien qu’Higelin est mon chanteur préféré. J’aboutis facilement à cette conclusion en constatant la fidélité de mon amour pour lui, à travers toutes ses périodes, ainsi qu’à travers toutes les miennes. Car dans nos amours artistiques la durée joue un rôle aussi déterminant que dans nos amours intimes.

Sentant peut-être sa fin proche, Higelin avait accepté de publier ses mémoires, racontées par lui, ordonnées par la journaliste Valérie Lehoux et parues en 2015 sous le beau titre Je vis pas ma vie, je la rêve, phrase tirée de la chanson Parc Monsouris. Puis, en 2018, il est mort. Cette année paraît un codicille, signé de la seule Valérie Lehoux, Car toujours le silence tue, entièrement consacré à un seul épisode de la vie d’Higelin. Cet épisode était pourtant déjà évoqué dans le tome précédent, mais il l’était furtivement, discrètement, à la volée, p. 289. Il aurait mérité, selon les termes d’Higelin lui-même, un bouquin à part entière. Voici ce bouquin, posthume. Cette fois, les points sont enfoncés sur les i, le secret est longuement explicité.

Higelin a été abusé sexuellement, de l’âge de 10 ans à l’âge de 15 ans, par un homme qu’il aimait, de douze ans son aîné, un homme qu’il considérait comme son mentor, qui lui a fait découvrir la musique, le théâtre, le cinéma, et la liberté. Et l’a violé.

Valérie Lehoux donne les tenants et aboutissants, non seulement de ce viol, mais aussi des conditions de sa révélation si tardive. C’est que désormais l’époque est propice : on appelle ces agissements pédocriminalité et non plus pédophilie, car il s’agit bel et bien d’un crime, avec un coupable et une victime. Lehoux énumère longuement des artistes issus de champs très variés, victimes de viol ou d’inceste (en commençant bien sûr par Barbara, dont elle est une grande exégète) et ce que chacun a fait plus tard de cette faille en lui/elle. Elle donne aussi une statistique : 160 000 mineurs sont victimes d’abus sexuels en France chaque année, chiffre purement indicatif puisque sans doute la majorité des cas n’émergera jamais du tabou. D’ailleurs pour l’essentiel, les victimes ne deviendront pas artistes pour en faire quelque chose, elles devront juste vivre avec. Enfin, retenons seulement que « 160 000 » = un gros paquet.

Parvenu à ce point de ma lecture, une révélation me prend. J’en suis stupéfait. Un déclic : moi aussi. #metoo. Je n’y ai pas repensé depuis des décennies, je ne l’ai jamais dit ni écrit à quiconque, mais brusquement je me souviens, il m’est arrivé un truc quand j’étais petit, la mémoire me retrouve.

1979 ou 1980. J’ai une dizaine d’année. J’habite avec mes parents et mon frère le 3e étage d’un HLM, dans le quartier dit La Coupiane, à La Valette-du-Var. Notre barre d’immeuble borde la Place rouge, qui doit son nom à la terre battue et non à un quelconque hommage à Moscou. D’autres barres comparables ou plus hautes (avec ascenseur) et plus labyrinthiques bornent le paysage. Je traîne mes guêtres dans le quartier avec mes copains ou, parfois, avec ceux de mon grand frère, lorsque ceux-ci tolèrent un merdeux de trois ans de moins qu’eux. Parmi cette bande informelle qui se fait et se défait et navigue de l’une des résidences à l’autre, recommence sans cesse le tour des immeubles et des parkings, et au mieux, parfois, fuit un instant le béton pour arpenter la forêt sur la colline, figure un grand gars, dégingandé, voûté et taiseux, dont j’ai oublié le nom (si jamais je l’ai su), ne me souvenant que du sobriquet qu’il doit à sa tignasse, coupe au bol typique de l’époque : Blondinet.

Blondinet a peut-être cinq ans de plus que moi, ou dix, je suis incapable d’être plus précis, en tout cas c’est un grand, caractérisation suffisante. Je ne suis pas spécialement proche de lui, je ne lui parle pas, je le côtoie dans cette fameuse cohorte floue de quartier, je ne me suis jamais trouvé seul avec lui. Sauf une fois. Un samedi après-midi. Il fait très chaud. Pourquoi les autres se sont dispersés ? Je ne sais plus. Je suis seul avec Blondinet et je crois me souvenir qu’il est vêtu de jaune, ou alors je confonds avec ses cheveux. Il me demande de le suivre dans les garages d’une autre barre, de l’autre côté de la Place rouge. Il a, dit-il, quelque chose à me montrer. Je le suis, je n’ai rien de mieux à faire. J’aime bien, d’ailleurs, jouer dans ses parkings, l’un de mes copains a des talkie-walkie et cet accessoire permet de transformer les parkings souterrains en territoire d’enquête, d’exploration, d’aventure.

Nous descendons tous les deux la rampe pour voitures et nous entrons dans la galerie souterraine qui donne, de part et d’autre, sur les parkings individuels. Nous restons dans la pénombre puisqu’il n’allume pas la minuterie. Il me dit Viens là ou quelque chose comme ça. Je m’approche, il nous plaque contre le mur, il me retourne, s’accroupit derrière moi et m’enlace, me serre, me serre de plus en plus fort, un bras sur mon ventre et l’autre sur ma poitrine, il halète dans mon cou. Il fait quelque chose que je ne comprends pas, qui est en tout cas inconfortable, j’ai un peu de mal à respirer et puis l’air est déjà plus que chaud, j’attends que ça passe, qu’il s’arrête, je ne peux rien faire, je suis un objet, il s’agite, m’agite, et je regarde devant moi, la lumière du jour tout au fond de la galerie obscure, littéralement je regarde la lumière au bout du tunnel.

