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Dessinez des prophètes !

Je suis Charlie

Après le choc.

Les yeux encore rouges, les larmes, le manque de sommeil, les heures d’écran.

Au moins aurons-nous communiqué d’abondance, durant trois jours. Conversations, débats, communions, embrassades, fesse-boucage et dizaines de mails, échange d’émotions et d’idées. On passe nos nuits en ligne parce qu’on cherche à comprendre. Contributions innombrables, liens. Parmi les textes les plus forts que j’ai lus : celui de Rushdie, celui d’un lecteur d’Averroès et du Coran (le verset 140 de la quatrième sourate dit aux musulmans ce qu’ils doivent faire lorsqu’ils se retrouvent face à des gens qui « tournent en dérision » les versets d’Allah : quitter le lieu et ne pas demeurer à leurs cotés – Allah s’occupera de les envoyer en enfer au jugement dernier), mais aussi celui, viscéral, du Webmestre Masqué du Fond du tiroir. Il avait l’intention d’en faire une lettre ouverte à Hollande, mais je ne sais pas s’il l’a envoyée, il serait bien du genre à la laisser au fond de son tiroir, c’est de famille. Mon vieux, tu as les clefs du blog : je t’invite à publier ton texte ici-même.

Parmi les autres textes reçus hier, celui-ci, privé, émanant d’un ami cher, m’a fait gamberger :

Ce qui nous touche tellement, je crois, c’est qu’ils on tué l’Enfance.
Ces gars de Charlie hebdo étaient des gosses (on entend ça partout, ça doit être vrai) avec le goût de la déconnade, l’absence de calcul, l’inconscience, la folie… que cela suppose. Ils ont tué des enfants.
Mais ils ont aussi tué notre enfance. Nous vivions, avec nos principes, nos valeurs, notre naïveté, comme des enfants.
Vous qui écrivez, les artistes, vous faites profession d’enfance. Il n’y a rien de plus beau.
Et là, on est obligé d’en sortir, de voir. On se heurte au réel. C’est d’une brutalité inouïe ; on n’a même pas le temps de faire notre crise d’adolescence.
Il va pourtant falloir devenir adultes très vite.
Devenir adultes, pour pouvoir reconstruire l’enfance.
C’est ça qui doit nous rassembler, nous faire tenir.

Si je partage le constat de brutalité et la nécessité d’affronter le réel, je suis loin d’être d’accord avec l’analogie entre des dessinateurs de presse et des enfants, ni dans ses tenants (qu’y a-t-il d’enfantin chez un type qui déclare Je préfère mourir debout que vivre à genoux ? Ou alors, les enfants sont plus responsables que bien des adultes, point de vue qui se défend), ni dans ses aboutissants (okay, nous sommes en guerre, et s’il faut faire la guerre je la ferai avec mes moyens, à ma mesure… Mais la guerre est-elle vraiment une preuve de maturité ? Certes c’est ce que dit la chanson, Et puis les adultes sont tellement cons/Qu’ils nous feront bien une guerre)…

En revanche, l’enfance, je la reconnais distinctement dans le plaisir, la joie. Et avant tout la joie de faire. La joie de dessiner.

Alors, hier, pour me relever, et pour m’occuper les mains loin des fil d’actu et pis aussi pour rire un peu plutôt que de pleurer toul’tant-toul’tant, vous savez quoi j’ai sorti mes crayons et j’ai fait un très zoli dessin. Je me suis appliqué, j’ai presque pas débordé, j’ai fait un joli Prophète Muhammad (que la paix soit sur lui).
Je suis sûr que Charb quand il a débuté, ne dessinait pas mieux que ça. Vingt ans plus tard, il ne dessinait toujours pas mieux que ça, mais ça s’appelait « son style » , il a dessiné des millions de bonshommes, toujours les mêmes, avec un gros nez rond et trois points dessus, sauf que s’il lui ajoutait un turban sur le crâne, son bonhomme devenait le prophète et ça méritait la mort. Lisez je vous prie La vie de Mahomet de Charb, lire ce livre (lire tout court) fait partie de la résistance aussi bien que de la culture générale, livre enfantin par son dessin si l’on veut, mais extrêmement sérieux dans son récit, cautionné par des théologiens, car contrairement à ses assassins Charb savait lire et avait lu les textes coraniques. « Islamophobe » ? Faut-il être bas du front ou manipulateur ou manipulé pour penser une chose pareille ! Cf. ceci, mais cf. Charlie, lisons Charlie avant d’avoir une opinion et une arme.

Moi je débute dans le dessin, j’ai 20 ans devant moi. Et ensuite moi aussi je mériterai le paradis.

Il est bien gentil ce label carré Je suis Charlie collé partout, je l’ai adopté aussi, pas bégueule, mais tout bien réfléchi, puisque je suis à nouveau en état de réfléchir, j’estime qu’on rendra un meilleur hommage à Charlie en dessinant, en s’amusant à dessiner, plutôt qu’en diffusant ce slogan qui fleure un peu le marketing (ils détestaient tellement la pub). Voir aussi cette interview de Luz, l’un des survivants : « Au final, la charge symbolique actuelle [du soutien unanime à Charlie comme symbole de la liberté de la presse] est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. C’est formidable que les gens nous soutiennent mais on est dans un contre-sens de ce que sont les dessins de Charlie.« 

Et voilà, ça a marché, j’ai dessiné mon prophète en riant, je vous jure que j’allais mieux après.
Je conseille à TOUT LE MONDE de dessiner son prophète. Ne serait-ce que pour prouver que ça ne fait pas mal.
Je suis d’avis de diffuser partout la phrase Toi aussi dessine ton prophète plutôt que Je suis Charlie. C’est comme ça qu’il faudrait le comprendre, le slogan ‘Je suis’ : I am Spartacus ! Liquidez-moi comme vous l’avez liquidé, liquidez-moi à sa place tant que vous y êtes, je suis prêt à la recevoir, la fatwa pour un petit dessin.

