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Mot clé : ‘l'échoppe enténébrée’

L’Échoppe : fermeture définitive

07/10/2014 Aucun commentaire

L Echoppe en robe rougeLe rêve est une seconde vie. Gérard de Nerval

L’opération S.U.M. Pack est close. Une douzaine de packs ayant été écoulée, je n’hésite pas à parler de triomphe, puisque j’espérais, téméraire, parvenir à dix. Merci douze fois, grâce à vous douze la sortie du prochain livre sera un tout petit peu moins compliquée (très-très compliquée seulement, au lieu d’insurmontable). Et spécial double-merci à Marie S., qui a poussé le mécénat et l’élégance jusqu’à me dire « Voici l’argent du pack mais pas la peine de me l’envoyer, je n’en veux pas, tes livres je les ai déjà » … À ce compte-là, j’eusse préféré qu’elle m’en commande 3 ou 4 ou même 15, mais je n’ai pas osé réclamer, c’eût été de l’abus. Je me contiens toujours quand je sens que j’abuse, je suis un gentleman.

Je reparlerai bientôt du monstre sur le point de s’échapper du Tiroir, qui en déforme déjà les battants à coups de boutoir… En attendant, ayons une pensée pour le livre qui y retourne à jamais : notre grande promo d’automne a eu pour effet collatéral d’épuiser définitivement le tout premier livre qui, en 2008, fut orné du logo Tiroir-qui-vole : L’Échoppe enténébrée, récits incontestables.

Adieu, adieu ! Adieu livre de rêve, rêve de livre, adieu prime aventure ! Je t’aime mais ne te réimprimerai jamais ! L’argent se fait si rare qu’il est jalousement réservé aux caprices nouveaux, crèvent les vieilles lunes !

Coïncidence : le jour où je fais le deuil de ce petit volume dont la couleur de couverture fut choisie in extremis, la veille de l’impression, en référence subliminale à la « chambre rouge » de Twin Peaks, endroit secret où les rêves révèlent la vérité, j’apprends le retour prochain de la série matricielle et hallucinogène…

Les travaux et les jours

14/04/2019 Aucun commentaire

1 – Les travaux

Parlons peu parlons travail. Parmi les écrivains dont le travail m’inspire et qui se battent sur ma table de chevet, Flaubert ne jure que par le travail, comme remède, discipline et accomplissement ; Debord gueule sur les murs Ne travaillez jamais ! Débrouille-toi avec ça.

Et puis Olivier Josso avec les deux tomes de son stimulant Au travail. Et puis Bretecher avec son immortelle mise en garde contre la procrastination : « Arrête de dire que tu bosses et bosse ! Si tu bossais tu bosserais. » (On peut comparer ici deux gags identiques sur le « travail » de l’écrivain dessinés à 30 ans d’écart par Posy Simmonds et Bretecher).

Que travailler ? Pourquoi travailler ? Comment travailler ?

Prétexte à remettre ces questions sur le métier : « Du pain sur la planche, métiers et travail« . Ça se passe à la Maison de l’Illustration de Sarrant (32), ça dure jusqu’au 17 juin, et l’affiche est signée JP Blanpain. Sont exposées avec un à-propos magnifique les pages originales de Double Tranchant du même Blanpain et moi-même, livre qui restera pour les siècles des siècles plus un jour ou deux le plus bel objet d’art produit par Le Fond du Tiroir. Du beau travail, précisément, noble et âpre artisanat en forme d’éloge et tragédie de l’artisanat âpre et noble.

Double Tranchant est un travail né d’affres sur le sens de mon travail. On y peut lire notamment ces phrases : « Lors du déclin de notre atelier, les autres, ah, les autres peu à peu sont partis, un par un, comment les retenir, il n’y avait plus assez de travail pour tous. Certains ont trouvé un emploi, je ne dis pas un métier, je dis un emploi, l’adéquation à l’emploi est le seul critère pour juger l’excellence de l’outil. En peu d’années il n’est resté que moi. » Double Tranchant est toujours en vente au moyen de ce bon de commande à imprimer ou recopier (légèrement trompeur puisque deux références y sont épuisées telles des travailleurs ayant trop travaillé, L’échoppe enténébrée et Reconnaissances de dettes) et si nous nous débrouillons correctement il sera aussi en vente à Sarrant pour accompagner l’expo.

2 – Les jours

Pendant ce temps, tu veux tu veux pas, les jours s’écoulent déguisés en travaux. Ces derniers jours, j’étais plus souvent sur scène que devant mon ordinateur, à la faveur de performances variées et musicales. Hector Berlioz a suggéré autrefois que la musique est supérieure à l’amour parce que la musique est capable de donner une idée de l’amour, tandis que l’amour est incapable de donner une idée de la musique. (Idée réincarnée un siècle plus tard dans la fameuse litanie de Frank Zappa incluse dans Joe’s Garage : « L’information ne vaut pas le savoir. Le savoir ne vaut pas la sagesse. La sagesse ne vaut pas la vérité. La vérité ne vaut pas la beauté. La beauté ne vaut pas l’amour. L’amour ne vaut pas la musique. Rien ne vaut la musique. »)

Le paradoxe berliozo-zappaesque est applicable, au-delà de la seule musique, à l’art en général : la poésie, le théâtre, la danse, les images de toutes sortes, surclassent l’amour parce qu’ils le porte en eux tandis que l’amour ne porte que lui-même. L’art existe afin de donner une idée de l’amour même quand il est absent, pour l’incarner, le garder un peu par-devers soi, le ressentir encore, le partager, le célébrer. Dès lors peut-être que la solution au problème initial du travail est ici : travailler d’accord mais seulement pour créer, pour donner des idées de l’amour, sinon ce n’est pas la peine.