Enfin ça se termine, il me lâche, grommelle quelque chose que je ne retiens pas, je me mets en marche tout de suite, j’avance vers la lumière, j’émerge. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire, maintenant ? Un samedi après-midi de canicule et mes copains ne sont pas là. Bon, ben, je vais remonter chez moi et regarder la télé, j’espère que ma mère ne dira rien. Avec un peu de chance, il y aura Le Prisonnier, ma série préférée. Ou peut-être Cosmos 1999. Deux séries archi-angoissantes, que j’adore, mais à mon âge je n’ai pas encore intégré le concept de catharsis.

Toutes les fois que j’ai recroisé Blondinet dans le quartier, il m’a évité et a fui mon regard.

Voilà tout. Fin de l’histoire. Elle est évidemment minuscule, anecdotique comparée à celle d’Higelin ou de tant d’autres. Si, plus de 40 ans après l’événement, je pose sur lui des mots, je crois comprendre ceci : un gars en position de force s’est collé dans le dos d’un gamin tendre, mignon et faible et, sans le déshabiller, sans le tripoter davantage, s’est masturbé dans son dos dans un parking souterrain. Il ne s’est rien passé de plus grave, ni de très grave. Est-ce grave tout de même ?

Je n’en ai aucune séquelle, je crois. Je n’en suis resté ni traumatisé, ni dépressif (oh j’ai de bien meilleures raisons d’être dépressif), ni violeur-à-mon-tour (croyez-le ou non, je n’ai jamais agressé personne, l’idée même m’empêcherait de bander). Peu importe. C’était mal, ce n’était pas normal. Quels que soient les dégâts, les circonstances, la fréquence… un adulte n’a pas à utiliser, à réifier un corps d’enfant pour assouvir sa propre sexualité, jamais. La sexualité des adultes est forte, celle des enfants est faible, il y a donc déséquilibre et abus de pouvoir. À bas tous les abus de pouvoir, et celui-ci d’abord.

Alors, #moiaussi, je parle pour la première fois, ma parole en est venue à se formuler, à se libérer, grâce à l’époque et grâce à la libération préalable de centaines de personnes avant moi, merci à toutes et tous, merci à Jacques Higelin pour tout et même pour ça, bonus. Parlons. Parlons, juste pour que la parole soit là entre nous, pour verbaliser que cela est mal, que cela n’est pas normal, que cela est un abus de pouvoir, que cela ne se fait pas. Espérons que verbaliser chaque cas permette d’en prévenir quelques-uns en saturant, anecdote minuscule après anecdote énorme, tout l’espace de Cela ne se fait pas. Rêvons un peu : chaque année, 160 000 Cela ne se fait pas. Soit un gros paquet.

Le diable, probablement pas

16/06/2023 Aucun commentaire

(Pour le contraire, Le diable probablement, c’est par ici.)

Statistique brute prélevée dans le flux internetisé de l’actualité : en ce moment, la République Islamique d’Iran exécute après jugement sommaire, en moyenne, un être humain toutes les six heures. Quatre par jour.

Ce nombre est abstrait. Comment rendre la peine de mort concrète, c’est-à-dire incarnée dans des êtres humains qui soit exécutent, soit sont exécutés ? Par le cinéma, évidemment.

Je viens de voir un film iranien et j’en sors bouleversé, en larmes : Le diable n’existe pas (titre péremptoire et pourtant prodigieusement subtil, puisque marquant non une fin de réflexion, mais un début, pour méditer après le film) de Mohammad Rasoulof. Ce chef d’œuvre me conforte dans deux de mes convictions. Primo, le cinéma iranien est l’un des plus passionnants du monde, et aussi l’un des plus héroïques puisque pour exister il doit se battre pied à pied contre son propre pays. Le diable n’existe pas a été tourné en clandestinité, déjouant une censure locale qui ferait passer le code Hays pour une aimable partie mah-jong, et Rasoulof, après sept mois d’internement dans la tristement célèbre prison d’Evin, a désormais interdiction de quitter le territoire alors qu’il était attendu en tant que juré du dernier festival de Cannes.

Secundo, pour accéder à la complexité d’une culture, d’un pays, ou d’une époque, il est préférable de regarder ses œuvres d’art plutôt que de coller l’œil sur le flux internetisé de l’actualité. Ici, on comprend ce qu’est concrètement la peine de mort : c’est une tache indélébile sur un homme à qui un deuxième homme a dit Tue ce troisième homme.

Ce film ressemble davantage à un recueil de nouvelles qu’à un roman puisqu’il assemble quatre histoires distinctes (une chronique sociale, un thriller, un mélo amoureux, un mélo familial) qui ont toutes en commun le thème de la peine de mort mais, plus largement, celui de la responsabilité individuelle. C’est, philosophiquement, aussi profond que du Albert Camus, autre auteur pour qui la peine de mort était un grand sujet à incarner, et c’est aussi beau que dans ses livres, puisque la lumière, le soleil et les couleurs sont, comme chez Camus, époustouflants. Et d’autant plus tragiques.