Dessinez des prophètes ! Chiche, on s’y met tous ! Et puis d’ailleurs, vous n’êtes pas obligés de dessiner spécifiquement Muhammad (que la paix soit sur lui), vous pouvez dessiner le prophète que vous voulez, ce n’est pas ce qui manque, dessinez un pape, un rabbin, un Hollande, un Sarkozy, un Séguéla, un Houellebecq, un Zemmour… Un Charb, pourquoi pas. Mais dessinez-les. Appropriez-les vous sur papier et à la taille que vous voudrez. Représentez-les. La représentation est un outil de pensée pour enfants de tous âges.

  1. Vincent Karle
    16/01/2015 à 09:04 | #1

    Cher Fabrice, cher frère de douleur, cher apprenti-dessinateur
    Tu as raison, reprenons le flambeau et dessinons ! Dessinons pour nous, dessinons pour eux.
    Quand je dis «eux», je pense aux fous qui ont commis ces crimes, et je me dis que pour une fois, la Loi du Talion ne serait pas une mauvaise chose : oeil pour oeil, dent pour dent… et dessin pour dessin ! Logique, non ?! Allez ! On pose les Kalash et on attrape les Caran d’Ache : à vos crayons, on ne copie pas ! Ceux qui ne savent vraiment pas dessiner peuvent essayer d’écrire un article, mais je vous préviens, ce n’est pas forcément plus simple… Je vous mets au défi. Vous avez prouvé que vous savez nous faire pleurer avec une volée de plomb : entre nous, c’est quand même à la portée du premier connard venu. Mais maintenant, faites-nous rire en raillant nos valeurs à nous : à quand une bonne caricature sur la laïcité ? Une satire bien sentie de l’athéisme ? Un sarcasme pas piqué des vers sur la fraternité ? Allez-y, défoulez-vous, n’ayez pas peur de la provoc’ ! Et nos braves dji-dji de s’appliquer sur leurs blocs-notes en tirant la langue : prends ça dans les dents, la République ! Et paf, la Démocratie ! Ridiculisée, l’Égalité… Aïe, celui-là il fait mal, je suis mort de rire.
    J’attends.
    Mais je n’oublie pas nos dessinateurs à nous, qui sont un peu déboussolés depuis 8 jours malgré quelques crobards très réussis. Amis caricaturistes et autres Charlies en herbe, ne cherchez plus, j’ai la solution : la caricature-au-numéro. C’est tout comme la peinture-au-numéro, sauf que ça fonctionne pour le dessin satirique : cartooning-by-number. Voyez plutôt. À tout seigneur, tout honneur : commençons par Mahomet (les autres, ne vous impatientez pas, votre tour viendra).

    Voici donc le modèle. Je précise qu’il est reproduit d’après une superbe miniature extraite de l’ouvrage d’al-Bîrûnî, al-Âthâr al-bâqiya, Iran, XVIe siècle (visible à la BnF à Paris). Mahomet s’adresse à un public situé en contrebas : admirez la noblesse du geste et la beauté du visage qui transparaissent même à travers ces quelques lignes noires sur fond blanc. Les numéros renvoient à des couleurs, il ne reste qu’à l’habiller de votre plus belle palette pour qu’il prenne vie.

    Mais attention : une palette réduite, des couleurs suggestives, un trait de jaune et voici notre prophète transformé bien malgré lui en inquiétant personnage qui semble sur le point de lancer un bâton de dynamite depuis le fin fond des enfers. Pourtant le dessin est le même…

    Essayons donc autre chose : élargissons la palette, mélangeons bien, un zeste de bonne humeur et zou, le voilà au micro en pleine séance de karaoké tandis que la piste s’illumine de mille feux ! Avouez que le message est fort différent.

    Comme quoi les images, on leur fait bien dire ce qu’on veut. Et voilà ma version du prophète (avec une nette préférence pour le dernier essai). Bien. La prochaine fois je vous ferai une série de Jésus à la manière d’Andy Warhol. Merci, sortez en silence.
    Pet & fraternité
    Vincent

  2. Jean-Pierre Azatoth
    31/01/2015 à 09:38 | #2

    Même si je comprends le manque de respect que constitue certains dessins pour certaines personnes, je penche du côté libertaire. Je trouve d’ailleurs étrange qu’on commence à parler du respect de la croyance de chacun au moment où on voit le pire de la religion, et je ne serais pas contre le fait de représenter Muhammad en femme, ou à faire des sérigraphies façon Wharol afin d’en faire une icône pop. Il me semble qu’être libertaire ce n’est pas simplement faire ce que chacun devrait faire en vue du bien commun, c’est aussi aller droit dans le mur comme ces chers svinkels, c’est déranger, attaquer les tabous, faire des représentations politiquement, religieusement, moralement incorrectes et refuser qu’on les corrige.

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