Souvenir enchanté d’une aventure fulgurante déjà engloutie dans le puits sans fond des jours qui passent : le 11 avril dernier se donnait le spectacle de musique, de danse, de poésie, et, en gros, d’amour Cartas de amor. Christine Antoine (violon), Bernard Commandeur (piano), Pablo Neruda (poète),Laura Grosso et JuanJo Garcia (danseurs flamenco), moi (narration). Ci-dessous quelques photos prises par Jean-Claude Durand, merci à lui, série dite de la danse du châle.

 

Traditionnel de demain

26/01/2015 3 commentaires

flyer janvier 2015

Comme si je n’avais rien d’autre à faire de mes jours, t’sais. Bombardé président. Il ne me manquait plus que ça. Sans me vanter, je te jure, depuis quelques jours je suis président de l’association MusTraDem, label de CD, éditeur de partitions et tourneur de musiciens, toute la gamme des pieds à la tête, depuis le baluche jusqu’à l’éthnomusicologie, musiciens qui sont mes amis depuis vingt ans et mèche. Faites connaissance je vous prie, achetez leurs CD ! Allez les voir en live vivants ! (ou à défaut sur Youtube) Lisez les toujours stimulants éditos de l’une de leurs têtes pensantes et dialecticiennes ! Dégourdissez-vous les doigts en apprenant à jouer d’un instrument, et les fesses en dansant jusqu’à pas d’heure ! (Prochain rendez-vous, amis Grenoblois : samedi prochain, détails sur l’image ci-dessus.)

MusTraDem pour Musiques Traditionnelles de Demain : j’aime et admire cet oxymore depuis (disons pour faire simple) toujours. L’association fut fondée par des artistes à la fois ancrés dans l’ancestral et expérimentateurs de formes – en somme, des inventeurs d’une certaine modernité, pas moins. (C’est en mélangeant qu’on invente.) Circonspects à l’époque comme aujourd’hui quant à la possibilité de trouver leur place dans le marché, le réseau, le commerce ou la foire médiatique, ils ont décidé vers 1990 de ne pas attendre le messie (ni le président) et de la créer eux-mêmes, cette place. Ils ont forgé de leurs mains et pour leurs mains leur propre structure, outil de travail et de distribution, de survie, de vie tout court. Une source d’inspiration pour Le Fond du tiroir ? Tu l’as dit, mon neveu !

Alors bon, d’accord, ça et les sentiments plus un coup dans le nez et voilà comme on se retrouve à signer des papiers sous la mention Président… Ils avaient besoin d’un prèz… J’ai accepté tout en les avertissant que le job m’intéressait mais que je n’étais pas sûr d’avoir les épaules, qu’ils n’avaient qu’à voir comme j’avais rendu florissante ma propre association (en déficit chronique), que je me sentais vachement ‘normal’ comme président, autrement dit qu’il fallait craindre que seul un attentat sanglant me rende un peu populaire…

Bah, nous verrons bien, eux et moi ! Je suis sûr que j’ai quelque chose à apprendre là-dedans, et puis je peux bien me dévouer pour eux spécifiquement, et pour la musique en particulier.

J’ai souvent sous-entendu, et parfois explicitement déclaré, que j’écrivais par défaut, par dépit d’être si peu musicien. J’ai consacré les droits d’auteur reçus pour mes premiers livres à l’achat d’instruments de musique (une trompette, deux trombones, un tuba)… Je me sens proche de la musique, même et surtout quand j’écris. Et encore davantage quand je me donne en spectacle. J’aime travailler ma voix comme un instrument et la balancer comme un chorus, ou en contrechant parmi les notes des autres. J’ai eu un planning de janvier chargé en happenings littéraro-musicaux : d’abord une représentation des Giètes-sur-scène, on a recompté, c’était la 39e et dernière (des photos ici), ensuite une de Vironsussi-sur-scène (des photos là). Eh bien figurez-vous que le premier spectacle n’était possible que grâce à la complicité fidèle de Christophe Sacchettini, et que le second doit beaucoup au talent et à l’investissement de Norbert Pignol.

Comme par hasard : deux membres (fondateurs, en plus) de MusTraDem. Tous deux apparaissant d’ailleurs furtivement dans L’échoppe enténébrée. Okay. On a pigé, pas besoin de théorie du complot. Une mafia, quoi.

Et pendant ce temps, l’actualité ? Ah non, merci bien j’arrête, elle est trop triste l’actualité. Comme si les attentats n’avaient pas généré suffisamment de chagrin, de colère, d’inquiétude, Emmanuel Macron ministre de l’économie balançait le même jour dans Les Echos un autre symptôme de la grande déglingue globale : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » . Macron/Swagg Man : même combat, même modèle offert à la jeunesse française, même classe, même Rolex. Et Bernard Maris, lui, est mort assassiné, Bernard Maris qui déclarait je cite de mémoire une interview rediffusée post-mortem :

« La liberté et l’égalité, on sait à peu près ce que c’est. Ce sont deux drapeaux, deux belles valeurs, qui animent la politique française depuis la Révolution. Encore aujourd’hui la liberté est revendiquée comme absolu plutôt par la droite, et l’égalité plutôt par la gauche. Leur confrontation est inévitable (trop de liberté nuit à l’égalité, trop d’égalité nuit à la liberté) mais fonde la République, au moment où le débat public parvient à un équilibre entre les deux. Or cet équilibre ne peut être trouvé que grâce au troisième terme républicain, le plus difficile à trouver, le plus abstrait (contrairement aux deux premiers, on ne peut pas faire de loi qui porte son nom), le plus beau peut-être : la fraternité. La fraternité est la solution à nos problèmes… Mais il y a du boulot, puisque l’idéologie dominante [celle de Macron et de Swagg man], très violente, suicidaire, nous inculque l’exact contraire, le chacun-pour-soi et la guerre de tous contre tous.« 

Maris était un homme lumineux, et par conséquent éclairant, sa lumière a été soufflée par deux abrutis obscurantistes qui, certes, ne pouvaient que nourrir du ressentiment face à ce qu’ils étaient incapables de comprendre et qu’ils supposaient incapable de les comprendre. Maris a été assassiné juste après avoir achevé un petit livre à paraître chez Grasset où l’on trouve cette phrase “La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage” que j’aurais pu apposer en épigraphe de Fatale Spirale, Maris est mort et il nous reste Emmanuel Macron et Swagg Man, oh misère qu’ils sentent mauvais les meilleurs voeux 2015.