Question incidente et subsidiaire : voilà deux films persans que je vois coup sur coup, Leila et ses frères et ce Diable n’existe pas, où apparait le même élément narratif (essentiel dans le premier, anecdotique dans le second), qui semble un trait des mœurs persanes, très exotique pour nous Français : l’importance extrême, à la fois économique et symbolique, accordée aux pièces d’or. Durant la crise (or la crise est sans fin), la « pièce d’or » semble une valeur refuge, contre l’inflation aussi bien que contre la déroute spirituelle, chargée des valeurs mythiques et mythologiques attribuées à l’or, comme dans les contes traditionnels. Ainsi, selon ces deux films, si l’on veut faire à quelqu’un un cadeau « sûr » , conséquent, prestigieux voire ostentatoire, empreint d’une grande valeur à la fois financière et symbolique, on offre des pièces d’or.

En France existe une sorte d’équivalent : les personnes riches offrent ou s’offrent des Napoléons ou des Louis d’or, mais c’est une pratique plus marginale, plus rare, réservée à la grande bourgeoisie, et il ne me semble pas que cela tienne lieu de cadeau traditionnel. Sans doute parce que l’économie française est plus stable que l’économie iranienne. Jamais personne dans ma famille n’a possédé un Louis d’or.

Joie, beauté et couleur

01/05/2023 Aucun commentaire

Lu dans le Dauphiné libéré, un article aimable consacré au spectacle Goya : Monstres et merveilles en trio avec Bernard Commandeur, Christine Antoine et mézigue. Avec bien sûr une coquille, sans laquelle le Daubé ne serait plus le Daubé : « Fabrice Vigne au chant et au texte« . Non, non, ce coup-ci je ne chante pas, promis. Sauf si je suis dans un état second ? Si ça se trouve… mon dieu… Le Daubé aurait raison ? Je suis revenu du stage épuisé, confus, ébranlé nerveusement, je me serais mis à chanter sans m’en apercevoir, les Spermatos par exemple ? Voilà qui mérite un mirliton !

L’obscurité régnait dans l’aile du château / Et l’ombre de Goya enrobait le trio / Nous étions concentrés sur le « Très de Mayo » / Quand soudain retentit l’hymne des spermatos (de notre correspondant du Dauphiné Liberato)

Prochaines dates du spectacle : dimanche 25 juin 11h au Peuil (Claix) ; jeudi 19 octobre au Musée de Grenoble dans le cadre de la programmation « Musée en musique » .

Mais comme dans la vie il n’y a pas que « Goya et la musique espagnole » , Christine, Bernard et moi-même préparons un nouveau spectacle musicalo-biographico-pictural en trio : « Chagall et la musique russe » .
Déjà deux dates prévues : création à l’occasion des Journées du patrimoine, dimanche 17 septembre, en l’église Notre-Dame-des-Vignes, Sassenage ; reprise en appartement à Grenoble le mercredi 1er novembre (Toussaint).
Ce qui entraîne que ces jours-ci je lis pas mal de choses sur Chagall. C’est beau, Chagall. C’est féérique. C’est joyeux. C’est plus coloré que Goya (euphémisme).
Et puis à force de recherches, fatalitas et sérendipité, je tombe sur une citation de Jean-Marie Le Pen. Fin immédiate de la joie, de la beauté, et de la féérie.
Le 13 février 1984, date clef, Le Pen devient une star de la télévision et commence une ascension qui ne s’interrompra plus : il apparaît dans sa première émission en prime time, « L’Heure de vérité ».
Fort de son antisémitisme décomplexé et décomplexant, il profère cette ignominie, tous les Juifs dans le même sac :

« Je considère les Juifs comme des citoyens comme les autres… Ils ne le sont pas plus que ne le sont les Bretons ou d’autres. Je ne me sens pas obligé d’aimer la loi Veil, d’admirer la peinture de Chagall ou d’approuver la politique de Mendès-France ».

Près de 40 ans plus tard, Le Pen vient d’être hospitalisé pour un malaise cardiaque, mal en point. Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, jamais, ça ne se fait pas. Par conséquent je ne dirai pas : « Qu’il crève » .

Pour le 1er mai, un brin de muguet peint par Chagall (vers 1975)
Ce ! N’est ! Qu’un ! Brin d’muguet !
Continuons le ! Com ! Bat !

Revenir sur la terre ou exploser en vol

29/04/2023 Aucun commentaire

Photo aimablement prise par un CRS pourtant sur les nerfs, qui faisait le pied de grue à la sortie de l’autoroute mais qui attendait des blacks blocs plutôt qu’un trombone et une nyckelharpa.

Ah quel stage que celui de création de chansons encadré par Marie Mazille et moi, trépidant, foisonnant et joyeux. entouré de plein d’autres ateliers plus sérieux mais tout aussi bons ! Si le monde (professionnel) était mieux fait je ne gagnerai ma vie qu’ainsi tant je me régale tout en régalant les autres. Prochaine session : dimanche 14 au samedi 20 avril 2024. En attendant vous pouvez vous inscrire au stage d’août de Mydriase, pas mal non plus.

Mais il faut bien revenir dans le vrai monde, qui vous attend au tournant. La semaine de stage était tellement intense que j’en ai oublié de regarder l’info – ce sevrage constituant un avantage bonus.

Voyons voir, qu’ai-je loupé d’essentiel ces derniers jours ? Ah, tiens, ça, enfin une info marrante : Le Starship, la mégafusée de SpaceX, explose en vol trois minutes après son premier décollage.

Voilà qui mérite un mirliton :

Quelle déconvenue, affligeante et très brusque,
Advient au gros poupon dénommé Elon Musk !
Il brise son joujou à grosse empreint’carbone
Dans son techno-av’nir y’a kekchoz qui déconne.