Rhâ pardon c’est plus fort que moi j’ai craqué, j’ai encore parlé de cette grande salope d’actualité, encore deux ou trois heures passées sur Internet à lire tout ce qui se présente, je sais pas si vous avez lu La carte et le territoire de Houellebecq, l’un des passages les plus burlesques montre Houellebecq en chair et en os ce qu’il en reste, pitoyable personnage de son propre roman, avouer tel un toxico, « J’ai complètement replongé, question charcuterie… » et bon, là, je suis bien obligé d’avouer cette après-midi : « J’ai complètement replongé, question actualité… »

Je vais plutôt aller jouer un peu de musique.

Les livres distribués par le Fond du tiroir

25/10/2013 Aucun commentaire

Les treize livres publiés (ou, pour deux d’entre eux, seulement distribués) par la maison, sont énumérés sur cette page dans leur ordre chronologique de parution.

Les bons de commandes originaux en lien sous chaque couverture de livre sont donnés uniquement pour mémoire, et parce qu’ils font rire certaines personnes, mais leur validité est bien sûr échue (et puisqu’il y a prescription, je consens à avouer que le verbiage massif qui accompagnait les premiers formulaires était directement inspiré des désopilants paratextes accompagnant les numéros de l’ACME Novelty Library de Chris Ware).

Pour acquérir les treize merveilles ci-dessous en 2022, et non en 2006 ou en 09, rendez-vous au bon de commande courant.

Voulez-vous effacer/archiver ces messages ? ed. Castells, 2006, 18 €. Recueil de nouvelles. Préhistoire et archéologie du Fond du tiroir. Première collaboration avec Patrick Villecourt. Détails ici.

* L’échoppe enténébrée, 2008, 13 €. Premier livre officiel du FdT. On avait d’abord l’intention de le faire bleu avec des coins arrondis. Finalement il est rouge et anguleux. Attention : si vous souhaitez vous le procurer, contactez-nous pour qu’on vous file un PDF, parce qu’il est définitivement épuisé. Bon de commande original ici.

* Le Flux, 2008, 3 € (gratuit pour les natifs de l’année 1969 – sur justificatif, hein). Livre beaucoup plus offert que vendu. Tirage initial 365 ex. épuisé. Retirage en 2013 d’une poignée d’exemplaires, avec le marque-page en moins mais une épigraphe en plus. Bon de commande original ici.

* ABC Mademoiselle, avec Marilyne Mangione, 2009, 20 €. Lui aussi commence à se faire rare. Bon de souscription original ici.

* J’ai inauguré IKEA, avec Patrick Villecourt, 2009, 4 €. Best-seller de la maison (tout est relatif). Bon de commande 2009 ici.

* La Mèche, illustrations Philippe Coudray, 2010, 12 €. Premier livre jeunesse du FdT. Réédition sous une nouvelle couverture d’un livre précédemment paru aux éditions Castells. Bon de souscription original ici. Bon de commande 2010 ici.

* Dr Haricot, de la Faculté de Médecine de Paris, ed. pré#carré, 2011, 6 €. (quasi-introuvable, mais on peut aussi tenter de frapper à la porte de l’éditeur, pour lui demander poliment s’il lui en reste.) Bon de souscription original ici.
Notons qu’en 2022 ce texte corrigé et augmenté est réédité aux éditions Le Réalgar (non distribué par le FdT). N’empêche que l’édition pré#carré de 2011, avec sa reliure de raphia et dans son enveloppe bleue, est sacrément élégante.

* Ce qui stimule ma racontouze, Georges Perec, préf. Fabrice Vigne et Hervé Bougel, co-édition pré#carré/Le Fond du tiroir, 2011, 8 €. Livre non-distribué en librairie, pour respecter la demande des éditions Joseph K. Bon de souscription original ici.

* Lonesome George, avec Jean-Pierre Blanpain, 2012, 9 €. Bon de souscription original ici.

* Double tranchant, avec Jean-Pierre Blanpain, 2012, 17 €. Le plus beau livre du FdT. Mais ce n’est que mon avis et je ne suis que l’auteur, c’est Jean-Pierre qui a fait l’essentiel. Bon de souscription original ici.

Couverture

* Vironsussi, livre-CD co-écrit par Olivier Destéphany, illustré par Romain Sénéchal. Décembre 2014, 25 €. Ceci n’est pas la vraie couverture mais un leurre : nous avions créé un petit suspense autour de la couleur définitive. Bon de souscription original ici.

Projet COUV RdD 2

* Reconnaissances de dettes, archéo-mémento et chant du cygne, premier et dernier travail du Fond du tiroir, après ça on écrase une larmichette et on ferme. Parution juin 2016, 381 p., 20 €, tirage 50 exemplaires seulement, épuisés en un rien de temps. Pas non plus la vraie couverture mais l’un des premiers essais… Bon de souscription original ici.

* Au Premier Jour de la Confine, livre-DVD avec Marie Mazille (paroles, musiques et chants), Capucine Mazille (illustrations) et Frank Argentier (musique et vidéo). Souscription en crowdfunding sur Ulule. Parution décembre 2021, 128 p. + 1 DCD d’1h 38 mn, 27 €, tirage 500 exemplaires. Ce coup-ci, c’est le vrai dernier-final-ultime livre du Fond du Tiroir, merci bonsoir.