Homo Sapiens Predator

01/04/2023 Aucun commentaire
This handout picture released by the Egyptian Ministry of Antiquities on March 25, 2023, shows mummified ram heads uncovered in recent excavations at the temple of Ramses II in Abydos. A team of archaeologists from the US’ New York University uncovered more than 2,000 mummified ram heads dating from the Ptolemaic era, as well as other animal mummies and artifacts in the Temple of Ramses II in Abydos in southern Egypt, a discovery that points to a persevering ram cult 1000 years after Ramses II’s time, according to the country’s antiquities authorities. – == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS == (Photo by EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES / AFP) / == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS ==

Dimanche 26 mars 2023 : les autorités égyptiennes annoncent la découverte dans le temple funéraire de Ramsès II, dans la cité antique d’Abydos, à 435 kilomètres au sud du Caire, de plus de deux mille têtes de béliers momifiées datant de l’ère ptolémaïque ont été découvertes. Il s’agirait d’offrandes témoignant que le culte de Ramsès II était encore célébré mille ans après sa mort. D’autres momies d’animaux (brebis, chiens, chèvres, vaches, gazelles, mangoustes) ont aussi été mises au jour lors de ces fouilles. (Source : AFP)

La photo de ces innombrables cornes me rappelle quelque chose, que j’ai vu il n’y a pas très longtemps… Je réfléchis… Un charnier peut-être ? La guerre en Ukraine ? Ah, non, c’est autre chose, je sais.

Cette découverte égyptienne me passionne parce qu’elle ne nous parle pas d’hier, elle nous parle d’aujourd’hui et de toujours : elle parle d’Homo Sapiens Predator, de son inextinguible folie destructrice, de son élimination méthodique et pourtant enragée des autres espèces animales (en commençant par les plus gros, identifiés comme rivaux), de sa dévoration sans pitié de l’environnement vu comme pure ressource à sa disposition, de l’orgueil insane qu’il tire des trophées après le carnage, elle parle même de sa superstition imbécile et de ses religions consolatrices, les restes des animaux morts lui servant de gris-gris, de garantie propitiatoire dans l’eau-delà. Plus il tue, plus il échappera à la mort, croit-il, l’abruti.

Cette découverte égyptienne nous parle de Ramsès II, pharaon de la XIXe dynastie (vers -1304, vers -1213) aussi bien qu’elle nous parle de Victor-Emmanuel II, roi d’Italie (1820-1878). Il se trouve que je reviens d’un voyage dans le si beau Val d’Aoste où j’ai notamment arpenté le château de Sarre, acheté par Victor-Emmanuel et utilisé en tant que pavillon de chasse, camp de base lors de ses innombrables fêtes du plomb dans les montagnes alentour, notamment dans le Grand Paradis. Le roi adorait buter du bouquetin en masse et du chamois par paquets de douze – privilège aristocratique et symbolique. Droit de vie et de mort. C’est qui le patron, hein ? C’est qui le maître de la nature qui prend la pose pour la postérité avec son fusil, son chapeau et son chien ?

Le sel de l’histoire est que le boucher du Val d’Aoste, après avoir fortement contribué à la quasi-extinction du bouquetin des Alpes, passe pour son sauveur providentiel : inquiet de l’amenuisement de son gibier, soucieux de la pérennité de son hobby, Victor-Emmanuel fait interdire par décret la chasse au bouquetin dans les Alpes italiennes. Sauf dans la réserve royale et à son propre usage. Il y a pire, et plus sordide : le maniaque couronné transforme la tuerie en apparat, faisant décorer plusieurs salles et couloirs, plusieurs murs et plafonds du château de Sarre, avec un ahurissant et morbide amoncellement de centaines de cornes de bouquetin. On se croirait chez Ramsès. C’est bien ici que je l’avais vu. J’en ai même ramené un petit reportage photo :

Constance de l’instinct de mort d’Homo Sapiens Predator, qui hélas n’est pas un archaïsme mais un invariant : trente-trois siècles après Ramsès, un et demi après Victor-Emmanuel, cette découverte égyptienne nous parle, enfin, de Willy Schraen, copain de Macron et patron du désormais riche et puissant lobby des chasseurs. Taïaut ! Nous ne ferons pas de quartier et comme nos illustres prédécesseurs nous exposerons les cornes pour impressionner le quidam.

Rappel : le montant des aides accordées à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a connu une hausse fulgurante au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, passant de 27000 euros à 6,3 millions d’euros en cinq ans. Car la chasse est une priorité nationale absolue.

Rappel : bon an mal an, 80 à 100 accidents de chasse, dont une dizaine de morts (d’êtres humains morts, je veux dire). Willy Schraen réagit et déplore les victime collatérales : « Il n’y a pas de risque zéro » . Et de réussir à faire jouer les leviers de pouvoir en sa faveur, et d’inciter le Sénat à légiférer : pour réduire le risque de prendre un plomb dans la tête en se promenant en forêt, la solution est tout simplement d’interdire de se promener en forêt, cela s’appelle le délit d’entrave à la chasse.

Rappel : 70% des Françaises ne se sentent pas en sécurité en période de chasse et 78% demandent l’instauration d’un dimanche sans chasse. Ils n’ont pas été entendus. (Au fait et dans le même genre, 68 % des Français sont contre la réforme des retraites. Seront-ils entendus ? Y’a-t-il le moindre suspense ?)