Bon d’accord mais c’est la dernière fois

02/07/2013 Aucun commentaire

Bribe arrachée au journal des rêves – je ne publierai pas de tome 2 à l’Échoppe enténébrée.

Je suis allongé dans mon lit. Ma chambre donne, par une porte que je n’avais encore jamais repérée, sur un long couloir aux volets fermés. Je distingue au fond de ce couloir une silhouette en mouvement : quelqu’un s’approche. J’entends ses pas. Je reste couché. Enfin, une actrice connue (je revois très bien son visage mais pourtant je ne sais pas qui elle est – peut-être n’est-elle pas une actrice connue, après tout) passe la porte et entre dans ma chambre avec un nouveau-né dans les bras. Elle le berce et lui parle : « Tu exagères, tu es capricieux… » Ele ne m’adresse pas la parole mais seulement des regards de connivence qui semblent vouloir dire « Vous comprenez ce que je vis, vous avez eu deux enfants… » Puis, elle se met à quatre pattes, posant son bébé devant elle et lui disant en soupirant : « Bon, d’accord, mais c’est la dernière fois ! Il va falloir que tu apprennes à vivre loin de mon ventre, je te préviens ! » Elle ouvre alors grand la bouche, où le bébé est aspiré comme dans un siphon.

Dans l’enfer des magasins d’usine (Troyes épisode 92)

15/12/2011 un commentaire

Edouard Levé écrit dans son Autoportrait : « Pour me rassurer, si je suis perdu dans une ville étrangère, je vais au supermarché, c’est un endroit familier » . Oui, je connais et expérimente cette louche familiarité, mais non sans bouffées de chaleur. Les grandes surfaces commerciales m’angoissent. Or, elles sont l’une des spécialités de Troyes : la ville est encore plus célèbre pour ses trois gigantesques zones de magasins d’usine que pour son andouillette. Malgré mon urticaire, je ne pouvais faire autrement qu’aller les voir de près, après tout c’est pile mon sujet d’étude.

Je m’attendais, dix jours avant Noël, à une cohue extraordinaire, une marée humaine indescriptible, un avant-goût de l’enfer et de ses cohortes de damnés passant la porte, per me si va tra la perduta gente… Et puis non, en fait, pas trop, parkings clairsemés, boutiques semi-désertes. Tiens. La crise partout-partout, par conséquent ici aussi. Ce qui m’a frappé davantage que la relative affluence, c’est l’architecture du lieu. Cet amas de logos est agencé comme un village de vacances, ou un parc à thème, avec animations perpétuelles, décorations qui clignotent, sourires professionnels, facilité d’entrée, difficulté de sortie. On quitte un endroit, on est orienté vers le même en face, « Pensez aux 40 boutiques de l’autre côté de la rue » , on est surveillé, on aura du mal à fuir le Village.

J’avais emporté de quoi écrire, on ne sait jamais, comme pour IKEA, si quelque chose devait venir sur place… Mais rien de spécial. Traverser l’enfer pour n’y gagner qu’un peu plus soif, comme dit Céline.

Plutôt que s’entasser dans ces camps de rééducation qui sauveront coûte que coûte le pays, son euro à poil ras, sa croissance dépressive, son ministre du Budget (ah, tiens, à propos du ministre du Budget et de la Consommation de masse, n’espérez pas voir le spectacle de Michèle Laroque à Troyes, les 2200 places pour les deux séances se sont vendues en quelques heures), et ses andouillettes AAAAA labellisées Moody’s, autant recourir à la vente par correspondance. Et puisqu’on en parle veuillez prendre à présent connaissance de mon spam d’hiver, que vous avez peut-être reçu par mail, mais peut-être pas, parce que je l’ai envoyé au petit bonheur et pas à vous :

Le Fond du Tiroir vous souhaite une bonne Saint-Glinglin !

Non, c’est pour déconner. En fait, Le Fond du Tiroir vous souhaite un joyeux noël, comme tout le monde, pardon.

Et en outre vous signale, au cas où vous n’auriez pas encore achevé vos corvées de cadeaux, que son catalogue fourmille de livres chics, bon marché et cependant de bon goût.
Téléchargez ici le bon de commande.

Puis imprimez ou recopiez à la main (en vous dispensant de reproduire tout le baratin), et choisissez le cadeau qui comblera de plaisir celui ou celle à qui vous ferez la bise à côté du sapin. Le Fond du tiroir ? Un succès garanti triple AH du fond de la gorge par les agences de notation les plus sérieuses et les moins corrompues !

* Pour la frangine qui aime lire des nouvelles parce que c’est moins long que les romans et franchement c’est une motivation suffisante : offrez sans hésiter le recueil Voulez-vous effacer/archiver ces messages ?
* Pour le neveu altermondialiste et bricoleur : le livre en kit-à-monter-soi-même, ludique et pédagogique, J’ai inauguré IKEA pour jouer à se moquer des franchises d’ameublement suédoises et globalisées.
* Pour le tonton né en 1969 : le mini-livre Le Flux s’impose. No comment. Il vous remerciera plus tard.
* Pour la cousine qui est toujours célibataire et bientôt catherinette : ABC Mademoiselle, livre d’art et de sensualité pour tous, mais SURTOUT pour les cousines toujours célibataires et bientôt catherinettes.
* Pour la grand-mère qui s’est endormie avant la bûche : L’échoppe enténébrée afin de faire de beaux rêves.
* Pour le petit dernier qui, depuis qu’il a appris à lire, commence a trouver cette histoire de père noël trop chelou, ce serait les parents qui attendent qu’on roupille pour poser les paquets que ça ne l’étonnerait pas : La Mèche, bien sûr, conte de noël terriblement (quoique perpétuellement) de circonstance.
* Pour le cousin intello à lunettes qui relit une fois par an La vie mode d’emploi de Georges Perec afin d’en percer tous les mystères : Ce qui stimule ma racontouze, un (presque) inédit dudit Georges Perec qui explique (presque) tout.
* …

Après, vous pouvez intervertir comme vous le sentez, la Mèche pour le tonton, le Flux pour la cousine, ABC Melle pour la grand-mère, je ne sais pas, je ne connais pas votre famille.