Rappel : comme tous les gens de pouvoir (les religieux, par exemple), les chasseurs sont chatouilleux et ne supportent pas la critique, la dérision, la caricature. Le dessinateur Bruno Blum (qui, lors d’une vie antérieure, était connu en tant que producteur de musique sous le nom de Doc Reggae, réalisateur du meilleur album live de Gainsbourg) est actuellement poursuivi en justice et risque jusqu’à 12 000 euros d’amende pour une caricature qui malheureusement n’a pas fait rire M. Schraen :

On peut soutenir Bruno Blum ici. Un dernier dessin pour tester votre humour :

9 décembre

09/12/2022 un commentaire

Le 9 décembre a été choisi comme Jour de la laïcité car il est la date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Il existe comme on sait des jours de ceci, des jours de cela, d’ailleurs dans 12 jours, le 21 décembre sera marqué non seulement par le solstice mais par le Jour de l’orgasme. Faites l’amour, pas la guerre de religion.

(Pour en lire plus long c’est par ici.)

Pour fêter l’anniversaire de cette invention géniale – je parle de la laïcité, pas de l’orgasme (rappelons que les trois plus grandes inventions françaises sont, dans le désordre, le cinéma, la baguette et la laïcité), je rediffuse ci-dessous l’indispensable pense-bête universel. Peut-être que je le rediffuserai tous les ans à la même date. Ou peut-être tous les jours.

Pense-bête

Âge de l’univers : 13,7 milliards d’années
Âge du soleil : 4,603 milliards d’années
Âge de la terre : 4,543 milliards d’années
Âge de la vie sur terre : 4,1 milliard d’années (micro-organismes fossiles)
Âge de LUCA (Last Universal Common Ancestor), organisme vivant complexe multicellulaire : 3,3 à 3,8 milliards d’années
Âge des premiers animaux marins : 700 millions d’années (vers, méduses, éponges de mer)
Âge des premiers poissons : 450 millions d’années
Âge des premiers animaux amphibiens (qui sortent de l’eau) : 350 millions d’années
Âge des premiers reptiles (ancêtres des dinosaures) : 300 millions d’années
Règne des dinosaures (Mésozoïque) : 252 millions d’années
Âge des premiers mammifères : 200 millions d’années
Disparition des dinosaures (fin du Mésozoïque) : 66 millions d’années
Âge des premiers hominidés : 7 millions d’années
Australopithèques (Lucy) : 4,2 millions d’années
Âge des premiers outils (cf., pour en avoir une interprétation artistique, le prologue de 2001 : l’Odyssée de l’espace) : 3,3 millions d’années
Homo habilis : 2,3 millions d’années
Invention du feu : 1,5 million d’années
Homo Erectus : 1 million d’année
Ancêtre commun des Sapiens et des Neandertal : – 660 000 ans
Perfectionnements technologiques (pierre, bois…) : au minimum – 476 000 ans
Apparition d’Homo Sapiens en Afrique : à partir de – 300 000 ans
Premières sépultures, donc peut-être premières religions : entre – 200 000 et – 100 000 ans
Dispersion et migrations d’Homo Sapiens dans le monde entier : entre – 70 0000 et – 20 000 ans
Homo Sapiens attesté en Europe (Italie, Bulgarie et Grande-Bretagne pour les plus anciens ossements) : – 45 à – 43 000 ans
Peintures de la grotte Chauvet : – 33 000 ans
Disparition des derniers Neandertal (Sapiens demeure le seul hominien) : – 30 000 ans
Peintures de Lascaux : – 18 000 ans
Fin de la préhistoire/début de l’histoire (révolution néolithique, invention de l’écriture, de l’agriculture, de l’élevage, de la métallurgie, des villes, du pouvoir politique central, de l’économie de production, de la guerre, etc.) : entre – 10 000 et – 4000 ans selon les parties du monde

Épilogue comique :
Alors le monothéisme vint !
Premier monothéisme connu (du moins après la tentative singulière, brève, discutable et opportuniste du pharaon Akhenaton, milieu du XIVe siècle avant JC) : Zoroastrisme, 660 avant JC, soit il y a environ 2700 ans. Les autres ont suivi dans la foulée, judaïsme, christianisme, islam, tous ont promis l’immortalité de l’âme au premier venu et en ont profité pour mettre enfin un peu de de rigueur dogmatique dans l’histoire trop compliquée et fastidieuse de l’univers.
Âge de la terre selon la Bible : 6000 ans (ha ha hi hi)
Durée de vie du monde selon l’islam (d’après certains hadiths du Prophète) : 7000 ans (ho ho hé hé)
James Ussher, un gars sérieux puisque pasteur anglican, docteur à l’âge de 28 ans, historien en plus d’être théologien et soucieux de réconcilier ses deux disciplines, a épluché la Bible paragraphe après paragraphe pour dresser une chronologie exhaustive et définitive. C’est ainsi qu’en 1658 il a établi que l’instant zéro avait eu lieu au soir du 28 octobre 4004 av. J. -C. (hou hou hou stop j’en peux plus c’est trop, ouye les crampes dans les côtes, quel dommage que le gars n’ait pas aussi précisé l’heure et la minute).

Rappel : le concordisme est l’ennemi de l’honnête homme.
Le savoir et la foi, l’un toujours provisoire et en cours d’amendement, l’autre prétendant à l’éternité et à l’immuabilité, sont deux manières de penser inconciliables – apprendre, expérimenter, vérifier, confronter versus croire tout rond. Les mélanger expose au ridicule. Les tenir éloignés l’un de l’autre est le projet même de la laïcité, pas le moins du monde ringard. Confondre les livres dits saints avec des manuels d’histoire au lieu d’en faire, comme Borgès, « une branche de la littérature fantastique » rend idiot.