Le Fond du tiroir vous souhaite de bonnes prises de tête de fin d’année, et il prend la vôtre juste le temps de vous embrasser affectueusement.

À force d’écrire des choses horribles (Troyes épisode 80)

01/12/2011 2 commentaires

« À force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver » (Jacques Prévert, Drôle de drame)

J’étais cette après-midi à nouveau plongé dans l’écriture de mon horrible histoire d’incendie. Descendant de mon appartement quelques instants pour fumer une cigarette, je me suis brusquement retrouvé au milieu d’une vision de cauchemar : j’étais piégé dans un immeuble qui brûle, le Ginkgo, mon Ginkgo, ma thébaïde, était la proie des flammes ! Des fumées compactes et blanches rendaient tout le rez-de-chaussée aveugle, irrespirable ! En hâte nous avons ouvert les fenêtres en grand et nous sommes sortis sur le parvis, pour voir la fumée s’échapper, s’envoler, se dissoudre.

Finalement, ce n’était rien. Rien que la machine à fumée qui s’était emballée, un accessoire de l’installation artistique en cours. Le feu n’avait été, réellement, qu’une vision, il ne s’était jamais échappé de son seul foyer : ma tête. Fantasme, hallucination, fiction. Il y a parfois des fumées sans feu.

Londonomètre : un plein cendrier.

On aperçoit ma silhouette et mon désarroi dans le film ci-dessous pris au téléphone dans les volutes.

Le club des fétichistes

14/04/2011 un commentaire

Hervé Bougel est un fétichiste : il a suspendu en son atelier, dans l’antre même, confortable et secrète, où il bichonne à la main chaque exemplaire des publications du pré # carré, un immense poster représentant Georges Perec rue Vilin, figure tutélaire et pensive face à l’éphémère des paysages.

Patrick Villecourt est un fétichiste : le mur en face de son bureau est orné d’une tête de Perec redessinée par Enki Bilal, sous le regard duquel Patrick factotumise en orfèvre les livres du Fond du Tiroir (ou d’autres ouvrages moins glorieux mais, à l’occasion, mieux rétribués).

Je suis, il est temps de l’avouer malgré que j’en ai, un fétichiste : je porte en permanence dans mon portefeuille, à l’horizontale du cœur, un timbre à l’effigie de Perec un chat sur l’épaule, que je me garde bien de mélanger avec les bêtes Mariannes ordinaires identité-nationale mon cul,  il s’agit de ne pas le salir, minuscule grigri, trésor non affranchi que pour rien au monde je ne voudrais voir disparaître sur la première enveloppe venue et se prendre des coups de tampons sur la coupe afro.

Il était fatal que nous nous rencontrassions, et pas seulement pour les plaisirs raffinés de l’imparfait du subjonctif. Quand un fétichiste rencontre deux autres fétichistes, qu’est-ce qu’ils se racontouzent ?

Je reviens de chez l’imprimeur, les bras heureux et chargés d’un carton de livres, le plus beau livre de notre catalogue comme tous les autres livres de notre catalogue : « Ce qui stimule ma racontouze » de Georges Perec, splendide sixième livre et demi (demi pour cause de co-édition) publié par le Fond du Tiroir, fruit du minutieux et passionné travail de trois fétichistes.

Pour assurer la promotion de ce bel objet (qui n’en a guère besoin, après tout : nous sommes assurés d’écouler l’essentiel du tirage lors du Printemps du livre de Grenoble – spéchol sinx à Mmes Carine d’Inca et Vanessa Curton), je viens de me prêter à une interview au micro de Michèle Caron pour France Bleu Isère. Si tout fonctionne correct c’est écoutable ici.

Je règle mon pas sur le pas de mon Pere(c)

03/04/2011 2 commentaires

Le ouebmestre du Fond du Tiroir me confirme le renouvellement de notre bail électronique : le site, le blog, toutes mes petites affaires, sont reconduits pour une quatrième année. J’exprime à nouveau ma gratitude à l’aimable soutier du Tiroir, grâce à qui je dispose de ce bel outil exempt de réclame – sinon les miennes (ne bougez pas, je reviens sur ce point dans quelques lignes). Et que s’y passe-t-il, dans le FdT, pour fêter l’anniversaire ? Un petit miracle, figurez-vous.

J’ai créé cette structure, il y a donc très exactement trois ans, pour accomplir des jolies choses à l’instinct et en liberté, y compris non préméditées – laisser venir à moi la vie et les envies. Je n’avais nullement, par exemple, envisagé d’y publier une autre signature que la mienne. Mais voilà que notre prochain livre donne sa chance à un jeune auteur qui débute : Georges Perec. Vous rendez-vous compte ? Moi, éditeur d’un quasi-inédit de Perec !

Perec est l’un de mes trois ou quatre écrivains de chevet, ces trois-ou-quatre-toujours-les-mêmes lus de la première à la dernière ligne, relus, remâchés, et recrachés à l’occasion. Un autre de ces essentiels de poche est L.-F. Céline, et je trouve le destin bien malin de me donner l’occasion d’honorer l’un puis l’autre à un mois de distance : l’antisémite et le juif – ah comme il est réducteur et sot de les définir ainsi ! Comme si on avait tout dit ! Alors que rien du tout. L’égarement de l’un, et les racines de l’autre, furent sans doute déterminants pour leurs destins respectifs, mais sont si peu de chose quand il s’agit seulement de les lire, comme les deux immenses écrivains qu’il étaient ! (Oui, décollons l’homme de l’oeuvre, soyons voulez-vous « contre Sainte-Beuve».)

Voici comment c’est arrivé. Je me trouvais chez Hervé Bougel, peaufinant justement les corrections de la Lettre au Dr. Haricot. Nous devisions du salon du livre de Grenoble, où nous tiendrions stand le mois prochain. Or le Printemps du livre programme un hommage à Perec, avec projection de ses films à la cinémathèque, en présence de Robert Bober, et un peu plus tard une soirée spéciale dans l’atelier du pré#carré… Hervé farfouille dans l’une des piles de bouquins qui encombrent son logis, et en exhume un tiré-à-part jauni : la retranscription de la causerie que Perec avait donnée à Grenoble en février 1981, parue deux ans plus tard (entre temps, Perec était mort) dans une revue universitaire, Texte en main, sous la direction de Claudette Oriol-Boyer. Hervé lance l’idée, comme pour plaisanter par association d’idées : « Et si nous le rééditions, pour célébrer les 30 ans de l’événement ? »

Pas de plaisanterie qui tienne ! J’associe les idées sérieux comme une crise cardiaque ! Je rebondis au quart de tour (métaphore foireuse – passons), car Hervé et moi devons bien ça à Perec : l’une des collections du pré # carré s’intitule « 36 choses à faire avant de mourir » ; le premier livre publié par le Fond du Tiroir est L’échoppe enténébrée : deux plagiats péréquiens ! Et puis tout le reste…

Ni une ni deux j’entreprends de recopier ce texte. J’écris du Perec, mesdames et messieurs, comme Pierre Menard écrivit du Cervantès. Je rajoute des notes. Je me fends d’une préface. Depuis un mois, je lis et relis ce qui me tombe sous la main de et sur Perec à tous les repas. Qu’est-ce que j’aime ça ! « Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère », phrase fétiche de Perec, et je la fais mienne avec ferveur, phrase archi-contrainte (la lisez-vous, la contrainte à l’oeuvre ? Indice : c’est l’anti-« Disparition »…) et phrase d’une profondeur métaphysique vertigineuse(1)… Quand on crée, c’est pour maintenant, et aussi pour toujours, et pour jamais… J’ai relu du Perec, je me suis gorgé de son éphémère (j’ai pleuré de rire en retombant sur tel calembour, « Le Titien aboie, le Caravage passe »), et me suis rengorgé de son éternel (relu entre autre Un homme qui dort, roman magnifiquement mystérieux sur la solitude et le décrochage, allez, tiens, je vous en recopie trois pages(2), un développement au sujet des réussites, recopier ce chapitre me sera toujours une heure consacrée à une tâche fertile, plutôt que perdue à faire des réussites en ligne)…

Le livre est prêt. Il est publié en co-édition FdT/pré # carré. Il s’intitule Ce qui stimule ma racontouze. En accord avec le précédent éditeur de ce texte, Joseph K., cette élégante plaquette (44 p., 120 x 210 mm, dos carré, maquette exquise assurée par Patrick F. Villecourt) n’aura qu’un tirage limité à 250 ex. et une diffusion restreinte, tant dans le temps que dans l’espace. Sortez votre carnet de chèques, c’est l’heure de la réclame : le bon de souscription est ici, les livraisons seront faites dès la semaine prochaine au plus tôt, au moment du salon de Grenoble (14-17 avril) au plus tard.

(1) Comme souvent chez Perec, il est possible que cette phrase géniale soit en réalité une citation détournée, puisqu’on retrouve la même idée dans Le peintre de la vie moderne (chapitre 4, La Modernité) de Baudelaire : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien ; la plupart des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont revêtus des costumes de leur époque. Ils sont parfaitement harmonieux, parce que le costume, la coiffure et même le geste, le regard et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire) forment un tout d’une complète vitalité. Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant, vous tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l’unique femme avant le premier péché. Si au costume de l’époque, qui s’impose nécessairement, vous en substituez un autre, vous faites un contre-sens qui ne peut avoir d’excuse que dans le cas d’une mascarade voulue par la mode. Ainsi, les déesses, les nymphes et les sultanes du xviiie siècle sont des portraits moralement ressemblants. »

(2) – Souvent, tu joues aux cartes tout seul. […] Tu es tombé dans les joies ensorcelantes des réussites. Tu étales sur ta banquette quatre rangées de treize cartes, tu retires les quatre as. Le jeu consiste à ordonner les quarante-huit cartes qui restent en utilisant les cases laissées libres par l’élimination des as ; si l’une de ces cases est la première d’une rangée, tu as le droit d’y mettre un deux. Si elle succède à, mettons, un six, tu peux y mettre le sept de la couleur, à un sept, le huit, à un huit le neuf, à un valet la dame ; si elle succède à un roi, tu ne peux rien mettre et la case est perdue.
La chance ne joue presque aucun rôle dans cette réussite. Tu peux prévoir longtemps à l’avance le moment où tes quatre cases libérées te feraient tomber sur des rois, donc échouer, si tu les jouais dans l’ordre ; mais tu peux justement te servir d’une case, puis d’une autre, y revenir, prendre la troisième, la quatrième, la seconde à nouveau. Il est rare, néanmoins, que tu réussisses : il vient toujours un moment où le jeu se bloque, où, la moitié ou le tiers des cartes étant déjà classés, tu ne peux plus combler de cases sans invariablement découvrir un roi. Tu as droit, en principe, à deux autres tentatives : il te suffit de laisser en place les cartes déjà classées et de redistribuer les autres après les avoir battues en ménageant quatre intervalles. Mais tu uses rarement de ces deux chances offertes ; à peine le jeu t’apparaît-il compromis que tu ramasses toutes les cartes, les bats deux ou trois fois, les étales à nouveau pour une nouvelle épreuve.
Tu bats les cartes, tu les étales, tu retires les quatre as, tu regardes le jeu. Tu commences un peu au hasard, en veillant seulement à ne pas découvrir trop vite un roi. Petit à petit le jeu s’organise, des contraintes apparaissent, des possibilités se font jour : ici une carte est déjà à sa place, ici le mouvement d’une seule permettra d’en ranger d’un seul coup cinq, six, la un roi qui te gêne ne pourra pas bouger.
Tu ne réussis presque jamais. Tu triches parfois, à peine, rarement, de plus en plus rarement. Ce n’est pas la victoire qui t importe, car, que voudrait dire ta victoire, et s’il ne s’agit que d’avoir avec toi les dieux, il y a tellement de façons plus faciles de s’attirer leur bienveillance. Mais tu joues de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps, parfois toute l’après midi, ou bien des ton lever, ou bien jusqu au matin, et même pas, même plus, pour tuer le temps.
Il y a dans ce jeu quelque chose qui te fascine, plus encore [que le reste]. Selon leur place, selon l’instant, chaque carte acquiert une densité presque émouvante. Tu protèges, tu détruis, tu construis, tu combines, tu tires plan sur plan : exercice pour rien, péril que rien ne sanctionne, mise en ordre dérisoire : quarante huit cartes t’enchaînent à ta chambre et tu t’y trouves presque heureux qu’un dix soit à sa place, qu’un roi ne puisse s’élever contre toi, ou presque malheureux que tous tes lents calculs aboutissent tous au même impossible résultat. Comme si cette stratégie solitaire et muette constituait ton seul chemin, était devenue ta raison d’être.
Un homme qui dort, pp. 71-75.