Quand j’étais petit je regardais tous les soirs le générique du dessin animé Il était une fois l’homme, qui en une minute récapitulait à merveille le pense-bête énoncé ci-dessus mais qui à notre époque serait sans doute polémique voire cancélé (une personne fort proche de moi me fait remarquer, et j’avoue que cela m’avait échappé, qu’il s’agissait visiblement d’Il était une fois l’homme blanc), passerait pour une dangereuse propagande propre à froisser les convictions intimes de certaines populations. Dommage, on y entendait du Bach, ce qui est très bon pour la santé.

Comment expliquer la laïcité aux enfants ? (comment expliquer N’IMPORTE QUOI aux enfants, d’ailleurs ?) Le Fond du Tiroir vous délivre un truc inusable : il suffit de prélever une fable de La Fontaine.

Examinons aujourd’hui, si vous le voulez bien chers enfants, Le statuaire et la statue de Jupiter, Livre IX, fable 6 :

Un bloc de marbre était si beau
Qu’un Statuaire en fit l’emplette.
Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

Il sera Dieu : même je veux
Qu’il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains. Faites des vœux !
Voilà le maître de la terre.

L’artisan exprima si bien
Le caractère de l’Idole,
Qu’on trouva qu’il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l’on dit que l’Ouvrier
Eut à peine achevé l’image,
Qu’on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la faiblesse du Sculpteur
Le Poète autrefois n’en dut guère,
Des Dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine et la colère.

Il était enfant en ceci :
Les enfants n’ont l’âme occupée
Que du continuel souci
Qu’on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l’esprit :
De cette source est descendue
L’erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassaient violemment
Les intérêts de leur chimère.
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu’il peut, ses propres songes :
L’homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges.

(illustration Grandville)

Rien à foot

01/12/2022 Aucun commentaire
Henry Monnier travesti en Monsieur Prudhomme (vers 1875). Photographie d’Étienne Carjat, musée d’Orsay, Paris

1) 1er décembre 2022

Il arrive parfois, notamment quand le chauffeur du bus augmente le volume de sa radio, que je sois forcé de me souvenir : ah, oui, c’est vrai, la goddamn coupe du goddamn monde de goddamn foot du goddamn Qatar.

On trouve dans l’insurpassable Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, à l’article « ÉPINARDS », cette citation empruntée à Joseph Prudhomme, le personnage de bourgeois pontifiant créé par Henry Monnier :

ÉPINARDS – Ne jamais rater la phrase célèbre de Prudhomme : « Je ne les aime pas, j’en suis bien aise, car si je les aimais, j’en mangerais, et je ne puis pas les souffrir. »

Or ces jours-ci je pense souvent à cette sentence idiote et géniale sous la forme d’une paraphrase : « Je n’aime pas le foot, et j’en suis bien aise, parce que si je l’aimais je regarderais sans doute cette coupe du monde particulièrement ignoble et obscène, ce précipité d’apocalypse, or justement je ne peux pas encaisser le foot et c’est autant de temps de gagné pour m’adonner à des occupations enrichissantes, par exemple lire Flaubert ».

On notera avec intérêt que l’article ÉPINARDS du précieux manuel est précédé par :

« ÉPICURE – Le mépriser. »

… et suivi par :

ÉPOQUE (la nôtre) – Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu’elle n’est pas poétique. L’appeler époque de transition, de décadence.

2) 11 décembre 2022

Elle n’est toujours pas terminée cette foutue coupe du monde, métonymie du joyeux suicide de l’humanité ? Ah mais finissons-en au plus vite ! Nous sommes au bord du gouffre ? Il est temps de faire un pas en avant !
Afin de vous libérer l’esprit dès aujourd’hui pour passer à autre chose, attention spoïleur, Le Fond du Tiroir vous révèle en avant-première mondiale le score final ! Ce sera… 6500 contre 1. Sauf que 1 a gagné contre 6500.

– 6500 prolétaires, essentiellement africains ou asiatiques, esclaves légaux, ont trouvé la mort au Qatar durant la construction de ces temples climatisés où une poignée de millionnaires sponsorisés par des milliardaires courent après un ballon mais « ne font pas de politique » .
– 1 monarchie moyenâgeuse, bigote, sexiste, théocratique et patriarcale, dictature obscurantiste… mais « précieux partenaire » , riche à milliards grâce à l’économie carbonée, à l’essence de nos bagnoles et tout au bout de chaîne alimentaire, grâce aux valises de cash pour lubrifier la FIFA, se fait passer pour sérieuse, respectable et même désirable, pour tout dire « moderne ».

Car oui, le football est un maillon capital de la « modernité », c’est-à-dire, très exactement, de la diversion.
Nous le savons depuis 1984 de George Orwell, paru en 1948. Extrait du chapitre VII de la 1ère partie :

Le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application de quelques règles simples. En réalité, on savait peu de chose des prolétaires. Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils continueraient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient sans importance. (…) ils se mariaient à vingt ans, étaient en pleine maturité à trente et mouraient, pour la plupart, à soixante ans. Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les querelles mesquines entre voisins, les films, le football [c’est moi qui souligne. Je vais pas me gêner.], la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile. Quelques agents de la Police de la Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs, notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de devenir dangereux.

Il y aurait peu de choses à réactualiser dans cette longue citation. J’en vois seulement deux : « le Parti » n’existe plus tel qu’Orwell l’entendait et le dénonçait en 1948, puissance hégémonique bureaucratique communiste… désormais les forces totalitaires en charge de l’air du temps sont plus diffuses et internationalisées ; les prolétaires ne sont plus incités à « travailler » mais « consommer » – le décervelage qui en découle est cependant le même.

J’arrête ici la citation mais c’est dommage, car la phrase suivante parle des réflexes conditionnés que l’on attend des prolétaires : aucun « sentiment politique profond » mais seulement un « patriotisme primitif » – bref il y est encore question, explicitement, de la coupe du monde de foot.