P.S. : histoire de faire le lien avec le précédent article, sachez que, selon le témoignage de Bernard Queysanne, Perec rêva (rêvassa seulement, mais c’est déjà beaucoup) d’une adaptation cinématographique de W ou le souvenir d’enfance. Pour lui, deux cinéastes étaient nécessaires à ce projet : Elia kazan pour la partie autobiographique, Stanley Kubrick pour l’île…

À ma place (2)

15/12/2010 un commentaire

Anne-laure Cognet vient de publier une aimable recension, enthousiaste et spirituelle (je n’en attendais pas moins de sa part, car voici une fille spirituelle et enthousiaste) de ma Séquelle, dans la dernière livraison de Livre & lire, feuille de chou de l’ARALD. Merci Anne-Laure.

Cependant, je suis mu en cette vallée de larmes par d’autres affects que les satisfactions d’orgueil et les réconforts égotistes (Oui ! J’existe ! C’est enfin prouvé ! On parle de moi dans la presse ! J’apparais donc je suis ! Et pis Fanny médiatique !), car incidemment, et même subrepticement, je me trouve davantage touché par une autre colonne du même canard. Je résonne d’autres mots.

Le poète Michel Thion que j’ai un peu côtoyé jadis – car nous trempâmes de conserve dans le marigot à nénuphars des éditions Castells – signe à son tour l’édito mensuel, rubrique intitulée je-vous-le-donne-en-mille « Les écrivains à leur place« , et confiée par roulement aux plus divers teneurs de plume rhonalpins. L’honneur de garnir cette colonne m’échut aussi, en mon temps. (Tiens, au fait, je relis la vieille page du blog écrite à cette occasion, et vous signale que j’y avais lancé un jeu-concours qui, faute d’avoir été élucidé, court toujours…)

Le texte de Thion évoque le vécu et le travail d’un poète, à coups de verbes à l’infinitif comme des touches impressionnistes.

Écrire avec une gomme au lieu d’un crayon.
Chuchoter dans la brume.
Souffler sur les cicatrices.
Dormir du sommeil de l’éveillé.

Etc… Voilà le poète, sa vie son œuvre. Et tout ceci pour qui ? Pour quoi ? Pour quand ?

Attendre sereinement le jour où quelqu’un demandera :
« y a-t-il un poète dans l’avion ? »
Boire le souffle du soleil.
Le regarder en face, en devenir aveugle un instant rouge sang, et puis, au moment où la vue revient par bribes, par éclairs sombres, écrire au milieu des larmes.

Eh bien, voilà. C’est ça. J’ai l’impression que ce jour est arrivé pour moi, je me suis levé au milieu de l’avion et j’ai dit bien haut « Moi, je sais écrire ! Euh… Un peu… Je ferai de mon mieux ».  C’était vendredi dernier.

Voilà ce qui s’est passé : ma grand-mère est morte. La dernière survivante de mes grands-parents, une génération entière qui s’abolit, pfuit, circulez, au suivant. Sa fin était attendue, plus de peine que de surprise, l’agonie fut longue, mais tout de même nous tenions à elle comme à quelque chose qui nous unissait. Et puis, en ce qui me concerne, c’est  bien elle, ma grand-mère maternelle, qui m’a appris le mot Giètes, son sens propre, son sens métaphysique, tous ses sens venus de loin, c’est dire si je lui dois. Il m’a été donné de voir et de décrire sa mort alors qu’elle était en vie, c’est même la toute première page de l’Échoppe enténébrée.

Elle meurt. On me demande de lire un texte pendant les obsèques. J’écris un texte. Je pleure beaucoup en l’écrivant.

Ma grand-mère m’a beaucoup appris. Elle m’a enseigné des mots, des expressions, des jeux, des anecdotes qui pouvaient servir de modèles ou d’exemples, des recettes de cuisine, des chansons, des façons de regarder le monde… bref des moyens de comprendre la vie. Pour le dire simplement, elle m’a appris à vivre.

Merci.

En 1998, j’ai décidé de l’interviewer méthodiquement. J’ai recueilli sa parole, j’ai laissé le magnéto tourner et je l’ai enregistrée, elle m’a raconté sa vie pendant des heures, des dizaines d’heures peut-être. Puis, j’ai retranscrit tous ces dialogues sur papier. Je suis très heureux d’avoir accompli ce travail, d’avoir couché sur le papier son existence, pour en conserver une trace, et la partager. Je relis ce texte de temps en temps. C’est ce que j’ai fait à nouveau hier, pour chercher ce que je pourrais vous lire aujourd’hui, et de nouveau, j’ai ri, et j’ai pleuré, j’entendais sa voix puisque c’était ses mots.

Les phrases que j’ai choisi de mettre en exergue de ce texte donnaient leur sens global à ma démarche. Ces phrases m’ont fait comprendre que j’accomplissais ce travail d’archivage de sa parole pour ses descendants, petits-enfants et arrière-petits-enfants :

« Ce qui me fait le plus plaisir, c’est cette entente que vous avez encore, les deux garçons et les trois filles, moi ça me fait plaisir vois-tu… Parce que s’il y avait eu une séparation entre vous, ben c’était pas normal, puisque vous êtes tous venus ici… »

Voilà, exprimé très simplement, son enseignement le plus profond : « vous êtes tous venus ici », nous sommes tous venus « chez la Paulette », nous avons tous profité d’elle en tant que pilier de la famille et même du monde, de son sens du partage, de sa convivialité sans manières, et sa maison était non seulement le lieu mais le symbole de la famille, de son unité.

Cet endroit où nous vivons tous, où nous passons au moins, où nous nous retrouvons, où les uns grandissent, où les autres vieillissent, et où l’on s’embrasse. Nous avons eu cela en commun : la Paulette. Nous avons eu de la chance.

Ma grand-mère a vécu la chose la plus horrible qui peut advenir à un être humain. Elle a perdu un de ses enfants. Son fils René, mon oncle, est mort en 1985. J’ai envie d’évoquer ce moment-là.

Nous étions tous réunis, dans sa maison, à nouveau, comme nous l’avions été, comme nous le serions encore, mais il manquait quelqu’un. Comment réagir ? Moi, j’étais adolescent, je ne savais pas quoi faire d’autant de peine, je ne supportais pas cette douleur en chacun, et je me suis enfui. Oh, pas bien loin, je me suis seulement réfugié dans ma chambre, et je n’en suis pas sorti. Longtemps après, des heures au moins, j’ai entendu les pas de ma grand-mère dans l’escalier. C’est elle qui montait jusqu’à moi.

Elle a ouvert ma porte, et elle est tombée dans mes bras, en pleurant. Elle me disait : « Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ? Enfin ! Ce n’est pas possible, de rester là seul, dans un moment pareil ! Il faut que tu reviennes, il faut que tu redescendes ! On a besoin d’être ensemble ! On a besoin les uns des autres ! J’ai besoin de toi. Descends, viens, viens avec moi. Tu es mon bâton de vieillesse… »

Je pleurais autant qu’elle, nous pleurions l’un dans l’autre, mais je savais qu’elle avait raison. Elle me ramenait du côté de la vie, et pour la vie à venir je ne pouvais pas rester tout seul. Nous sommes redescendus ensemble, pour pleurer avec les autres. Manger avec les autres. Et rire aussi, puisqu’il faut bien rire. La famille continuait à vivre, et c’était bien dans cette maison que cela se passait, entre vivants.

Voilà peut-être la leçon la plus importante que j’ai retenue de ma grand-mère, et que je voulais partager avec vous aujourd’hui : face à la mort, il n’y a rien d’autre à faire, littéralement rien de mieux pour les vivants, que de continuer à vivre ensemble, à pleurer ensemble, à rire ensemble, et à se serrer les coudes.

Je lis ce texte le jour de l’enterrement. Tout le monde pleure dans la chapelle, sauf moi.  Moi, yeux secs, je lis, je suis là pour ça. Pour moi, la catharsis était derrière. J’avais déjà écrit au milieu des larmes. J’étais le poète dans l’avion. Tous ces gens en ceintures de sécurité sur leurs prie-dieux me regardaient faire la démonstration des gestes qui sauvent. J’étais à ma place.

Après la cérémonie, je discute avec le mari de ma cousine. Il est garagiste. « J’ai beaucoup aimé ce que tu as lu dans la chapelle tout à l’heure. J’ai trouvé ça émouvant.
– Ah, oui ? merci.
– Je ne saurais pas faire ça, moi. Avec tous mes outils… (Il est garagiste et très bricoleur. Il sait, comme on dit, tout faire. Mais pas ce que j’ai fait.)
– J’ai beaucoup de respect pour tes outils.
– J’ai beaucoup de respect pour tes mots. »

Chacun à sa place et qui respecte l’autre. Dialogue simple, limpide et beau, comme une utopie réalisée, comme une réponse au voeu exprimé avec émotion mais sans pathos par Emmanuel Bove dans Mémoires d’un homme singulier : « Je n’ai rien demandé à l’existence d’extraordinaire. Je n’ai demandé qu’une seule chose. Elle m’a toujours été refusée. J’ai lutté pour l’obtenir, vraiment. Cette chose, mes semblables l’ont sans la chercher. Cette chose n’est ni l’argent, ni l’amitié, ni la gloire. C’est une place parmi les hommes, une place à moi, une place qu’ils reconnaîtraient comme mienne sans l’envier, puisqu’elle n’aurait rien d’enviable. Elle ne se distinguerait pas de celles qu’ils occupent. Elle serait tout simplement respectable. »

Ou bien, comme dans la scène de Spartacus de Kubrick, où l’esclave rebelle Kirk Douglas inspecte sa troupe de guerriers, et avise les trop beaux habits de cour du poète en fuite, Tony Curtis.

– Et toi, quel était ton travail ?
– J’étais poète et chanteur.
– Poète et chanteur ? Mais… Quel était ton travail ?
– C’était mon travail. Je… Je jonglais, aussi.
– Tu jonglais ? Et que faisais-tu d’autre ?
– Je faisais aussi de la magie…