Vive le sport !

3) 15 décembre 2022

Malheureusement le cauchemar continue et enfle. La France (quelle France ?) a gagné (ça veut dire quoi gagner ?) ce soir contre Le Maroc (quel Maroc ?). Hélas pour moi le hasard fait que je me trouve en ville, je reviens d’une session d’écoute du CD de Solexine tout chaud sorti des mix… J’ai beau avoir guetté l’heure, et tenté de me faufiler dans les rues avant la fin du match, trop tard, j’ai perdu ma course contre la montre et je suis pris au piège, le centre ville est un traquenard où une artère sur deux est bouclée par les flics, tandis que l’autre, le long des bistrots, dégueule de créatures avinées et hurlantes. « On est ! On est en finale ! » Les créatures ont manifestement gagné. Ces hordes en liesse sont dangereuses comme des soldats juste après la conquête d’un territoire, le cocktail explosif est le même, griserie, enthousiasme, alcool, défoulement, toute-puissance et patriotisme, chauffés à blanc ils n’auraient qu’à se laisser aller pour violer les femmes et tabasser les hommes, on est chez nous bordel on a gagné. J’ai peur. Je presse le pas, à ce stade je suis certain de me faire lyncher en tant que mauvais Français ou seulement agresser en tant que victime collatérale mauvais endroit mauvais moment, j’entends par vagues des braillements des klaxons des Marseillaises, je longe des vitrines et des terrasses pleines de fumeurs et buveurs mugissant, je m’efforce de ne croiser aucun regard, soudain j’entends des coups de feu et mon sang se glace ! Ou peut-être des pétards, je ne sais pas, je ne risque pas de m’arrêter pour vérifier, je frissonne et accélère encore. Je réussis à m’éloigner des principales concentrations humaines (sic), je fais un détour par les quais, je ne croise plus que des individus isolés, titubants, vomissant ou pissant dans les buissons, et au bout d’une demi-heure d’angoisse je suis enfin chez moi, je verrouille à double tour et je souffle.

Il paraît que l’affiche de la finale est France-Argentine. Comme je ne suis pas argentin, je suis en mesure de m’exclamer, fébrile d’espoir : vive l’Argentine !

En revanche, Jorge Luis Borges, qui était tout aussi argentin que Diego Maradona, vous savez ce qu’il vous dit, Jorge Luis Borges ?

4) Lundi 19 décembre 2022. La France a enfin perdu ! On va pouvoir reprendre une vie !

Heureusement qu’il n’y a pas que le foot dans la presse du jour, y compris argentine. Il se passe d’autres choses dans le monde, et même dans Le Monde(.fr). Je lis ceci ce matin qui m’emplit d’une indicible joie :

« Le « Necronomicon » a-t-il été vu à Buenos Aires ?
Le grimoire maudit a été imaginé par H. P. Lovecraft il y a un siècle, en 1922. Depuis, il parcourt souterrainement la littérature mondiale. En particulier dans la capitale argentine, où certains l’y cherchent encore, en suivant la piste tracée en son temps par le grand J. L. Borges lui-même.

Pendant des mois, chaque jour ou presque, la même question : « Avez-vous trouvé le Necronomicon ? » L’homme qui la pose est grand et maigre, d’allure fantomatique, et il l’adresse aux employés d’une vieille ­librairie de l’avenue de Mai, dans le centre historique de Buenos Aires. Peut-être auront-ils fini par mettre la main sur ce ­livre au hasard de l’acquisition d’une ­bibliothèque privée.
A cause de l’épidémie de Covid, la boutique a baissé le rideau. Mais le mystérieux lecteur de l’avenue de Mai continue sans doute d’arpenter les innom­brables points de vente de la ville. « Se moquait-il de nous ou croyait-il vraiment en l’existence du Necronomicon ?, se demande encore Carlos Santos Saez, un employé de la librairie. Peut-être avions-nous affaire à une réincarnation de Lovecraft. En tout cas, la ressemblance était frappante. »
Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est cet écrivain américain du début du XXe siècle considéré comme l’un des maîtres de l’horreur. Il y a cent ans exactement, il imaginait le Necronomicon, un grimoire maudit mentionné pour la première fois dans la nouvelle « Le molosse », écrite en 1922 et publiée en 1924.Les pouvoirs maléfiques du Necronomicon sont contenus dans ses formules, qui permettraient d’entrer en relation avec les « Grands Anciens », des créatures qui gouvernaient le monde avant les humains, selon la vingtaine de nouvelles de Lovecraft où apparaît le nom. Le Necronomicon aurait été écrit au VIIIe siècle par un « Arabe fou » du nom d’Abdul Al-Hazred (peut-être un jeu de mots avec l’anglais all has read : « a tout lu »).
Le titre original, Al Azif, devient Necronomicon en grec. Seuls cinq exemplaires sont censés avoir traversé le temps, répartis entre la bibliothèque de l’université d’Arkham (fictive), celle de Harvard, le British Museum, la Bibliothèque nationale de France… et Buenos Aires. La capitale argentine n’apparaît qu’une fois chez Lovecraft, dans la nouvelle « L’abomination de Dunwich » (1928). Mais les fans argentins – plus que tous les autres – ont donné à « leur » exemplaire la consistance d’un mythe.
(…)
En 2017, une grande rétrospective des adaptations de Lovecraft au cinéma était organisée au Musée d’art latino-américain de Buenos Aires, le Malba. L’année suivante, le cinéaste argentin Marcelo Schapces exploitait la légende dans son long-métrage Necronomicon. El libro del infiernoLe livre de l’enfer »). L’ombre de Borges est omniprésente dans le film, dont un des personnages suggère que l’écrivain serait devenu aveugle en ­consultant le Necronomicon.
Le Necronomicon portègne fait parler de lui au-delà des frontières argentines. En 2018, Jean-Pierre Léaud, invité ­d’honneur du festival de cinéma de Mar del Plata, fait un passage express à Buenos Aires. Deux ou trois jours à consacrer aux charmes de la ville, mais l’acteur n’en démord pas. Il souhaite voir le ­Necronomicon. « Il aurait pu aller voir du tango, visiter des musées… Mais non, il a préféré partir à la recherche d’un livre imaginaire », s’étonne encore Enzo Maqueira. Le jeune écrivain, qui a servi de guide à Léaud, se souvient du moment le plus délicat de cette virée, quand l’équipe qui accompagnait l’acteur a dû lui annoncer la triste vérité : « Nous avons tous échangé des regards inquiets, personne ne voulait prononcer la phrase qui allait mettre fin à son rêve de gosse : “le Necronomicon n’existe pas !” »
Fabien Palem(à Buneos Aires) »

Sacré Jean-Pierre Léaud ! À lui, ainsi qu’à quiconque serait désespéré de chercher en vain le Necronomicon dans les enfers des bibliothèques nationales ou les recoins des échoppes enténébrées : mesdames et messieurs, je tiens gracieusement à votre disposition mon exemplaire (photo ci-dessous), défraichi mais déchiffrable, actuellement remisé et conservé avec soin dans mes chiottes.

Les vraies

10/11/2022 Aucun commentaire

Cette semaine les tramways ne roulaient pas, suite à une grève des techniciens. Par un effet de vases communicants les bus étaient bondés à l’extrême, nous voyagions comprimés les uns contre les autres. C’est dans ce contexte, je le suppose, que je me suis fait dérober mon portefeuille, à même la poche intérieure de ma veste.

Je m’en suis rendu compte quelques heures plus tard et, avant que je fasse opposition, ma carte bleue avait déjà été utilisée sans contact pour 70 euros dans un Lidl, plus 30 dans un tabac. Quelle merde, ce sans-contact dont le nom clame si fièrement à quel point il est raccord avec notre époque coronavirée et soit-disant dématerielle.

Outre les 100 balles débitées et quelques 20 en cash, tous mes papiers envolés bien sûr, soit la perspective de jours laborieusement consumés en démarches fastidieuses. Divers documents plus ou moins facilement remplaçables… d’autres carrément impossibles à retrouver. Je détenais notamment depuis 20 ans dans mon portefeuille, serré dans un carnet de timbres verts courants, un timbre exceptionnel, mon seul timbre de collection, qu’en fétichiste je regardais de temps à autres et me gardais bien de coller sur une vulgaire enveloppe : un timbre de 0,46 € à l’effigie de Georges Perec, que j’étais allé acheter le premier jour de son émission, le samedi 21 septembre 2002, à Villard-de-Lans, lieu éminemment pérequien.

Mon premier réflexe en dressant l’inventaire du larcin a été de jeter la tête en arrière, de hurler ma haine pour le prédateur qui m’a pris pour un pigeon, et de le traiter d’Enculééééééééééééé ! mais je me suis illico reproché cette insulte homophobe convenue, digne d’un supporter de foot ou bien d’un émirat milliardaire en pétrodollars (en ce moment ces deux qualités se cumulent), insulte que je m’étais pourtant juré de ne plus employer, car nombre d’enculé(e)s sont des gens formidables et honnêtes que jamais, du reste, n’effleurerait l’idée de s’adonner au vol dans les transports en commun.

Une fois repris mes esprits et réprimés mes bas instincts, j’ai réfléchi et, amor fati, je me suis dit qu’après tout un vol de portefeuille participait tout comme les impôts à la redistribution des richesses, or la redistribution des richesses, je suis vachement pour, contrairement à Balkany ou Cahuzac, criminels infiniment plus nuisibles qu’un voleur des rues. Et que ma foi en finançant, fût-ce à mon corps défendant, 70 euros de courses à Lidl, j’aurais contribué à cette redistribution.

Ensuite, j’ai pensé que si le voleur avait glissé sa main non dans cette poche mais dans l’autre, il serait tombé sur un livre. Quel livre de poche déforme ma poche ces jours-ci ? Un recueil de jeunesse d’Albert Camus, Noces.

C’est alors que par association d’idées je me suis souvenu que Camus avait fait son éducation intellectuelle dans une librairie d’Alger nommée Les Vraies richesses, tenue par Edmond Charlot qui fut aussi son premier éditeur. Puisqu’on parle ici de redistribution des richesses, où serait la vraie redistribution des vraies richesses ailleurs que dans un tel endroit ? Vraies richesses, quel beau nom pour une librairie, pour une médiathèque, pour tout ce qu’on voudra à part peut-être une banque, un supermarché Lidl ou un tabac. Quel beau nom surtout pour ce qui se peut partager simplement par la parole, par la lecture, par l’esprit.

J’ai tant de choses involables au fond de la tête et au fond du cœur, au fond du tiroir mais oui ! Tant de choses à redistribuer gracieusement sans que jamais cela ne me rende plus pauvre. Tiens, je connais, par exemple, une chanson de Brassens qui, comme toutes les chansons de Brassens, tombe à point nommé et nous tire tous vers le haut, voleurs comme volés : Ce que tu m’as volé, mon vieux, je te le donne…